Mercato (bilanzeperspectiv 2/2)
Un peu comme un échange de prisonniers à l’aube, leurs silhouettes émergeant de la brume, au ralenti, sur un pont-frontière. L’agenda de publication des plus-beaux-livres-du-monde au Fond du tiroir se trouve affecté par une remarquable permutation : le livre prévu ici sera publié là, tandis que celui qui devait naître là se retrouvera ici. Les pièces troquées sont les deux textes que j’ai écrits cet automne à Troyes – et dont les titres vous sont déjà connus si vous êtes un familier de ce blog.
Le FdT envisageait de publier, dès ce printemps, un livre intitulé Lonesome George, une nouvelle sinon pour enfants, au moins avec les enfants, texte de crise et d’actualité, texte comique, violent, et lent. En fin de compte, contrairement à ce que j’avais trop tôt annoncé, ce livre ne paraîtra pas au FdT mais, si tout se passe correctement (rien n’est signé encore), aux excellentes éditions du Rouergue. Attention, cela n’est pas une mauvaise nouvelle. Au contraire, je ne suis pas malheureux d’entrer au Rouergue, d’ailleurs publier chez Olivier Douzou est pour moi une sorte de retour aux sources, puisque c’est chez Douzou (quoique, à l’époque, sous une autre bannière) que j’ai signé il y a dix ans le contrat pour mon tout premier livre.
Seulement voilà : j’avais déjà commencé à gamberger sur Lonesome George, à le rêver comme les précédents sur le mode plus-beau-livre-du-monde, je me stimulais la racontouze éditoriale, j’allais faire ceci, et cela, et pourquoi pas ça aussi, jouer sur les formats, sur la mise en page, sur les polices, ah ah, la gueule du livre… Je jouais à l’éditeur, en somme, j’aime ça : je pense un livre, pas seulement un texte. Et puis dans l’intervalle, le Rouergue se déclare intéressé par ce texte, pour sa collection Dacodac – sous réserve de modifications. J’ai un peu hésité, pas très longtemps, et puis okay, j’ai fait les modifications. Bon. Aux dernières nouvelles, cela ne suffit toujours pas. J’y retourne, en maugréant un peu. De nouveaux amendements s’ajoutent à la première couche. Je ne les regrette pas du tout, hein, je n’étais obligé à rien, il ne s’agit pas d’un director’s cut, le texte modifié est encore mon texte, Lonesome George sera au Rouergue le plus-beau-livre-du monde quand même… Demeure ce petit pincement : je rendrai ma copie, je n’aurai accompli que le texte, je n’aurai pas fait le livre, je me suggère à la Coué que c’est pour le mieux, j’éprouve un lâche soulagement comme on disait à Munich. Au moins celui-ci se vendra-t-il un peu. À paraître cet automne.
Pour autant, cela ne signe pas la mort sans phrase du FdT. Les rêves de livres, les projets plus ou moins anciens, les tirages minuscules (règle d’or locale : plus jamais de tirage au-delà de 300 ex., et 100 serait l’idéal), les visées underground dont le FdT n’aurait pas dû s’extraire, restent d’actualité même lorsque l’actualité se dilue. Ainsi, un autre livre que, quant à lui, j’étais certain de publier chez un autre éditeur (certain de façon irrationnelle, ingénument convaincu de ses capacités de séduction), est présentement en rade, échoué sur le flanc : Double tranchant. Jean-Pierre Blanpain et moi-même l’avons proposé à environ une quinzaine de maisons, et la réponse (quand réponse il y eut) fut à peu près unanime : « Ah comme c’est beau ! Magnifique ! Superbe ! Original ! Poétique ! Mais non merci. » Ce sera donc moi, dit l’oie. Ce magnifique, superbe, original et poétique ouvrage sera selon toute vraisemblance le prochain livre du Fond du Tiroir. Et le plus beau du monde.
Resterait à évoquer la perspective de deux excitantes collaborations, l’une avec l’artiste Adeline Rognon, l’autre avec le musicien Olivier Destephany, ce sera pour une autre fois.
Cher Fabrice, j’avoue n’avoir point été très fidèle à vos péripéties troyennes, en grande partie par une désertion certaine de ma part sur les blogs concurrents et néanmoins amis du mien. Manque de temps, un chouïa de manque d’envie et cela suffit à ma moindre participation. Mais bien sûr, cela me sera sûrement pardonné dès que j’aurai entre les mains et sous les yeux vos admirables prochaines parutions tant au Rouergue (que je confirme être une maison d’édition excellente) qu’au FdT (encore plus excellentes, cela va sans dire !)
A très bientôt donc