Socio-logie
“L’ordre social ne vient pas de la nature ; il est fondé sur des conventions.” Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Le Contrat social (1762)
(Mais Jean-Jacques Rousseau, asocial notoire, est-il le mieux placé pour parler de sociologie ?)
[Avertissement. Cet article, le plus long et le plus retouché du site avec quelques 170 révisions au compteur, est la réécriture en 2023, petit à petit mais de fond en comble, copieusement augmentée, d’une version initiale parue au Fond du Tiroir en 2013. Le gouvernement de la France était alors socialiste et on se demandait ce que cela pouvait bien vouloir dire (pour les plus jeunes : Emmanuel Macron était alors le ministre de l’économie de ce gouvernement socialiste). À cette énigme près, les problématiques n’ont guère changé. Dernière apparition du mot dans l’actualité : « Tous ceux qui prônent la décroissance devraient comprendre que ce serait remettre en cause notre modèle social. » Élisabeth Borne, Première ministre, Rencontre des Entrepreneurs, 28 août 2023.]
Un jeune garçon de ma connaissance vient d’effectuer dans une librairie de bandes dessinées son stage obligatoire d’observation en entreprise, dit stage de troisième.
Il m’a rapporté l’anecdote suivante.
Un vieux monsieur rentre dans la boutique, s’approche de lui et, avec le sourire mais à voix basse et nerveuse, lui avoue en jetant des regards latéraux qu’il recherche le rayon des bandes dessinées, ah, euh, comment dire, des BD, disons, des BD sociales, voilà, sociales. Car il aime beaucoup le social, il adore ça même, le social est son dada, sa passion, le social le met dans tous ses états.
En réalité, il cherchait des BD pour adultes : du cul. Il venait en librairie chercher sa dose de porno. Mais l’exprimer de but en blanc à un ado mineur eût été inconvenant, alors il a usé de ce cache-sexe saugrenu, de cet euphémisme étonnant : l’adjectif social.
De fait, sauf en cas de masturbation (cas tout de même assez fréquent, et qui devait être familier à ce citoyen), le sexe est indiscutablement une activité sociale, même si on accole rarement les deux notions (à l’exception de Jean-Louis Costes qui, pionnier, inventa autrefois le concept d’opéra porno-socio).
Cette burlesque anecdote m’a néanmoins fait méditer sur les multiples outrages subis par ce malheureux épithète.
Axiome : toute activité humaine est sociale, puisque l’homme est un animal social (l’expression date d’Aristote), étant donné que pour faire société, l’homme, y compris la femme, a fatalement des liens, plus ou moins lâches, plus ou moins soutenus et continus, plus ou moins virtuels, avec ses congénères. La totalité de notre expérience, y compris intime, est a priori sociale. Le Fond du Tiroir, qui n’aime rien tant que comprendre ce que parler veut dire, endosse comme il lui arrive parfois sa vocation pédagogique, et se lance dans une énumération des 107 (et quelques) acceptions courantes, pour voir s’il est capable d’épuiser le vocable ou s’il finira épuisé avant lui.
001 * Tout d’abord, les sciences sociales, qu’est-ce que c’est ? Elles s’opposent aux sciences dures et recoupent, non les sciences molles, mais les sciences humaines. Bonjour la tautologie, humain=social, on le savait, Aristote vient de le dire, on n’avance pas beaucoup.
Parmi les sciences sociales figure, c’est une évidence, la sociologie. Mais également, attention, faux ami ! l’économie. Citons Edgar Morin, pour le plaisir : “L’économie qui est la science sociale mathématiquement la plus avancée, est la science socialement la plus arriérée, car elle s’est abstraite des conditions sociales, historiques, politiques, psychologique, écologiques inséparables des activités économiques”.
002 * Tautologie encore, le corps social, c’est ni plus ni moins, la société. Selon le Larousse, c’est l’ensemble des citoyens d’une nation. Toutefois, attention aux faux amis ! La corporéité sociale est l’ensemble des usages et des statuts des corps individuels au sein du corps social : le sport, la danse, le sexe, la bien séance, la nudité, les vêtements, les coiffures, les tatouages, les piercings, Mon corps m’appartient, etc.
003 * Tautologie toujours, on remarque parfois que l’adjectif social ne sert strictement à rien dans certains contextes, n’ajoute aucune idée supplémentaire au substantif qu’il est censé qualifier, et peut sans dommage pour le sens global être omis de la proposition. Exemples : l’Etat social de la France est simplement l’état de la France. La norme sociale, c’est la norme. La misère sociale, c’est la misère. La crise sociale, en gros, c’est la crise partout-partout. L’ordre social, c’est l’ordre (assuré par les forces de l’ordre), etc.
004 * Un rapport social, de même, c’est un rapport à autrui. C’est une interaction, de quelque nature qu’elle soit, entre deux personnes ou davantage (ce qui fait d’interaction sociale un autre pléonasme flagrant). Exemple : « Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! » Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 22 juillet 1852.
005 * Un lien social, idem, c’est un lien.
Au surplus c’est un synonyme acceptable du rapport social.
Soit : un lien social est l’ensemble des relations entretenues entre deux ou plusieurs personnes au sein d’un groupe humain donné. L’expression lien social est généralement valorisée : le lien social est réputé bon, propice à l’individu. Émile Durkheim, inventeur de la sociologie française, parlait de solidarité sociale. Attention, faux amis ! Le lien social ne doit être confondu ni avec le lien social, théorie lacanienne tirée par les cheveux coupés en quatre discours, ni avec Liaisons sociales, groupe de presse économique d’obédience progressiste, créé en 1945 par d’anciens résistants, et poursuivant son existence de nos jours sous la forme d’un site, le titre ayant été racheté par un groupe néerlandais.
006 * Un contact social, idem, c’est un contact. Du moins, un contact humain. Un contact qui ne serait pas social ne saurait exister, sauf métaphore ou autre abus de langage. Par exemple, le contact d’une voiture, qui ne fait que déclencher un moteur. Ou embrasser un arbre pour retrouver le contact avec la nature. Voire renouer le contact avec soi-même, comme le veut l’injonction du développement personnel.
007 * Un milieu social, c’est un environnement humain, par opposition à un milieu naturel, qui désignera plutôt l’environnement de tous les autres animaux, si du moins l’humain leur fout la paix.
008 * Un jeu social, en revanche, fin du quart d’heure tautologique, n’est pas forcément un jeu. Quoique tout dépend ce qu’on entend par jeu, et même si par définition un jeu à plusieurs (on ne compte pas ici les jeux solitaires sur écran) est une activité sociale (voir ci-dessus les considérations à propos des activités sexuelles). Le jeu social est la somme de tous les liens sociaux inter-individuels (on dit aussi tissu social), soit un système complexe (on dit aussi structure sociale) englobant toutes les interactions au sein d’un groupe donné, où chaque individu est défini par la fonction qu’il occupe, ou le rôle qu’il joue au sein dudit système complexe global. On remarque que jeu est un mot presque aussi polysémique que social, qu’il renvoie explicitement au rôle que l’on joue dans ce système, et par conséquent à tout ce que l’identité sociale peut contenir de factice, de fabriqué, de contraint, ou au moins de conventionnel.
Quoi qu’il en soit, attention faux ami ! Une acception plus contemporaine de jeu social désigne un jeu auquel on joue (seul) en ligne avec d’autres personnes (chacune également seule, devant son écran), sur un réseau social (voir plus bas à cette expression). Attention, autre faux ami ! Le jeu social ne doit sous aucun prétexte être confondu avec le jeu de société, qui est un divertissement mondain ou convivial pratiqué selon des règles pré-établies précises, le plus souvent avec es accessoires (cartes…) et dont le principe exige la présence de joueurs multiples dans la même pièce. On notera que Wikipédia alimente le malentendu voire l’absurdité en ouvrant sa page consacrée au Jeu de société par la phrase Le jeu de société est un jeu qui se pratique seul ou à plusieurs.
009 * Officiellement, les Affaires sociales, c’est l’ancien nom d’un ministère (qui s’est à l’origine intitulé ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale Et ici le mystère s’épaissit… Il semble que selon la logique des ministres, le social est associé à la santé. Mais comme nous avons vu que tout ce qui concerne la vie en société est social, on ne comprend pas en quoi les problèmes traités par les autres ministères, le travail, l’éducation, la défense, l’intérieur, la culture, l’économie, le logement, l’écologie, le droit des femmes, le commerce, le sport… seraient non sociaux. (Remarquons que le dialogue social, distinct des affaires, a figuré autrefois dans l’intitulé d’un autre ministère qui lui aussi a souvent changé de nom, cette disparition du social dans les devantures des ministères étant sans doute un symptôme à part entière : le social potentiellement partout n’est plus nulle part).
010 * À propos d’hygiène et de prévoyance gouvernementales : la distanciation sociale est un concept oxymorique forgé durant la pandémie de Covid-19 (2020-2021) afin d’encourager la population à ne pas se toucher, ne pas s’approcher, ne pas se fréquenter, ne pas nouer de lien social ou de rapport social, à éviter comme la peste de se faire la bise, se serrer la main, voire s’adresser la parole, et à se morfondre chacun pour soi devant des écrans.
