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Je ne te fais pas un dessin (Troyes épisode 41)

11/10/2011 Aucun commentaire

(Rêvé cette nuit de mon père et de Frank Zappa. Ils n’avaient aucune scène en commun.)

Dali et la gare de Perpignan peuvent bien aller se rhabiller : le centre du monde ne vous en déplaise est la gare de Troyes depuis qu’en 2009 Cécile Gambini y a peint une fresque de sept mètres sur deux. À la descente du train, on est accueilli par un éléphant, une bobine de fil, des maisons à colombage qui me rappellent quelqu’un, un kiosque, des nuages, une usine, un chameau, un château, des livres bien sûr, et toutes sortes de créatures en couleurs.

Cécile, résidente ici-même à l’automne 2005, est revenue inaugurer sa fresque en 2009 ; NicolasBianco-Levrin, résident en 2008, revint l’année suivante pour présenter son cabinet de curiosité ; Clémence Pollet, résidente l’an dernier, propose une exposition à la médiathèque de Troyes, visible jusqu’à la fin de l’année, intitulée Tac Tic mécanique. C’est une sorte de tradition : le bénéficiaire de la résidence tisse des liens pour plus tard, concocte un happening, et revient comme en post-scriptum livrer une ultime trace de son passage dans cette ville portée sur la littérature jeunesse.

Par conséquent, dès mon arrivée, je fus tâté dans le terrain pour savoir si j’avais des plans de ce genre-là… J’ai dû avouer ma perplexité et mon incompétence graphique, mon genre de création étant fort peu exposable. Cette charmante proposition en forme de rappel (de encore comme disent les Anglais) est naturelle lorsqu’elle s’adresse à un illustrateur, mais, croyez bien que je le regrette tous les jours, je ne sais pas dessiner, et je ne vois pas ce que je pourrais donner à voir aux Troyens, sur cimaise ou sous Plexiglas, même en gage de ma gratitude.

Mais ! Mais ! Mais ! Attendez voir, il me vient une idée. Pour la mener à bien, il me faudra m’adjoindre les services d’un illustrateur de mes amis. S’il enluminait un texte que j’ai en tête et, partiellement, sur papier, cela nous donnerait une très jolie petite expo, en lien direct avec mon activité présente ET avec la bonne ville de Troyes. Rien n’est fait, donc je n’en dirai pas plus, parce qu’aussi bien rien ne se fera. Je vous en recauserai, ou peut-être que non. C’est le suspense.

Londonomètre : 1300 au moins, ça carbure, c’est lié, tout ça.

(Je lis donc) Je pense donc je suis (Troyes épisode 40)

10/10/2011 Aucun commentaire

Oh-oh… L’épée de la dame au clebs pèse sur ce blog et pourrait fissa me fermer le clapet… Mon webmestre reçoit ce matin de la part de l’administrateur un courriel intimidant, quoique cordial (l’avez-vous remarqué ? très souvent le ton des mails à des inconnus est cordial, mais on sent bien que cordialement signifie en vérité Allez vous faire foutre). En substance, « Nous vous informons que la taille de votre base de données MySQL située sur le serveur cl2-sql3 dépasse la limite fixée par votre offre. Votre base utilisée actuellement 32.59Mo d’espace alors que votre offre vous autorise à 25Mo par base » , et si je ne mets pas bon ordre à ce charabia dans les jours prochains, tout se bloque, rideau.

Le rythme quotidien du blog depuis 40 jours, multipliant images et textes, aura probablement précipité sa surcharge pondérale au risque d’un prochain arrêt cardiaque. Il me faut donc réagir, très vite, régime sec et exercices. Mais quelle mauvaise graisse supprimer ?

