Sus aux hypocrites et aux pisse-froid !

01/05/2021 Aucun commentaire

« Sus aux hypocrites et aux pisse-froid ! » (réplique clef, page 127)

Peau d’homme (Hubert & Zanzim, éditions Glénat), paru il y a plus d’un an, a eu largement le temps de se voir recouvrir de prix et d’éloges – posthumes, puisqu’hélas son scénariste est mort sans rien connaître de ce succès. Le grand bien qu’on m’en disait unanimement me rendait méfiant. J’ai peu de goût pour le consensus critique et n’aime guère ajouter ma fleur aux couronnes déjà tressées. Pourtant, ici je m’incline bas, et me joins volontiers au choeur : Peau d’homme est un livre formidable ! Délicieux, intelligent, gracieux, très nécessaire et archi-contemporain même si l’intrigue se joue à la Renaissance.

Une jeune fille promise au mariage avec un inconnu est initiée à un grand secret par sa marraine (on songe à Peau d’âne de Demy et pas seulement parce que les titres se ressemblent comme deux gouttes d’eau) : les femmes de leur famille se transmettent de génération en génération une peau d’homme qui leur permet, une fois qu’elles s’en sont revêtues, de parcourir le monde en éprouvant la vie et les plaisirs de l’autre sexe. C’est en garçon que l’héroïne enterrera sa vie de jeune fille.

Conte fantaisiste et sexuel, cruel et moral, situé dans une cité italienne du cinquecento, la référence culturelle majeure qu’il induit est naturellement le Décaméron de Boccace. Mais ses sources imaginaires sont bien plus profondes et plus universelles qu’un simple contexte historique. Elles plongent jusqu’aux Métamorphoses d’Ovide, et notamment à l’histoire du devin Tirésias (livre 3, vers 316-338), père et mère de tous les récits ayant trait à l’ambiguïté sexuelle. Dès ce prototype, l’idée fait son chemin que c’est seulement en échangeant son sexe, en changeant de peau, en connaissant successivement « les plaisirs des deux Vénus » (Ovide, III, 323) que l’on a une chance d’accéder à une sagesse supérieure. La fable de Tirésias était irréaliste et ne valait qu’en tant que métaphore de l’empathie ; aujourd’hui les transsexuels sont devenus une réalité sociale, et l’on en vient d’ailleurs à se demander si la raison cachée de toute pulsion transphobe ne serait pas la jalousie envers l’inaccessible sagesse de Tirésias.

Depuis, les grandes histoires de changement de sexe (Orlando de Virginia Woolf) ou ne serait-ce que de travestissement (Le Mariage de Figaro, Certains l’aiment chaud, Victor Victoria, Tootsie…) creusent le même sillon, délivrent la même ouverture d’esprit « au-delà de nos oripeaux », l’art délicat de se mettre dans la peau de l’autre sous couvert de comédie.

Comme il est dans Peau d’homme beaucoup question d’intolérance religieuse (l’idée de départ a surgi chez Hubert à l’époque des pénibles manifs pour tous…), on ne manquera pas d’évoquer aussi le Tartuffe : Zanzim, le dessinateur, est par ailleurs l’auteur d’une adaptation en bande dessinée de la pièce de Molière. Et puis il y a le carnaval, fête joyeuse mais subversive analysée autrefois par Emmanuel Le Roy-Ladurie, qui est montré ici comme la préfiguration de la gay pride.

Ce n’est pas pour accabler Peau d’homme que je multiplie ces références, au contraire : il est à la hauteur.

On a beaucoup qualifié ce livre de féministe. Pourquoi pas, mais les causes qu’il plaide sont plus vastes encore que seulement celle des femmes : la liberté de choix, la tolérance, le respect, l’émancipation, en fin de compte l’amour. Le mari de l’héroïne est tout aussi intéressant que celle-ci, tout aussi légitime et respectable, tout aussi victime de la pression sociale, tout autant fragile et sauvé par la rebellion. En tant qu’homme je me sens exactement aussi concerné par ce conte que si j’étais de l’autre bord. Ou entre les deux. Ou déguisé en Jessica DeBoisat.

En outre, Peau d’homme fait du bien par son optimisme final. Il ne désespère pas de l’avenir, ce qui est bon pour la santé. Autre réplique clef, page 150 :

« Les choses sont revenues à la normale, le fanatisme religieux n’est plus à la mode. »

J’ai raison

26/04/2021 Aucun commentaire
Tampon J’ai raison, création du Tampographe Sardon, en vente ici :
https://tampographe.com/ustensiles-varies/85-j-ai-raison.html

Il faut se lever de bon matin pour trouver un point commun entre Albert Camus et Louis-Ferdinand Céline.