Attention, faux ami ! L’expression distanciation sociale était utilisée dès 1966 dans l’essai Loisir et culture des sociologues Joffre Dumazedier et Aline Ripert, et désignait selon eux le refus de se mêler à d’autres classes sociales (voir plus bas). Beaucoup trop optimistes, ils estimaient : « Vivons-nous la fin de la “distanciation” sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans les mines ou les cafés sont en voie de disparition. »
011 * Autre néologisme dû à la/le Covid 19 : le virus social, qui s’attrape en se frottant au porteur faute de distanciation sociale, c’est une tautologie supplémentaire, qui ne mérite pas de plus ample commentaire si ce n’est : comment diable un virus pourrait-il ne pas être social ? Attention, faux ami ! Ne pas confondre avec une maladie sociale, cf. ci-dessous à l’entrée Psychologie sociale.
012 * N’en déplaise à Aristote, l’homo sapiens n’a pas l’exclusivité ontologique d’être animal social puisque la plupart des espèces animales sont sociales en général, et se définissent par leurs moeurs inter-individuelles. Toutefois, plus spécifique et plus étonnant : un insecte social, c’est toute espèce d’insectes (par exemple fourmis, termites, abeilles, guêpes) vivant en colonies et bénéficiant d’une intelligence collective, concept fort troublant pour les homo sapiens-sapiens post-industrialis, à qui l’individualisme est fortement prescrit
Encore plus étonnant ! Un jabot social, c’est un deuxième estomac observable chez certains insectes sociaux comme les fourmis et les abeilles à miel, leur permettant de stocker de la nourriture prédigérée, destinée à être donnée à d’autres par trophallaxie.
013 * Toujours plus étonnant : une plante sociale, c’est une plante formant de vastes et denses peuplements, tels les phragmites, les bambous, ou l’ail des ours.
014 * Un fait social (attention, c’est ici que nous entrons dans le dur) est une chose. En effet, c’est une découverte essentielle du déjà cité Émile Durkheim en 1895, qui affirmait « il faut traiter les faits sociaux comme des choses », histoire de souligner simplement qu’ils existent, qu’ils ne sont pas une élucubration de sociologue, ou un concept né de quelque monde des idées platonicien.
Durkheim définit le fait social comme « toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel. »
En gros, est fait social tout comportement que la société dicte à un individu, consciemment (par la loi) ou inconsciemment (par l’immersion dans un bain culturel). On comprend que la découverte de Durkheim, égratignant le sacro-saint principe du libre-arbitre, ait été en son temps très critiquée.
Toutefois, la signification recouverte par les mots fait social est aujourd’hui sensiblement différente : ils désignent, aussi, une catégorie fourre-tout de l’actualité, qui ne concerne pas le « people » mais, au contraire, le peuple. La rubrique people est ainsi la chronique des comportements dictés par la société à des gens célèbres ; la rubrique fait social est la chronique des comportement dictés par la société à des gens pas-célèbres.
Le fait social est un événement statistiquement abondant (exemple : statistique sur les naissances), qui se distingue en outre du fait divers, s’affichant quant à lui comme exceptionnel et rompant avec la norme (exemple : statistique sur les assassinats). On peut aussi dissocier la lente et irrésistible progression du vote d’extrême-droite (fait social) et chaque agression raciste ou antisémite (fait divers).
015 * Un fait social total, extrapolation du précédent, c’est une découverte en 1925 de Marcel Mauss, inventeur de l’anthropologie française et neveu par alliance d’Émile Durkheim. Le fait social total engage la société dans tous ses aspects et pour chacun de ses membres (exemples : la loi, l’éducation, le système économique, le système politique, la religion, les médias… sont des faits sociaux totaux).
016 * Un comportement social, c’est donc, si l’on s’en tient à la définition de Durkheim, un comportement que la société dicte ou encourage. Mais on notera que comportement social est une expression qui n’existe presque pas, citée ici seulement pour mémoire, parce que c’est son contraire, le comportement asocial, qui est très courant dans les discours, comme si appartenir à la norme implicite ne méritait pas d’être mentionné, contrairement au fait de s’en extraire.
Une conserve sociale, c’est ainsi que le psychiatre et sociologue américain Jacob Moreno appelait (1889-1974) appelait un comportement social au sens sus-mentionné, c’est-à-dire un comportement appris, répété encore et encore et mis en conserve, un peu comme de la soupe peint par Andy Warhol.
017 * Un champ social, c’est un environnement spécifiquement circonscrit (un lieu, une époque, une activité, un métier, une population…) dans lequel s’ébattent les individus. Par exemple, le champ social d’un agriculteur, c’est son champ (mais pas que ! c’est également l’agriculture en général, son économie, son écologie, sa politique, son organisation notamment syndicale, son image, etc.). Selon Pierre Bourdieu qui a beaucoup utilisé et redéfini ce concept, un champ peut être décrit comme à la fois un champ de forces et un champ de luttes.
018 * Une innovation sociale, ainsi qu’une étude d’impact social, sont quant à eux des concepts datant de l’ère suivante dans la grande histoire des sciences sociales. Ils sont inventés non par la sociologie ou l’anthropologie mais par leurs enfants bâtards : le marketing et la publicité, bien décidés à exploiter pragmatiquement les intuitions de leurs prédécesseurs. Une fois admis que le fait social est un comportement dicté par la société à l’insu de l’individu qui croit exercer son libre-arbitre, le marketing et la publicité expliquent comment agir volontairement sur ces comportements dans un but donné (la pulsion d’achat, essentiellement) ; en somme, grâce à eux la société prescriptrice n’est plus une force unique, invisible, collective et anonyme, partout et nulle part tel Dieu lui-même, mais, disons, une Société Anonyme à Responsabilité Limitée (à propos de responsabilité limité, attention faux ami, voir plus bas à RSE).
Ainsi, une innovation sociale sera, non l’expérience massive d’un droit ou d’une liberté nouvelle (la liberté d’expression, par exemple) mais bien plutôt (attention, faux ami !) la mise sur le marché d’un nouveau produit, telles la perche à selfie ou les lunettes connectées à Internet.
019 * Une ingénierie sociale, ultime raffinement des recherches sociales, c’est une technique de manipulation à des fins d’escroquerie, consistant à utiliser des techniques psychologiques pour manipuler quelqu’un. Selon cette définition, la publicité, la religion, le patriotisme, etc., seraient des ingénieries sociales… Mais non : au sens strict, l’expression ingénierie sociale, sans doute par opposition à ingénierie informatique, ne désigne que les failles de sécurité de votre ordinateur qui misent non sur une faiblesse technologique (absence d’antivirus) mais sur une faiblesse humaine (vous allez cliquer ici parce que vous avez besoin d’amour) : spam, scam, piège-à-miel, usurpation d’identité, phising, vishing, smishing, pretexting, scareware… Nous revenons à l’équation social=humain, avec cette fois le corollaire facteur humain=maillon faible
020 * La Psychologie sociale, oxymore pratique, c’est en quelque sorte la branche de la psychologie qui prend en compte la sociologie – ou le contraire. En d’autre termes elle observe l’individu mais en fonction de ses interactions avec le reste de la société et de ce qu’il partage avec elle (comportements, pensées, croyances, émotions, valeurs). La psychologie sociale se fait en outre clinique, et l’on parle alors de thérapie sociale, ayant pour but de soigner les maladies sociales, ainsi définies : « Le mal-être individuel n’est pas seulement lié à une histoire personnelle, à l’enfance de chacun au sein d’une famille donnée. Le mal-être peut être également collectif. Les maladies collectives de notre époque sont : la sociopathie, la dépression et la victimisation qui peut aller jusqu’à la paranoïa. Ces maladies existent partout, aussi bien dans les familles, les entreprises et les institutions, que dans les quartiers et les zones de conflits. Les maladies sociales se manifestent dans les relations sociales que les êtres humains développent quand ils se côtoient car ils vivent ou travaillent ensemble. Elles se retrouvent dans tous les groupes sociaux, dans des proportions diverses, comme il en va également des individus.«
021 * Liée à la psychologie sociale : l‘intelligence sociale, c’est une forme d’intelligence qui permet de comprendre autrui (ses pensées, ses sentiments) en situation d’interaction sociale. Elle a été conceptualisée en 1920 par le psychologue américain Edward Thorndike (1874-1949).
Également liée à la psychologie sociale : la preuve sociale, quant à elle conceptualisée par Robert Cialdini (1945-), c’est un phénomène par lequel le comportement des autres déclenche chez nous un conformisme social, c’est-à-dire un comportement mimétique. Exemple classique : on n’a pas compris une blague mais on va rire tout de même si l’on voit rire toute l’assemblée.
