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Retour de mèche

21/06/2010 un commentaire

En ce jour du solstice d’été, j’annonce solennellement le retour du livre célébrant le solstice d’hiver. La réédition au Fond du Tiroir de La Mèche, version revue et corrigée, mais toujours bénéficiant des splendides enluminures de Philippe Coudray, arrive. On peut admirer les étapes de la re-création de la couverture, et même commander l’ouvrage.

Qu’est-ce que La Mèche ? Le premier livre de « littérature jeunesse » au Fond du tiroir ; la réédition d’un livre jadis publié par les éditions Castells et introuvable ; une sorte de conte de Nöel pour enfants y compris vieillis… Mais encore ? De quoi parle-t-on ? Puisque Noël n’y est, bien sûr qu’un prétexte.

Attention spoilers !, comme on dit quand on cause séries télé. Ce qui suit dévoile les coulisses du livre et vous privera d’un certain plaisir si vous ne l’avez pas encore lu. Dans ce cas, n’allez pas plus loin, contentez-vous de savoir que, si je tiens à inscrire la réincarnation de ce livre au FdT, c’est que j’en suis particulièrement fier et allez plutôt lire autre chose.

La Mèche, mode d’emploi

(première parution sur le blog, 14 avril 2008)

(Ci-dessus : la première version, inédite, de la couverture, par Philippe Coudray. Je la trouvais mignonne, mais trop statique. Philippe, très pro et très rapide, a dessiné dans la foulée la seconde version, devenue définitive – jusqu’en 2010)

La Mèche fut, de mes livres (hors FdT), celui qui recueillit le moins d’écho. Par conséquent, j’incline à penser que c’est le plus réussi. Je l’aime, je trouve qu’il est ce que je peux faire de mieux dans le genre expérimental-tout-public. Je suis prêt à le défendre contre toute adversité ; hélas ! il n’est même pas attaqué. J’ai eu tout de même l’occasion de faire son apologie, comme on va le lire. Les seuls échos qu’il eut furent une notule dans le Monde (merci Philippe-Jean Catinchi), un commentaire sur le blog d’un libraire (merci Fabrice-le-libraire, et enfin un article dans Livre & Lire, le journal de l’Arald :

L’ARALD m’aime bien, me le prouve régulièrement, et j’éprouve pour elle une immense gratitude. J’ai pourtant pris ombrage de cet article mécaniquement bienveillant, et gentiment condescendant. J’ai donc pour cette fois dérogé à la règle d’or : « Never complain ! Never explain ! », et en septembre 2007 me suis fendu d’une lettre ouverte à Jean-Marie Juvin, auteur de l’article. Voici ce droit de réponse, mais attention : ce texte, portant la lumière sur certains secrets, est à même, selon les cas, d’enrichir ou de gâter la lecture de ce beau livre.

« Cher M. Juvin,

Je viens de feuilleter le dernier numéro de Livre et Lire, et j’ai vu avec plaisir que vous y aviez consacré une notule à mon livre pour enfants, La Mèche. Je vous en remercie bien sincèrement, mais je me permets de ne pas être d’accord avec l’analyse que vous en tirez. (Je vous prie d’ores et déjà de me pardonner ce qui, dans la présente réclamation, vous apparaîtra peut-être comme de la cuistrerie, mais que voulez-vous, Livre et Lire est une feuille de chou régionale, un organe de proximité ! il est donc lu illico, et presque exclusivement, par les personnes prioritairement concernées – les auteurs en première ligne – qui risquent fatalement de trouver à redire…)

Je crois que vous êtes passé à côté de l’ambition de ce livre ; mais je ne vous le reproche pas, au contraire je me remets moi-même en question suite à ce malentendu, qui peut également signifier que c’est MOI qui suis passé à côté de mon ambition, et que je n’ai pas réussi à aboutir dans ce livre l’idée que je m’en faisais. Ma foi, cela me fournit l’occasion de m’expliquer.

Vous dites : « Lila apprend à lire, et c’est peut-être aux enfants du même âge que s’adresse le mystère de ce récit ». Je suis en désaccord formel et radical.

