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Comprendre

07/12/2024 Aucun commentaire

« Ce livre est la clôture d’une fresque familiale, commencée avec Eddy Bellegueule il y a 10 ans. Après cela, je n’écrirai plus le mot famille », a-t-il prévenu.

10 ans, sept romans, appelons-les comme ça, une famille au départ, une émancipation à l’arrivée. On peut, et pourquoi pas, commencer par la fin, puisqu’aussi bien elle parle du début : L’effondrement.

J’ai lu L’effondrement d’Edouard Louis.
Livre sur son frère.
Livre déclenché par la mort à 38 ans de son frère alcoolique, violent, délinquant, malheureux, homophobe, raté, mais qu’est-ce que ça veut dire raté, d’où vient-il le ratage.
Livre sur son frère qu’il détestait.
Je suis rentré dans le livre avec circonspection, je redoutais un magma de ressentiment. Le monde n’a pas besoin d’un magma de ressentiment supplémentaire. C’est salissant, à force. En tout cas moi, je n’ai pas besoin d’un magma de ressentiment supplémentaire, notamment de ressentiment familial, je ne suis pas là pour parler de ma mère.

Mais non, heureusement, ce livre n’est pas que cela. Il est aussi la volonté de comprendre. Phrase-clef : « Je détestais souvent mon frère, mais j’ai besoin de comprendre. »
Beau livre, tout compte fait. Littérature faite non pas d’un seul magma, mais de nuances, de recherche, d’introspection, d’images. Littérature authentique au sens où elle dépasse son propre sujet ; elle en fait une question, non une réponse.
Page 131 :

Elle [ma mère] a repris son souffle :
– Oui, il y a beaucoup de commerces pour un village aussi petit, c’est rare. C’est vivant.
Je ne savais s’il fallait parler de la mort de mon frère, ou s’il fallait détourner son attention pour la soulager du poids de ce qui venait de se passer. J’avais la sensation que toutes les phrases parlaient de mon frère mort, même les plus insignifiantes, sur la taille du village ou sur l’aspect des rues, puisque quand je parlais d’autre chose, je le faisais pour éviter de parler de mon frère, ce qui revenait à l’évoquer.
Il n’y avait plus de dehors.

Le crime de Boualem Sansal

28/11/2024 Aucun commentaire

Boualem Sansal, écrivain qui se définit comme « caméléon égaré » et quel magnifique totem, de nationalité française lors de sa naissance en Algérie française en 1949, puis de nationalité algérienne à partir de 1962, puis à nouveau de nationalité française depuis 2024, vient d’être incarcéré par l’un de ses deux pays. Sauras-tu deviner lequel ?

Boualem Sansal est en danger.
Boualem Sansal, comme Lewis Carroll, est écrivain et mathématicien, double casquette qui le prédisposait à écrire de la science-fiction au sens originel de ce terme, et qui l’a conduit a exprimer des vues tout-à-fait intéressantes, rationnelles ou ne serait-ce que raisonnables, sur des phénomènes imaginaires tels que la religion. Ce qui fait que je nourrissais des pensées fraternelles à son endroit lorsque j’écrivais Ainsi parlait Nanabozo, roman sur la religion dont le narrateur est mathématicien.
Ainsi dans son roman (de science-fiction, tendance orwellienne) 2084 : la fin du monde Boualem Sansal a écrit :

« La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité. »

Ou bien, il a déclaré ceci à la presse (Marianne, en 2011) :

« La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L’islam est devenu une loi terrifiante, qui n’édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu’il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l’islam. »

Boualem Sansal est islamophobe.