022 * L’Histoire sociale, c’est un autre croisement des disciplines et des sciences sociales, c’est une manière de raconter et d’enseigner l’Histoire (avec sa grande hache, comme disait Georges Perec) loin des traditionnelles énumérations de « grands événements », « grands hommes », « grandes dates » et « grandes batailles », mais en s’intéressant aux mouvements lents et anonymes de l’histoire des peuples et des sociétés. En France, l’Histoire sociale en tant que discipline s’incarne dans l’entre-deux-guerres avec l’École des Annales et par sa revue Annales : Histoire, Sciences sociales, fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre.
023 * Du Contrat social (attention faux ami ! il existe aussi Le Contrat social, revue historique pro-soviétique ayant vécu de 1957 à 1968) est un célebrissime traité de philosophie politique publié en 1762 par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). La thèse de Rousseau s’inscrit plus largement dans un courant de pensée, nommé contractualisme, au sein duquel Thomas Hobbes (1588-1679) a précédé Rousseau d’un bon siècle. Pour résumer très grossièrement : le contrat social est l’acte de naissance symbolique de toute société, rompant avec un mythique état de nature où règne la loi du plus fort, et reposant sur une tractation tacite entre l’individu et ladite société naissante, par lequel chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile.
024 * Le Pacte social, au sens de la philosophie politique, est un synonyme du contrat social (voir ci-dessus). Mais attention aux faux amis ! En France, l’expression pacte social désigne un accord signé en l’an 2000 en Nouvelle Calédonie et censé assurer, selon les termes du préambule de sa publication au journal officiel, la paix sociale ; tandis qu’en Belgique, elle désigne un arrêté-loi instauré en décembre 1944 garantissant la sécurité sociale des travailleurs (équivalent de l’Ordonnance française du 4 octobre 1945 relative à l’organisation de la Sécurité sociale – voir nettement plus bas).
025 * La paix sociale, c’est l’état de concorde entre les citoyens ou les groupes sociaux, et notamment l’absence de conflit ouvert entre les classes sociales (durant les phases de paix sociale, la lutte des classes devient donc une guerre froide). La paix sociale est sans doute le synonyme de cohésion sociale ou d’ordre social, et elle est en tout état de cause l’antonyme de désordre social, voire, dans les stades les plus avancés, de chaos social.
Acheter la paix sociale est une expression péjorative qui désigne une action politique assez veule et court-termiste reposant sur les distributions d’avantages en numéraires (subventions, prébendes, aides sociales) ou en nature à des personnes ou catégories susceptibles d’être des agitateurs sociaux. La paix sociale se définit ainsi par une tolérance accrue envers des infractions à des lois ou des principes, en échange d’une garantie (précaire) d’absence de mouvements sociaux, manifestations, émeutes, etc.
026 * Une notation sociale, ou évaluation sociale, ou rating social, ou encore performance sociale, c’est un avis fourni par un expert sur la façon dont une entreprise traite son personnel. Mais qui évalue les évaluateurs, au fait ? Quis custodiet ipsos custodes, comme disait l’autre.
027 * Un cas social, également dit par abréviation populaire cassosse ou KSOS, c’est une personne expérimentant des maladies sociales ou à tout le moins des difficultés économiques, familiales, scolaires, voire mentales ou physiques, bref toute personne susceptible d’être décalée selon les normes sociales. Cette personne incarne l’asocial (voir ci-dessus). Cas social est une désignation très péjorative, voire une insulte.
028 * Un buveur social, c’est une personne qui prétend « Je ne suis pas alcoolique, je n’ai aucun problème d’alcool, je ne bois que lors de rassemblements avec les amis, durant les fêtes et les soirées » ; tout dépend alors de la densité de l’agenda social de cette personne : si elle passe son temps en rassemblements, fêtes et soirées, elle peut facilement glisser du statut de buveur social à celui d’alcoolique mondain. Attention, faux ami ! Le vin social est un concept viticole marketing lié à l’actuelle économie sociale et solidaire (voir ci-dessous) et prétend produire du vin tout en faisant du bien à la société (en embauchant des personnes en situation de handicap, pour l’exemple que j’ai pu lire).
Variante aux caractéristiques comparables au buveur social : le fumeur social.
029 * Au fait, un statut social, c’est ce qui « fait référence à la position sociale qu’un individu occupe au sein d’une organisation sociale donnée. Il est relié à un ensemble de droits et de normes sociales qui ont cours dans un groupe culturel donné. Certains statuts sociaux sont plus prestigieux que d’autres. (…) Le statut social est conféré par trois sortes d’attributs : les attributs dits fondamentaux (condition nécessaire : exemple un diplôme donne droit au titre de docteur), importants (droits et devoirs, moeurs) et périphériques (stéréotypes sociaux) » (Wikipedia).
030 * Un plan social, c’est un licenciement de masse (exemples ici ou là). Ici on observe que le qualificatif social, prétendant oeuvrer pour sauvegarder ou améliorer des conditions sociales, est carrément un superbe exemple d’antiphrase orwellienne : il s’agit en réalité de détruire, des emplois notamment.
031 * Inversement, un mouvement social, c’est une grève, visant généralement à lutter contre un plan social (voir ci-dessus), à préserver un acquis social (voir ci-dessous – assez loin) ou à promouvoir un progrès social (voir ci-après, juste la ligne suivante).
032 * Un progrès social, donc (attention, faux ami ! le progrès social n’a strictement rien à voir avec l’innovation sociale, voir ci-dessus !) c’est une amélioration sensible des conditions d’existence observables pour tous les individus d’une société, quel que soit leur rang social.
Ici, deux citations possibles.
1) : « La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu’individus est l’unique principe possible du progrès social. » Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934).
2) : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. » Slogan inventé par Aristote, encore lui, et largement utilisé par la SNCF dans ses réclames durant les années 80, époque où elle se prenait pour un service public.
033 * La logique sociale, concept popularisé par le pionnier de la criminologie Gabriel Tarde (1843-1904) est une manière d’expliquer les choix et le déroulement de l’existence d’un individu (y compris ses dérives criminelles) à partir de son milieu social. On parle également de déterminisme social, de mécanique sociale voire, de façon plus pessimiste et tragique, de fatalité sociale.
034 * Une critique sociale, c’est est une forme de critique académique ou journalistique qui se concentre sur les problèmes sociaux de la société moderne, notamment en ce qui concerne les injustices perçues et les relations de pouvoir en général. Trois exemples : l’opus magnum d’Auguste Blanqui (1805-1881) s’intitule Critique sociale ; Anatole France (1844-1924) était romancier, mais aussi socialiste et il a beaucoup écrit de critique sociale, notamment sous les titres Opinions sociales (1902) et Trente ans de vie sociale (journal 1897-1924) ; le livre sans doute le plus fameux de Pierre Bourdieu (1930-2002), La Distinction (1979) est sous-titré Critique sociale du jugement. Attention, faux ami ! Ne pas confondre critique sociale avec ce qui suit.
035 * Un commentaire social, ou une critique sociale, c’est une une œuvre non pas académique mais artistique (attention, faux ami ! ne pas confondre avec le concept d’oeuvres sociales, voir ci-dessous à Comite des oeuvres sociales) ou une simple intervention publique dont l’auteur affiche la volonté de s’exprimer sur le monde et non sur lui-même, attendu que ledit monde regorge de faits sociaux (voir plus haut). Exemple de commentateur social : Banksy.
Dans le registre artistique, et spécialement narratif, on parlera selon les cas de drame social ou de comédie sociale, termes qui désignent respectivement un drame, et une comédie – mais prenant place dans un milieu social (voir plus haut). Généralement, le prolétariat.
036 * L’Art social est un concept né au XIXe siècle dans les milieux intellectuels anarchistes, favorisant un art utile à la société et, éventuellement, à la réforme de celle-ci. Il semble que le tout premier à avoir fait usage de cette expression est le critique d’art Théophile Thoré (1807-1869), avec le titre d’un article publié dans l’Artiste en 1834 : L’art social et l’art progressif. Dès l’origine, l’art social se veut une alternative (voire un adversaire) à l’art bourgeois, académique, ou à l’art pour l’art.
037 * Ainsi, le roman social est, selon Wikipedia, « un genre littéraire qui dénonce, généralement par le biais d’une fiction réaliste, des problèmes sociaux et leurs effets sur les personnes ou groupes qui en sont victimes, issus des classes populaires (la classe ouvrière le plus souvent, mais aussi la paysannerie). Parmi ses thèmes les plus fréquents on trouve les inégalités économiques et sociales, la pauvreté et ses corollaires (famine, chômage, insalubrité et promiscuité au sein du logement), les conditions de travail, la santé (alcoolisme, maladies contagieuses, mortalité précoce, hérédité), la violence (familiale, criminelle, politique) et la répression politique et antisyndicale (…) L’âge d’or du roman social est le XIXe siècle » ; Wikipedia cite Georges Sand, Victor Hugo, Balzac « et bien entendu » Émile Zola.
