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Articles taggués ‘Double tranchant’

Vocations contrariées

08/09/2012 Aucun commentaire

J’ai passé l’essentiel de la journée d’hier à m’exciter le bourrichon entre le bureau de la graphiste (grand merci à elle, au fait, déesse ex-machina) qui a accepté au pied levé de prendre en charge le prochain livre du Fond du tiroir, Double tranchant, et les locaux de l’un des imprimeurs à qui nous avons demandé un devis pour ce même ouvrage, tout cela en compagnie de JPB. Eh, bien, quelle bonne journée j’ai passée ! Le soir je suis rentré chez moi d’une humeur excellente, rayonnant cette euphorie que je connais mais que j’avais un peu perdue de vue cette année, cette joie d’accomplir. J’ai l’honneur de vous informer que je sous-signé maniaco-dépressif, me trouve à cette heure-ci tout en haut de la grande roue – rendez-vous en bas.

J’aime toujours autant faire des livres, ouf. Le moteur est relancé. J’aime l’opération magique qui consiste à donner une forme physique à une cosa mentale. Passer des heures à remettre sur l’ouvrage, traquer la petite bête, inventer la mise en page, agencer les mots, les textes, trouver du sens dans les polices et les couleurs, jouer du colophon, choisir le grammage du papier, caresser un bouffant plutôt qu’un couché, mettre le nez dans les machines, renifler les encres, s’assourdir des rotatives, comparer les mérites du numérique et de l’offset, bricoler la couverture, ajouter des rabats à la dernière seconde juste parce que c’est plus beau… Même sortir la calculette, évaluer le prix de revient et le laps escompté pour atteindre le seuil de rentabilité (l’an 2040, en gros), ne me rebute pas. Ah, comme j’adore ça. (Un seul aspect du métier me semble outrepasser mes compétences : vendre les livre.)

Je crois, je me vante, et pourquoi ne me vanterai-je pas, que j’aurais fait un pas-trop-mauvais éditeur. On rencontre parfois, dans ce milieu, certain cliché selon lequel les éditeurs seraient peu ou prou des auteurs rentrés, des écrivains frustrés qui compenseraient leur œuvre avortée en publiant celle des autres, moyen de biais d’imprimer malgré tout leur nom sur une couverture. C’est possible, avéré peut-être dans certains cas, je ne préjuge pas. Tout ce que je puis dire, c’est mon sentiment d’occuper une position strictement inverse : éditeur rentré, peut-être bien que j’écris des livres uniquement pour les réaliser. Do it yourself, et on en recause, quand vous saurez la griserie que c’est.

La vocation, « la voix qu’on entend », l’appel, le désir sinon d’embrasser une carrière, au moins de suivre une voie, accomplir pour s’accomplir, en voilà un sujet brûlant, d’ailleurs c’est la rentrée des classes. Qu’est-ce que tu vas faire quand tu seras grand ? À quoi rêvent les jeunes filles, les jeunes gens ? Je ne sais pas au juste, je constate seulement ce qu’on essaye de leur vendre comme vocation en kit, en toc, et j’en suis consterné. Chaque fois que je tombe en ligne sur cette pub de merde, ou l’une de ses nombreuses variantes, où une accorte pétasse maquillée de frais, en tailleur gris ou sous-pull gris aussi, tous crocs dehors, me dit « Toi aussi tu peux devenir trader » , et d’abord j’ai horreur qu’on me tutoie, je suis écœuré, effondré, effrayé. Or c’est souvent, ne serait-ce que sur ce site du « quotidien de référence » , grand thermomètre et petit manipulateur des opinions. Je lis ce quotidien quotidiennement, je suis donc effaré au jour le jour par ce cynisme, comme si je lisais un autre message en-dessous, subliminal, « Toi aussi tu peux devenir trafiquant de drogue/tueur à gages/marchand d’esclaves », toi aussi tu peux te goinfrer, t’en mettre plein les fouilles plein le bide plein le pif, toi aussi tu peux enculer le monde juste avant le déluge. Le jour où la vie en société sera à nouveau possible, voire voluptueuse, on rêvera devant des réclames qui laissent entrevoir la perspective de faire autre chose que du fric,  « Toi aussi tu peux devenir musicien / agriculteur bio / infirmier / archéologue / éducateur spécialisé / astrophysicien /  cuisinier / ostéopathe / professeur d’histoire-géo / assistant(e) social / projectionniste / jongleur sur monocycle / sage-femme / fleuriste / compagnon du devoir / bibliothécaire / coutelier / chômeur décomplexé épanoui et amoureux /  éditeur. »