Or figurez-vous que je me lève de bon matin, puisque ce sont deux auteurs que je lis sans discontinuer (et qui apparaissent tous deux en filigrane dans Ainsi parlait Nanabozo, avis aux chasseurs de références). À force d’infini même les lignes parallèles finissent par se croiser (je me comprends). Voici que je note une citation de chacun, où l’un et l’autre semblent parler de la même chose, c’est-à-dire de l’an 2021 :

« Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et l’amitié des hommes, ce silence est la fin du monde ».
Albert Camus, Le Siècle de la Peur (Combat, 1948)

« Au confrère : – Je vais être bien content à lire votre Tropic. – Déjà ce que j’ai parcouru m’intrigue et me donne bien envie de tout connaître. Puis-je me permettre une toute petite indication dans un genre que je connais assez bien. Soignez bien votre discrétion. Toujours plus de discrétion ! Sachez avoir tort – le monde est rempli de gens qui ont raison – c’est pour cela qu’il écœure. – Bien à vous. L.-F. Céline. « 
Louis-Ferdinand Céline, Lettre à Henry Miller, suite à la réception de Tropic of Cancer (octobre 1934)

Et tant que j’y suis, une autre lecture d’un écrivain du XXe siècle qui me fait réfléchir sur le XXIe.

Lisons les deux premières strophes d’À ceux qui viendront après nous (An die Nachgeborenen), poème écrit en 1939 par Bertold Brecht :

Vraiment, je vis en de sombres temps !
Un langage sans malice est signe
De sottise, un front lisse
D’insensibilité. Celui qui rit
N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.

Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits !
Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue
N’est-il donc plus accessible à ses amis
Qui sont dans la détresse ?

Ce poème noir en forme de dernier avertissement avant la catastrophe est à la fois universel et horriblement daté. L’idée que « parler des arbres » serait une frivolité de luxe, une diversion inconsciente, un bavardage indécent ou un écran de fumée complice des crimes n’est plus de mise, tant le sort des arbres est lié au nôtre.

Parlons des arbres ! Puisque c’est parler de nous. Parlons de leur mort, puisque c’est notre suicide.

Rappels : l’arbre est une pièce maîtresse de l’écosystème mondial, son abattage entraîne l’effondrement du reste façon dominos ; il disparaît dans le monde chaque année depuis 15 ans 80 000 km2 de forêt (solde tenant compte de la reforestation), soit la surface de l’Autriche ; la forêt amazonienne, que l’on n’ose plus appeler « poumon du monde » tant elle est métastasée, disparaît à un rythme de 1350 m2 chaque seconde, ce qui correspond à un terrain de football toutes les 7 secondes, et son extinction complète est prévue pour 2050 ; l’Union Européenne est le deuxième responsable de la déforestation mondiale ; maladie plus locale, les forêts d’épicéas ont brutalement disparu dans l’est de la France, quasi-intégralement en trois ans, la faute au scolyte, petit coléoptère qui s’épanouit grâce au dérèglement climatique. Etc., etc.

Des génies et des escrocs

18/04/2021 Aucun commentaire

Dans l’interminable série La pub c’est de la merde je vous propose l’épisode du jour : la campagne des « Dirigeants commerciaux de France » .

Tout à l’heure j’attendais le bus, et comme il n’en passe pas bézèf en période de vacances scolaires, j’ai subi pendant près d’un quart d’heure dans l’abribus le voisinages de cette merde, je veux dire cette pub plus grande que moi.

Comprenons bien le message : « Quand j’étais petit et que j’étais tromignon, j’adorais me déguiser et jouer à être un artiste et un guitar-hero, mes parents me prenaient en photo quand je faisais des pestacles et ils avaient plein de likes sur Facebook. Mais ensuite j’ai atteint l’âge de raison, je suis devenu responsable, j’ai remisé les instruments de musique dans mon coffre à jouets entre mon nounours, mes crayons de couleurs et mon chapeau de cowboy, j’ai atteint la maturité et j’ai accompli mon destin : je suis devenu dirigeant et commercial de France. Désormais j’ai un vrai métier, plein de « créativité, d’expertise et d’empathie » et je peux me foutre de la gueule de ces maudits fainéants d’intermittents qui crèvent la dalle faute de la moindre once de créativité, d’expertise et d’empathie, ah ah, la preuve ces cons-là ont perdu un tiers de leur pouvoir d’achat au cours de l’année 2020. »

Une fois que j’ai bien vomi et que j’ai pris mon bus, je continue, à mon grand âge, à faire de la musique et c’est bien.

Jeudi 15 avril 2021, j’ai mené avec Marie Mazille un atelier de création de chansons express, parc Géo-Charles, Echirolles (avec la bénédiction de la Maison des écrits, merci Margaux).
Le principe : nous déambulons dans le parc, nous discutons quelques minutes avec les promeneurs, enfants ou retraités ou n’importe quelle tranche d’âge entre les deux, nous prenons des notes sur leur humeur du moment, et nous en tirons une chanson en dix minutes max. Neuf chansons ont ainsi été créées en deux heures (aucune n’est déposée à la SACEM). Nous nous sommes bien amusés, merci bravo ! Un bref extrait ici. Et des photos là. Et puis une autre escroquerie géniale ici.

En débriefant sur le chemin du retour, Marie résume à merveille le travail accompli : « Nous sommes à moitié des escrocs et à moitié des génies. » Certes ! Mais du moins ne serons-nous jamais des dirigeants et commerciaux de France.

52

17/04/2021 3 commentaires

Aujourd’hui j’ai 52 ans.

L’âge qu’avait Henri Calet à sa mort en 1956. Peau d’ours est le roman qu’Henri Calet a ruminé pendant les cinq dernières années de sa vie, et qui aurait dû s’ajouter à son cycle d’inspiration autobiographique (le mot autofiction n’existait pas). Le titre en est devenu tristement prophétique : la peau de l’ours était vendue avant d’être entièrement écrite. En subsiste un livre posthume qui n’est pas un roman, seulement une liasse de brouillons, de notes personnelles au quotidien (le mot blog n’existait pas non plus), de correspondances et de fulgurances, qui laisse rêver au plus beau roman qui se puisse être : celui qu’on rêve et qu’on ne finit pas. La mort a bon dos.

