Dans cette vidéo de 1998, Mocky engueule Christine Boutin et les curés qui lui font cortège, les traitant de pédophiles (c’est un peu facile), de cons, de culs-bénis, de grenouilles de bénitier, d’hypocrites (c’est à peine plus difficile), etc.
Mais surtout, à 1 mn 52, Mocky prononce cette chose remarquable, tellement plus profonde qu’un simple blasphème : « Je l’aime plus que vous, moi, Jésus-Christ ! »
Cette vidéo est formidable non parce qu’elle est un énième et banal « clash » de télé péniblement prévisible, mais parce qu’elle témoigne d’un authentique débat métaphysique. Elle rejoue l’éternel combat entre les mystiques et les religieux.
Les mystiques sont ceux qui recherchent, parfois toute leur vie, le contact direct avec le divin ; les religieux sont ceux qui ne cherchent pas, qui ont trouvé, qui se prévalent de disposer de ce contact et en usent comme d’un levier de pouvoir, se prétendant habilités à parler au nom de « Dieu », de « Jésus Christ », du « Prophète Mahomet » ou de quelque autre grande figure ou grande idée, figure ou idée qu’ils confisquent afin d’imposer leurs propres vues et d’asseoir leur propre statut.
En prononçant « Je l’aime plus que vous, moi, Jésus-Christ », Mocky veut peut-être dire qu’il aime davantage que les curés ce que représente Jésus (l’amour, la compassion, le pardon, la défense de la femme adultère, la charité envers les faibles…) et ce serait déjà un message politique fort. Mais je crois qu’il veut dire davantage : « Vous avez volé Jésus-Christ alors qu’il m’appartient autant qu’à vous, rendez-le moi et disparaissez, allez plutôt simples humains que vous êtes payer votre dette à la société (pour pédophilie etc.) »
Dans cette vidéo, Mocky, comme tant d’artistes, est le mystique ; Christine Boutin et ses amis en robes, comme tant d’oppresseurs, sont les religieux.
Le blog du Fond du Tiroir a souvent abordé la rivalité entre les mystiques et les religieux (comme ici ou làoulàou mêmedéjà làquand j’étais jeune), il faut croire que cette question me turlupine durablement. Elle est au coeur du roman que j’écris ces jours-ci.
Léon Tolstoï, grand mystique excommunié par l’église, et réinventeur de la non-violence moderne d’après le modèle de Jésus, écrivait : « Jamais les églises n’ont servi d’intermédiaires entre les hommes et Dieu, ce qui est d’ailleurs inutile et interdit par le Christ, qui a révélé sa doctrine directement à tout homme. Je considère comme une hérésie cette religion officielle appelée Christianisme. Elle se sépare, selon moi, de celle du Christ par bien des divergences au nombre desquelles j’ai tout d’abord constaté la suppression du commandement qui nous interdit de nous opposer au mal par la violence. » (Tolstoï, Le Royaume de Dieu est en vous)
Des gauchers, parmi vous ? Levez la main pour voir, que je vous compte ? Allez-y levez la main gauche ne soyez pas timides… De toute façon pour certains d’entre vous je sais déjà alors, il n’y a pas de honte. Ah voilà c’est pour le premier que c’est le plus dur et le plus courageux, les autres suivent. Un, deux, trois…
De gaucherie, il en est de tout temps, il en est en tout lieu. Si l’on cherche des statistiques précises sur les gauchers, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des gauchers contrariés, qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir droitiers pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des ambidextres qui échappent aux catégories), mais disons, d’après une source facile d’accès qui commence par Wiki et se termine par pedia, que les gauchers constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité renversée, qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça.