Ce blog, vous ne l’ignorez peut-être pas, contient une page qui change de visage en permanence, intitulée Le livre qui déforme ma poche ces jours-ci, et dans ma poche un clou chasse l’autre depuis trois ans et demi. Depuis l’ouverture du blog, je conserve en archive des centaines d’illustrations, correspondant aux couvertures des livres que j’ai lus. C’est ce stock d’images qui ne sont plus en ligne que je me décide à éliminer. Je les regarde une dernière fois, une par une, avant leur anéantissement, comme on fait de vieilles lettres qu’on s’apprête à brûler, où plutôt comme son agenda d’adolescence qui énumérait sans précisions, sans affects, les livres lus, les films vus, et même qu’on collait dedans les tickets de cinéma…

Celui-ci, celui-là, cet autre, bon sang quel paysage, j’ai donc lu tout ça. Des gros des petits, des graves des légers, ceux déjà oubliés, ceux dont je me souviendrai à jamais, ceux mêmes que je ne finirai jamais, tous me reviennent… Cette pile virtuelle aura marqué trois ans et demi de ma vie. Ce journal intime de tout ce que j’ai découvert, absorbé, fait mien, enkysté, a, au sens le plus exact, fait mon temps. J’en suis plus convaincu que jamais : on est ce qu’on lit. Ainsi je clique et vire en soupirant une part charnelle de ce que je suis. Mais ma poche est vide à nouveau ! Voyons, avec quoi la remplirai-je ?

Frondaison (Troyes épisode 39)

09/10/2011 2 commentaires

Je n’irai pas voter aux primaires socialos. D’abord je suis trop loin de mon bureau de vote, je ne vais tout de même pas me cogner six heures de train pour l’ambigu plaisir, tarifé un euro, de jurer sur l’honneur que « j’adhère aux valeurs de la gauche » . Ensuite je ne suis pas convaincu de la pertinence (à part médiatique, bien sûr) d’habiller en scrutin national une opération interne d’habitude exclusivement réservée aux adhérents d’un parti. Pourquoi pas un référendum à un euro où l’on inviterait tout citoyen français en mesure de signer un papelard, et même moi, de décider si Marine Le Pen est un meilleur candidat que Bruno Gollnisch ? Si on me demandait mon avis, je dirais que c’est de la démocratie mal placée, présentée comme innovante par un parti un peu déboussolé, mais on ne me demande pas mon avis, je suis d’ailleurs mal placé pour le donner, je n’irai pas voter.

Plutôt que de cet événement peu excitant, parlons d’antisémitisme – mais c’est lié, attendez voir.

Pourquoi ? Parce que j’évoque régulièrement ici le Dr. Haricot, L.F. Céline, et, inévitablement, l’antisémitisme. Or, je détesterais donner l’impression, sous couvert de belles lettres, de relativiser, banaliser, nuancer jamais ce racisme spécial, cette peste millénaire. Soyons clairs : j’aime Céline, con et sublime ; je salue fraternellement les Juifs du monde entier, je les aime aussi (sauf certains sionistes, question politique et non raciale). Car les Juifs sont des hommes, donc ils sont cons et sublimes, comme vous et moi. Et je signale que le parvis de la médiathèque de Troyes que je foule quotidiennement s’appelle Esplanade Salomon de Troyes dit Rachi, afin d’honorer un honnête homme du moyen-âge, rabbin, savant, poète et vigneron, humain con et sublime.

Je ne pensais pas ressentir un jour le besoin de donner une justification aussi plate… Je m’y emploie parce que je prends conscience que l’antisémitisme est sacrément vivace en France, signe évident de la mauvaise santé morale de ce foutu patelin. Voici le rapport avec les élections de la bande de primaires socialistes.

De même que, comme je le racontais avant-hier, Google désinforme ses usagers en suggérant un lien entre les mots « Corbier » et « mort », de même lorsque l’on cherche des renseignements sur Hollande, Google propose « François Hollande juif » . J’en reste ahuri, et pour tout dire terrifié. L’heure est grave, il me semble, question peste millénaire. (Lire aussi ce qu’écrit Joann Sfar sur son blog.)