J’ai la joie d’annoncer que par fortune je ne suis pas mort et que le roman que, pour ma part, je rumine depuis cinq ans, qui s’intitulerait Peau de lapin plutôt que Peau d’ours, est correctement parvenu à son terme. Il sort en librairie dans un mois.

Autres morts à 52 ans que je viens de coiffer au poteau et qui méritent ici au minimum un petit hommage : Frank Zappa, François Truffaut, Chaval, William Shakespeare, Jean-Patrick Manchette, Jules Vallès, Joe Brainard (qui a inventé I remember avant que Perec n’écrive Je me souviens), Christopher Reeve, Henri-Désiré Landru, Erwin « Renard du désert » Rommel, Pierre Drieu la Rochelle, Mort Shuman, Grace Kelly, Jacno (le chanteur, pas le graphiste), Johann Pachelbel, Gérard Grisey, François Ier, Frank Rosolino, Jean Pain, Henry Houdini, Marcus Garvey, Philippe Escafre dit Coyote, Francis Blanche, Paul Desmond, Patrick Edlinger, Valérie Benguigui, Christian Dior, Helen McCrory.

Désolé, les gars, I Will survive.

Archéologie littéraire de la fake news (4/6) : Mark Twain contre Adolf Hitler

12/04/2021 Aucun commentaire

(Précédents épisodes : 1 – Machiavel, 2 – Jonathan Swift, 3 – Armand Robin)

Poursuivons notre archéologie littéraire des fake news avec un doublon contre-nature. On trouve en librairie deux livres frappés du même titre, L’art de mentir. L’un est signé Mark Twain (1835-1910), l’autre Adolf Hitler (1889-1945). Ces deux-là seraient peut-être stupéfaits de la coïncidence éditoriale, observable exclusivement en France. Par association d’idées surgit un troisième larron : on songe que L’art de mentir pourrait en outre tenir lieu de titre adéquat au fameux best-seller de Donald Trump (l’homme aux 30 000 mensonges recensés en 4 ans de Maison Blanche) intitulé en réalité The art of the deal, ce qui n’est qu’une périphrase.

1) Twain

Si l’édition courante du texte de Mark Twain s’intitule bien L’art de mentir (éditions de l’Herne, 2012), son titre complet est plus nuancé, Sur la décadence de l’art de mentir (On the Decay of the Art of Lying). Il s’agit d’un bref essai de circonstance, exposé sarcastique rédigé en 1880 pour une conférence du Historical and Antiquarian Club of Hartford, Connecticut. Twain exprime ses regrets qu’à cause de l’injuste mépris dans lequel on tient le mensonge, on ne sache pas aussi bien mentir qu’on le devrait :

Le mensonge, en tant que vertu et principe, est éternel. Le mensonge, considéré comme une récréation, une consolation, un refuge dans l’adversité, la quatrième grâce, la dixième muse, le meilleur et le plus sûr ami de l’homme, est immortel et ne peut disparaître de la terre tant que ce Cercle existera. Mes doléances ont trait uniquement à la décadence dans l’art de mentir. 
Aucun homme de haute intelligence et de sentiments droits ne peut considérer les mensonges lourds et laids de nos jours sans s’attrister de voir un art noble ainsi prostitué.
(…)
Le mensonge est universel. Nous mentons tous. Nous devons tous mentir. Donc la sagesse consiste à nous entraîner soigneusement à mentir avec sagesse et à propos, à mentir dans un but louable, et non pas dans un nuisible, à mentir pour le bien d’autrui, non pour le nôtre, à mentir sainement, charitablement, humainement, non par cruauté, par méchanceté, par malice, à mentir aimablement et gracieusement, et non pas avec gaucherie et grossièreté, à mentir courageusement, franchement, carrément, la tête haute, et non pas d’une façon détournée et tortueuse, avec un air effrayé, comme si nous étions honteux de notre rôle cependant très noble. Ainsi nous affranchirons-nous de la fâcheuse et nuisible vérité qui infeste notre pays.

Puisque notre démarche est celle d’un archéologue des idées, précisons que Twain a beau être l’un des pères fondateurs de la littérature américaine, il s’inscrit ici, de façon américaine et par conséquent pragmatique, dans une controverse purement européenne, celle qui fit suite à l’énonciation en 1785 de l’impératif catégorique de Kant, n’envisageant le bien de l’humanité qu’en proportion de la vérité exprimée. On se souvient de la passe d’armes entre Kant et Benjamin Constant, ce dernier tenant au contraire que tout le monde n’a pas droit à la vérité : « Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences directes qu’a tirées de ce premier principe un philosophe allemand, qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. » (in Des réactions politiques, 1796)

Avec Constant, la vérité cessait d’être une valeur absolue pour n’être due qu’à ceux qui la méritent… Son relativisme permettait les débats sans fin entre les littéralistes (il faut s’en tenir à la lettre et aux principes – dire la vérité) et les contextualistes (il faut tenir compte du contexte) ; et du même coup ouvrait grand la porte à l’ironie des satiristes pro-mensonges, tels Twain en Amérique ou Oscar Wilde en Angleterre qui, presque simultanément (1891) écrit un texte au titre voisin, The decay of lying, dans lequel un personnage déplore que la décadence du mensonge en tant qu’art, science et plaisir social ait entraîné le déclin de la littérature moderne…

2) Hitler

Quant au « livre » d’Hitler, sans doute l’un des objets les plus curieux issus de ma bibliothèque, il porte lui aussi un titre complet plus spécifique et circonstancié : L’art de mentir : petit manuel à l’usage de tous ceux qui s’exercent à l’art délicat du mensonge, illustré de quelques exemples choisis, dûs à la plume des « Maîtres du monde » [avec accent circonflexe sur dûs].