038 * De même, un film social, ou plus généralement le cinéma social, c’est une oeuvre ou un corpus d’oeuvres cinématographiques, de fiction aussi bien que documentaires, qui entendent décrire la société, et plus spécifiquement les difficultés des gens de peu, les opprimés du système social, les perdants du jeu social. Ken Loach, Mike Leigh, Robert Guédiguian, les frères Dardenne, comptent parmi les cinéastes sociaux réputés. Le cinéma social est notoirement un genre cinématographique à part entière, puisqu’existe même un Festival du cinéma social, à Nice, durant lequel la plupart des projections ont lieu au cinéma Pathé Gare-du-Sud, située allée Charles-Pasqua, car le monde du social est plein de surprises.
039 * Enfin, une chanson sociale, c’est une sous-catégorie émergeant de l’histoire la chanson française (ainsi que, sans doute, d’autres aires culturelles où la chanson possède une tradition forte : les folk songs aux USA par exemple) dans les paroles de laquelle la revendication sociale est prégnante. La chanson sociale semble bien documentée (cf. par exemple le précis La chanson sociale de Béranger à Brassens par Pierre Brochon, Éditions ouvrières, 1961), toutefois on peine à en trouver une définition précise, puisque rares sont les chansonniers à revendiquer explicitement Je fais de la chanson sociale. Faute de quoi, on peut tout de même affirmer qu’une chanson sociale s’inscrit dans une lignée préoccupée de rendre compte de la vie du peuple, lignée qui va de la chanson réaliste (liée historiquement au réalisme dans d’autres domaines artistiques, notamment pictural : dès les années 1850, cf. Aristide Bruant, ou les goguettes, cabarets ouvriers où l’on poussait la chansonnette) à la chanson engagée, de lutte, protestataire ou révolutionnaire, de la Commune de Paris à nos jours. Pour nous aider à délimiter le champ, on remarquera que Chansons sociales est une rubrique à part entière des PCDM4 (Principes de Classement des Documents Musicaux, version 4) que les habitués des médiathèques publiques connaissent bien :
8.2 Chansons sociales
8.21 Chansons « pour et contre » : de lutte, de propagande, contestataires, révolutionnaires, etc.
8.22 Chansons d’activités collectives diverses : travail, marins, supporters, etc…
8.23 Chansons à message religieux.
040 * Le Romantisme social, c’est le titre d’un essai publié en 1944 par l’historien du droit Roger Picard (1844-1950) et qui, si je comprends bien (je ne l’ai pas lu), entend décrire les liens historiques entre la génération d’artistes romantiques (durant la Monarchie de juillet, 1830-1848) et les préoccupations et théories sociales et socialistes ; il y a du romantisme chez les socialistes et du socialisme chez les romantiques : du Victor Hugo et du George Sand chez Pierre Leroux, Charles Fourier ou pierre-Joseph Proudhon, et réciproquement, pour faire court. Exemple : Fourier considérait que l’objectif final de toutes ses théories sociales (ou utopies sociales) projetant un nouvel ordre social, lorsque les « douze passions radicales » de l’être humain seraient canalisées, était rien moins que l’avènement de l’harmonie sociale universelle – notion dont on remarque qu’elle est beaucoup plus teintée de romantisme que de rigueur scientifique.
041 * Le code social, c’est l’ensemble des prescriptions sur la façon dont il convient de se comporter en société. Contrairement au Code civil ou au Code pénal, le code social n’est pas écrit noir sur blanc, sauf dans certains manuels de savoir-vivre (coucou la baronne de Rothschild), il est de culture orale, transmis et intégré par les individus de façon informelle et inconsciente (coucou Émile Durkheim), souvent par simple imitation et cooptation. Ce caractère informel propre à la tradition orale ne le rend pas moins normatif.
042 * Les convenances sociales, c’est le code social par défaut ou par excellence, autrement dit le code social bourgeois, lui-même imité du code social aristocratique, « savoir-vivre » garant et vitrine d’un standing, d’une appartenance, d’un habitus, et donc d’une position sociale. L’on remarque, espérant faire avancer le débat en débusquant les faux amis, que parfois le mot social signifie propre à la haute société, dite également bonne société (un événement social sera alors, par exemple, un rituel comme le bal des débutantes où l’on fait son entrée dans la société)… et parfois tout au contraire et sans avertissement, social signifiera propre à la basse société (qui, par pudeur, ne sera pas dite mauvaise société), comme dans les expressions cas social ou cinéma social (voir plus haut).
043 * Une vie sociale, c’est une mondanité. On peut avoir une vie sociale très riche (on utilise alors l’anglicisme socialite, qu’il ne faut en aucun cas confondre avec socialiste, et qui désigne une personne mondaine, dont la vie est faite d’événements publics) ou modérée, voire abstinente (les ermites).
044 * Une personnalité sociale, c’est deux choses distinctes, et allez encore quelques faux amis. C’est soit un type de profil psychologique marqué par l’aisance de la vie sociale (on révèle une personnalité sociale lorsqu’on aime et on cherche la compagnie d’autrui, lorsqu’on apprécie les contacts) ; soit l’image que l’on donne de soi en société, que l’on peut soigneusement préparer devant son miroir. Dans cette acception, personnalité sociale est quasiment synonyme d’image sociale ou de réputation – sachant que réputation sociale serait manifestement un pléonasme. Exemple : « Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres » , Marcel Proust, Du côté de chez Swann – Proust étant lui-même un excellent marqueur social : soit tu l’as lu soit non.
045 * Un marqueur social, donc, est l’un des éléments du code social, un signal isolé ; soit un comportement, une pensée, un réflexe, un habit, un savoir, une coupe de cheveux, un accent, une expression faciale, un prénom, etc., qui révèle une origine sociale. Exemples : lire Proust ; prétendre Je lis Proust ; prétendre Je relis Proust ; ne pas lire ; ne pas savoir lire ; fermer la bouche en mâchant ou roter à table ; agencer les différents couverts autour d’une assiette, etc.
046 * Le spectacle social, qui découle de tous les précédents (jeu, convenances, conventions, code, marqueurs, mondanités, etc.) c’est tout un monde social que l’on observe et relate tel un spectateur, généralement d’un oeil ironique pour en faire la satire sociale, sans en être soi-même l’acteur, voire en en étant soi-même l’acteur, ce qui place dans une situation un rien schizophrène.
Attention, faux-ami ! La société du spectacle a peu à voir avec le spectacle de la société. Car le spectacle est, également, un concept sociologique inventé par Guy Debord pour rendre compte de la post-modernité capitaliste intégrée : “Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.”
047 * Un malaise social, c’est une sourde angoisse ressentie par plus d’une personne (voir ci-dessus à psychologie sociale). A contrario, une sourde angoisse ressentie par une seule personne sera dite malaise existentiel.
048 * Un talent social ou plus fréquemment talent de société, c’est une qualité particulière individuelle facilitant l’entregent, une façon d’attirer les relations interpersonnelles en sachant discuter de tout et de rien, provoquer le rire par des facéties, réunir autour de soi les auditeurs et peut-être les amis. Exemples : imiter le président de la République, ou au moins imiter un imitateur qui imite le président de la république, est un talent social ; de même qu’être capable d’exécuter un tour de magie, un numéro de jonglage ou de gonflage de ballons, ou, au pire, de faire bouger ses oreilles. De nos jours, un talent social peut vous mener jusque sur un plateau de télécrochet. On s’interrogera sur les différences entre un talent social et un talent tout court, ce dernier étant quant à lui censé permettre la création d’une œuvre. Attention faux ami ! Un talent social n’a rien à voir avec une œuvre sociale, voir plus bas.
049 * Un réseau social n’est plus, aujourd’hui, un carnet en papier empli d’adresses ou de numéros de téléphone tracés à l’encre, c’est une application, un service interactif connecté favorisant l’exhibitionnisme de masse (exemple : rejoignez la page Facebook du Fond du tiroir ! Laïkez-moi !)
Variante : on parle aussi de média social. Il semble qu’il y ait une nuance : la préoccupation du réseau est la communauté tandis que celle du média est le contenu, mais le résultat est le même puisqu’au bout du compte il s’agit s’un contenu donné pour une communauté donnée.
Pour approfondir ce que les réseaux (ou les médias) ont de social (ou ,aussi bien, d’asocial : ami Facebook = attention, faux ami !), on consultera avec profit la série Infernet de Pacôme Thiellement et tout particulièrement l’épisode consacré à Facebook.
050 * Une hormone sociale, c’est ainsi que l’on a qualifié l’ocytocine, un neuropeptide connu sous divers autres sobriquets (hormone du plaisir, de l’amour, de l’attachement), qui semble jouer un rôle majeur dans l’alchimie interne des individus en situation d’interaction (confiance, empathie, séduction, générosité, ou au contraire anxiété, courage, violence…).
051 * Un bailleur social, c’est un organisme gestionnaire en charge de la construction et de l’entretien de logements sociaux.
Un logement social, c’est une habitation à loyer modéré (HLM) que les collectivités réservent exclusivement aux citoyens les plus modestes, les plus socialement fragiles, les plus dépourvus de ressources, voire les cas sociaux, voir plus haut (exemple de nécessiteux : François de Rugy)..
