Un jeton dans le bastringue
C’est reparti.
Tout va reprendre ! ce Sarabbath ! Vous entendrez siffler d’en haut, de loin, de lieux sans noms : des mots, des ordres… Vous verrez un peu ces manèges !… Vous me direz…
Après Guerre au printemps, un nouvel inédit de Louis-Ferdinand Céline sort en librairie pour cet hiver : Londres. Le synopsis semble connu puisque c’est celui de Guignol’s Band, donc ce roman est sans doute une variation sur un thème déjà lu. Bien sûr que je le lirai, mais je ne me précipite pas, je prends mon temps, comme pour le précédent.
En attendant, le hasard fait (ceux qui savent, savent qu’il n’y a pas de hasard) que je lis beaucoup de Robbe-Grillet ces jours-ci. Or au 12e chapitre de sa Préface à une vie d’écrivain, je lis ceci qui est l’un des propos sur Céline les plus intelligents qui me soient passés sous les yeux :
C’est la forme de l’écriture qui critique le monde, ça n’est pas du tout les histoires qu’on raconte. Les grands romans soviétiques qui glorifient la révolution, le peuple, les lendemains glorieux sont une littérature parfaitement réactionnaire. Tandis qu’au contraire un écrivain qui va mettre en cause l’écriture même du monde va être lui [révolutionnaire]. Il ne faut pas du tout s’étonner du cas de Céline, ce n’est pas un cas à part. Céline est ce qu’on devrait appeler un écrivain de gauche bien qu’il ait été d’extrême droite. Il portait l’esprit d’une révolution, on ne peut pas en dire autant de beaucoup de bons esprits de gauche de l’époque, qui au contraire faisaient de la littérature de droite. (…) Pourquoi est-ce que j’ai connu Céline très tôt alors que je ne connaissais pas du tout la littérature, c’est parce qu’il était d’extrême droite. Mes parents étaient d’extrême droite, ce qu’on lisait c’était les chroniques de Brasillach dans l’Action Française où l’on parlait de Céline, on ne parlait jamais d’André Breton. Céline avait la chance d’être antisémite donc on pouvait en parler à la maison. Et il se trouve que c’est le grand écrivain révolutionnaire !
Bravement, je reproduis ces lignes intéressantes sur Fachtreubourk… Immanquablement, la mention de Céline crée la polémique, sacré Ferdine et sacré Fachtreubourk, ils ne déçoivent jamais !
Sous mon post, deux commentaires apparaissent, deux malentendus, deux jugements avec lesquels je ne puis être d’accord et auxquels il me faut répondre, je réponds.
YG écrit sur mon mur :
Merci Fabrice pour ces trouvailles. Merci de distiller ces perles d’intelligence.On peut donc être catalogué à l’extrême droite et être révolutionnaire. Dans un monde soumis à l’injonction progressiste être conservateur est donc devenu révolutionnaire. Logique en somme.
Je me sens obligé de répondre :
« Pas d’amalgame » comme dit l’autre !
Je ne t’accompagnerai certes pas jusqu’à l’idée générale Être conservateur est donc devenu révolutionnaire, qui ne concerne que ce que l’on appelle la révolution conservatrice. Celle-ci a fort peu à voir avec la littérature, où l’idée de Robbe-Grillet (la révolution est dans l’esthétique et non dans le discours), pour brillante qu’elle soit, ne saurait s’ériger en cas général, ni autoriser à qualifier par principe et par paradoxe de révolutionnaire toute idée conservatrice : les contemporains de Céline classés dans la même case politique que lui (Rebatet, Brasillach, Chardonne, ou même Morand…) étaient des réacs dans le fond ET dans la forme !
Puis, FD écrit sur mon mur :
Je vais certainement me faire lyncher. Mais les premiers livres de Céline que j’ai eu entre les mains étaient ? L’école des cadavres et Bagatelles pour un massacre. C’était tellement nauséabond que je n’ai jamais pu lire autre chose de lui. Il avait peut-être du talent, beaucoup le disent mais j’ai toujours à l’esprit les précédents cités.
Je me sens obligé de répondre :
Non non pas de lynchage.
Le Fond du tiroir est, par principe, contre le lynchage.
Cependant je me permets de trouver dommage que vous n’abordiez Céline que par ces deux livres-là précisément (quelle drôle d’idée ! ou quelle malchance !), deux livres pénibles, polémiques, répétitifs, de circonstance, deux livres « engagés » et fourvoyés… plutôt que par son œuvre romanesque. C’est un peu comme si vous vous contentiez, pour vous forger une opinion sur Eluard, d’avoir lu sa vibrante Ode à Staline (1950), ou sur Aragon, son confondant éloge du goulag qui enfin dressera l’homme nouveau (Pour un réalisme socialiste, 1935).
Ces deux interventions/réactions à l’actualité n’épuisent pas leurs auteurs respectifs et sont seulement susceptibles d’épuiser leurs lecteurs (1).
Bon, de même, Bagatelles pour un massacre existe, mais ce n’est pas le meilleur livre de Céline.
De même qu’il est préférable, en principe, de lire un grand roman épique et total tel Voyage au bout de la nuit plutôt qu’un pamphlet fulminant torché en vitesse, il vaut également mieux lire un livre qu’un post Facebook. J’en profite pour rappeler à toutes fins utiles que mon opuscule Lettre ouverte au Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris est toujours en vente au Réalgar.
Ah et j’ai même un certain PL qui juge bon d’écrire :
Mouais, le fumeux poncif du « style contre les idées » : Robbe-Grillet était apparemment aussi mauvais critique qu’écrivain ou cinéaste.
Mais là, j’atteins mes limites et m’abstiens de répondre. L’idée que l’on peut discuter avec tout le monde par la magie d’Internet est un leurre.
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(1) – On peut sans avoir à réfléchir trop longtemps citer un exemple plus contemporain : il est fortement conseillé, avant d’exprimer le moindre avis sur l’écrivain Virginie Despentes, d’avoir lu autre chose que sa chronique « On se lève et on se casse » ou, pire encore, sa déclaration d’amour débile aux frères Kouachi parue dans les Inrocks. Elle aussi vaut mieux que ça.
« J’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. […] Je les ai aimés jusque dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant “on a vengé le prophète” et ne pas trouver le ton juste pour le dire. Du mauvais film d’action, du mauvais gangsta rap. Jusque dans leur acte héroïque, quelque chose ne réussissait pas. Il y a eu deux jours comme ça de choc tellement intense que j’ai plané dans un amour de tous – dans un rayon puissant. »
Virginie Despentes, Les Inrockuptibles du 17 janvier 2015, 10 jours après le massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo.
Apparemment tu t’es aussi abstenu de le publier !