Entre temps nous avions inauguré le XXe siècle : le mensonge avait cessé d’être une pomme de discorde pour cénacle philosophique ou un privilège pour dandy ironiste, il était devenu un métier, une technique, une spécialité.

Cette élégante brochure anonyme à frise de swastikas, 36 pages, format poche, reliée par deux agrafes, imprimée en 1944 par le Bureau d’information anglo-américain, est l’un des rouages de la guerre psychologique et guerre de propagande, qu’était, aussi, devenue la Seconde Guerre Mondiale. Il est un précurseur du fact-checking aussi bien que les nazis étaient des précurseurs de la fake news : chaque page confronte un mensonge factuel d’Hitler ou de Goebbels (je suis un pacifiste, c’est l’ennemi qui veut la guerre, l’ennemi commet des atrocités tandis que nous sommes respectueux des populations et des cultures, il n’y a pas de censure en Allemagne, et, globalement, nous vaincrons car nous sommes les plus forts) à la réalité de terrain qui exprime évidemment l’inverse. Le très joli livret beige est en sus orné de caricatures signées Rowland Emett (1906-1990), pilier de la revue satirique Punch. A-t-on besoin de redire l’utilité et la force de frappe de la caricature pour la critique politique ? Oui.

Je reproduis l’introduction originale de l’ouvrage :

Il y a encore une dizaine d’années, le personnage du Baron Münchausen, gentilhomme allemand, occupait la première place dans la liste des grands menteurs de l’histoire. Depuis lors, le pauvre baron s’est vu dépouiller de ses lauriers au profit d’un, ou plutôt, pour être tout-à-fait exact, de deux de ses compatriotes ; et il faut bien dire que les successeurs de Münchausen ont su porter le mensonge sur un plan qu’il n’avait jamais atteint avant eux. Le baron, en effet, ne faisait qu’exploiter l’ignorance de ses auditeurs. Il leur parlait de contrées étranges et d’animaux fabuleux qui, en fait, étant donné le peu de choses que savaient les gens à cette époque, auraient fort bien pu exister sans qu’il le sût. Tandis que les Grands Prêtres modernes du Mensonge se moquent comme d’une guigne que le soleil brille lorsqu’ils affirment qu’il fait nuit. Ils soutiennent que plus le mensonge est gros, et plus il a des chances de passer pour la vérité. Pour qu’un mensonge atteigne son but, disent-ils, il faut qu’ils soit énorme, cynique, et tonitruant ; il faut qu’il soit de taille à porter aux gens un coup qui les assomme et les laisse pantois. Il faut qu’ils finissent par chanceler, pris de vertige, tandis qu’on leur répète à satiété que ce qu’ils voient devant eux n’est qu’une illusion.
Le candidat à la carrière de menteur ne pourrait mieux s’y préparer qu’en lisant d’un bout à l’autre les œuvres des deux plus grands charlatans qui se soient jamais vus sous la calotte des cieux. Que ce candidat ait toujours à portée de sa main un exemplaire de Mein Kampf, de Hitler, car c’est la Bible du mensonge. Il y trouvera tous les principes de la Duperie et les leçons de la Dissimulation. Qu’il ne néglige point cependant les manifestations plus ordinaires du Mensonge, et qu’il recueille avec soin les perles inestimables que la radio et les presses d’imprimeries nazies laissent tomber chaque jour. Qu’il écoute, qu’il observe, qu’il retienne ; et s’il ajoute à sa peine un tant soit peu d’imagination, alors une brillante carrière l’attend à la Whilhelmstrasse [adresse de la chancellerie et de nombreux ministères du Troisième Reich dont celui de l’office aux affaires étrangères]. Là, il pourra tout à loisir renier père et mère, religion ou patrie, et cela d’autant mieux que la nature l’aura gratifié d’une poitrine d’airain, d’une voix de stentor et de glandes à venin.

Mein Kampf étant aujourd’hui un best seller un peu partout dans le monde (en France n’importe qui peut l’éditer depuis son entrée dans le domaine public en 2016, mais on préfèrera évidemment la monumentale édition critique intitulée Historiciser le mal), il était juste et salutaire que le fascicule L’art de mentir fût également réédité. Mission accomplie en janvier 2021 par les excellentes éditions Wombat, qui font bien mention de l’auteur Adolf Hitler sur la couverture (et effacent l’accent circonflexe sur le mot dûs), mais l’amateur trouvera sans difficulté l’original sur le marché de l’occasion, à prix raisonnable. J’imagine que la rareté et la spéculation sont évitées en raison du tirage gigantesque de l’objet, des dizaines ou des centaines de milliers d’exemplaires peut-être ? Largués sur les populations françaises en même temps que des armes et des parachutistes anglais…

Prochainement sur cet écran : cinquième et dernier épisode provisoire, avec du Nietzsche et surtout du Pierre Bayard !