Au sein des HLM, un mètre carré social, c’est une unité de mesure des espaces mis en commun, locaux associatifs ou festifs, censés favoriser la vie collective.
052 * Attention, faux ami ! Une résidence sociale est relativement distincte d’un logement social puisqu’elle désigne une solution d’urgence, provisoire, généralement un studio meublé. On l’appelle aussi logement d’insertion. On peut habiter momentanément une résidence sociale avant de se voir attribuer un logement social.
053 * L’Union sociale (pour l’habitat), c’est depuis le nom de l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM. Attention, faux ami ! L’Union sociale, c’est aussi le titre d’une revue fondée en 1947 en tant qu’organe de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux).
054 * Un parent social, c’est la troisième possibilité reconnue pour un adulte de nourrir un lien de parentalité avec un enfant : en plus du parent biologique et du parent légal (en cas d’adoption), le parent social est celui qui n’est pas lié à l’enfant par un lien de filiation ni par aucun lien juridique mais qui prend soin d’un enfant et qui est intéressé par son éducation (beaux-parents, famille d’accueil…).
055 * Une contribution sociale (généralisée), c’est un prélèvement social, soit un impôt censé garantir la protection sociale.
Des charges sociales ou cotisations sociales, ce sont les prélèvements sur salaire, c’est-à-dire les impôts « à la source » dont la CSG (contribution sociale généralisée) fait partie. Elles se partagent en charges sociales salariales et charges sociales patronales, ce qui permet de distinguer le salaire superbrut, brut, et net. Les charges sociales financent les prestations sociales et la sécurité sociale. Charges ou cotisations semblent des synonymes, mais cette synonymie est critiquée par certains économistes ou sociologues (de gauche) parce que le mot charge permet sournoisement de faire adhérer celui qui l’entend à une vision libérale de l’économie où tout ce qui est mis en commun est une contrainte néfaste. Éric Fassin : « Il en va donc, au premier chef, du contrôle du vocabulaire politique. On sait par exemple que tant qu’on continuera de parler, au lieu de « cotisations », de « charges », celles-ci vont immanquablement « peser » ; elles paraîtront forcément « trop lourdes », et la seule politique raisonnable sera, inévitablement, leur « allègement ».
056 * Un Forum social mondial, c’est le rendez-vous bisannuel des altermondialistes (par opposition explicite au Forum économique mondial de Davos – un indice apparaît ici : le social est-il l’alternative pure et simple à l’économique ? Relire tout en haut de cette page la citation d’Edgar Morin, et lire, a contrario, celle de Friedrich Hayek, plus bas).
057 * Une classe sociale, c’est un milieu social (voir plus haut) qui s’est structuré idéologiquement voire politiquement ; soit un fragment homogène de la population hétérogène (ou corps social, voir plus haut), qui se définit par ce qu’il a en commun (un habitus, un habitat, un mode de vie, des sources de revenus, une culture, des aspirations, des souffrances). Tout ce qui distingue ce groupe du restant de la population sera justement appelé différence sociale, et quiconque aura en tête sa propre appartenance à une classe sociale et agira en conséquence fera preuve de conscience sociale.
Plusieurs classes peuvent ainsi être conceptualisées. Le concept de lutte des classes n’est curieusement plus de mise, démodé depuis la chute des pays de l’Est, contrairement à celui de classe dangereuse qui définit toujours les ennemis de classe.
Exemple : « Le fossé qui sépare pauvres et relativement riches devient abyssal. Le consumérisme consume tout questionnement. (…) En conséquence, les gens perdent leur individualité, leur sens de l’identité, et donc cherchent et trouvent un ennemi de manière à se définir eux-mêmes. L’ennemi, on le trouve toujours parmi les pauvres. » John Berger (1926-2017), Le carnet de Bento.
058 * La mixité sociale, c’est un principe (un choix politique) qui consiste, en une zone géographique donnée (une ville, un quartier, une rue, voire un immeuble), à permettre à des personnes issues de milieux sociaux différents de se côtoyer, de cohabiter, ou de favoriser un dialogue social.
059 * Une politique sociale, c’est un ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer les conditions de vie des classes sociales (voir plus haut) les plus pauvres, et ainsi éviter la désagrégation des liens sociaux (voir plus haut), la fracture sociale (voir plus bas) ou même l’explosion sociale (les émeutes – voir la presse, de temps en temps). C’est la politique sociale qui a fait l’objet d’un célébrissime citation du Président de la République Emmanuel Macron le 12 juin 2018 : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir. »
La politique sociale est souvent, même s’ils n’ont pas le monopole du cœur, l’affaire des socialistes, mot à suffixe né en 1831.
Exemple, pour mémoire et par mélancolie, un extrait de La Révolution de 1848 par John Stuart Mill (1806-1873) : “Le socialisme est la forme moderne de la protestation qui, à toutes les époques d’activité intellectuelle, s’est élevée, plus ou moins vive, contre l’injuste répartition des avantages sociaux.”
Le mot socialisme est aujourd’hui très dévalué par les intéressés eux-mêmes, les dits socialistes (voir ci-dessous à social-traître), ainsi que, à leur décharge, par d’autres hommes politiques du passé qui se revendiquaient du National-Socialisme (soit du nazisme hitlérien), ce qui ne contribue pas vraiment à la limpidité du propos.
060 * Une loi sociale, c’est une action législative concrétisant la politique sociale (voir ci-dessus) du pouvoir exécutif, dans le but d’offrir aux citoyens un acquis social (voir plus bas). La première loi sociale en France est réputée être la loi du 22 mars 1841 par laquelle le roi Louis-Philippe limita le travail des enfants : interdiction du travail aux moins de 8 ans ; pas plus de 8 heures par jour de 8 à 12 ans ; pas plus de 10 heures par jour de 12 à 16 ans. Mais attention : parfois à l’intérieur d’une loi sociale se glisse un cavalier social, qui sur le modèle du cavalier législatif introduit une clause sans aucun rapport avec le contexte, inutile voire anti-productive (antisociale).
061 * Le droit social, c’est un terme qui, selon Wikipédia, regroupe l’ensemble des règles régissant les relations individuelles et collectives de travail : droit du travail, droit de la Sécurité sociale et de la mutualité et droit de l’action sociale de l’État. Ainsi, ce droit présente la particularité d’être régi à la fois par le droit public et privé français. À titre d’exemple, ce droit traite notamment, de la lutte contre l’exclusion sociale (RSA) et de la pauvreté, du minimum vieillesse, de la protection des mineurs et de la dépendance des personnes âgées (APA). On parlera aussi de jurisprudence sociale (ensemble des décisions rendues par les différentes juridiction en matière de droit social). Faux-ami direct : ne surtout pas confondre LE droit social avec UN droit social (voir ci-dessous).
062 * Un droit social (attention, autre faux ami ! Ne pas confondre avec une loi sociale) c’est un simple rappel de principe sans obligation légale, une injonction émise par le commissaire aux droits de l’homme (on trébuche ici sur la tautologie originelle : droit humain = droit social) du Conseil de l’Europe, qui définit ainsi le droit social : Les droits sociaux sont indispensables à tout être humain pour mener une vie digne et autonome. Ils englobent les droits à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, à un niveau de vie décent, à un logement abordable, à la sécurité sociale [voir plus bas] et à des protections dans le domaine du travail.
063 * Une fracture sociale, c’est une différence sociale qui a dégénéré et engendré un conflit social et a nuit au climat social (Attention, faux ami ! ne doit pas être confondu avec la Guerre sociale, qui est un épisode de l’antiquité romaine, ni avec la Guerre sociale, qui était un journal pacifiste).
064 * La justice sociale est une construction conceptuelle, morale et politique qui vise à l’égalité des droits et conçoit la nécessité d’une solidarité collective entre les personnes d’une société donnée. La plus ancienne mention de cette expression se retrouve dans L’esprit des journaux de , dans des propos attribués à Louis XVI concernant le droit de suite. Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec La Justice Sociale, hebdomadaire catholique bordelais fondé par l’abbé Paul Naudet en 1893. Il fut l’un des principaux organes de la démocratie chrétienne jusqu’en 1908, date de son interdiction par Pie X.
Ne doit pas être confondu non plus (mais il y a peu de chance) avec la justice poétique ou justice immanente, concept moraliste et para-mystique qui considère, en dépit des observations sociales, que tôt ou tard, dans l’au-delà s’il le faut, les bonnes actions sont récompensées et les mauvaises actions punies.