Pourtant ce n’est pas pour cela qu’il est en danger, aujourd’hui. Boualem Sansal a plus d’un ennemi parmi les adorateurs d’amis imaginaires : les bigots certes, mais également les nationalistes algériens – car la patrie, elle aussi, est une mythologie sacrée.
Boualem Sansal, qui, à 75 ans, fait régulièrement des allers-retours entre ses deux pays, la France et l’Algérie, est en danger parce qu’il s’est fait arrêter le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger et mettre en détention, accusé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », autrement dit de terrorisme, crime passible de la prison à perpétuité selon l’article 87 bis du code pénal algérien. En effet, l’Algérie, atteinte comme tant de nations de ce poison qu’est le patriotisme, ne pardonne pas à Boualem Sansal ses déclarations anti-Algérie. Il critique régulièrement le régime algérien (sortie mémorable sur Arte en janvier dernier : « L’Algérie est une dictature », en toute simplicité), s’était fait autrefois un adversaire personnel de Bouteflika et de toute sa cour gérontocrate… mais il est allé dernièrement jusqu’à récuser à l’Algérie son statut même de nation, en résumant de façon très provocante la colonisation de l’Algérie par la France : « C’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un Etat, c’est très difficile. »

Voilà, très exactement, ce qu’est son crime : une atteinte au roman national. Un crime de lèse-majesté patriotique. C’est un peu comme si la France jetait en prison Pacôme Thiellement pour son génial L’Empire n’a jamais pris fin, prodigieuse anti-histoire-de-France où Thiellement égrène les crapules, bandits, barbares stupides, chefs de bande chanceux, arrivistes cyniques et sanguinaires qui en deux millénaires ont fait la France. Ainsi qu’en vérité l’on fabrique n’importe quelle nation, avant réécriture des évangiles et cristallisation des légendes dorées : par le meurtre des rivaux. Juste un exemple : l’histoire officielle de l’Algérie stipule qu’en 1962 uniquement les glorieux héros de la guerre d’indépendance ont pris et gardé le pouvoir – on passera prudemment sous silence la crise des wilayas, la prolifération des marsiens opportunistes (combattants du mois de mars, soit l’équivalent algérien des Résistants du mois de septembre ou de la dernière heure en 1945 en France), les épurations sanglantes, les disparitions par centaines des concurrents pour le pouvoir, sans parler des massacres de harkis. Mais a-t-on le droit de raconter ces histoires sales, de seulement critiquer le pouvoir passé ou présent, comme le fait Boualem Sansal en Algérie, sans se faire taxer d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » ?
La France n’a évidemment aucune leçon à donner en la matière : à l’époque de Le Chagrin et la pitié (Marcel Ophuls, 1971), le président de l’ORTF refusa de le diffuser à la télévision au prétexte que « le film détruit les mythes dont les Français ont encore besoin » (sic).
Si l’on admettait une bonne fois que le sens de l’histoire pour reprendre la funeste expression téléologique de Hegel, est une ligne de sang et de viscères, et non de pétales de roses, on serait moins obligé de cancéler après coup.

L’incarcération de Boualem Sansal est révoltante. Ce qui ne l’est pas moins, c’est la timidité de la gauche française, empêtrée dans ses pudeurs sur la question de la laïcité, à soutenir Boualem Sansal.
Ce qui est plus révoltant que tout, c’est que seuls les élus français de droite et d’extrême-droite (à l’exception remarquable de Raphaël Glucksmann) réclament à haute voix sa libération, sautant sur l’occasion d’attiser une guerre des nations voire des races : Marion Maréchal dénonce un « État voyou guidé par sa haine de la France » (et allez, nation contre nation, fleur au fusil à l’ancienne !) et a le culot de proposer un « échange de prisonniers » entre l’écrivain et les « 3 500 vrais délinquants et criminels algériens dans les prisons françaises ». On est mal barré et on peut se demander où est passée, dans ces débats, la littérature, ce phénomène fragile, ambigu, transfrontalier et humaniste. Au fond d’une geôle, sans doute. En librairie aussi, mais seulement dans l’un des deux pays de Boualem Sansal.