La même bouille que Pierre Perret

06/04/2021 Aucun commentaire

Depuis que mon vieux père est vacciné, je recommence à lui rendre visite, et je m’en trouve fort bien puisque je savoure les histoires qu’il me raconte, aussi vieilles que lui, mélange habituel d’anecdotes que je connais et d’autres que je ne connais pas. Aujourd’hui il m’a raconté l’histoire de la Lamborghini. Et je l’ai trouvé tellement bonne que je vous l’écris, je la raconte à mon tour pour ne point la laisser perdre.

Cette histoire-là a été déclenchée par un aveu de ma part, un aveu d’ignorance à propos de ce que faisait mon paternel pour gagner sa vie quand j’étais enfant.

« Au collège, au lycée, au moment de remplir la fiche sur les métiers des parents, j’écrivais « Ingénieur des mines » mais je n’avais pas la moindre idée de ce que cela voulait dire. Je me disais, ça a sûrement un rapport avec les mines comme celle de La Mure, mais c’était flou. J’ai mis très longtemps à savoir ce que c’était, ton métier.

– Ingénieur des mines ne veut plus rien dire du tout, mais déjà à l’époque où j’ai commencé ma carrière, le service des mines commençait à être vidé de sa substance. Le corps des mines était constitué d’ingénieurs et était toujours dirigé par un polytechnicien major de sa promo, ils étaient censés être l’élite, les plus intelligents, les plus prestigieux, les visionnaires de la France industrielle et énergétique, des tronches… ce qui d’ailleurs ne les empêchait pas, parfois, d’être complètement cons. Mais lorsque j’y suis entré, les « mines » servaient surtout à faire passer le contrôle technique des voitures, de leur accorder leurs papiers d’immatriculation. De là le nom « plaque minéralogique », d’ailleurs. Qu’est-ce que je foutais là, moi ? J’étais ingénieur chimiste, j’étais très fort en chimie, à l’époque en tout cas, mais qu’est-ce que j’y connaissais en bagnoles, en mécanique, en conformité d’un moteur ? Rien du tout. Bon, j’étais ingénieur, j’ai appris sur le tas, j’ai fini par en savoir pas mal, et je faisais passer le contrôle technique, quoi. Je t’ai déjà raconté l’histoire de la Lamborghini ?

– Non, ça ne me dit rien…

– Quand j’ai commencé à travailler à Toulon, je contrôlais des véhicules de transports en commun, des voitures de collection, parfois même des voitures de sport. Parmi les individus que je voyais régulièrement, il y avait ce type, très sympathique, qui avait la même tête que Pierre Perret, tu te souviens de la tête de Pierre Perret ? Une bouille ronde, malicieuse, toujours le sourire, des cheveux frisés, amical, chaleureux comme tout.

Il importait des voitures d’Italie, des Fiat ou d’autres marques, on le voyait tellement souvent dans les bureaux des mines qu’il y était presque comme chez lui, il discutait avec les secrétaires, les faisait rire, passait derrière elles et fouillait dans les placards pour prendre le bon formulaire en disant « Ne vous dérangez pas, ah ah, je sais où c’est ! », il avait toujours un mot gentil, tout le monde l’aimait bien. Moi aussi je discutais avec lui, « Alors, les affaires ont l’air bonnes, vous en importez beaucoup, des voitures italiennes », il répondait volontiers, « Oui, en ce moment ça marche fort, depuis la dévaluation de la lire, les Italiens ne demandent pas mieux que de faire rentrer des francs, alors j’achète, je vends… »

Et puis un jour, je me souviens qu’il faisait très chaud, ça devait être l’été, je dirais 1973 ou 74, il arrive encore plus joyeux et débonnaire que d’habitude, il commence à remplir les papiers et me dit que cette fois il a une voiture exceptionnelle, une Lamborghini, et il est impatient de me la montrer. Je prends mes outils et je l’accompagne pour le contrôle. Je ne suis pas expert en bagnoles, ça ne m’a jamais passionné mais tout de même je reconnais que c’est une belle voiture, classe, flambant neuve, brillante, noire, aussi noire que les Ferrari sont rouges. Tu savais que Lamborghini, au départ, fabriquait des tracteurs ? Mais il était copain avec Enzo Ferrari et lui avait dit « Moi aussi si je voulais je pourrais en fabriquer des voitures de luxe, aussi belles que les tiennes ! Encore plus belles ! » Ferrari s’était marré, s’était foutu de lui, lui avait dit Mais je t’en prie, fais-toi plaisir, fonce, fais-nous un beau tracteur… Et Lamborghini les avait faites, ses voitures encore plus belles que des Ferrari. (1)