Il ne faudrait pas que cette rêverie mine ma belle humeur. J’ai un livre à sortir. La souscription ici même dans quelques jours.

Bipenne

01/09/2012 un commentaire

Prière de trancher
Incipit à l’exposition Double tranchant

Médiathèque de Troyes, 15 octobre-31 décembre 2012
Inauguration pendant le 26e salon du livre jeunesse, 18-22 octobre

Premier temps : la lame.
J’ai bénéficié durant l’automne 2011, il y a un an tout juste, d’une résidence d’écriture à Troyes. La bibliothèque de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière est rapidement devenue l’un des endroits de la ville où j’ai pris l’habitude de m’installer pour travailler. Sans doute, mon éphémère situation de « résident », solitaire, concentré, préoccupé par la simple beauté du geste cent fois remise sur le métier, me prédisposait à aimer cet endroit dédié au geste artisanal, autrement dit au génie humain. C’est donc ici qu’est né un texte, Double tranchant, monologue d’un coutelier, rêverie sur l’artisanat autant que sur le rôle symbolique des couteaux dans l’histoire des hommes.
Créer un couteau, c’est créer de la culture, et réciproquement : ce qui n’était qu’une intuition a été confirmé par l’étymologie. « Couteau » et « culture » sont cousins, tous deux issus du verbe latin colere, cultiver, via le coutre, partie tranchante du soc de la charrue.

Deuxième temps : le manche.
Le texte s’est ensuite incarné dans les illustrations de Jean-Pierre Blanpain, partenaire de jeu idéal. Lui-même perpétuel et malicieux artisan, il a décidé que « la forme rejoindrait le fond » et qu’il produirait les images « en les coupant », c’est-à-dire qu’il a opté pour la technique de la linogravure. Sa magnifique série de linos noir et rouge tantôt colle au texte, et tantôt s’en éloigne, ne retenant que la légende dorée ou noire des couteaux (Charlotte Corday, l’un des motifs de sa série, est une marotte qui lui est personnelle, elle n’apparaît pas dans mon texte.)

Troisième temps : les rivets, pour faire tenir ensemble le manche et la lame.
Textes et dessins ont été confiés à un dernier cercle d’artisans, le Centre de création pour l’enfance de Tinqueux. J’ai hâte de revenir à Troyes pour découvrir cette exposition. Si j’ai le temps, j’irai aussi faire un tour à la Maison de l’Outil.

Fabrice Vigne, septembre 2012

Mercato (bilanzeperspectiv 2/2)

10/04/2012 un commentaire

Un peu comme un échange de prisonniers à l’aube, leurs silhouettes émergeant de la brume, au ralenti, sur un pont-frontière. L’agenda de publication des plus-beaux-livres-du-monde au Fond du tiroir se trouve affecté par une remarquable permutation : le livre prévu ici sera publié là, tandis que celui qui devait naître là se retrouvera ici. Les pièces troquées sont les deux textes que j’ai écrits cet automne à Troyes – et dont les titres vous sont déjà connus si vous êtes un familier de ce blog. 

