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Dire la joie

Petit livre jouissif à propos de la jouissance : Comment jouir de la lecture ?, Clémentine Beauvais, ed. La Martinière, collection Alt.
Texte bref comme une conférence, mais du genre qui excite et non qui endort.
Érudit mais primesautier, drôle, intelligent, stimulant.
L’autrice propose de passer de l’idéologie si commune et si mal comprise du « plaisir de lire » à l’authentique jouissance, celle qu’on s’invente, cette qu’on travaille en pleine conscience, et qu’on partage.
Elle commence par réfuter dos à dos les deux tendances dominantes et contraires : l’académique (qu’elle appelle pour sa part la réac, j’aurais eu envie de pinailler sur ce point parce que le snobisme et l’intimidation au « bon goût » n’ont pas d’époque) qui assène qu’il faut lire les classiques (elle parle de « prescription Homère-Dante » , formule assez marrante) ; et l’autre, la lecture plaisir exigée avec le sourire par les enseignants et les médiathèques, entre autres, qui est plus progressiste peut-être mais au fond tout aussi limitée et limitante, évidence fausse parce qu’impossible à remettre en question : le plaisir ne se discute pas, il est perso, chacun le sien, éclate-toi avec Shakespeare ou avec Guillaume Musso, les-goûts-les-couleurs circulez y a rien à dire.
Or, Clémentine Beauvais a l’excellente idée de débuter son joli pamphlet par une analogie avec la jouissance par excellence : le sexe. Depuis une génération, ou même pas, depuis seulement une décennie, depuis qu’on a enfin compris à quoi ressemble un clitoris et qu’on prône le consentement, le plaisir sexuel s’améliore, il s’affine, il s’apprend, PARCE QU’IL SE DISCUTE, parce qu’on le verbalise, on le pédagogise, on le tutorise dans les forums, et mine de rien on le démocratise. Ce que Clémentine Beauvais appelle de ses voeux, c’est tout simplement qu’on fasse de même avec la jouissance livresque : discutons-la pour l’accroître, la varier, la connaître et se connaître. Quel beau projet.
Ainsi, taxinomie pour mémoire, au coeur de la plaquette elle énumère pas moins de 20 jouissances littéraires distinctes (liste non exhaustive), qui vont de la familiarité rassurante à son contraire, la complète désorientation, ou de l’empathie-miroir à l’exotisme, etc.

À titre personnel, en lisant cette énumération, je réalise une chose, qui n’engage que moi mais m’engage tout entier, qui me permet de réfléchir à ma propre joie de lecteur (et, donc, de l’augmenter encore) : je pourrais faire correspondre chacune des variétés de jouissance à un texte précis de mon sempiternel auteur de chevet, Georges Perec – voilà qui confirme méthodiquement par A+B la réussite du projet global de Perec, qui était d’épuiser le champ des possibles littéraires.


Et pendant ce temps, dans le même monde mais juste à côté… À la une de la presse du jour :

« Un an après sa prise de contrôle par Bolloré, Fayard va publier « Ce que je cherche », le premier livre de Jordan Bardella.
Lise Boëll, la nouvelle PDG de la prestigieuse maison d’édition (Hachette Livre), fait signer désormais des auteurs d’extrême droite, comme le président du RN ou Philippe de Villiers. Ce qui suscite l’ire de certains salariés et des départs en cascade. »

Le plus révoltant est ailleurs que dans les querelles internes d’une maison d’édition parisienne ! Bardella a bien le droit de publier des livres (qu’il n’écrit pas, comme tout le personnel politique, mais en France signer un ouvrage fait sérieux quand on se croit un destin national)…
En revanche Ce que je cherche est un titre pérécquien, il ne fallait pas y toucher.
Georges Perec a écrit l’article « Notes sur ce que je cherche » en 1978 et c’est une boussole, bien complète de ses quatre points cardinaux. Perec y définit les quatre directions dans lesquelles il travaille (le romanesque, l’autobiographique, le sociologique, le ludique). Ce texte bref et lumineux est pour moi un vade-mecum auquel je pourrais réfléchir avec profit chaque jour qui passe. Alors que je n’ai pas envie de penser à Bardella tous les jours, merde.

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