Dès que l’on se met à chercher les gauchers et à les énumérer on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot. Barack Obama, Oussama Ben Laden (ah ! il était temps qu’on leur trouvât un point commun à ces deux-là ! Étonnant que Trump ne s’en soit pas encore servi…), Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs, David Rockfeller, Benyamin Netanyahou, Hugo Chavez, Winston Churchill, Ronald Reagan, César, Napoléon, Aristote, Léonard de Vinci, Beethoven, Georges Perec, Stan Lee, Jean-Pierre Mocky, Sigmund Freud, Marilyn Monroe, Albert Einstein, Charles Darwin, Lewis Carroll, Paul Verlaine, Tignous (le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, au fait), Pierre et Marie Curie (deux mains gauches irradiées), Scarlett Johansson, Charlie Chaplin, Jean Genet, David Bowie, Jack l’éventreur, Elizabeth II, Hélène Grimaud, Glenn Gould, John McEnroe, Paul McCartney, Jimi Hendrix, Laurence Menu…
Or m’est advenue l’idée d’un roman à écrire, qui se passerait dans un monde parallèle où les gauchers sont punis de mort. De quoi carburer de la racontouze. Rien qu’en imaginant ce que pourrait être un monde où l’on se serait débarrassé de Marie Curie (pas de bombe atomique), de Freud (pas d’inconscient), de Darwin (pas d’évolution), d’Einstein (pas de relativité), de Paul McCartney (pas de Beatles), de Ben Laden (pas de 11 septembre) et de Marilyn Monroe (pas de Marilyn-Monroe), on entrevoit le pain sur la planche, tout un monde alternatif, une dystopie en dix volumes ou une série Netflix en six saisons.
Au sein de cette théocratie, le pouvoir est exercé et distribué par l’Ordre Droit, caste de saints-caciques, dignitaires religieux dont la pyramide est couronnée par l’Archisatrape. Les ancêtres de l’Ordre Droit, fondateurs de la caste, sont parvenus autrefois à prouver, grâce à l’interprétation spécieuse mais incontestables de quelques versets sibyllins extraits de manuscrits vieux de mille-cinq-cents ans, que les gauchers sont des individus maléfiques, et que Dieu (droitier, cela est prouvé positivement par les Docteurs de la Foi) déteste de toute Sa force et de Sa colère ces hérétiques, ces être impurs, inversés, invertis, diaboliques comme un miroir, habités par le sheitan, qui utilisent pour de nobles gestes (compter les boules d’un chapelet à prières, par exemple) la main maudite alors que tout le monde sait que la tradition oblige à cantonner cette main retournée aux tâches ignobles comme se torcher le cul. La Gauche c’est le Mal. Les insultes les plus courantes de ce monde-ci sont gauchards, gauchones, gauchiens, ou gauchiasses (ah non zut, je ne peux pas employer cette insulte-là, elle existe réellement dans un tout autre sens), et fusent en direction non seulement de ceux que l’on surprend à utiliser devant témoin leur main gauche (dite sinistre), mais également pour invectiver quiconque l’on souhaite rabaisser selon les circonstances de la vie. Exemple : « Regarde-moi ce sale gauchien qui double par la gauche sur l’autoroute ! Va niquer par la gauche, hé pauvre sinistre ! » Les gauchers sont traqués, dénoncés, persécutés, spoliés, humiliés. Les brimades vont de la simple amende aux sévices corporels (déambulation dans les rues avec le bras gauche attaché dans le dos) et même jusqu’à la prison et aux camps de rééducation. Voire, dans certains cas de récidives ou de cumul avec d’autres crimes (résistance à la force publique, rébellion, blasphème), à la mise à mort en place publique, selon un rituel immuable intitulé La Bébête qui monte, qui consiste, tout en psalmodiant des hymnes célébrant la bonté et la miséricorde du Tout-Puissant, à trancher à la hache d’abord les premières phalanges des doigts de la main gauche, puis les suivantes, puis le poignet, le coude, le poignet, et enfin fendre la tête en deux pour en jeter la partie gauche aux ordures afin que l’âme immortelle, enfin délivrée, puisse s’envoler vers le paradis des droitiers qui sont les chouchous de Dieu.
Il y faut naturellement une intrigue sentimentale. L’héroïne de l’histoire, je la vois d’ici, est une jeune femme intrépide, amoureuse d’un garçon qui, un beau jour, après une tendre étreinte à l’abri des regards, lui a révélé sans parvenir à retenir ses larmes son terrible secret : « Je dois t’avouer une chose… Peut-être ne voudras-tu plus jamais me regarder après cela mais je ne peux plus te mentir… Voilà… Je suis gaucher. J’ai tellement honte ! Moi qui croyais que les gauchers avaient été officiellement éradiqués par le Saint Ordre Droit ! Je suis une erreur de la nature, un monstre ! – Non, tais-toi ! Ne détourne pas les yeux, regarde-moi comme je te regarde ! Peu importe la main avec laquelle tu me caresses, je t’aime tel que tu es » , a-t-elle répondu en lui embrassant chaque doigt de la main gauche (puis le poignet, le coude, l’épaule, le cou, le côté gauche de la tête, parodiant en douceur l’ignoble rituel de la Bébête qui monte). Mais voilà qu’un jour, son amoureux disparaît sans laisser de traces. Que s’est-il passé ? Où est son amant ? Est-il encore seulement en vie ? La jeune femme se lance dans une quête pleine de dangers, aventures et rebondissements qui la verront traverser moultes strates de cette société, jusqu’au sommet du pouvoir où elle découvrira bien malgré elle ce que les Grands Satrapes de l’Ordre Droit auraient voulu maintenir caché… (Alerte spoiler : l’Archisatrape en personne est un gaucher contrarié !)