Le FdT envisageait de publier, dès ce printemps, un livre intitulé Lonesome George, une nouvelle sinon pour enfants, au moins avec les enfants, texte de crise et d’actualité, texte comique, violent, et lent. En fin de compte, contrairement à ce que j’avais trop tôt annoncé, ce livre ne paraîtra pas au FdT mais, si tout se passe correctement (rien n’est signé encore), aux excellentes éditions du Rouergue. Attention, cela n’est pas une mauvaise nouvelle. Au contraire, je ne suis pas malheureux d’entrer au Rouergue, d’ailleurs publier chez Olivier Douzou est pour moi une sorte de retour aux sources, puisque c’est chez Douzou (quoique, à l’époque, sous une autre bannière) que j’ai signé il y a dix ans le contrat pour mon tout premier livre.

Seulement voilà : j’avais déjà commencé à gamberger sur Lonesome George, à le rêver comme les précédents sur le mode plus-beau-livre-du-monde, je me stimulais la racontouze éditoriale, j’allais faire ceci, et cela, et pourquoi pas ça aussi, jouer sur les formats, sur la mise en page, sur les polices, ah ah, la gueule du livre… Je jouais à l’éditeur, en somme, j’aime ça : je pense un livre, pas seulement un texte. Et puis dans l’intervalle, le Rouergue se déclare intéressé par ce texte, pour sa collection Dacodac – sous réserve de modifications. J’ai un peu hésité, pas très longtemps, et puis okay, j’ai fait les modifications. Bon. Aux dernières nouvelles, cela ne suffit toujours pas. J’y retourne, en maugréant un peu. De nouveaux amendements s’ajoutent à la première couche. Je ne les regrette pas du tout, hein, je n’étais obligé à rien, il ne s’agit pas d’un director’s cut, le texte modifié est encore mon texte, Lonesome George sera au Rouergue le plus-beau-livre-du monde quand même… Demeure ce petit pincement : je rendrai ma copie, je n’aurai accompli que le texte, je n’aurai pas fait le livre, je me suggère à la Coué que c’est pour le mieux, j’éprouve un lâche soulagement comme on disait à Munich. Au moins celui-ci se vendra-t-il un peu. À paraître cet automne.

Pour autant, cela ne signe pas la mort sans phrase du FdT. Les rêves de livres, les projets plus ou moins anciens, les tirages minuscules (règle d’or locale : plus jamais de tirage au-delà de 300 ex., et 100 serait l’idéal), les visées underground dont le FdT n’aurait pas dû s’extraire, restent d’actualité même lorsque l’actualité se dilue. Ainsi, un autre livre que, quant à lui, j’étais certain de publier chez un autre éditeur (certain de façon irrationnelle, ingénument convaincu de ses capacités de séduction), est présentement en rade, échoué sur le flanc : Double tranchant. Jean-Pierre Blanpain et moi-même l’avons proposé à environ une quinzaine de maisons, et la réponse (quand réponse il y eut) fut à peu près unanime : « Ah comme c’est beau ! Magnifique ! Superbe ! Original ! Poétique ! Mais non merci. » Ce sera donc moi, dit l’oie. Ce magnifique, superbe, original et poétique ouvrage sera selon toute vraisemblance le prochain livre du Fond du Tiroir. Et le plus beau du monde.

Resterait à évoquer la perspective de deux excitantes collaborations, l’une avec l’artiste Adeline Rognon, l’autre avec le musicien Olivier Destephany, ce sera pour une autre fois.

L’homme au couteau entre les oreilles

13/02/2012 4 commentaires

Oyez ! Je parle pour vos oreilles.

Chères oreilles, après la première livraison, voici l’autre volet de l’interview donnée à Vanessa Curton pour RCF. L’essentiel de cette seconde émission, d’une durée frôlant la demi-heure et écoutable sous ce lien, consiste en une lecture in extenso , disons même une interprétation, de la nouvelle Double tranchant. Il y est ensuite question, comme de juste, des diverses incarnations de ce texte, sans omettre de saluer ses admirables compagnons de route, JP Blanpain ou l’équipe de Tinqueux.