Gravitation universelle

27/11/2024 Aucun commentaire

Je préfère ne pas savoir si c’est un indice de ma santé mentale, mais je me suis abonné à la page Facebook « Hydraulic Press Channel ». Dix millions d’autres individus dans le monde, à la santé mentale discutable, ont également souscrit (à titre de comparaison, la page Facebook du Fond du Tiroir compte 248 foloheurs). On n’y peut voir absolument rien d’autre que les objets les plus divers (bibelots, buches, savons, bonbons, ballons, balles de fusil, outils, piles et batteries, bougies, verres, livres, canettes ou autres emballages, aliments variés, pièces de monnaie, et même une fois, une enclume…) se faire écrabouiller par le mouvement inexorable et lent d’une presse hydraulique. Rien vu d’aussi fascinant sur les rézos depuis longtemps. Aucun suspense : juste un mouvement de haut en bas implacable et bizarrement magnifique. Si je ne me surveille pas, je peux rester fasciné pendant des heures devant ce memento mori industriel et archi-conceptuel, cette métaphore du destin, de l’obsolescence, de la colapsologie, de nos propres cerveaux mangés par Facebook, de la fragilité universelle ou de la « fin de toute chose ».
Et vous, ça va, sinon ?

Réaction de Madame la Présidente du Fond du Tiroir :

C’est effectivement un indice de ta santé mentale… et de procrastination ! Alors que tu pourrais plutôt avoir une fascination pour passer le balai ou le chiffon sur la poussière qui revient inexorablement… ça me.fascinerait vraiment !

Tant bien que mal, j’ai tenté d’élever les apparences ou de sauver le débat en citant Simone Weil :

« Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception. Deux forces règnent sur l’univers : lumière et pesanteur. »
La Pesanteur et la Grâce, Simone Weil, 1947

… Mais je n’ai guère fait illusion, tant pis.
Si jamais un scrolleur de passage en vient à lire Simone Weil, ce sera toujours ça de pris.
Tiens, à son attention, j’en remets un peu, juste histoire de rappeler qu’il n’y a pas que des presses hydrauliques, dans la vie.
Extrait du livre de Simon Weil L’Enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, publié en 1949 dans la collection « L’Espoir » dirigée par Albert Camus

Les Français sont affamés de grandeur.
[Parmi les] obstacles [qui] nous séparent d’une forme de civilisation susceptible de valoir quelque chose, notre conception fausse de la grandeur (…) est la tare la plus grave et celle dont nous avons le moins conscience comme d’une tare. Notre conception de la grandeur est celle même qui a inspiré la vie tout entière d’Hitler. […] L’idolâtrie est une armure ; elle empêche la douleur d’entrer dans l’âme. Quoi qu’on inflige à Hitler, cela ne l’empêchera pas de se sentir un être grandiose.
Surtout cela n’empêchera pas, dans vingt, cinquante, cent ou deux cents ans, un petit garçon rêveur et solitaire, allemand ou non, de penser qu’Hitler a été un être grandiose, a eu de bout en bout un destin grandiose, et de désirer de toute son âme un destin semblable. En ce cas, malheur à ses contemporains.
Le seul châtiment capable de punir Hitler et de détourner de son exemple les petits garçons assoiffés de grandeur des siècles à venir, c’est une transformation si totale du sens de la grandeur qu’il en soit exclu.
C’est une chimère, due à l’aveuglement des haines nationales, que de croire qu’on puisse exclure Hitler de la grandeur sans une transformation totale, parmi les hommes d’aujourd’hui, de la conception et du sens de la grandeur. Et pour contribuer à cette transformation, il faut l’avoir accomplie en soi-même. Chacun peut en cet instant même commencer le châtiment d’Hitler dans l’intérieur de sa propre âme, en modifiant la distribution du sentiment de la grandeur. C’est loin d’être facile, car une pression sociale aussi lourde et enveloppante que celle de l’atmosphère s’y oppose. Il faut, pour y parvenir, s’exclure spirituellement de la société.

En 2024, ces réflexions de 1949 sur les notions de force et de grandeur, sur l’hubris et sur le fascisme, sont toujours aussi foudroyantes et ne nécessitent guère de mise à jour. On pourrait éventuellement remplacer le mot « Hitler » par une figure plus contemporaine. Elon Musk ? Poutine ? Un des quelconques dictateurs de notre temps ?

Faut-il censurer les mauvais livres ?

15/11/2024 Aucun commentaire

La censure est mon ennemie littéraire, la censure est mon ennemie politique. La censure est de droit improbe, malhonnête et déloyale. J’accuse la censure.
Lettre de Victor Hugo
à son excellence le Ministre de l’Intérieur,
3 janvier 1830.
Hugo n’a pas 28 ans et s’indigne de la censure d’Hernani.