065 * D’ailleurs, le christianisme social est un mouvement apparu au XIXe siècle dans les milieux protestants français confrontés à l’environnement social, économique et politique difficile né de la révolution industrielle et aux conditions de vie misérables des populations ouvrières à cette époque. Cette préoccupation sociale n’est pas restée longtemps l’apanage des protestants : selon le Dictionnaire de l’Académie française, « le catholicisme social est un mouvement de pensée et d’action qui s’attache à promouvoir, dans une société où l’individu est isolé, les vertus évangéliques de charité et de justice. La doctrine sociale de l’Église, est définie dans l’encyclique « Rerum Novarum », du pape Léon XIII, en 1891, établit les principes devant guider l’homme et la société dans la recherche du bien commun. »
066 * Une représentation sociale, c’est une forme de connaissance (qu’elle soit vraie ou erronée) socialement élaborée et partagée à l’intérieur d’un groupe social, que celui-ci soit restreint (une famille) ou extensif (une classe sociale, une nation). Il s’agit d’une autre découverte majeure d’Émile Durkheim, introduite dans l‘article « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898) publié dans la Revue de Métaphysique et de Morale, tome VI, numéro de mai 1898.
067 * Les Éditions sociales, c’est une maison d’édition fondée à la Libération, en 1944. Au départ émanant directement du Parti communiste français, elles ont notamment édité les oeuvres complètes de Marx et Engels.
068 * Le contrôle social, c’est l’ensemble des pratiques visant à vérifier et réguler la conformité des individus à un modèle social ou à une norme sociale. Encore une distinction essentielle que nous devons à Emile Durkheim : le contrôle social est dit informel lorsqu’il est exercé par des membres du groupe envers d’autres membres du groupe (railleries et accusations, dénonciations, hontes publiques, diffamations, voire lynchage… ou, inversement, compliments, manifestations d’admiration ; de nos jours tout ceci se fait le plus souvent en ligne sur les réseaux sociaux, voir plus haut), et il est dit formel lorsqu’il est exercé par des institutions détentrices de l’autorité publique (police, justice).
069 * L’ascenseur social est une métaphore usuelle pour signifier la mobilité sociale ou la promotion sociale, cette possibilité offerte, caractéristique de la méritocratie républicaine, de changer de milieu ou de classe sociale (voir plus haut) pour juguler les inégalités sociales (voir plus bas), en bénéficiant de la justice sociale. L’ascenseur social est généralement unidirectionnel : il monte. (Exemple : “Rien ne peut se faire simplement chez les gens qui montent d’un étage social à l’autre.” Honoré de Balzac, César Biroteau) Dans l’autre sens, on parlera de descenseur social, expression pittoresque mais rare, ou alors, plus couramment et plus simplement, de déchéance sociale ou de déclassement (l’adjectif social étant ici implicite donc facultatif).
Note à benêt : lorsque l’on tape ascenseur social dans Google, la première occurrence proposée est ascenseur social en panne.
070 * Un Fléau social, c’est un grand malheur qui s’abat plus ou moins simultanément sur un nombre important d’individus ne se connaissant pas entre eux mais partageant une même classe sociale. Exemple : “Quand les riches se droguent c’est pittoresque. Quand les pauvres se droguent c’est un fléau social.” (Paul Schrader)
Attention, faux ami ! Le Fléau Social est aussi une revue publiée par le Groupe 5 du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (F.H.A.R), qui a connu 5 numéros entre 1972 et 1974.
071 * La sécurité sociale, c’est un droit de l’homme, selon l’article 22 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Art. 22 — Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. »
072 * Un assuré social, c’est une personne affiliée à un Régime Obligatoire d’Assurance Maladie et bénéficiant ainsi d’une couverture sociale de base. L’assuré social possède son propre numéro de sécurité sociale et détient une carte Vitale sur laquelle sont inscrits ses ayants droit.
073 * Un acquis social, c’est, selon de quel côté on se place de la barrière sociale, un droit collectif légitime obtenu de haute lutte pour les salariés, ou un scandaleux privilège archaïque ; cet acquis est donc défendu par une certaine classe sociale (voir ci-dessus), a priori basse, et dénoncé par une autre, a priori haute.
Exemples d’acquis sociaux : la sécurité sociale (voir ci-dessus), les prestations sociales, le minimum social ou son pluriel les minima sociaux (voir ci-dessous).
Ladite haute classe pourfendeuse des acquis sociaux a pour porte-parole le patronat (syndicat des riches), qui martelle que la lutte des classes est aussi ringarde que la Guerre de 100 ans, qu’elle n’existe plus et n’a peut-être même jamais existé… alors qu’en réalité la classe haute a gagné cette lutte et la gagne encore régulièrement. Cf. l’aveu en direct sur CNN en 2005 du milliardaire américain Warren Buffett : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. »
074 * Les minima sociaux « visent à assurer un revenu minimal à une personne (ou à sa famille) en situation de précarité. Ces prestations sont non contributives, c’est-à-dire versées sans contrepartie de cotisations. Le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et l’allocation spécifique aux personnes âgées (Aspa) sont les principaux minima sociaux. » (définition de l’INSEE)
075 * Une prestation sociale, dont les minima sociaux sont un exemple et une déclinaison, c’est un montant d’argent (ou parfois un avantage en nature) alloué par un prestataire social (représentant l’Etat ou l’une des institutions de protection sociale) à un bénéficiaire social. Les comptes de la protection sociale, publiés annuellement, distinguent six catégories de prestations sociales correspondant à autant de risques sociaux : le risque vieillesse-survie (caisse de retraite), le risque santé (la sécurité sociale), le risque famille (les allocations familiales), le risque emploi (les indemnités de chômage), le risque logement (les APL), enfin le bien nommé risque pauvreté-exclusion sociale.
Les prestations sociales constituent une des formes de la redistribution des revenus et représentaient, en 2020, 35,4% du produit intérieur brut (PIB), à hauteur de 813 milliards d’euros (attention faux ami ! rien à voir avec le 813 d’Arsène Lupin, quand bien même il existe un Arsène Lupin Social Club !). Cette somme explique pourquoi les prestations sociales sont réputées, dans les plus hautes sphères de l’Etat, coûter un pognon de dingue (voir plus haut, à politique sociale), et le signifier haut et fort permet de faire honte aux bénéficiaires sociaux. La honte intériorisée du bénéficiaire social est en effet un moyen efficace de faire diminuer la dette sociale (voir ci-dessous).
076 * La médecine sociale, c’est l’ensemble des mesures préventives et curatives d’ordre médical prises en charge par les pouvoirs publics ou des organismes privés. Le dispensaire, où l’on prodigue des soins gratuitement aux nécessiteux sociaux, est un dispositif de médecine sociale, qui remonte à une tradition d’ancien régime où les dispensaires étaient tenus par des congrégations religieuses féminines : les bonnes soeurs ont précédé les infirmières.
077 * La dette sociale, c’est donc le contrecoup de la prestation sociale : elle correspond aux déficits cumulés des organismes de sécurité sociale. On y retrouve principalement ceux des différentes branches du régime général mais également ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). On notera cependant que la dette sociale n’est que l’une des trois composantes de la dette publique française, et représente 9,9% de celle-ci. Les deux autres composantes sont la dette de l’État (77,2% de la dette) et des collectivités locales (8,8% de la dette). La dette publique française s’élève au total à 2 257 milliards d’euros (chiffres indicatifs, datant d’avant le confinement de 2020-2021).
078 * La TVA sociale, c’est un gadget économique très étudié mais jamais appliqué en France (sauf outremer), qui consiste, pour faire baisser la dette sociale, à réaffecter une partie des bénéfices de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) aux dépenses sociales, histoire de bien rappeler aux consommateurs que certes ce qu’ils dépensent leur coûte cher, mais moins que ce qu’ils coûtent (culpabilisation toujours).
079 * Une réforme sociale, qui s’entendra comme quasi-synonyme de transformation sociale (même si la réforme évoque plutôt un changement par le haut – la loi, tandis que la transformation évoque un changement par le bas – les moeurs), c’est une façon de changer la société plus douce que la révolution. Cf. Réforme sociale ou Révolution ?, essai, dont le titre pose parfaitement l’alternative, écrit par la militante marxiste révolutionnaire Rosa Luxemburg (1871-1919) et paru en 1899.
080 * Un social-traître, c’est un social-démocrate qui plaidera peut-être pour la réforme sociale mais refusera les voies de la révolution sociale (qui récusera par exemple le bien-fondé d’un mouvement social, voir ci-dessus). L’expression est très ancienne puisqu’elle a été employée dès 1914 par Lénine, puis s’est popularisée en tant qu’injure dans les années 1920. Avant et pendant la Révolution russe de 1917, une importante créativité linguistique fut déployée pour qualifier les innombrables dissensions entre socialistes : social-pacifiste, social-patriote… Mais aucune de ces trouvailles n’a connu la postérité de social-démocrate ou social-traître. Social-traître est en outre une chanson des Hurlements d’Léo.
081 * Un socio-démocrate est d’ailleurs défini selon Wikipedia en des termes qui s’appliqueraient à l’identique à un social-traître : « De nos jours, le terme de social-démocratie désigne un courant politique qui se déclare de centre gauche, réformiste tout en appliquant des idées libérales sur l’économie de marché » . Socialiste et socio-démocrate peuvent être considérés comme synonymes et communiant à genoux devant le marché en nommant un banquier de chez Rothschild (oui, même nom de famille que la baronne Nadine, voir ci-dessus à code social, 39) ex-ministre de l’Économie.