Ce texte, long et pas si simple, ne pourra être accessible aux enfants en apprentissage (6 ou 7 ans) que s’il est accompagné par une lecture d’adulte. Certes, je me suis efforcé, et avec joie, d’écrire à portée de main des plus jeunes, de les faire rire (c’est important) et vous me rendez grand honneur en me prêtant des efforts pour retrouver l’élan de l’enfance, c’est-à-dire sa jugeote, son émerveillement, sa perplexité face à ce que les adultes tiennent pour important (je m’inscris ici dans une tradition que l’on peut qualifier de « Petit-Nicolas », et d’ailleurs j’ai trouvé mon Sempé : Philippe Coudray – je n’ai pas lieu de me plaindre de ma fortune graphique…)

Toutefois, je crois, j’espère, que le public susceptible d’y puiser son miel est plus âgé, et surtout plus vaste, que la seule classe de cours préparatoire : des enfants bon lecteurs qui déjà se souviennent de « quand ils étaient petits », des enfants qui le reliront à des âges divers (Noël après Noël, oui, car un rite se réitère, comme un livre se relivre, à la fois identique et différent à chaque répétition), et des adultes.

Car voici la phrase de votre critique que je voudrais discuter par-dessus tout : « On peut regretter que la parole des adultes se borne à déflorer la seule véracité du Père Noël ». Autant vous dire franchement la vérité : l’objectif de ce livre était de déflorer bien autre chose, et de constituer une métaphore globale de la littérature jeunesse – peut-être de la littérature tout court ; vous mesurez combien l’affaire est sérieuse.

Dans le dernier chapitre, à l’issue de force considérations sur les adultes qui, sans tout à fait mentir, font semblant à divers égards, Lila avoue qu’elle-même a menti, ou plutôt qu’elle faisait semblant depuis le début du livre : elle n’est pas du tout une petite fille de 6 ans, ni même une petite fille de 12 ans qui se souviendrait de sa prime enfance, comme elle le laisse croire à l’autre bout du livre. Elle est tout bonnement une adulte, et même une mère de famille, une femme qui a conscience qu’elle s’adresse à des petits enfants semblables sans doute à celle qu’elle était autrefois ; une femme qui, pour la bonne cause, comme font tous les auteurs de littérature jeunesse, a fait semblant – Lila a joué un rôle pour raconter son histoire. Mais, contrairement à ce que font ordinairement les auteurs pour enfants, elle accepte de révéler in fine la supercherie – comme un auteur, ou un acteur, qui tomberait le masque. Sans me hausser du col indécemment, je tiens ceci pour original.

Car la littérature pour enfants est écrite par les adultes : je crois qu’en disant ceci, je brise un tabou de polichinelle au moins équivalant à « Le Père Noël n’existe pas » : tout le monde le sait, personne ne le dit. En mettant en scène sous forme romanesque cette profanation majeure, cette fois-ci, je ne m’inscris plus dans aucune tradition de la littérature jeunesse (plutôt dans une mise en abyme et dans un soupçon très « Nouveau roman », par exemple – la littérature jeunesse n’ayant pas accompli ce type de révolution moderniste et n’en ayant peut-être pas besoin), mais précisément, La Mèche est un livre sur les traditions qui se perpétuent en se modifiant, paradoxe ! J’ai voulu faire, voyez un peu l’ambition, de l’anthropologie pour enfants : papa, c’est quoi, un rite ? Eh bien, mon enfant, prenons l’exemple de Noël… Cette réappropriation, réactualisation, de ce qui nous fut donné est la découverte la plus profonde de Lila : « Un rite, c’est bien, mais seulement si on perfectionne de soi-même l’invention année après année » (chapitre 10). À cet égard, je pourrais aussi pinailler sur votre appréciation, qui fait de la Mèche un livre « nostalgique », mais j’aurais peur d’abuser de votre patience, je reviens donc à une question plus cruciale : le mensonge.

Or, si mensonge il y a, quelle est donc cette « bonne cause » censée le justifier ?

Point commun entre le mensonge littéraire et le mensonge de Noël : la « bonne cause » est la recherche de connivence entre l’adulte et l’enfant, condition nécessaire afin que quelque chose se transmette. Tricherie assimilée par les enfants vers 6 ans, et qui tout compte fait ne gâte rien (ils continuent d’aimer Noël même quand ils savent que le Père Noël n’existe pas ; ils continuent d’aimer les fictions même quand ils savent que c’est pour de faux toutes ces histoires), tricherie qui ne fait qu’ajouter du sel à leurs relations avec les adultes et avec les secrets, tricherie qui les invite à jouer avec ces notions, tricherie qui les invite à ne pas être dupe, nouveau paradoxe ! Grandir, c’est apprendre quoi faire des secrets, de ceci je suis convaincu ; et voilà formulé le sujet exact de La Mèche, plutôt que, au premier degré, la fête de Noël.