Je suis viscéralement hostile à la censure des livres. Dès qu’un livre est foudroyé ou ne serait-ce que menacé par la censure, que celle-ci émane de l’État ou de quelque lobby, dès qu’il est condamné par la justice ou par la voix du peuple numérisée ou non, c’est plus fort que moi, j’en fais une affaire personnelle : je veux le lire, s’il le faut je veux le posséder comme si ma vie en dépendait, puisque la vie de ce livre en dépend.

Vive l’Enfer : c’est ainsi que compulsivement j’accumule, éparpillés dans ma bibliothèque, évidemment les Versets sataniques de Rushdie, La Question d’Henri Alleg, Le Con d’Irène d’Aragon, Suicide mode d’emploi de Guillon et Le Bonniec, les pamphlets de Céline, les premiers livres de Jean Genet, des volumes de Sade édités par Pauvert, Hitler=SS de Vuillemin et Gourio, Bien trop petit de Manu Causse…
Sans parler des exemples classiques aujourd’hui risibles où la vilaine Anastasie s’est ridiculisée pour l’éternité : Madame Bovary, J’irai cracher sur vos tombes, Les Fleurs du mal, Lolita, La Ferme des animaux, Les Damnés de la terre, Lourdes, lentes, Eden Eden Eden, Le Deuxième sexe, Le Maître et Marguerite

J’ai même quelque part sur un rayonnage un exemplaire de Mein Kampf, et les joues encore rouges du souvenir de ce jour où je l’ai acquis : j’étais étudiant en histoire et je trouvais normal de lire ce texte si plein d’effet dans le XXe siècle, mais la vendeuse me regardait comme si j’étais personnellement complice de crimes de guerre. Quel malentendu.

Je trouvais et je trouve capital, essentiel, suprêmement important que les livres soient disponibles : il faut ne rien effacer, afin qu’on puisse juger sur pièce. Même les ignobles journaux intimes de Gabriel Matzneff, petites dégueulasseries, confessions littéralement criminelles en plus d’être autosatisfaites, j’ai ressenti un léger malaise à la nouvelle de leur suspension de vente (je ne suis pas allé jusqu’à les acheter).

Et voilà que tombe l’affaire Spirou et la gorgone bleue, album écrit par Yann, dessiné par Dany. Alias Yann Le Pennetier (1954-) et Daniel Henrotin (1943-), qui ont en commun de signer sous leurs seuls prénoms réduits à quatre lettres.

Sorti en septembre 2023, ce livre ne fait parler de lui qu’un peu plus d’un an plus tard : une polémique est lancée sur Tik-Tok, l’accusant de racisme. Le bad buzz s’emballe, c’est-à-dire le lynchage en réseau, les invectives sont relayées mille et mille fois (dont celle d’un graphiste twittant « Je peux savoir qui a validé le dernier Spirou chez @EditionsDupuis ? La carte d’adhérent au RN est fournie avec la BD ? »), car on lit les réseaux davantage que le livre – comme d’hab. Les éditions Dupuis, ayant entendu le choeur des indignations, annoncent toujours sur les réseaux le 31 octobre dernier retirer l’album de la vente, et présentent leurs excuses, se disant « profondément désolées si cet album a pu choquer et blesser » .

Évidemment, je me précipite. Où est-il, ce bouquin ? Je l’emprunte en médiathèque. Toujours le même réflexe vital, juger sur pièces avant que les pièces ne disparaissent.

Eh, bien… Je trouve scandaleux de cancéler ce livre pour cause de caricatures racistes. Il faudrait plutôt, à la rigueur, le cancéler parce que c’est très mauvais ! (Et dans la foulée, interdire une bonne fois pour toutes la moindre velléité de reprise d’anciens personnages dans des franchises sans fin, sauf bien sûr le Spirou d’Émile Bravo qui est génial – oui, car outre mon inextinguible pulsion à sauver les oeuvres censurés, j’ai aussi un côté petit dictateur qui sait mieux que tout le monde ce qui est génial et ce qui est nul et qui voudrait virer toute la drouille, ah on ne s’ennuie jamais à l’intérieur de moi, y a du débat.)