Avant de nous quitter, chères oreilles, et de délaisser ce blog pour un nouveau hiatus sans doute assez long, je lance un petit appel à témoin. Durant mes recherches documentaires pour mon conte qui coupe, j’ai pu lire (remerciements tardifs mais chaleureux à Michèle Andrieux, présidente de la Lecture et des Loisirs) la retranscription du témoignage d’un artisan coutelier retraité, et même trépassé, depuis belle lurette, c’est ça qui est beau avec les témoignages enregistrés, ils sont là après nous, vos oreilles pourront encore écouter l’émission quand je serai mort. L’homme à lame, donc, décrivait ses outils, et notamment une large pièce de bois, qu’il s’attachait sur le ventre au moyen d’une ceinture, et qu’il utilisait lorsque pour une raison ou une autre il devait peser de tout son corps sur une pièce qu’il travaillait. Il désignait cette singulière cuirasse du nom de conscience, et ainsi poussait sa conscience sur une mèche qui devait transpercer une soie de couteau, par exemple. Aucun des dictionnaires que j’ai consultés ne confirmant l’acception de cette étrange conscience professionnelle, je soupçonne le particularisme régional, ou patoisant mal retranscrit, ou idiosyncratique. Quelqu’un saurait éclairer ma lanterne ? Allez hop, un livre à gagner, pour le dédommagement.

Foudroyant comme la tortue, mon totem

04/02/2012 un commentaire

Rêvé il y a quelques nuits : je découvre dans la poche arrière de mon jeans un chèque froissé de 4320 euros. Peu à peu les souvenirs me reviennent : à l’époque où j’habitais Troyes, j’avais été embauché pour animer une vente de charité. Un piano était le plus gros lot de ces enchères. C’est Yves Simon qui avait remporté le piano, pour 4320 euros, et m’avait signé ce chèque. Défroissant le chèque, je décide d’en faire un article sur mon blog : « Yves Simon est vachement sympa, il n’a pas hésité à débourser cette grosse somme d’argent pour nos bonnes œuvres. Et à présent, puisqu’il a remporté un piano, il va pouvoir se mettre à la musique ». Après réflexion, je me dis que cette blague est méchante et gratuite, en outre pas très drôle, et que je ferais mieux de ne pas la rendre publique. En plus, ma compagne me recommande la prudence : « Yves Simon est un nom très banal, tu es sûr qu’il s’agit du bon ? Quel qu’il soit, il va vouloir qu’on lui rende des comptes, savoir ce qu’est devenu son chèque… »

Rendre compte de ce qui a été investi durant ma résidence troyenne. Hum.

Selon les jours et les heures, mon totem est la tortue, ou l’ours, ou le pingouin. Là, c’est la tortue qui prend nettement la tête de la course : j’avais prévenu que je ne reviendrai ici que pour annoncer un livre, or j’ai l’honneur de beugler discrètement dans mon sourd porte-voix que mon prochain livre sera Lonesome George, élégie pour un poignant célibataire anapside. N’étant parvenu à intéresser aucun éditeur à cette tortueuse histoire, je me résous bravement à l’éditer au FdT. La partie de mon cerveau « invention d’un livre », voisine du département « écriture classique, moderne et de caractère », s’agite présentement. Parution avant l’été. Bon de souscription à mi-chemin. Si du moins je remets la main sur mon directeur artistique, bon sang je ne sais plus ce que j’en ai fait, j’étais pourtant sûr de l’avoir posé là.

Quant à mon autre projet à court terme, Double tranchant, il se trouve pour l’heure en transit intestinal, ou en lecture, je ne sais plus, je confonds toujours les deux, dans une paire d’officines éditoriales parisiennes, et inch’Allah. Le toujours vert Jean-Pierre Blanpain, co-auteur de cette aventure coutelière, m’a fait remarquer que le terme latin bipennis exprimait à lui tout seul la notion technique « Double tranchant », ce qui ne saurait faire du tort à notre virilité. Puisqu’on en est au rayon physiologie, comme à chaque fois que j’envoie un manuscrit à un éditeur et que la réponse tarde, je viens de me fader ces derniers jours une jolie petite poussée d’eczéma. Faut croire, et c’est un scoop, que mon objectif occulte lorsque je m’adonne à l’auto-édition est de prendre soin de ma peau (et de ma carapace).