082 * Quant à un socio-libéral, l’affaire se corse, c’est un tenant d’une politique qui concilierait (expression-clef : en même temps) des contraires a priori irréconciliables, la liberté économique et la préoccupation sociale. Rappelons que social et libéral sont plutôt, couramment, employés en tant qu’antonymes. Ainsi le philosophe et économiste libéral (donc anti-social ?) Friedrich Hayek écrivait-il en 1957 dans ses Essais de philosophie, de science politique et d’économie, que « l’adjectif social est devenu un mot qui ôte à toutes les expressions tout sens clair ». Pourtant la chimère socio-libérale existe bel et bien, à la suite de la pensée de John Stuart-Mill, sous divers noms : social-libéralisme, nouveau libéralisme (son nom d’origine), libéralisme social, haut libéralisme, libéralisme radical, libéralisme moderne…
083 * Socio tout court, c’est un super-(anti-)héros sociologue et explicitement victime de l’économie de marché.
084 * Une raison sociale, c’est le nom d’une entreprise ; un siège social, c’est la localisation de la même entreprise ; un actif social, c’est l’ensemble des biens et valeurs qui figurent à l’actif du bilan de cette société ; un passif social, c’est l’ensemble des dettes contractées par cette entreprise auprès d’un tiers ; un mandataire social, c’est la personne physique que cette entreprise a chargé de la représenter et/ou de la diriger.
On remarque que société est ici synonyme d’entreprise, par conséquent social = entreprenarial. Un bien social est ainsi la propriété privée d’une entreprise, son capital social, et pourra éventuellement faire l’objet d’un abus de bien social, à ne pas confondre (Attention, faux ami ! voire authentique ennemi !) avec le comité des œuvres sociales, dit également comité d’entreprise, qui concerne quant à lui les conditions matérielles des travailleurs au sein de la même entreprise – à rapprocher du service social.
085 * Une part sociale est si négligeable au singulier qu’on en parlera plutôt au pluriel : les parts sociales sont des parts de capital d’une entreprise à forme mutualiste ou coopérative (une banque, par exemple). En détenir, c’est donc être copropriétaire d’une fraction de l’entreprise.
086 * Une signature sociale correspond à la signature du représentant légal d’une structure qui en engage la responsabilité (s’applique, à ma connaissance, surtout aux cabinets d’experts-comptables).
087 * À propos de responsabilité : la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est une vieille lune managériale prétendant rendre le business, qui n’est autre que l’appât du gain, un peu plus éthique et respectable moralement, afin que les maîtres du monde ne soient plus perçus du côté du mal mais mais donnent une meilleure image d’eux-mêmes : s’ils gagnent de l’argent, ce serait en fin de compte pour le bien de tous. Un peu comme à l’époque où Nicolas Sarkozy coupait l’herbe sous le pied des anticapitalistes en déclarant qu’il ne fallait pas détruire le capitalisme mais le moraliser (2009). La RSE désormais compressée en un sigle, c’est dire si l’idée a fait florès, plonge ses racines dans un essai de 1953, Social responsibility of the businessman par l’économiste américain Howard Bowen. Aujourd’hui, la RSE est définie ainsi par la Commission européenne et par le site economie.gouv.fr : l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. En d’autres termes, la RSE c’est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. Une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable. En notre époque écoanxieuse, où l’on prend enfin conscience des destructions irréversibles engendrées par l’activité humaine (=sociale), la responsabilité des entreprises est explicitement repeinte en vert. Donc, synonyme de la RSE : greenwashing.
088 * Une économie sociale et solidaire, c’est un acronyme (ESS) équivalent à la RSE en termes de funambulisme entre bonnes intentions et langue de bois. Selon un autre site gouvernemental, le concept, qui a acquis valeur légale par la loi du 31 juillet 2014, désigne un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale.
089 * Autre usine à gaz social plus récente, car on n’arrête pas le progrès : le Contrat à impact social (CIS, 2021), c’est un partenariat entre le public et le privé destiné à favoriser l’émergence de projets sociaux et environnementaux innovants. Ces contrats permettent le changement d’échelle de solutions identifiées sur le terrain et efficaces. L’investisseur privé et/ou public préfinance le projet et prend le risque de l’échec en échange d’une rémunération prévue d’avance en cas de succès. L’État ne rembourse qu’en fonction des résultats effectivement obtenus et constatés objectivement par un évaluateur indépendant. Ah, bon.
Notons que ce dispositif fait l’objet de critiques sur son coût (le public finançant le privé) et sa toute relative efficacité. Ah, bon.
090 * Un membre social, c’est une personne qui, à jour de ses cotisations et droits d’adhésion, peut revendiquer sa pleine appartenance à une association, à une amicale, etc. Ici société peut être considéré comme synonyme de club, et social nous rappelle sa parenté avec associé.
091 * À ce sujet, un social club, au sens anglais, c’est soit un groupe de gentlemen se rassemblant par cooptation selon affinités et communauté d’intérêt, ayant par exemple en commun hobbies, professions ou convictions (nous retrouvons par conséquent ici une tautologie : social club = club), soit le lieu même où ils se rencontrent. Le Buena Vista Social Club était dès les années 1940 un tel lieu de rencontres privé où l’on écoutait de la musique, situé dans le quartier de Buenavista à La Havane (Cuba) avant, par métonymie et clin d’oeil, de devenir le nom d’un orchestre de musique cubaine fondé en 1996, notamment par Compay Segundo, Rubén González, et Ibrahim Ferrer, ainsi que le titre d’un film, d’un album, d’une tournée…
092 * Les partenaires sociaux, ce sont, tous-ensemble-tous-ensemble afin de démultiplier la confusion, les patrons (tenants d’intérêts privés, bénéficiaires de biens sociaux, voir ci-dessus, et détenteurs de la signature sociale) ET les ouvriers (tenants d’intérêts privés plus modestes mais aussi d’intérêt collectifs et publics, qui eux sont les bénéficiaires d’œuvres sociales, voir ci-dessus), lorsque ces personnes appartenant à des classes sociales ennemies, et aux intérêts divergents, ont l’occasion de se rencontrer. Soulignons que dans l’expression partenaires sociaux, le mot partenaires, aussi énigmatique que le mot sociaux, mériterait sa propre exégèse pour éviter les malentendus : partenaires sociaux peut être curieusement employé en tant que synonyme de ennemis de classe (voir classes sociales).
093 * L’Assistance sociale est souvent synonyme de l’Aide sociale. Une assistante sociale, animatrice sociale ou plus généralement travailleuse sociale (statistiquement il s’agit d’une femme, mais pas toujours, car il existe des assistants sociaux, sans doute des hommes assez peu virils pour faire un métier féminin, ainsi que sont les assistants maternels, les maîtres d’école, les bibliothécaires ou les infirmiers), localisé(e) dans un centre social, c’est un(e) courageux(se) héros(ïne) débordant de vertus telles que l’abnégation, la générosité, la compassion, l’écoute ; ou bien c’est un désolant cache-misère privé de moyens réels, un pansement sur une gangrène.
On dit faire dans le social pour qualifier, et souvent disqualifier, toute forme d’assistance à autrui, de soutien dispensé aux nécessiteux sans contrepartie par les pouvoirs publics, ou par extension d’entraide entre deux particuliers.
Exemple : « J’fais pas dans le social » signifie « Démerde-toi » . [Faut-il le souligner au lieu que de rester humble et discret ? Le Fond du Tiroir fait dans le social.]
Le social doit être ici compris dans un sens métonymique et abrégé pour Le travail social, cette catégorie de métiers qui ne sauraient être respectés puisqu’ils ne rapportent pas d’argent. Les pouvoirs publics auront soin d’humilier régulièrement les travailleurs sociaux, jetant dans le même sac les assistés sociaux et les assistants sociaux, au motif que les prestations sociales (voir à cette entrée, ci-dessus) coûtent (comme on sait) un pognon de dingue, ou qu’ils s’illusionnent s’ils imaginent que l’argent magique existe.
094 * Attention, faux ami ! En Italie et en italien, le centre social (Centro sociale) n’est pas le bureau de proximité de fonctionnaires dévoués à la population (pléonasme ?) mais un squat punk autogéré. Cf. les livres de Zerocalcare.
095 * Une mission locale est parfois le synonyme d’un centre social (au sens français et non italien), s’adressant toutefois à un public spécifique : elle est entièrement dédiée aux jeunes de 16 à 25 ans. Attention, faux ami ! La mission locale assume une mission sociale en tant qu’elle aide ces jeunes dans leurs démarches sociales, énumérées ainsi : emploi, formation, orientation, santé, logement, mobilité. Attention, DOUBLE faux ami ! Les entreprises privées revendiquent elles aussi une mission sociale, qui a peu à voir avec celle des centres sociaux ou des missions locales, et qui se définit essentiellement par une mission d’insertion sociale par l’emploi (voir ci-dessus la Responsabilité Sociale des Entreprises, RSE).