Mais revenons à la Gorgone bleue. La caricature des Noirs y est très anecdotique (et dire que Tintin au Congo circule toujours sans être inquiété…), certes déplaisante, conventionnelle et datée (grosses lèvres et gros nez) mais pas spécialement plus choquante que la caricature des autres personnages – galerie de pantins. Tandis que c’est l’album dans sa globalité qui est hors de son temps : lourdingue, mal fichu, laborieux, né obsolète, encombré de références et d’un humour de boomers dont on se demande qui il peut faire sourire.

Les auteurs tentent de plaquer notre époque et ses problématiques (l’éco-activisme, la malbouffe, la toute-puissance de la finance industrielle agro-alimentaire incarnée par un type à tête de Trump… Okay, mais bon sang, la nocivité de la manipulation publicitaire était dénoncée par Franquin dès 1961 dans Z comme Zorglub de façon tellement plus subversive puisque les héros eux-mêmes y succombaient !), en utilisant pour cela des personnages archétypiques des années 50 (Spirou, Fantasio, Champignac, Seccotine)… Voire des années 70 puisqu’ils ressortent du chapeau à nostalgie un personnage oublié et oubliable, sans lien avec Spirou, l’agente spéciale Cloud Mac Kay, dessinée autrefois par Dany et qui était déjà un cliché en 1975. Détail révélateur : sur la couverture, son visage est caché par ses cheveux, on ne voit que ses seins.

Champignac invente un Viagra à base de champignons, Seccotine se révèle lesbienne (oh mais on s’en doutait : elle est depuis toujours en compétition avec le couple d’hommes à l’amitié homo-hérotique Spirou et Fantasio), Spip mordille des mollets en avertissant qu’il aurait pu s’en prendre aux noisettes… Bon bon bon.

Yann se montre encore un tout petit peu à la hauteur lorsqu’il fait ce qu’il sait faire (de la fiction roccambolesque aux dialogues relevés, à partir d’une documentation solide, en l’occurrence le terrifiant « 7e continent en plastique », il a bossé ses dossiers, c’est indéniable). Dany est le moins supportable du duo. Égrillard et « gaulois » (depuis 25 ans il gagne sa vie avec ses pénibles recueils de blagues érotiques comme il s’en colporte entre éviers et latrines à l’heure de la mise au baquet des repas une fois de plus ingurgités), il saisit toutes les occasions de dessiner des jeunes filles bien gaulées en bikini ou combinaison lycra hypermoulante, interchangeables et stéréotypées (toutes ont bouche pulpeuse, nez infime, yeux en amande). C’est son dessin, accusé de racisme, qui rend l’ensemble nettement plus sexiste que raciste. Mais, plus que tout : sans intérêt, voilà. Une blague de tonton gênant.

Le retrait de la vente n’est pas une injustice exorbitante. D’autant qu’il reste les médiathèques, CQFD. Je reste, du tréfonds de mon intimité, extrêmement vigilant et prompt à lire à tout prix ce qui est menacé de censure, mais on n’est pas non plus devant les Versets sataniques. Lit-on encore uniquement pour ce qu’il est ce beau roman foisonnant, baroque et onirique, au fait ?