Autre avatar de cette nouvelle aiguisée : la lecture publique. Courant janvier, Melle Vanessa Curton m’a aimablement convié à causer devant micro dans les studios de RCF Isère. Le résultat de l’intreviouve fut si copieux qu’il fut finalement décidé  d’en faire non pas une mais deux émissions d’une demi-heure, diffusées à quinze jours d’intervalle. La première, écoutable ici, est consacrée au Fond du tiroir en général, aux conditions de la résidence d’écriture, à mon gros chantier inachevé… La seconde, que je mettrai en ligne dans quelques jours, contiendra la mise en scène et en onde de la nouvelle Double tranchant par votre serviteur (spéchol sinx à Maxime Barral-Baron). Et ci-dessous, en bonus, Melle Corday dessinée par M. Blanpain.

C’est bien parce que c’est vous et que Noël approche (Troyes épisode 94)

20/12/2011 2 commentaires

Ouvrant les yeux ce matin, je fermai le rideau sur un thriller anxiogène dont il ne me reste que des bribes. Mon rêve tournait autour d’un empoisonnement criminel, et d’une femme mystérieuse, empoisonnée ou empoisonneuse, je ne me souviens pas, qui se nommait Clomédia Archipel. Patronyme invraisemblable et connoté, gentiment biscornu comme dans un roman d’Amélie Nothomb. Clomédia Archipel, femme fatale. Je constate, un peu perturbé, que mon cerveau, de nuit, fonctionne à la façon de celui de Nothomb, de jour.

Autre image nocturne : c’est bien parce que c’est vous et que Noël approche, je vous régale ci-dessus avec une linogravure composée par Jean-Pierre Blanpain pour notre projet commun Double-tranchantJe ne voulais rien en dévoiler avant d’être sûr que ce projet aboutisse. Je ne suis toujours pas certain d’où-quand-comment, mais comme la médiathèque de Troyes est partante, la concrétisation sous forme d’expo est désormais en bonne voie – par conséquent je vous régale, profitez. Voyez comme elle est trop mignonne, la famille cro-magnonne. Si tout se passe bien, l’inauguration aura lieu en octobre 2012, pendant le prochain salon du livre de Troyes.

Je n’épiloguerai pas, je ne veux pas tout éventer d’un coup, je ne montrerai rien d’autre avant l’an prochain, je ne vous expliquerai même pas en quoi les dessins que JPB m’envoie au compte-goutte sont à la fois magnifiquement fidèles et fertilement infidèles à mes mots, mais je peux au moins dire ma joie : quel cadeau il me fait. J’avais déjà éprouvé cet immense plaisir avec la Mèche et Philippe Coudray, et aussi, d’une autre façon, en oeuvrant avec un musicien : on écrit un texte, on le confie à un artiste qu’on aime et en qui on a confiance, et il ne reste q’à voir ce qu’il en fait, on reçoit sa vision en boomerang, au mieux on comprend enfin ce qu’on a écrit. Merci mon vieux. Ces allers-retours des idées dans des formes neuves me consoleraient presque de ne pas savoir dessiner.

L’esprit affuté (Troyes épisode 85)

06/12/2011 Aucun commentaire

Ouh ! Comme je suis excité ! Je reconnais et j’aime ce frémissement du livre en train de se faire. Mister JPB (ne pas confondre avec Mister JB) vient de m’envoyer les tout premiers dessins qu’il a pondus pour notre chantier Double tranchant, ouh ! Comme c’est beau ! Mais pour le moment ces illustrations taillées dans le vif de la lino resteront top secret. Je ne les diffuserai pas avant d’être certain de l’endroit où de conserve nous fonçons lentement. Un livre ? J’espère. Il sera beau ? Affirmatif. À paraître chez qui ? No comment. Une expo ? Peut-être bien. Un livre PLUS une expo ? Ce serait parfait.