La Mèche du titre est donc bel et bien à prendre au sens de « complicité » (un adulte est de mèche avec un enfant, comme un auteur avec son lecteur), plutôt qu’au sens trop explicite de « secret ».

Ceci dit il y a bien sûr autre chose, et le secret est naturellement une facette capitale du livre. À cet égard, je vous précise que La Mèche est un livre oulipien, composé selon un jeu de contraintes censé faire apparaître le secret à qui sait lire les petits caractères. Il existe plusieurs messages cachés dans la trame du texte, mais le message majeur, la colonne vertébrale, la « mèche » elle-même se trouve lisible ainsi : si vous mettez bout à bout le premier mot de chaque chapitre, vous obtenez une phrase qui est en quelque sorte la morale du conte, LE secret de Noël, celui qui n’est jamais exprimé littéralement dans l’histoire. Les indices sont nombreux pour permettre cette lecture truquée, dès le sous-titre du livre, qui est je vous le rappelle : « secret en douze coups » – et en effet, après chaque nouveau « coup » de l’horloge, un chapitre s’ouvre par un mot en gros caractère. C’est sans aucun scrupule que je vous dévoile ce secret de fabrication (que je vous vends la mèche), puisque vous n’aviez guère de chance de le découvrir seul : vous n’êtes hélas pas un enfant. En effet, d’après toutes les impressions de lecture que j’ai recueillies, les seules personnes à avoir reconstruit ce secret par leurs propres moyens, sans que je les aiguille, sont tous des enfants : zéro adulte n’a percé le mystère comme un grand, n’a eu cette jubilation ni ce sens de l’observation. Une bibliothécaire est même venue me dire : « Dites donc, un enfant dans ma bibliothèque m’a fait remarquer une chose incroyable : si on prend le premier mot de chaque chapitre, on arrive à une phrase qui veut dire quelque chose ! Sapristi ! Eh bien, il est fort, ce môme, non ? Mais dites-moi, vous aviez fait exprès, ou quoi ? ou alors c’est votre éditeur qui en a eu l’idée à la fin ? » Cette réaction m’a à la fois un peu vexé (comment aurais-je pu ne pas faire exprès quand cette phrase cryptée est le livre même !) et enchanté : pour le coup, oui, c’est avec les enfants que je suis de mèche, et j’en suis fort aise. J’ai laissé un cadeau au pied de leur sapin, ils l’ouvrent et le découvrent, et la joie de l’élucidation oulipienne est la récompense de leur fraîche perspicacité.

Bien cordialement, joyeux noël à vous, et avec mes excuses pour ces longues récriminations suite à un papier qui, somme toute, était positif,

Fabrice Vigne »

Bibliographie succincte (très succincte) : Le Père Noël supplicié de Claude Levi-Strauss, lui aussi réédité, voyez comme c’est curieux, avec une couve qui a pris des couleurs, vert et rouge.

La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir.

Ouf.

31/12/2009 un commentaire

I'm on my way

L’année du Flux se parachève avec et sans nous. L’élégant marque-page conçu par Patrick « Factotum » Villecourt pour orner ce libretto se périme simultanément, tant pis, il est là, il demeure, élégant pour toujours.