Et j’en avais une sous les yeux, pour la première fois de ma vie. J’effectue le contrôle, nous allons faire un tour, je m’installe côté passager, le gars au volant roule un peu plus que nécessaire tellement il est content, on contourne quelques pâtés de maison. Et il me dit : « Écoutez, c’est pas tous les jours, ça me fait tellement plaisir, que si vous voulez, je vous paie le resto ! Un petit gueuleton pour fêter la Lamborghini, ça vous dit ? Hein ? » Je réponds que non, tout de même, ça serait de la corruption de fonctionnaire, et ça nous fait rire tous les deux, mais que bon, comme il fait très chaud, allez, je ne dirais pas non à une petite bière. Aussitôt qu’il croise un bar sur la route, il freine, il se gare sur le trottoir d’en face et il m’invite à boire une bière. Je bois ma bière et on continue de discuter très gentiment… Et par la vitrine je vois une voiture de la police de la route s’arrêter dans la rue et coller à la Lamborghini une contravention, pour stationnement sur le trottoir. Le gars sort du bar, sa bonne humeur à peine entamée, et va discuter avec les flics. Je voyais qu’il était un peu ennuyé, pas tellement pour le montant de la prune, il était au-dessus de ça, mais pour le principe. Enfin bon, moi j’avais signé les papiers, j’avais fini mon boulot, bu ma bière, ça ne me regardait plus…

Deux jours plus tard, ou peut-être après le week-end, à la première heure deux flics débarquent dans mon bureau. Mais des vrais ceux-ci, la criminelle, pas la police de la route. Ils demandent à parler à l’ingénieur qui fait passer les contrôles, s’assoient devant moi et me mettent une photo sous le nez. « Est-ce que vous connaissez cet homme ? » Bien sûr que je le connaissais ! La bouille ronde et frisée, le sosie de Pierre Perret, je leur dis : « Oh oui bien sûr je le connais bien, il est là souvent, très sympa ! » Les flics se regardent, puis me regardent, sans sourire. « Nous sommes à sa recherche. Pouvez-vous nous dire son nom ? »

Alors là… « Son nom ? Heu… Ben maintenant que vous me posez la question, je me rends compte qu’il ne me l’a jamais dit. Mais demandez aux secrétaires, elles le connaissent forcément, elles l’aiment bien, il discutait sans arrêt avec elles. » Les flics interrogent les secrétaires, qui fouillent dans leurs dossiers… Rien. Le nom du gars n’apparaît nulle part. La signature est illisible.

Je suis très embêté, j’ai conscience que nous passons pour des gens pas très sérieux et négligents, je cherche comment je pourrais me rattraper. « Écoutez, il y a peut-être un moyen de le retrouver. Vos collègues de la police de la route lui ont mis une contravention il y a deux jours pour stationnement sur un trottoir, une Lamborghini. Demandez-leur, ils doivent l’avoir écrit, son nom, une Lamborghini, ça ne court pas les rues dans le département… » Ils prennent des notes, me remercient, s’en vont.

Le lendemain, j’ouvre le journal, Var Matin. Le type est là en photo. Toujours sa bouille de Pierre Perret mais les menottes aux poignets et encadré de deux flics à képis. Titre : « Un vaste réseau de trafic de voitures volées en Italie démantelé. » J’ai eu longtemps la trouille qu’ils reviennent me voir et me soupçonnent de quelque chose, je ne sais pas, recel, complicité, corruption. Mais non, rien, je n’en ai plus jamais entendu parler.
– Eh ben ! Quelle histoire !
– Attends, attends, elle n’est pas tout à fait finie. Il y a une chute. Dans l’article, le gars arrêté expliquait en détail les rouages de son trafic, et il disait quelque chose comme : « Je remercie l’administration française qui m’a toujours très bien reçu. »

C’est à ce moment que j’explose de rire et que je suis content de ma journée. Vous voyez, elle est bonne, l’histoire de la Lamborghini, et méritait de ne pas se perdre, pas vrai ? À nouveau, je m’estime très chanceux de pouvoir recueillir ces histoires, c’est inespéré, il y a quelques années encore je pensais que je ne reverrais jamais mon père… Mais ceci, comme disait Kipling, est une autre histoire.


(1) – Moi qui suis tout-à-fait ignorant en voitures, et qui ne suis capable de les distinguer que par leurs couleurs (la mienne est grise… par malheur dans les années 2020 elles sont toutes grise), j’ai dû demander à Google si Lamborghini existait encore… Oui ! Et se porte très bien, comme tous les produits de superluxe réservés aux superriches.

Là où les gens chantent

27/03/2021 Aucun commentaire

Le jour où les trois mots « Villeneuve de Grenoble » n’appelleront plus le commentaire « Ah oui, je vois, c’est là où les voitures brûlent » mais plutôt « Ah oui, je vois, c’est là où les gens chantent », le genre humain aura fait un tout petit pas vers la sagesse. C’est ça, ouais, d’ailleurs ce jour-là il n’y aura plus de misère, les soldats seront troubadours, et nous, nous serons morts, mon frère.

Il se trouve qu’à titre personnel, à la Villeneuve, je connais davantage de gens qui chantent que de voitures qui brûlent. Et même que je chante avec eux, parfois. Quelques unes de ces chansons ont été enregistrées sur un bel album à paraître en juin, sur lequel j’ai contribué en donnant de la voix sur les choeurs, aussi en lisant quelques textes écrits par d’autres, enfin en écrivant une sorte de préface à l’objet, ci-dessous.

L’album paraîtra au mois de juin. Il est à craôdfâoun’der sur Ulule tout-de-suite-maintenant. À l’attention des plus fortunés, notons que l’option deluxe prévoit un concert dans votre salon. Oui, j’y serai. Quand faut y aller.

