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L’homme le plus important du XXe siècle (Troyes épisode 95)

Je m’en voudrais de gâcher la magie de noël, mais suspendez un moment vos emplettes je vous prie, jute le temps de réfléchir à ma question, devinette de pur divertissement, jeu de société… Qui est, selon vous, l’homme le plus important du XXe siècle ? Le plus célèbre, ou celui qui aura le plus influencé la vie des êtres humains, celui qui pourrait résumer à lui tout seul l’esprit de cent ans révolus ? Celui qui aura laissé une trace telle que, dans mille ans, les historiens baptiseront « le siècle d’Untel » celui dont vous et moi sommes natifs, comme ils disent « de Périclès » pour désigner le Ve siècle avant Djizeuss ?

Pour ma part, ma réponse aurait été spontanément : Adolf Hitler. (Et croyez que cela ne me fait pas plaisir, j’aurais préféré répondre Gandhi ou Nelson Mandela ou Charlie Chaplin, hélas il faut se rendre à l’évidence, on sait qui sert de maudit mètre étalon dans les conversations.)

Mais finalement, aujourd’hui, après lecture du livre Propaganda, j’ai plutôt envie de répondre Edward Bernays.

Axiome : toute publicité est de la merde. Corollaire : tous les publicitaires sont des marchands de merde. Aucune exception. Si on commence à chipoter oui mais des publicités y’en a des bien, y’en a qui sont cool ou sympas, y’en a pour la bonne cause, oh et puis cette créativité artistique, on ne s’en sort plus, on perd de vue le principe initial, le bourrage de mou, refusons le mensonge y compris pour la bonne cause. De la merde.

Comment en est-on arrivés là ? À cette merde partout-partout, je veux dire ? Merde en 4 par 3 dans les rues, merde en pop up sur les écrans, sur les papiers, sur les ondes, dans les paroles échangées, dans les paroles industrielles, dans les paroles politiques, dans tous les interstices des cerveaux disponibles, la publicité dans chaque recoin de la vie sociale, la société devenue globalement publicitaire et nous persuadant que le seul rapport possible à autrui est publicitaire, nous avons tous quelque chose à vendre, mon gars apprends à faire ta propre pub en rédigeant ton CV, ce sera plus utile que ce qu’on t’enseigne à l’école, sois plus malin que les autres, si quelque chose dysfonctionne dans le tissu social rassurez-vous c’est seulement un problème de communication, adressez-vous à mon chargé de com qui vous expliquera tout comme il faut… Ne vous inquiétez pas, on va vous raconter, consommez d’un côté, et vendez-vous de l’autre, gagnant-gagnant, tout va bien, vous êtes en de bonnes mains, le Président lui-même a été à bonne école, il est fils d’un marchand de merde. Publicité partout, vérité nulle part, on marche dans la merde à chaque pas, et l’on trouve toute cette merde normale.

Comment en est-on arrivé là ? Edward Bernays (1891-1995, 104 ans la vieille crapule), neveu de Sigmund Freud, après avoir pragmatiquement retenu de la psychanalyse ce qui pouvait faire tourner les affaires (l’économie de marché ou la toute puissance du Ça) est l’inventeur de la publicité moderne, dite public relations, et par conséquent de notre époque. Il est le gourou et le prototype des Mad men. Son premier coup d’éclat à été de vendre la Première Guerre mondiale à l’opinion américaine (les USA s’engagent dans le conflit en 1917). Puis il a vendu avec le même professionnalisme des produits manufacturés, des hommes politiques (le peu populaire président Coolidge), des produits culturels (la popularité de Caruso ou Nijinski, c’est lui), des habitudes de consommation (la tabagie féminine), des innovations technologiques… et, autosatisfait comme un marchand de merde, a candidement théorisé ses exploits dans un livre pas du tout occulte, ni tabou, disponible partout, facile à lire, convaincant (il connaît son métier) : Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie (excellente préface de Normand Baillargeon).

Il a bien fallu un siècle, cent quatre ans même, pour que le monde en soit totalement changé, et nous donne envie de chercher ailleurs. Edward Bernays est l’homme le plus important du XXe siècle. (Et croyez bien que cela ne me fait pas plus plaisir que si j’avais répondu Adolf Hitler.) Siècle de merde, pardonnez-moi, CQFD, et le XXIe bien entamé n’arrange rien.

Le solstice est pour cette nuit. Je vous souhaite une bonne journée la plus noire. Tenez bon.

  1. wake-up
    24/12/2011 à 02:31 | #1

    euh … cette « magie de noël » mentionnée en introduction, n’est-t-elle pas justement le fruit de « propaganda » ?!
    Car noël hors mis toutes récupérations (religieuses, mercantiles,…) est avant tout solstice d’hiver (comme vous le stipulez en conclusion) et non cette frénésie de non-sens qui agite les foules…
    meuh bon voudrais pas non plus « plomber » l’atmosphère plus qu’il n’en faut … les lendemains qui déchantent ouvriront peut-être l’esprit des foules endormies …
    Allez Force & Joie , la route est encore longue :-)

  2. no more
    30/12/2011 à 23:29 | #2

    une p’tite idée de quelques effets produits par les marchands de m… ?!
    suivez la flèche
    -> http://www.dailymotion.com/video/xzlks_mondialisation-surplus_news?start=1260#from=embediframe

  3. 25/01/2012 à 20:59 | #3

    Je viens de découvrir ce livre en cours de philosophie. En effet, 104 ans de crapule le tout battit sur une géniale découverte du tonton mais il semble que ce soit celui qui nous influence le plus encore aujourd’hui…
    En tout cas drôle de coïncidence d’en parler le jour même puis de voir un article de Bernays sur votre blog.

    « Le solstice est pour cette nuit. Je vous souhaite une bonne journée la plus noire. Tenez bon. » Et wouarf, quelle prose ! ^^

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