Je suis le chat qui fait baw-waw
L’un de mes cartoons préférés de Tex Avery est The counterfeit cat, (en français : Chat postiche, 1949), titre à l’ambigüité révélatrice (oxymore), puisque ce n’est pas un chat qui y est en contrefaçon, mais un chien. On y voit en effet un chat qui, comme d’habitude dans ces dessins animés, échafaude le plan le plus saugrenu pour assouvir la pulsion la plus élémentaire – manger. Affamé, il tente d’approcher la cage à oiseau, et pour cela se déguise très grossièrement en chien afin d’amadouer le molosse gardien de la maison, le fameux Spike. Le chat contrefait le chien.
Il répète devant le miroir, fait le beau, bat de la queue, tire la langue, et pousse un aboiement mutant, littéralement inouï, ni un « miaou » ni un « ouah-ouah » : « Baw-waw ! Baw-waw ! » Je suis très sensible à l’étrange et absurde beauté de ce cri qui n’existe pas. Fussè-je chat, j’essayerais sûrement de parler chien, pour voir l’effet. Et certes quand je bafouille maladroit, il m’arrive de ne pas reconnaître mon timbre. Baw-waw ! J’ai l’impression d’être chat chez les chiens, ou vice-versa, cherchant pathétiquement à rentrer en contact, articulant un son chimérique et travesti, qui tant bien que mal mêle ce que l’on attend de moi de ce que mes cordes vocales sont capables de vibrer selon leur nature. Lorsque je dois m’exprimer en tant qu’ « auteur jeunesse », je parle sans me forcer avec l’accent d’un auteur adulte, et réciproquement ; on me tient ces temps-ci pour un « romancier » quand j’ai grandement envie de bâtir tout autre chose que du roman ; mieux : lorsqu’une bibliothèque m’invite en tant qu’auteur, c’est fou comme je me sens obstinément, viscéralement, bibliothécaire (j’ai envie d’aller voir le logiciel qu’ils utilisent, les collègues), alors qu’en ma bibliothèque, face aux livres des autres, aux étagères de salsifis que je prête pour gagner ma vie, il m’arrive brusquement de vouloir ma vie ailleurs et de me réveiller, par défaut, « auteur » ; d’une manière générale, dès qu’on me prend pour un écrivain je suis profondément autre chose (lecteur, peut-être, pour commencer), et c’est lorsque personne ne s’en doute, en secret, devant le miroir qu’est ma page, que j’essaye de balbutier ma propre voix d’écrivain. Baw-waw. Et ainsi j’arrive parfois à refiler des os à ronger, mais toujours pas à choper le canari. Pour qui me prend-on, ces temps-ci ? Pour quoi donc me fais-je passer ? Pour un blogueur ? Pour un éditeur ? Ah, je vous en donnerai, Baw-waw de baw-waw !
Baw-waw : c’est rauque, peut-être disgracieux, certainement à côté de la plaque, orgueilleusement bâtard, c’est de l’entre deux avec un accent étranger, mais sans aucun doute, c’est là ma voix. S’il me fallait un totem, je choisirais volontiers le chat contrefait.
(Post-scriptum : on peut lire également cette sorte de métissage, de croisement fertile chien et chat, dans l’album Flix de Tomi Ungerer, mais avec une visée moins farce, plus politique. J’aime beaucoup Flix, aussi.)
et moi j’aime beaucoup mon compatriote (mon « bisame », dirais-je, mais seul lui traduira) Tomi !
Miaourf ! Miagrrrrourffff !
Métaphore de café ! Mais, nom d’un chien, où vas-tu chercher tout chat ?
J’en étais bêtement resté aux Guelfes et Gibelins mais là ça a une autre allure : Tobie or not Tobie…