Un bilan du vieil an 9 ?
– Trois livres publiés (deux au FdT et un
nulle part, mais très beau tout de même),
– 50 articles postés sur le blog,
– des commentaires de visiteurs à la pelle (davantage lorsque je cause politique que lorsque je cause littérature, tant mieux ? tant pis ?),
– deux ou trois cuisantes polémiques,
– une bonne douzaine de représentations des Giètes pour mon registre « intermittent sans cachet »,
– de la fécondité et de la stérilité par intermittence,
– l’asso FDT
créée en bon et due forme,
– quelques bonnes rencontres,
– quelques beaux voyages, dont un à Copenhague au mois d’août avant tout le monde, quand on avait espoir qu’il s’y passe quelque chose en décembre,
– des demi-nuits d’insomnie passées à faire des réussites débiles, ou à regarder sur Youtube des trucs comme ci ou comme ça, non mais je vous demande un peu,
– des citations dans ma besace (la palme de la phrase qui condense au mieux l’année 2009 revient à Hugo Chavez : « Si le climat était une banque, vous l’auriez déjà sauvé »),
– des joies,
– des frustrations,
– la grippa,
– une crise (partout-partout) aigüe d’eczéma,
– des « nouveautés » et leur contraire (c’est quoi, le contraire de la nouveauté ? c’est un truc qui disparaît discrètement – exemple :
Zazieweb, le seul site littéraire coopératif qui recensait le Fond du tiroir dans son annuaire de petits éditeurs, et qu’on a le droit de regretter pour mille autre raisons),
– des lectures, des écritures, du pain sur la planche, la vie.

De feu 2009, retenons aussi un film souvenir : la « géniale » fête du livre de Villeurbanne a mis en ligne un clip de poétique autopromotion où l’on m’entend me fendre d’un petit compliment. Une caméra se baladait dans le salon, qui demandait à chaque stand « Si vous deviez définir la Fête de Villeurbanne en un seul mot, ce serait ?… » J’ai improvisé une gentillesse paradoxale, j’ai fait le malin, et cela a eu l’heur de plaire au monteur de ce film, puisque ma contribution est finalement la seule reproduite in extenso.

Et demain ? L’an qui vient ?

La Mèche sera peut-être le prochain livre publié par le FdT. Entre temps un autre livre sera rapatrié dans le tiroir…

Les démêlés judiciaires avec l’éditeur initial de deux de mes ouvrages, Castells, sont récemment parvenues à un tournant, qui permet au FdT d’envisager en toute sérénité l’édition de la version revue et corrigée, définitive, de La Mèche – du moins, dès que les phynances le permettront. Je ne vais pas vous déballer comme ça aussi sec le bilan financier (vous n’êtes pas adhérent de l’association, que je sache), mais sachez qu’une certaine somme dort sur le compte de l’asso, et que nous visons au moins le double avant d’entreprendre une production (et une distribution ?) correctes de la Mèche. Mais dans l’intervalle, une autre source ponctuelle de revenus pourrait surgir : Castells a rendu les droits non seulement sur la Mèche, mais aussi sur mon recueil de nouvelles, Voulez-vous effacer/archiver ces messages. Il existe quelque part un stock d’invendus de ce livre introuvable, quelques 400 volumes. Si je parviens (à quel prix ? on verra…) à mettre la main sur ce trésor, j’en ferai don illico à l’association, et ainsi ce recueil deviendra le cinquième livre du catalogue. Ce retour au bercail serait non seulement très heureux, puisqu’il rendrait cette œuvre de jeunesse (que je suis loin de renier, oh câlibouère, bien loin) à nouveau disponible, mais également tout-à-fait cohérent : cet ouvrage a beau avoir été conçu pour le compte des défuntes éditions Castells, il n’en constitue pas moins la première collaboration entre le précité Factotum et moi-même. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’un livre « pré-FdT » sans lequel les suivants n’eussent tout bonnement pas existé.

Parfois, l’on me demande « Alors, tu sors bientôt un livre ? », et je réponds tant bien que mal, « Ben, regarde, je viens de faire quatre livres en un an, là, au Fond du tiroir… », mais l’argument semble irrecevable lorsque l’on s’intéresse, fort aimablement du reste, davantage à ce que je « sors » qu’à ce que je « fais », et l’on me rétorque, « Non, mais des VRAIS livres, je veux dire ? » Ah, oui, d’accord, ces livres-là…

Au chapitre du « vrai », doit-on attendre une publication sous mon nom en 2010 ? Oui, j’espère bien. Je viens de terminer (d’où le titre du présent article – presque « ouf » à dire vrai, puisque quelques bricoles restent à fignoler) un roman dont la conception aura été ridiculement longue, presque trois ans pour en venir à bout, des allers et retours incessants entre certaines idées qui me chatouillent et des agencements romanesques d’autant plus laborieux que je les veux impeccablement fluides. Bref, ce roman, cette séquelle, pourrait paraître chez Magnier l’an qui vient – si tout va bien, c’est-à-dire si Magnier en veut, car la question n’est pas absolument réglée. Je crois que ce bouquin sera très bien, même avec son gros défaut : deux ans de retard.