Resterait à expliquer pourquoi cet article s’intitule Frondaison. Eh bien, parce que Frondaison est un très joli mot, que je n’avais jamais écrit de ma vie. Il était temps. Celui-ci, c’est fait, au suivant, la langue française compte environ 100 000 mots. Parmi lesquels un certain nombre au Londonomètre du jour. Je viens d’achever une jolie bricole intitulée Lonesome G..

Plan média (Troyes épisode 38)

08/10/2011 Aucun commentaire

Autre conséquence du salon du livre de Troyes : la presse locale me réclame des interviews. En huit jours : deux radios, une télé, un canard papier (il en reste). Je me plie à l’exercice, mais je dois dire que je n’en raffole pas. En principe, je n’aime me faire interviouver que par des gens qui ont lu mes livres. C’est la seule garantie qu’il se passera quelque chose, qu’on abordera la littérature, ou d’autres sujets qui en valent la peine. La Charte, avec raison, préconise aux auteurs de n’accepter de rencontres qu’avec des classes qui ont lu les livres ; si le monde était bien fait, on appliquerait la même règles aux rencontres avec les journalistes.

Hélas on n’en est pas là, le monde n’est pas bien fait, l’information est un flux continu et gourmand, la littérature serait trop demander, ce n’est là que communication. Soit, communiquons, jetons-nous avec coeur dans le bain de la com, le buzz a horreur du vide. C’est ainsi que je me retrouve, donnant complaisamment des interviews à des personnes, au demeurant très gentilles, bien intentionnées c’est ça le pire, qui m’invitent à « résumer mon univers en une phrase », et là je suis mal barré. Honnêtement, qui, dans la salle, auteur ou pas auteur, serait capable de résumer son univers en une phrase ? Sauf à le falsifier en slogan publicitaire. Je ne me trouve jamais très bon, forcément, je baragouine des banalités plus ou moins compréhensibles auxquelles je m’efforce de croire. En gros, j’essaye de glisser le message que le livre, c’est bon pour la santé. Venez tous au salon ce week-end !

Une fois le reportage enregistré, la caméra pliée, j’ai discuté un peu avec la journaliste de Canal 32. Elle m’a dit : « Moi, j’ai toujours voulu faire de la télévision, parce que j’aime l’image. Je m’intéresse à la photo, à la peinture… Quand je filme, je cherche à construire un beau cadre » . Ah ? Au temps pour moi. Si, derrière ce grand bazar communication, se trouve tout de même une quête de beauté, si infime et enfouie soit-elle, alors j’arrête de jouer les blasés et les ronchons, il y a quelque chose à sauver. J’avais presque envie de l’interviouver, mais je ne connais pas assez son oeuvre.

Londonomètre : un pacson.

Corbier pas mort (Troyes épisode 37)

07/10/2011 Aucun commentaire

Essayez de taper « François Corbier » dans la gueule béante de Google. La première association de mots que vous suggèrera l’oracle est « François Corbier mort ». Ce qui signifie que les gens qui cherchent des renseignements sur Corbier souhaitent le plus souvent savoir quand il est mort, de quoi, dans quelles circonstances, et à quel âge (histoire de vérifier s’il fait partie du Club des 27).

Or je suis en mesure de certifier que Corbier est vivant : je l’ai vu chanter hier dans un troquet de Troyes. Je me demande si Corbier est au courant, pour Google. Il y aurait de quoi choper un maousse bourdon. Lui qui est la bonne humeur incarnée et barbue. Ou alors, il est mort et n’est pas au courant, parce qu’il n’a pas Internet. Il a dans son répertoire une chanson rigolote sur les chanteurs morts, à la fin de laquelle il se présente comme « le seul chanteur mort encore un peu vivant ».