Dire la joie

14/11/2024 Aucun commentaire

Petit livre jouissif à propos de la jouissance : Comment jouir de la lecture ?, Clémentine Beauvais, ed. La Martinière, collection Alt.
Texte bref comme une conférence, mais du genre qui excite et non qui endort.
Érudit mais primesautier, drôle, intelligent, stimulant.
L’autrice propose de passer de l’idéologie si commune et si mal comprise du « plaisir de lire » à l’authentique jouissance, celle qu’on s’invente, cette qu’on travaille en pleine conscience, et qu’on partage.
Elle commence par réfuter dos à dos les deux tendances dominantes et contraires : l’académique (qu’elle appelle pour sa part la réac, j’aurais eu envie de pinailler sur ce point parce que le snobisme et l’intimidation au « bon goût » n’ont pas d’époque) qui assène qu’il faut lire les classiques (elle parle de « prescription Homère-Dante » , formule assez marrante) ; et l’autre, la lecture plaisir exigée avec le sourire par les enseignants et les médiathèques, entre autres, qui est plus progressiste peut-être mais au fond tout aussi limitée et limitante, évidence fausse parce qu’impossible à remettre en question : le plaisir ne se discute pas, il est perso, chacun le sien, éclate-toi avec Shakespeare ou avec Guillaume Musso, les-goûts-les-couleurs circulez y a rien à dire.
Or, Clémentine Beauvais a l’excellente idée de débuter son joli pamphlet par une analogie avec la jouissance par excellence : le sexe. Depuis une génération, ou même pas, depuis seulement une décennie, depuis qu’on a enfin compris à quoi ressemble un clitoris et qu’on prône le consentement, le plaisir sexuel s’améliore, il s’affine, il s’apprend, PARCE QU’IL SE DISCUTE, parce qu’on le verbalise, on le pédagogise, on le tutorise dans les forums, et mine de rien on le démocratise. Ce que Clémentine Beauvais appelle de ses voeux, c’est tout simplement qu’on fasse de même avec la jouissance livresque : discutons-la pour l’accroître, la varier, la connaître et se connaître. Quel beau projet.
Ainsi, taxinomie pour mémoire, au coeur de la plaquette elle énumère pas moins de 20 jouissances littéraires distinctes (liste non exhaustive), qui vont de la familiarité rassurante à son contraire, la complète désorientation, ou de l’empathie-miroir à l’exotisme, etc.

À titre personnel, en lisant cette énumération, je réalise une chose, qui n’engage que moi mais m’engage tout entier, qui me permet de réfléchir à ma propre joie de lecteur (et, donc, de l’augmenter encore) : je pourrais faire correspondre chacune des variétés de jouissance à un texte précis de mon sempiternel auteur de chevet, Georges Perec – voilà qui confirme méthodiquement par A+B la réussite du projet global de Perec, qui était d’épuiser le champ des possibles littéraires.


Et pendant ce temps, dans le même monde mais juste à côté… À la une de la presse du jour :

« Un an après sa prise de contrôle par Bolloré, Fayard va publier « Ce que je cherche », le premier livre de Jordan Bardella.
Lise Boëll, la nouvelle PDG de la prestigieuse maison d’édition (Hachette Livre), fait signer désormais des auteurs d’extrême droite, comme le président du RN ou Philippe de Villiers. Ce qui suscite l’ire de certains salariés et des départs en cascade. »

Le plus révoltant est ailleurs que dans les querelles internes d’une maison d’édition parisienne ! Bardella a bien le droit de publier des livres (qu’il n’écrit pas, comme tout le personnel politique, mais en France signer un ouvrage fait sérieux quand on se croit un destin national)…
En revanche Ce que je cherche est un titre pérécquien, il ne fallait pas y toucher.
Georges Perec a écrit l’article « Notes sur ce que je cherche » en 1978 et c’est une boussole, bien complète de ses quatre points cardinaux. Perec y définit les quatre directions dans lesquelles il travaille (le romanesque, l’autobiographique, le sociologique, le ludique). Ce texte bref et lumineux est pour moi un vade-mecum auquel je pourrais réfléchir avec profit chaque jour qui passe. Alors que je n’ai pas envie de penser à Bardella tous les jours, merde.

Bloc-notes, comme disait l’autre

06/11/2024 Aucun commentaire

Petits commentaires sur l’actualité, ni tout à fait indispensables ni terriblement palpitants ni foncièrement originaux mais tout de même un petit peu, enfin je trouve, si je peux me permettre :

1 – Et le Goncourt 2024 va à… Houris de Kamel Daoud. Je n’ai pas d’avis sur ce livre que je n’ai pas lu. Mais je fais très grand cas du premier roman de Daoud, Meursault, contre-enquête qui prouvait qu’il est possible d’écrire un grand livre à l’ombre d’un grand livre, et j’ai la plus profonde admiration pour ses intrépides prises de position anti-islamistes qui lui ont valu, quoique moins spectaculairement qu’à Salman Rushdie, une condamnation à mort via fatwa par un imam à la con. Avant le Goncourt, le précédent prix que lui avait remis la France est celui de la laïcité, en 2021.
Ex-islamiste, Daoud est devenu en quelque sorte un fervent islamophobe avec ses déclarations à propos de :