Allez, l’histoire avance, avec, et sans nous. « I’m on my way ! »

Je me souviens du film Dick Tracy de Warren Beatty, kitsch et clignotant comme un sapin de noël. Je me souviens d’une interview de Beatty, à qui un journaliste demandait quelle mouche l’avait piqué, pourquoi diable un type aussi sérieux que lui, acteur respecté, auteur capable de Dix jours qui ébranlèrent le monde, mais pourquoi donc le prestigieux Warren Beatty s’était-il entiché de cet héroïsme régressif de comic strip, de ce défenseur de la loi au premier degré pop, de cet archétype infantile en imper jaune ? Pourquoi ne sortait-il pas de vrais films, plutôt ? Beatty avait répondu un truc du style : « Poser un chapeau sur ma tête, enfiler un imper, regarder ma montre, m’exclamer I’m on my way !, et partir en courant à l’aventure, figurez-vous que ça m’excite. » Je cite de mémoire, mais j’ai parfaitement retenu l’esprit de cette explication alors que j’ai pour l’essentiel oublié le film lui-même.

I’m on my way, c’est suffisant, c’est optimiste tout de même, c’est énergique, c’est juvénile, c’est disponible, c’est solaire comme un ciré, c’est fort judicieusement naïf, c’est parfait, en guise de vœux pour un nouvel an.

La peau de la Mèche

18/09/2009 5 commentaires

la-primo-meche

Au départ, il y avait La Mèche, livre joyeux et crypté, délicieusement enluminé par Philippe Coudray, édité par les éditions Castells à l’automne 2006. Tout de suite après, les éditions Castells se sont évanouies dans l’éther, avant d’avoir jamais donné de distribution sérieuse à ses livres… et j’en ai le coeur brisé, parce que je considère La Mèche comme mon livre potentiellement le plus grand-public. Il n’a pas « trouvé son public », comme on dit pour se consoler. Je l’ai défendu autant que j’ai pu – cf. cette exégèse dont j’ignore si elle était judicieuse… Mais attention, si vous lisez ce mode d’emploi en entier, certains secrets vous seront dévoilés, tant pis pour vous… Il vaut mieux ne lire la résolution qu’après avoir lu La Mèche… Ce qui est difficile, puisqu’il est introuvable… Vous saisissez le truc ?

Je supposais que plus aucun exemplaire n’était en circulation, mais je viens de remettre la main sur 8 (huit !) exemplaires de la Mèche, des invendus qu’un libraire tentait depuis plus d’un an, le malheureux, de restituer à l’introuvable Castells… Si quelqu’un dans la salle est preneur, qu’il m’écrive. Bon, ce microstock tombé du ciel peut dépanner, souder pendant la disette, mais ce n’est pas lui qui va, à proprement parler, faire exister ce bel ouvrage.

Depuis trois ans, je frappe aux portes des éditeurs et j’essaye de les convaincre de la beauté, de la malice, et de l’originalité de ce conte post-moderne… Peine perdue. Personne, personne, personne n’en veut. Pire que la fin de non-recevoir ordinaire, on me déclare à l’occasion : « Oui, c’est très bien. Mais je n’en veux pas, parce qu’il a déjà été édité… Je veux de l’inédit, je suis un éditeur qui découvre, pas un recycleur… » Double peine, donc : les éditions Castells n’ont pas permis de faire vivre ce livre, mais l’empêchent, de facto et post-mortem, de renaître ailleurs.

Je me résous, non sans soupirs, à l’éditer au Fond du tiroir. Mais je sais pertinemment que c’est un contre-sens : le Fond du tiroir a été conçu pour des expériences confidentielles et underground, pas pour des romans jeunesse grand-public (ces romans fussent-ils eux-mêmes très expérimentaux, et bizarroïdes). Intégrer La Mèche au catalogue du FdT certes m’attire (revendiquer enfin pleinement la production de cet opus qui m’est cher), mais change mes plans… Pour bien faire, c’est-à-dire pour donner à ce livre la visibilité qu’à mon sens il mérite, il me faudrait travailler avec un distributeur… Modifier très sensiblement la structure et les ambitions du tiroir ailé… « Fond du tiroir distribué » est un oxymoron.