Corbier est prodigieusement sympathique. Archéo-chansonnier et gibier de potence (son pseudonyme est une déformation du vrai nom de François Villon, François de Montcorbier), il porte gaiement ses refrains anars, sa chemise noire, son swing à la guitare, sa gouaille douce, ses amours risibles et ses gentilles satires anti-nucléaires, ses micro-chansons de trois secondes (et voici la chanson du pompier qui repeint un pont. Attention, une, deux… Peint ! Pont ! C’est fini) et ses blagues rodées mille fois (Pardon, je suis en retard, je me suis perdu en route… J’ai demandé mon chemin à un agent, il m’a dit, mais, c’est vous ? c’est vous ? c’est bien vous ? Je vous connais, je vous regardais quand j’étais petit, vous étiez dans Dorothée ! J’ai répondu, euh, non, pas tout à fait, j’étais à coté…) Parfaitement insoucieux de toute ringardise, il n’est par conséquent pas ringard pour un poil.

Pourquoi je raconte Corbier sur un blog dont la fonction est plutôt de purger mes états d’âme d’auteur en résidence ? J’y viens. À un moment donné, Corbier nous dit : « Il y a deux sortes de chanteurs. Il y a les juke-box, qui ont derrière eux un stock de chansons connues et martelées par les radios, qui montent sur scène pour les rabâcher à l’identique, le public est content, il a entendu la même chose qu’à la radio, et le juke-box a bien gagné sa vie. Et puis il y a les autres, qui sans vraiment gagner leur vie chantent dans des petits lieux comme celui-ci [le bistrot était particulièrement bruyant, les mangeurs et les buveurs concurrençaient le chanteur en décibels, parfois jusqu’à la pure et simple impolitesse], ils chantent leurs chansons que vous connaissez, ou pas, peu importe. Je suis de cette catégorie. Je chante encore parce que j’aime ça » .

Je sens que je suis de la même catégorie. Je me verrais bien, voilà tout le mal que je me souhaite, écrire et chanter encore à 65 ans mes chansonnettes que personne n’écoute, tout seul au fond de ma fumerie, pour un public de vieux Chinois. Les derniers albums de Corbier ne sont pas distribués. Ils sont en vente exclusivement par correspondance sur son site personnel, ou alors en direct sur les lieux de concert. Vous savez ce qu’elle vous dit, l’auto-édition ?

Londonomètre : mille à l’aise, mais pas sûr ça tienne à la relecture demain.

Bonjour chez vous (Troyes épisode 35)

05/10/2011 Aucun commentaire

Le titre du magazine des locataires de Troyes Habitat est Bonjour chez vous, ce qui m’inquiète un peu. Quant à moi, je suis de retour au Village. Encore une magnifique journée. Le parfum du jour est fraise. Je répète : le parfum du jour est fraise.

Je ne suis pas un numéro, mais voici tout de même le londonomètre du jour : 646.

Des trottoirs et des réverbères (Troyes épisode 34)

04/10/2011 Aucun commentaire

Un polichinelle dans le Fond du tiroir : dans le droit fil des questions que je me posais hier (que diable faut-il mettre entre les mains des adolescents, jeunesse/pas jeunesse), je me fais aujourd’hui l’écho d’une polémique chantée entre Colonel Reyel et Jeanne « Amiral » Cherhal. Ils s’affrontent en terrain glissant, sur le thème des grossesses non désirées des jeunes filles.

À ma droite (tellement à droite qu’il a fait la joie des sites pro-life et de Christine Boutin), le pénible tube de l’été du Colonel, Aurélie, dresse le portrait ému d’une maman de 16 ans, qui a bravement tenu à mener sa grossesse à terme malgré le désavoeu de ses proches ; à ma gauche, la réplique de Cherhal, Colonel j’ai 16 ans, chanson composée spontanément et à fleur de peau, pour apporter un contrepoint, un peu plus subtil mais finalement à peine, aux assertions simplistes du genre « rien de plus beau que de donner la vie, si tu n’es pas d’accord tu n’as rien compris » , rengaine propre à faire croire aux jeunes filles que leur horizon le plus scintillant ou le plus naturel, est la maternité. Selon la chanteuse,

Quand j’avais 15 ou 16 ans, c’étaient les chansons de Renaud qui m’ouvraient l’esprit, et c’était tout sauf réactionnaire. Si la chanson de Colonel Reyel et le succès qu’elle remporte sont le reflet d’une époque, alors c’est inquiétant.