À la circulaire

Que faire ? La question est toujours la même. La réponse, selon les temps, selon les gens, selon les confinements, prend les formes les plus diverses. Sinon on s’ennuie.

Que faire pendant le premier confinement (printemps 2020) ? « À la verticale » : un immeuble qui chante. Imagine, un calendrier de l’avent grand comme une façade, dont toutes les fenêtres s’ouvrent en même temps et à heure fixe pour laisser échapper quelques chansons.

Que faire pendant le deuxième confinement (automne 2020) ? « À l’horizontale » : un livre. Imagine, couchées sur papier, ces belles paroles, ces belles musiques, ces belles images, ces belle âmes. Le tirage s’arrache comme une fournée de petits pains.

Que faire pendant le troisième confinement (printemps 2021) ? « À la circulaire » ! Oh oui, quelle bonne idée, faisons un disque ! Qui tourne rond ! C’est notre « tournée » !

Les idées longues, les idées larges, les idées rondes, c’est de Marie Mazille et Adeline Guéret qu’elles fusent, depuis le 170, galerie de l’Arlequin, Villeneuve, Grenoble. Nous autres, on court derrière, on tâche d’être à la hauteur (et à la largeur, et à la rondeur), parfois on s’essouffle, surtout qu’en même temps on rigole. Oui, c’est vrai, on rigole beaucoup. Au moins cette réponse-ci est constante face à la question éternelle. Que faire ? Rigoler, pardi.

Mais pas tout le temps. Attention, tout ne prête pas à rire. Quand Marie me dit : « Viens chanter avec moi, on enregistre des chœurs sur La Paysanne !», je dis oui d’accord et j’arrive, comme d’habitude, mais une fois en studio, casque sur les oreilles, j’arrête de rire. Formidable découverte, cette Paysanne. Hymne national alternatif, bien moins con(nu) que la Marseillaise, écrit par Gaston Couté (1880-1911), composé par Gérard Pierron. Je l’ai chanté avec Marie, presque solennellement je l’avoue, et j’en ai frémi. Quelle modernité, quelle sagesse, quelle puissance politique, quelle leçon ! Écoute le couplet sur les filles-mères, il parle de tolérance et de #metoo ! Écoute celui sur les religions, ces dieux féroces et maudits ! Écoute celui sur le Capital qui ne fait germer que la misère ! En ce qui me concerne, la Paysanne réussirait presque à remplir sa mission d’hymne national, me rendre fier d’être français.

Que faire ? Rêver les hymnes alternatifs. Les alternatives, tout court.
Que faire ? Se tenir droit, la main sur le cœur, et chanter. C’est important, se tenir droit. « À la verticale ». Retour au début. Normal : un disque, c’est rond.

Fabrice Vigne, 28 mars 2021

S’avachir dans le ventilo

25/03/2021 Aucun commentaire

J’émerge bouleversé de la lecture du pavé signé Seth, Clyde Fans. Cette bande dessinée magistrale (1) est l’aboutissement de 20 ans de turbin (1997-2017), publié en épisodes dans le magazine personnel de l’auteur, Palookaville, puis compilé en un recueil somptueux sous coffret, en VO chez Drawn & Quarterly, en VF chez Delcourt, 18 ans après un chapitre publié chez Casterman Ecritures sous le titre Le Commis voyageur.

Car c’est bien, comme dans la pièce d’Arthur Miller, la tragédie d’un commis voyageur qu’on nous raconte. Et même, de deux : Abe et Simon Matchcard, les deux fils de Clyde Matchcard, fondateur fictif qui fonda dans le Canada des années 50 une société de vente de ventilateurs qui, elle, était réelle. Les deux frères sont aussi différents que possible, n’ayant en commun que l’essentiel de leur destin : l’hérédité du ventilo. Autant en emporte le vent.

500 pages de tragédie tranquille, de mélancolie graphique, de profondeur proustienne tapie dans la pureté des lignes d’objets manufacturés (Seth a toujours été un as du design), et d’affres de représentants de commerce. Le deuxième partie, sur les cinq que compte ce chef d’œuvre, narre les mésaventures du frère cadet, Simon, qui par devoir familial s’essaie au métier de VRP alors qu’il n’a pas la moindre prédisposition pour cela. Il encaisse toutes les humiliations, toutes les désillusions, tous les dégoûts, puis s’enfuit vers ce qui se révèlera une expérience mystique inattendue.

Comment trouver le sens de sa (de la) vie en essayant de vendre quoi que ce soit ? Quel est ce métier, quel est ce monde, quel est ce mode de vie où il faut vendre ou mourir ?

J’en ai eu le cœur pogné d’empathie. Ce récit m’a rappelé ma propre expérience de représentant en livres, éphémère et tragicomique. Rediffusion au Fond du tiroir : Ma vie de VRP, un article de 2010.