« (…) ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. (…) Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux : la vie. » (source : Le Monde)

2 – Quincy Jones est mort ! Ah ben alors, ça m’étonne beaucoup, au point que je vérifie sur Wikipedia, on n’est jamais trop prudent. Je croyais qu’il l’était déjà (mort, pas prudent).
En 2018 j’ai vu le documentaire Quincy réalisé par sa fille Rashida Jones, qui le présentait comme un génie, cette info-ci était rigoureusement exacte, et comme moribond, cette info-là était « très exagérée » comme disait Mark Twain. Depuis je m’étais fait à l’idée et voilà que, ah, non, au temps pour moi. Bon, désormais que la nouvelle n’est plus prématurée, on peut avec profit regarder « Quincy » juste pour se souvenir de quel génie c’était. Qu’écouter, tout de suite, en hommage et pour mémoire ? Allez, je choisis Summer in the City.

3 – Arnold « I’ll be back » Schwarzenegger, ex-gouverneur républicain de Californie, est bien vivant (j’ai vérifié sur Wikipedia) et a déclaré : « C’est vrai, je suis républicain, mais je suis américain avant d’être républicain et c’est pourquoi je vote Kamala Harris« . Merde, j’espère que ça ne va pas porter la poisse à Kamala Harris.

4 – Une étudiante iranienne nommée Ahou Daryaei, terriblement courageuse ou suicidaire, s’est assise en sous-vêtements et (pire encore, en matière d’obscénité) en cheveux, au bas d’un escalier et a déambulé à moitié nue sur le parvis de son université, attendant apparemment que les Gardiens de la Révolution viennent la cueillir (l’enlever ? la torturer ? la tuer ?).
Une fois encore, c’est sur le profil d’André Markowicz que je trouve les mots justes pour décrire correctement cet événement hallucinant.
Mais également sur celui de Véronique Stouls, qui a publié une chanson intitulée Épaules nues.
Véronique écrit des chansons, depuis longtemps, mais ces temps-ci elle le fait avec nous, durant les ateliers de création co-animés par Marie Mazille et ma pomme.
Véronique écrit des chansons très marrantes.
Enfin, parfois.
Pas aujourd’hui.
Chapeau bas.

5 – On se le prend, le mur Trump II.
Victoire d’une alliance indestructible : la brutalité, l’argent, le mensonge, le cynisme, le réseautage, l’opportunisme, l’avidité, l’inconscience, le machisme, le climato-scepticisme, la bigoterie de circonstance, le racisme, la vulgarité.
Autant de vertus cardinales pour faire de l’argent ! Et, malheureusement, pour réussir en politique.
Le Fond du Tiroir peut bien rediffuser en hommage électoral son feuilleton consacré à l’histoire littéraire de la fake news, dont le premier épisode était largement squatté par la gigantesque figure de Donald Trump.
Trump avait théorisé la « post-vérité » dès 1987, bien avant de l’imposer en politique, dans son opus magnum Art of the deal : mentir est une méthode marketing ultra-efficace, tout simplement.
Cette nuit de dépouillement, Donald Trump a cessé de dénoncer « des élections truquées » dès le moment de la publication des premiers résultats, lorsque sa victoire était acquise.

Deux illustrations de la victoire de Trump :

– deux figures du mal emblématiques des comics américains (The Joker, Darkseid) manipulent des poupées à l’effigie de Donald Trump, in « Dark Knight: The Golden Child » (Frank Miller/Rafael Grampá, 2020). On remarque que le Joker porte une veste avec un slogan imprimé dans le dos : « J’en ai vraiment rien à foutre, pas vous ?« 

– cette phrase sur le dos du Joker était une citation. La veste originale ornée de ce même slogan était portée par Melania Trump en 2018. Melania Trump qui redevient « première dame » pour quatre ans.

6 – Ce n’est pas pour me vanter, mais je suis désormais donateur de la BNF.
Expérience qui me manquait.
J’ai contribué à une bonne oeuvre : l’acquisition d’une oeuvre exceptionnelle, les originaux de La Bête est morte de Calvo.
(Je suis aussi donneur de sang mais ça, ça fait longtemps, ce n’est pas pour me vanter.)