Entre les deux rivaux, mon penchant est sans ambiguité. Je préfère largement la chanteuse, artisane à l’ancienne, catégorie auteur-compositeur-interprète, capable de l’exploit d’émouvoir avec une station d’épuration, au bogosse ragga-basique pour frotti-frotta prépubère, qui pour se la jouer aussi viril que ses collègues du hip-hop, choisit puérilement en guise de pseudo un grade militaire, comme par nostalgie de ce bon temps de la conscription de masse qui fabriquait des-hommes-des-vrais, l’homme qu’on écoute c’est celui qu’a du galon (mille excuses ! Moi qui l’ai subie, la conscription, j’avoue que dès le pseudo du bonhomme je recule d’un pas – je confesse une réactivité au délit de patronyme comme d’autres se laissent aller à sanctionner le délit de faciès, ah j’ai un haut-le-coeur, si on récapitule la vision du monde offerte par le chanteur et sa chanson, devenir soldat est aussi naturel désirable et épanouissant pour un garçon que devenir mère pour une fille ?), elle est trop longue, cette phrase.

Au crédit du pseudo-officier, la grossesse à 16 ans est un cas social (un cas soce, comme chante Cherhal) plus fréquent dans le milieu qui constitue majoritairement son public, que dans le public de la chanteuse, ce qui lui donne beau jeu de se défendre sur l’air « J’ai écrit cette chanson d’après une histoire vraie, moi au moins je parle de ce que j’ai vu ». Mais voilà précisément où le bas blesse.

Quels échos aura ce clash ? Sans doute : aucun, parce que Cherhal et Reyel n’évoluent pas dans les mêmes sphères, et ont peu de chance de se rencontrer. Les fans de l’une (habitus : bobos ou middle-class, en gros, mon propre profil) ne connaissent pas ceux de l’autre (adolescents des classes popus, lumpenproletariat en fleurs), et chacun des deux « artistes » (on les appelle ainsi) pourrait ignorer absolument, jusqu’au déni, l’existence de l’autre, sans que cela entrave sa carrière (de ce point de vue, la volonté de Cherhal d’aller au contact est indéniablement à son honneur – en face, c’est à peine si le Reyel juge son interlocutrice digne d’être identifiée en vue d’un dialogue).

En somme deux chanteurs s’adressent à leur classe respective et à elle seule (prenons au pied de la lettre les explicites proclamations d’intention des rappeurs : I represent ou IV my People), deux mondes coexistent, s’auto-prêchent convaincus, deux chiens de faïence ne s’adressent pas la parole sinon, exceptionnellement, à travers une caméra pour faire le buzz. L’actuelle France, en son climat de repli paranoïaque et chacun-pour-soi, les suppose virtuellement antagonistes, c’est tout, le match finalement n’aura pas lieu sur le terrain des idées, non faute d’idées communes, mais de l’idée de communauté.

C’est en cela que cette micro-polémique est révélatrice de l’état social. J’ai lu récemment une interview déprimante de l’historien Pierre Rosanvallon, qui explique comment l’idée même d’égalité est en crise dans la démocratie française :

[Pour mener à bien] la reconstruction de l’Etat-providence, aujourd’hui en voie de décomposition avancée [il faudrait commencer par] produire du commun.[…] Quand Sieyès, au XVIIIe siècle, affirmait que l’égalité passait par la multiplication des trottoirs et des réverbères – des espaces partagés par tous – il avait raison ! Aujourd’hui, les espaces fréquentés aussi bien par les riches que par les pauvres se font rares, de même que les expériences de vie commune (à l’exception peut-être des stades de foot). Enfin, il est grand temps de repenser la participation au bien-être collectif : le temps n’est plus au service militaire, mais la renaissance de nouvelles formes de service civique n’est pas une idée absurde…