En guise d’épilogue au vieil article je peux ajouter que jamais je n’ai récupéré les quelques exemplaires que j’ai ce fameux jour laissés en dépôt…

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(1) – Prière de ne pas m’enquiquiner avec l’expression absurde roman graphique même si elle figure sur la couverture de l’objet. Je reste d’accord avec mon moi-même de 2013 : le label « roman graphique » est désormais projeté au pistolet à étiquettes sur toute BD snob et chère alors qu’il n’a eu de pertinence que pour l’endroit, pour la langue et pour l’époque où Will Eisner l’a inventé, New York, 1978. Une bande dessinée est toujours une bande dessinée, c’est-à-dire une histoire racontée par une suite d’images. Sa dignité dépendra de sa qualité et de son auteur, pas de la façon dont on l’appelle.

Hasta la vista, baby

21/03/2021 Aucun commentaire

Je suis moins snob que j’en ai l’air : si j’ai horreur du popcorn, en revanche je ne boude pas les gros blockbusters américains, du moins lorsqu’ils ont quelque chose à me dire.

Je viens de voir Terminator 6 : Dark Fate (Tim Miller, 2019) et j’y ai pris du plaisir. Qu’avait-il à me dire, celui-ci ?

Primo, que l’époque a changé. Que les femmes fortes sont plus fortes que les hommes forts ayant accaparé le pouvoir depuis des millénaires (un peu comme dans Mad Max Fury Road de George Miller), okay, leçon moderne toujours bonne à prendre, les filles ne sont plus là seulement pour être protégées parce qu’elles doivent accoucher du messie mâle (ledit messie, MacGuffin de la franchise, étant exécuté dès la première scène !), elles agissent pour et par elles-mêmes, elles se lèvent et elles se cassent.

Secundo, que l’époque n’a pas changé. Que le grand combat à mener, initié dans les années 80 (Terminator 1, 1984), reste celui des humains contre les machines. Le synopsis de tous les Terminators est inchangé depuis 35 ans : les humains ont confié leur destin aux machines, les machines ont pris le pouvoir, les humains ont disparu. Sauf si… (et là, l’aventure recommence.)

Puisque ce combat est en cours autour de nous dans le monde réel, un 6e film de la saga n’est pas forcément inutile, et je salue la puissance de vulgarisation d’idées brûlantes qu’ont parfois les bonnes grosses machines hollywoodiennes. J’ai emprunté le DVD de ce film hier, dans une médiathèque où les postes de prêt ont tous été récemment remplacés par des automates. J’ai engagé la conversation avec une bibliothécaire à propos de ce « progrès » , le même que l’on observe dans les gares, les supermarchés, les administrations : chacun est désormais invité à traverser l’espace public sans adresser la moindre parole à un autre humain, ni bonjour ni au revoir ni merde, à ne regarder droit dans les yeux au fil de la journée que des interlocuteurs mécaniques, son téléphone privé bien sûr puis lorsqu’il arpente un lieu partagé, toutes les machines installées à son attention. Dans le tout premier Terminator la mise en réseau des machines s’appelait « Skynet » et Skynet était l’ennemi sans visage. Peut-être que l’humanité a commencé de disparaître il y a 35 ans et qu’on ne s’en est pas aperçu parce que les humains sont apparemment toujours là, quoique masqués et socialement distanciés.

Un an de confine/Un an de Confine

20/03/2021 Aucun commentaire

Revoilà le 17 mars… Sinistre Saint-Patrick annulée, métonymie de notre époque annulée… Allions-nous laisser passer sans réagir l’anniversaire du premier confinement ? Certes non ! Commençons par boire une Guinness ! Santé ! (et ce n’est pas un vain mot)

Surtout, écrivons, pour marquer le coup, un couplet hors-série de la Confine. Rappel pour les distraits : la Confine est cette chanson interminable initiée et chantée par Marie Mazille, co-écrite par moi-même, illustrée par Capucine Mazille et clip-clapée par Franck Argentier, documentant sans fin nos vies sous le Covid en n’utilisant que deux rimes, -ine, et -ent, car nous sommes tous réduits à faire beaucoup avec trois fois rien.
Déjà 13 épisodes en ligne…
Ci-dessous le couplet d’anniversaire goupillé par mes soins. Quelques heures plus tard à peine la toujours réactive et spirituelle Capucine Mazille nous offrait l’illustration ci-dessus. Et nous voilà d’attaque pour affronter l’an 2 de la pandémie. Y’en a bientôt marre de la confine, mais pas de La Confine

Douze mois de confine et déconfine et reconfine
Oh comme cette année s’écoule lentement !
Qui souffle une bougie sur la chocolatine ?
Ce sont tous nos soupirs et non le libre vent
Impression déjà vue, notre second printemps
Dès qu’on croit voir le bout, retour à l’origine
J’ai rongé tous mes freins, j’attaque le volant
On ouvre les écoles, on ferme les cantines
On ferme on ouvre on ferme les restaurants
On ferme boutique on lèche les vitrines
Presqu’on ferme les rues, on rentre dans le rang
On ferme les camelots sauf ceux de loi divine
Les temples les mosquées et le Vatican
On ferme les théâtres, on ouvre les parkines
On ferme à double tour la logique et le cohérent
Gardons espoir ! Prenons la queue, qu’on nous vaccine !
On aura rendez-vous d’ici deux ou trois ans !
Rien n’a changé ? Mais si : Bachelot Roselyne !
C’est elle notre espoir, notre soulagement
Des zarzélettres elle est la meilleure copine
Mais moi je m’en fous bien, chuis pas intermittent.
Y’en a bientôt marre, un an de confine
Y’en a bientôt marre, un an de confinement