J’en suis là de mes réflexions ( « Vive l’oxymoron nom de Dieu ! »), qui achoppent sur l’aspect financier des choses… Un distributeur, ça coûterait cher… De toute façon, les caisses du FdT sont vides (la crise que voulez-vous, la crise partout partout), et si je réimprime, ce sera quelque part, loin, en 2010… En attendant cette résurrection fantasmatique, je remets une dernière fois le texte sur le métier, je relis et recorrige La Mèche… Puis une nouvelle dernière fois… Puis une autre dernière fois… Puis une quatrième… Je l’aime énormément, ce livre, comme si je l’avais écrit ce matin. Et j’échange quelques mails avec Philippe Coudray. Sa couverture (ci-dessus) me convenait parfaitement, mais Philippe me suggère (Patrick F. Villecourt abondant dans son sens) qu’un changement d’édition se marque plus naturellement et plus fermement par un nouvel emballage.

Philippe : Le fait de changer la couverture est peut-être nécessaire si le livre a déjà été distribué (sinon les libraires risquent de le refuser parce qu’il reconnaîtront un livre qu’ils ont déjà vu). Maintenant, il faut trouver une idée de dessin de couverture. Je vais y réfléchir. Si tu as des idées, n’hésite pas !

Mézigue : Voilà la première idée qui me vient, brainstorming sous un crâne à moi tout seul. La mèche, c’est à la fois la bougie et le secret… Ce double sens m’évoque des jeux d’ombres et de lumière… Reprendre les deux personnages qui se font face, et jouer sur les secrets qui se cachent dans leurs ombres, de part et d’autre puisque la bougie est au centre… En outre, l’un des « secrets » en jeu dans le livre, c’est l’âge de Lila : au début, elle fait croire qu’elle est une petite fille, et à la fin elle avoue qu’elle est une adulte – or les ombres permettent des illusions sur la taille des personnages… Est-ce que cette improvisation te cause ?

Eh bien oui, elle lui a causé : en un rien de temps, ce grand professionnel m’adresse la maquette suivante :

la Mèche bis

J’émets des remarques : Effectivement, les ombres portées donnent à la couverture un aspect beaucoup moins premier degré. C’est intéressant, et pertinent pour une réédition : variation sur le même thème, mais avec une ambiguïté en plus… En outre, graphiquement parlant, j’aime bien l’ajout de la base bleue au sol.
J’ai toutefois une réserve, qui porte sur les deux « visages » des ombres :
– Lila « adulte » semble porter une coupe afro, et on se demande pourquoi. Je suggère qu’elle porte plutôt une queue de cheval, comme celle que porte sa maman telle que tu l’as dessinée. Ainsi, une autre ambiguïté s’ajoute, sous-jacente : le couple d’ombres, sont-ce les parents de Lila, ou alors Lila plus tard, avec son mari, qui sait ?
– Quant à l’ombre du visage du père Noël, je la préfèrerais de profil : ainsi, on pourrait voir en majesté le tarin proéminent (voire, les lunettes) qui est (qui sont) le (les) signe(s) distinctif(s) du papa.

– Mais surtout, je trouverais préférable que les deux ombres soient de profil pour qu’on ait l’impression qu’elles se regardent ! qu’elles partagent le secret, en silence, mais sans se quitter des yeux… une complicité père-fille, une relation « de mèche » dans l’ombre, au fil du temps… Qu’en dis-tu ?

Et cet immense professionnel de me renvoyer ceci, dans la foulée, intégrant scrupuleusement mes desiderata :

la-meche-ter

Cette fois, sans nous vanter, nous sommes bons. Plus qu’à.

Plus qu’à ronger son frein, oui, attendre Noël… Pour tromper l’impatience, intéressons-nous à autre chose. Le monde est si vaste. Philippe Coudray, authentique original, à l’ancienne, s’intéresse ainsi à la cryptozoologie, et en a fait le sujet de son dernier livre. Hé ben mon vieux.

Ou bien, pour faire le lien avec l’article précédent, on peut continuer de s’intéresser au sort des sans-papier et prendre dans ses bras le petit Chama Dieumerci, 6 ans. Comme Philippe Coudray (photo 10 du diaporama) ou moi-même (photo 30).