Pour l’heure, moi aussi je suis atomisé, et je ne parle en général qu’à ma classe, je le crains. Un livre, un salonduliv, sont-ils devenus, comme une chanson populaire, de purs marqueurs sociaux ? Ont-ils perdu leur ancien pouvoir de traverser de la société en coupe, pour la révéler à elle-même ? Mais l’ont-ils jamais eu ?

Londonomètre : 315. C’est peu, mais en ajoutant les 895 mots du présent article, on obtient le lourd total de 1210.

Pour notre amie la jeunesse (Troyes épisode 33)

03/10/2011 un commentaire

Le dernier livre de Jean-Philippe Blondel s’intitule Et rester vivant, joli titre aux échos spinozistes. Je ne l’ai pas lu, mais il a plutôt bonne presse. Non, non, ne me faites pas dire que je refuse de le lire au seul prétexte qu’il a plutôt bonne presse… Je le lirai, sous peu.

Jean-Philippe fait partie des auteurs aux côtés de qui j’ai fait mon entrée dans le monde (cf. le carnet de bal des débutantes, en sélectionnant l’année 2004), ce qui explique que je le suis, de loin en loin. Je n’aime pas tous ses livres, mais ceux que j’aime, je les aime beaucoup (problème stylistique : comment éviter qu’une phrase pareille répète trois fois le verbe aimer ? Je pose la question pour moi-même, aucun livre dédicacé en jeu aujourd’hui).

Jean-Philippe est, par ailleurs, vraiment par tout-à-fait ailleurs, Troyen. Il m’a gratifié peu de temps après mon arrivée d’une visite guidée dans le centre ville et d’un historique très éclairant sur l’état des livres et des libraires de sa ville, merci collègue.

Jean-Philippe est, en outre, l’auteur d’un beau récit autobiographique intitulé G229, qui m’a fait m’exclamer, en débarquant à Troyes, « Wow, je me trouve désormais dans la même ville que la salle G229 », parce qu’on attrape les repères qu’on peut.

Jean-Philippe est, enfin et surtout, un auteur qui alterne les littératures adulte et jeunesse, situation qui m’intéresse tout spécialement. Et son cas est édifiant : en tant que lecteur je ne parviens pas à faire la différence entre ses deux registres de production, j’y vois une unité fondamentale. Certains de ses livres m’épatent, ceux dont je me dis « Là, il a fait fort, il a pris des risques, il s’est aventuré, il est fébrile et moi aussi » ; certains autres échouent à me surprendre, je me dis « Okay, c’est seulement pas mal, il se contente de faire ce qu’il sait faire, allez, au suivant ». Or, cette discrimination est la seule qui m’importe, et qui transcende à l’aise l’autre, l’officielle, celle qui labellise et frontiérise « Adulte » ou « Jeunesse ».

Ma position sur ce qu’on appelle littérature jeunesse est claire, et cependant, malgré moi, quelque peu hérétique – ce n’est pas ma faute mais celle du climat ambiant. Je la rabâche sur demande : règle une et unique, il est capital de placer entre les mains de notre belle jeunesse de bons livres. Point. Que ces livres soient jeunesse ou pas, on s’en fout complètement. De même, il est préférable, pour la santé des individus et des sociétés, que les adultes, quel que soit leur âge, lisent de bons livres. Y compris jeunesse, eh oui messieurs-dames. Ainsi, les lecteurs assidus de JPB ne savent pas ce qu’ils perdent s’ils sont passés à côté de l’un de ses opus les plus tranchants, les plus urgents, les plus vifs, les plus droit-au-but et les plus importants : Un endroit pour vivre. Estampillé Jeunesse. Et après ?