096 * Parmi les expressions fréquemment associées à l’assistance sociale ou à l’aide sociale, on trouve notamment la protection sociale ou le placement social, qui tous deux recouvrent l’idée qu’une personne fragile (un enfant, un adolescent, une femme), repérée comme subissant un danger dans son environnement familial, est extirpée de sa famille pour être prise en charge par la société (sous la forme des services sociaux de l’État, sous décision du juge), société qui va la placer, la protéger, etc. : l’idée est que l’ensemble de la société pallie aux déficiences individuelles. Dans le même registre d’idées solidaires, on trouve aussi, à l’occasion, des acceptions sensiblement plus rares, tel l’internat social, qui désigne un hébergement scolaire et une prise en charge nuit et jour permettant de scolariser des jeunes loin de leur milieu, après que celui-ci a fait la preuve de sa nocivité.
097 * Le Musée social, c’est un institut de recherches et une fondation privée né à Paris en 1894, dans le but de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon d’Économie sociale de l’exposition universelle de 1889.
098 * La participation sociale, concept plus fréquent au Québec qu’en France, c’est le fait pour des individus exclus de la vie sociale (particulièrement les personnes en situation de handicap, ainsi que les personnes âgées) de (re-) nouer des liens sociaux.
099 * Vive la sociale !, c’est un roman autobiographique (1981) puis un film (1983) de Gérard Mordillat, dont le titre provient d’un slogan peint dans le métro que contemple le narrateur, enfant.
La Sociale, par élision du substantif, désigne la République sociale (voir ci-dessous), telle qu’auto-définie par opposition à la République bourgeoise, dichotomie très active dans la vie politique française notamment en 1848 et en 1870. Vive la sociale est un cri poussé par certains des 147 communards au moment d’être fusillés par les Versaillais (tenants de la République bourgeoise) devant le mur des Fédérés, le 28 mai 1871.
Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec La Sociale, sous-titré Vive la Sécu !, film documentaire de Gilles Perret (2016), qui, quant à lui, par élision d’un autre substantif, est consacré à la Sécurité sociale.
100 * La République sociale, c’est une chanson révolutionnaire (voire plus haut, à Chanson sociale) écrite par Emmanuel Delorme cette même année 1871, pendant et à propos de la Commune de Paris. La musique est sur l’air de L’Âme de la Pologne.
Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec le Républicain social (Philetairus socius), petite espèce de passereau endémique des zones arides du sud de l’Afrique, notamment du Kalahari. Il est l’unique espèce du genre Philetairus. L’espèce est remarquable par ses nids : collectifs et habités à l’année, ils sont énormes, et peuvent être construits par des centaines d’individus. L’espèce n’est actuellement pas menacée.
101 * Mais, plus généralement, une République sociale, c’est un pays, par exemple la France. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (article premier de la Constitution de 1958). Cette définition mérite un examen mot à mot et, pour ce qui nous concerne, des précisions sur le dernier terme. Que veut dire au juste sociale en parlant d’une République ? Nous posons la question au site gouvernemental vie-public.fr et voici la réponse officielle :
102 * « Le caractère social de la République résulte de l’affirmation du principe d’égalité. Il s’agit de contribuer à la cohésion sociale et de favoriser l’amélioration de la condition des plus démunis. » Le principe social renvoie donc bien au principe d’égalité. Quid en ce cas du concept d’égalité sociale ? Il y a fort à craindre que nous soyons en face d’un énième cas de tautologie (cf. da capo) : l’égalité sociale, c’est l’égalité, soit le deuxième terme de la devise dont s’est dotée la République Française.
103 * L’inégalité sociale, qui en termes d’occurrences dans le discours public, est sensiblement plus fréquente que l’égalité sociale, consiste dans la différence, au sein d’une société donnée, dans l’accès aux ressources, que celles-ci soient naturelles (l’eau, le contact avec l’environnement), économiques (le patrimoine, l’accès à certains métiers), institutionnelles (les services publics, l’accueil réservé par l’administration), éducatives, sportives, culturelles, symboliques, etc. Les inégalités sociales, vécues comme des injustices sociales, sont un effet du rapport de domination existant entre les classes sociales (voir plus haut), et bafouent clairement le principe d’égalité inscrit au fronton des mairies, encadré par la liberté et la fraternité.
104 * L‘individualisme social, ce n’est pas un oxymore, c’est une proposition politique et même éthique, tout-à-fait stimulante, de Charles-Auguste Bontemps (1893-1981), militant pacifiste, anarchiste, l’un des penseurs du refus de parvenir. Bontemps prône un « collectivisme des choses et un individualisme des personnes ». Histoire d’ajouter un terme accolé à l’adjectif social, comme si on en manquait, il précise dans sa célèbre plaquette : « il m’a été demandé un résumé précis de ma conception d’un individualisme social que je dénomme tout aussi bien un anarchisme social ».
105 * Le Samu social, ou Samusocial tel qu’il s’écrivait tout attaché lors de sa création en 1993, est une fédération d’ONG ayant pour but de venir en aide aux personnes démunies. Le mot-valise se compose de SAMU, qui signifie Service d’Aide Médicale Urgente, et de social qui signifie, ma foi, tout ce que nous savons à présent, si jamais nous avons réussi à savoir quelque chose. Dans la foulée de l’exemple français un Samu social international a été fondé en 1998.
106 * Le Recueil social, c’est un service à part entière de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens), fondé en 1994 à la faveur de la suppression des lois réprimant le vagabondage, et entièrement dédié à la prise en charge des sans-abris sur le réseau. Une soixantaine de professionnels ainsi que des « bus de maraude » apportent aux plus démunis une première prise en charge, un réconfort, un café, une orientation vers des structures d’accueil. On voit à l’oeuvre un bus de maraude affilié au Recueil social dans le film L’Histoire de Souleymane (Boris Lojkine, 2024).
107 * Les socio-chaux, ce sont les adhérents d’une association fondée en 2018, dont la raison sociale est un mot-valise conjuguant sociétaires et Sochaux tout en plaidant implicitement pour ressusciter la mission sociale du football, réputée perdue par la professionnalisation et le business entourant ce sport. Le Footing Club Sochaux-Montbéliard (FCSM), fondé en 1928, équipe de foot née du paternalisme industriel de l’entreprise Peugeot, a été représentative d’abord de l’heure de gloire du football français, puis de sa décadence et sa dérive financière, après son rachat par une société chinoise en 2015. Les socio-chaux, entrés au capital du club, revendiquant droit de regard et pouvoir de décision, incarnent (du moins, souhaitent incarner) un retour du pouvoir populaire dans ce sport devenu la chose de la finance internationale.
108 * Un mérou social, c’est… Ah… Non… Je ne sais toujours pas ce qu’est un mérou social. C’est peut-être un animal mythologique, ou une simple vue de l’esprit, chimère pour théoriciens. Comme l’Europe sociale.
Quelle pagaille. Que de contradictions et de faux amis dans le monde social. Si vous en voulez encore, on peut également se plonger dans l’étymologie mais je vous préviens, ce qu’on y trouvera ne lèvera pas l’imbroglio, en ajoutera au contraire une louche : socius vient du verbe latin sequor, suivre, qui a aussi donné secte, et dès Rome l’adjectif avait les usages les plus divers (le socium templum était un temple dédié à plusieurs divinités, le socius lectus était le lit conjugal, la socia agmina était l’armée auxiliaire, etc.).
Et il faudrait ne pas désespérer d’un gouvernement dit socialiste ? Et quoi encore ? Crier Vive le roi ? Ne plus trousser les filles ? Aimer le filet de maquereau ?
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Bonus 1 : “Toujours le Social. Le contrat social, le sens social, l’avenir social, la souffrance sociale, le spectre social. Cette croyance à la Société est quand même la plus étrange qui ait jamais existé.” Philippe Sollers (1936-2023), Passion fixe (2000)
Bonus 2 : l’adjectif convivial, en quelque sorte et en quelque endroit synonyme de social, désigne quant à lui désormais et plus prosaïquement une facilité d’utilisation, en parlant d’un système informatique. Bonne convivialité à tous.
Bonus 3 : J’ai fait ma part mais si vous avez encore faim, une fois épuisées les occurrences de social vous pourriez vous pencher sur celles du plus récent sociétal. Un indice puisé chez Grégoire Bouillier, Le dossier M, livre premier, dossier rouge, « Le Monde », partie V, niveau 3 :
« [C’est] à cette époque aussi [les années 80] que les problèmes de société ont été remplacés par des questions dites « sociétales » , fabuleux mot permettant d’évacuer d’un coup d’un seul les problèmes liés à la lutte des classes. Exit la lutte des classes, déclarée obsolète sans autre forme de procès, on ne se demande pas pourquoi, ni par qui. »
Merci pour cet article qui explore les multiples sens d’un mot de la langue française, multiplicité qui amène souvent à des quiproquos et des difficultés à communiquer. Je n’ai jamais entendu parler de mérou social, qu’est-ce que ça fait ici ?