Bon. Reprenons notre souffle. Des idées de roman il peut m’en venir une par jour mais j’écris un roman tous les cinq ans, donc je me rends à l’évidence, je n’écrirai jamais ce livre. Si l’idée vous inspire, je vous en prie elle est à vous, c’est cadeau, ma tournée, de rien, mettez-vous au boulot.
Quel chemin a-t-elle emprunté avant de surgir, cette idée ? Voici son déclic. Son inspiration dans le monde réel. Une autre histoire, une vraie cette fois.
La saison dernière, en compagnie de Marie Mazille, j’ai effectué dans un collège un atelier d’écriture de chansons sur le thème des insultes (cf. ici, scroller tout en bas de la page, Jour 60). Nous débattions avec ces braves ados turbulents des insultes les plus usuelles et nous nous sommes arrêtés un moment sur pédé, ainsi que sur son corollaire enculé, qui à eux deux fournissent une base extrêmement solide, et même majoritaire, au répertoire juvénile des outrages. J’ai entrepris avec eux de réfléchir au sens de ces mots et à tenter d’élucider pourquoi l’homosexualité servait à ce point de repoussoir. Peut-on accabler quelqu’un pour quelque chose qu’il n’a pas décidé ? Ah mais en fait vous croyez peut-être que ceux qui sont pédés ont choisi de l’être ? Deux ou trois secondes de silence… Puis un petit gars plus audacieux que les autres tente : Ben oui ! Okay. Tu es sûr de ça ? Toi, par exemple, tu as choisi de ne pas l’être ? Le jeune homme botte en touche et répond, du ton de l’évidence, sur un autre registre. Mais, M’sieur, c’est pas normal, être pédé ! D’accord, alors discutons de ce qui est normal. La norme, c’est le plus grand nombre. Par conséquent, certes, les hétérosexuels sont normaux puisqu’ils sont les plus nombreux. Mais des homosexuels, il en est de tout temps, il en est en tout lieu, donc il est également normal qu’il y en ai toujours quelques-uns. Si l’on cherche des statistiques précises sur les pédés, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des homosexuels contrariés qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir hétéros pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des bisexuels qui échappent aux catégories), mais disons, si l’on se fie à quelques recherches croisées sur Internet, que les homosexuels constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça. Par contre si on se met à les chercher et à les énumérer, on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot (ah le fameux lobby gay !).
Une objection fuse immédiatement dans le cercle de cette classe de 5e : Ouais, mais d’après la religion…
Oh putain la religion, la pire de toutes les théories du complot, c’est reparti, c’était fatal, dès qu’on parle de préjugés la religion vient nous emmerder en moins de cinq minutes pour faire croire qu’un préjugé est une Vérité puisqu’elle a été décrétée il y a longtemps. J’ai poussé un long soupir, puis j’ai déclaré que ce qui serait vraiment génial avec les religions, c’est qu’elles se préoccupent de religion. C’est-à-dire qu’elles se consacrent à prouver l’existence de Dieu, et rien qu’avec ça elles auraient de quoi s’occuper, elles n’auraient plus suffisamment de loisirs pour nous dicter ce que nous devons faire de nos culs. Je ne suis pas sûr que le message soit bien passé.
Les religions servent de caution et de légitimation à n’importe quoi, et leur avis est indiscutable puisque c’est la définition même de sacré : on ne discute pas.
À bas le sacré. À bas la légitimation par la religion de la connerie, des préjugés, des violences verbales et physiques. À bas la religion, s’il le faut. Au fait, le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, mais je l’ai déjà mentionné plus haut, je crois.
Éditeur et blogueur depuis avril 2008.
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