(Sinon, y’a ça, aussi : “Le théâtre pour enfants, c’est le théâtre pour adultes en mieux” – Stanislavsky, 1907.)

Petits ! Petits ! Petits ! (Troyes épisode 32)

02/10/2011 Aucun commentaire

Impossible de lui échapper. Dans chaque rue de Troyes on croise dix fois cette affiche signée Serge Bloch. Je l’ai même suspendue sur le mur de ma thébaïde. When in Rome, do as Romans do.

Le salon du livre aura lieu du 13 au 17 octobre, et ces pages de mon agenda se remplissent gentiment. Plus que celles de mon manuscrit.

(Londonomètre : eh, oh, ça va, on est dimanche.)

Édouard Levé (Troyes épisode 31)

01/10/2011 un commentaire

Je prétends parfois que je dois aux « hasards de l’existence » à bon dos de travailler en bibliothèque. Mais c’est sûrement inexact : je constate que, lorsque je me trouve dans une ville inconnue, je me rends tout naturellement dans la bibliothèque municipale, comme suivant le pôle d’une boussole, parce que je m’y sens bien. Dans Diamants sur canapé, Audrey Hepburn soigne sa mélancolie en flânant dans la bijouterie Tiffany’s, murmurant « Rien de mal ne peut m’arriver, ici ». Puis elle visite la bibliothèque de New York, mais elle y est déçue, « Ils n’ont rien d’aussi beau ici que chez Tiffany ». Eh bien pour moi, c’est la bibliothèque, le lieu où rien de mal ne peut arriver, par excellence le lieu de paix. Le lieu où, du moins, on sait quoi faire de la guerre. Je ne me sens pas étranger dans une ville pourvue d’une bibliothèque. Je rentre, il y a des livres, je suis à ma place, sans effort.

Je suis quotidiennement fourré dans la médiathèque de Troyes, et je fouille, et je lis, je découvre, je sérendipe. Je viens de mettre la main sur le très beau recueil de photographies d’un certain Édouard Levé, double recueil en vérité, construit en tête-bêche, intitulé Angoisse/Reconstitutions. Je l’ai saisi sur la table où il était en présentation, je suis allé m’asseoir dans un fauteuil en sa compagnie, et je lui ai consacré une heure.

J’ouvre le livre dans les deux sens, l’Angoisse d’un côté me tétanise, les Reconstitutions de l’autre me perturbent -particulièrement trois sections qui recoupent mes centres d’intérêts : Rêves, Pornographie, (oui, la pornographie est l’un de mes centres d’intérêts, il n’y a pas que la littérature jeunesse dans la vie), et surtout l’infiniment troublant Quotidien, série de scènes imitées de photos parues dans la  presse, « rejouées » par des sujets en civil, qui semblent dévitalisés et pourtant plus beaux que nature sous l’objectif de Levé. L’effet est saisissant et, alors que je suis plongé dans mes travaux d’écriture, je vois ici l’équivalent iconique exact de ce que je suis en train de tenter avec La légende du monde, mon livre en vers réinterprétant l’actualité.

Brutalement, je finis par me souvenir en détaillant ces images que je connais Édouard Levé. J’ai lu par le passé deux de de ses livres, brefs et abyssaux : Autoportrait (POL, 2005) et Suicide (idem, 2008) – texte point-final d’une terrible force noire, qu’il acheva peu avant de se donner la mort, à l’âge précis, je viens de vérifier, que j’ai aujourd’hui. Ces livres étaient tellement marquants, singuliers, aboutis, que je n’avais pas fait le rapprochement entre l’indéniable écrivain et le photographe homonyme. Les deux sont un.

Je ne songeais pas à tomber sur lui aujourd’hui, non plus qu’à le découvrir autrement, par les images et en posthume. Je ne m’attendais pas à l’aimer hic et nunc, si nourrissant, si attachant et triste, et enfui. Je suis content que les bibliothèques existent.

Londonomètre : 300 et quelques.