Pour patienter, je vous rince l’oeil avec un autre dessin de Jean-Pierre, un placide boucher aimable comme du Jean-Christophe Averty, dessin qui n’a rien à voir avec ce qui nous occupe sauf que si, un peu tout de même, les couteaux, la viande crue, le rouge et le noir…

Jean-Pierre m’autorise à reproduire non seulement son oeuvre, mais également le poème de bon goût qui l’accompagne, car il s’agit d’un son et lumière :

PLATS CUISINES
Gros Lapin au jus de chaussettes.
Petit Cochon à la broche
Salade d’oreilles de Petits Curieux
Doigts de Touche-à-tout à la grecque
Mollets de Footballeurs Minimes en pot-au-feu
Tomates farcies au hachis de mensonges
Chair de Poule-mouillée au vin blanc
Terrine de foies de Marmaille aux cèpes
Civet de Mon Poussin aux petits légumes
Côtelettes de Mon Rat au safran
Gigolette de Bichette grand veneur
Petit Biquet en papillottes
Doigts de pieds en éventail
Tenus au chaud prés du radiateur.
Au rayon Traiteur,
Il y a vraiment tout
pour les ôgres pressés

Merci Jean-Pierre, je reprends l’antenne, car l’actualité n’attend pas. Puisqu’on parle de passage à la moulinette, au registre « Vive la France » je vous prie instamment et toutes affaires cessantes de lire cette lettre ouverte au sinistre Guéant. Un instantané terrible sur la situation. Un de plus. Les indices s’accumulent. Gardez l’esprit affuté.

Dans la lune et sur la comète (Troyes épisode 78)

29/11/2011 un commentaire

Je ne sais toujours pas si je serai capable de laisser, en guise de bon souvenir à la ville de Troyes, une exposition, mais si jamais cela advient, je sais d’ores et déjà avec qui. Le meilleur moment de ce mois de novembre en fin de course aura sans doute été ma rencontre avec l’équipe de Dans la lune, le centre de créations pour l’enfance de Tinqueux, traditionnellement chargé de concevoir des expos main dans la main avec le résident troyen. Là, j’ai fait connaissance avec des personnes débordant d’énergie, d’idées, de réactivité, d’enthousiasme, de quoi retendre tous mes ressorts. Leur éthique croise la mienne (lorsque je leur ai déclaré « Je ne me considère pas comme un auteur jeunesse pur sucre, c’est juste que j’adore m’adresser aussi aux enfants » ils ont répondu « Oui, oui, nous non plus, nous aussi » ) et, comble de chance, ils aiment également ce que je fais, donc il y aura peut-être moyen de bâtir quelque chose ensemble. « Ce que je fais » ? En l’occurrence, la nouvelle que j’ai écrite sur la coutellerie, que je considère à tort ou à raison comme un texte spécifiquement troyen, et que j’ai confiée pour illustration à une fine lame de mes amis.

En outre, quand j’ai débarqué chez eux, ils travaillaient sur une exposition à base de Benoît-Jacqueries, c’est dire si j’étais illico dans de bonnes dispositions. Nos relations débutent bien… Sauf qu’elles demeurent très incertaines, étant donnés les délais, les différents partenaires (j’aimerais bien impliquer dans ce projet la Maison de l’outil, mais cela semble peu réaliste), l’avancement des dessins de ladite fine lame… Et surtout le fait que, pour la première fois, ils concevraient une expo à partir d’un écrivain et non d’un univers graphique. Comme l’a dit le maître d’oeuvre des objets trouvés sur la Lune : « Puisque je n’ai jamais travaillé comme ça, ça m’intéresse ! » J’en ai autant à son service.

