CLS
Septembre 2008. Claude Levi-Strauss a presque cent ans. Je serais bien outrecuidant si je prétendais que l’oeuvre de ce grand savant m’a « influencé », et cependant comment le dire autrement ? Puisque je ne suis pas tout à fait le même que lorsque j’ignorais ce que je lui dois.
Ce que je lui dois ? D’abord, un inépuisable et perpétuellement délicieux vivier de connaissances, un vivier d’histoires, de mythes, d’imaginaires (Les « Mythologiques », néologisme à la fois limpide et à tiroirs). Mais plus que l’étendue du corpus, c’est la subtilité de la méthode qui m’a marqué à jamais : le regard qui change.
Je suivais un cours d’anthropologie le lundi soir, à la fac, il y a presque vingt ans. Je prenais des notes, énormément de notes, je ne voulais rien perdre, j’abrégeais son nom, « CLS », j’avais du CLS plein mes feuilles de cours. Je sortais de l’amphithéâtre la nuit tombée, à 20h, ébloui dans le noir, plein d’admiration et de gratitude pour CLS. Tant pis pour ceux qui trouveront ceci grandiloquent : je suis persuadé que l’anthropologie est la discipline intellectuelle la plus précieuse, la plus essentielle, la plus nécessaire, et qu’il conviendrait de l’enseigner dès l’école primaire. Oui, sans aucun doute dès le CP : savoir que chaque homme n’est qu’une possibilité de l’humanité, et que cette possibilité-là n’est a priori ni plus respectable, ni plus méprisable que la suivante ou que soi-même, est une information au moins aussi capitale que des rudiments d’arithmétique ou de géographie. (Du reste il ne faut négliger ni l’arithmétique ni la géographie : elles sont très utiles en anthropologie.)
Entre autres vertus, l’anthropologie structurale de Levi-Strauss déjoue le racisme élémentaire (élémentaire, lui aussi, dès les classes de CP) bien plus efficacement, plus calmement et plus scientifiquement, que les simples réflexes bien-pensants, ou que la bonne conscience mécanique.
De même qu’il convient de bien observer les autres espèces animales, voire végétales, pour se faire une idée de la vie en général, il faut sans relâche observer les autres hommes, les autres peuples, les autres cultures, les autres pays, les autres civilisations, afin d’apprendre d’eux ce que nous aurions pu être, afin de prendre du recul ( « le regard éloigné »), et espérer se figurer un jour, à force de juxtapositions, de comparaisons, de mises en relation ( « penser par les relations » étant la définition la plus pédagogique de la notion de « structuralisme »), ce qu’est au juste l’être humain. Ce que, au juste, je suis. Révélation « spirituelle » si l’on veut, et cependant rationnelle.
Claude Levi-Strauss aura peut-être cent ans, le 28 novembre prochain. Qu’il meure avant ou après cette date ne changera plus rien, je serai triste.
28 novembre 2008 : c’est aujourd’hui, l’anniversaire de l’homme-siècle.
Un bon anniversaire à tous les fondateurs de l’anthropologie structurale ayant un regard sensible sur le possible humain.
La faux est tombée ce dimanche, 1er novembre 2009. Jour de la Toussaint : occasion de réfléchir un peu aux rites funéraires. Lisons Levi-Strauss au lieu d’aller fleurir des cimetières.
« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations. »
Octavio Paz
c’est la signature mail de l’attaché culturel d’Alger.
oui, aller voir ailleurs et mesurer l’incommensurable différence et par là même la proximité possible, mythique que nous sommes…
et notre regard souvent y suffit.
pas de fleurs pas de couronnes, un peu d’homminité seulement.
ton texte de souvenirs estudiantins est très beau.