Bref, si ça se trouve, cet excitant contact initial ne débouchera jamais sur rien de concret, mais ce ne sera pas grave, on verra bien, et dans l’intervalle j’aurai été bien aise de savoir que pareilles gens existent.

En forgeant qu’on devient (Troyes épisode 22)

22/09/2011 un commentaire

J’ai visité ce matin, absolument seul presque tout du long, ce que je perçois comme l’un des joyaux de Troyes : la Maison de l’outil et de la pensée ouvrière.

Accueilli par une soixantaine d’enclumes Botuléennes qui forcent le respect, léger je déambule en terre artisanale. Je redoutais un peu le passéisme sympa, les reconstitutions bon enfant des petits métiers d’antan, en somme du Jean-Pierre Pernaut, mais pas du tout. On a sous les yeux un travail d’historien, et l’historien n’a pas droit à la nostalgie, même et surtout quand il parle de choses mortes : le musée expose 10 000 pièces uniques, tout en sachant que l’outil unique d’autrefois a vécu. « À l’époque moderne, l’outil est conçu méthodiquement pour correspondre au plus grand nombre d’utilisateurs : la relation affective et sacrée entre le travailleur et son outil est, de fait, estompée », paix à son âme – j’ai la sensation, pas du tout triste, de visiter un cimetière. Quand les hommes sont morts on les dépose au cimetière ; quand les objets sont morts on les dépose au musée. (Plagiat de l’incipit de Les statues meurent aussi de Marker et Resnais. Une autre référence cinématographique capitale  pour penser les outils est bien sûr 2001, l’Odyssée de l’espace, qui n’est pas autre chose que l’histoire universelle, racontée de son vrai début à la fin vraie, des rapports entre l’homme et ses outils. Si j’étais la Maison de l’outil, je diffuserais en boucle 2001 dans une salle du musée, même si les reportages sur les Compagnons du devoir, c’est pas mal non plus.)

L’outil est une belle chose, mais surtout une bonne chose, et belle quand elle est bonne, le Bauhaus n’a rien inventé. Je longe des vitrines emplies d’outils de toutes tailles en suspension, entre ciel et terre comme encore dans l’imagination des travailleurs, et la muséographie atteint son objectif : je pense davantage aux mains qui les ont empoignés fermement qu’au bois et au fer. J’observe un vilebrequin, ah oui alors je le trouve beau, on peut j’en témoigne être retourné par un vilebrequin, je mime longuement le vilebrequinage devant la vitrine, heureusement que je suis seul. Je m’attarde encore devant les mille et une estèques du potier. Ou les varlopes (feuillerets, galères, riflards, bouvets double, colombes). L’émotion me gagne pour de bon. Dans le geste de l’homme qui travaille, qui a trouvé ou fabriqué le bon outil  à sa main, et qui grâce à lui, avec lui, archaïque cyborg, fait quelque chose, ne fait pas tout, ne fait pas rien, fait quelque chose, la noblesse et l’orgueil, la dignité et la poésie ne sont pas des slogans, ni de vains mots, même si ce sont des mots silencieux.

Cependant,  je trouve la seconde moitié de  l’intitulé, « … et de la pensée ouvrière », un peu décalée. Ce n’est pas de la pensée, que je vois là, ni à proprement parler ouvrière (ce musée étant strictement dépolitisé, on y parlera à la rigueur de l’ouvrier mais en aucun cas du prolétaire). Ce que je vois est à la fois plus vaste et plus consensuel, c’est le Génie humain. Oui, le Génie est au musée.

Les mains, la noblesse, la poésie, la dignité et silence, le travail par et pour l’outil abouti : je reconnais ce portrait chinois, je pense à mon prolo de grand-père, tailleur de pierre et mineur de fond, et à son atelier, je me souviens de l’odeur et de la lumière de ce refuge déserté, tous les outils qu’il contenait, que j’aurais été bien en peine d’utiliser ou même d’en saisir la finalité…

Au boulot. On y retourne. J’ai une histoire de coutelier à écrire. Londonomètre : 249.