7 – Paix au Liban ! Et à Gaza, et en Ukraine ! Et à Paul Watson ! Et dans nos coeurs.

De rien

04/11/2024 Aucun commentaire

Le sentiment dépeint par Lewis Trondheim dans cette page m’est profondément familier.

Extrait de « Les petits riens de Lewis Trondheim » tome 9 : Les chemins de désir (Delcourt, 2024)

On peut s’instruire en s’amusant ! Le titre ainsi que l’illustration de couverture du livre me font découvrir une fort belle locution, issue du vocabulaire des urbanistes, que j’ignorais et que j’espère retenir. L’immédiate joie d’apprendre une telle expression compte parmi lesdits « petits riens » qui font que la vie, ou au minimum la journée, mérite d’être vécue.

Une ligne de désir, appelée aussi chemin de désir par les géographes, urbanistes et architectes, est un sentier tracé graduellement par érosion à la suite du passage répété de piétons, cyclistes ou animaux. La présence de lignes de désir (à travers les parcs ou terrains vagues) signale un aménagement urbain inapproprié des passages existants. » (Wikipedia)

Et à propos de petits riens, le Fond du Tiroir se passionne pour un rien et c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Là, tiens, par exemple, ce matin je me passionne pour une curiosité linguistique tout-à-fait stupéfiante, qu’il conviendrait peut-être de poser sur la table dans les débats sur le genre, même si je ne sais pas au juste à quoi ce serait utile.

Lorsque le nom générique d’un animal est masculin, le terme désignant sa femelle existe pratiquement toujours :
Le lion a pour femelle la lionne.
Le renard a pour femelle la renarde.
Le dauphin a pour femelle la dauphine.
Le cochon a pour femelle la truie.
Le sanglier a pour femelle la laie.
Le lièvre a pour femelle la hase.
Existent aussi la rate, l’écureuille, l’hérissonne, la paonne, la manchote, la cygnesse, la phoquesse, la bisonne, la corbelle, la perroquette, la zébresse, la ponette, la daine, la rossignole, la crabesse, etc.
(Je n’ai trouvé comme contre-exemple que le hibou qui est sans féminin, célibataire lexicologique, nulle hibolle et on est en droit de le regretter.)

En revanche, lorsque le nom générique d’un animal est féminin, le terme désignant son mâle N’EXISTE PAS ! Ainsi…
Le mâle de la souris est UNE souris mâle.
Le mâle de la tortue est UNE tortue mâle.
Le mâle de la panthère est UNE panthère mâle.
Le mâle de la chouette est UNE chouette mâle.
Le mâle de la baleine est UNE baleine mâle (libérez Paul Watson, au fait).
Le mâle de la hyène est UNE hyène mâle.
Une salamandre mâle, une hulotte mâle, une antilope mâle, une marmotte mâle, une truite mâle, une taupe mâle, une chauve-souris mâle, une otarie mâle, une tourterelle mâle, etc.

Cette distinction grammaticale s’applique jusqu’aux races imaginaires : on parlera de la dragonne mais de la licorne mâle…

Reste le cas, rare et élégant, des épicènes : un aigle/une aigle.

(Illustration ci-dessous : un blaireau et sa blairelle. Le mâle et la femelle sont difficiles à distinguer, madame est seulement un peu plus petite que monsieur. D’ailleurs, sauvegardons les blaireaux, si mal-aimés.)

Rien ne sera plus jamais comme avant

24/10/2024 Aucun commentaire
Ne dirait-on pas que les deux dernières reines se regardent dans les yeux, d’un monde à l’autre ?

Rien à voir.
Non, mais : ab, so, lu, ment, rien à voir !

D’un côté : La dernière reine (2022), bande dessinée que Jean-Marc Rochette a présentée comme l’ultime qu’il réalisera jamais, car désormais il ne fera plus que de la peinture.
Oeuvre singulière, magnifique, romanesque et d’autant plus poignante qu’on sait qu’elle restera la toute dernière de son genre. Mais au juste, de quoi parle-t-elle ?
Des violences de la guerre et de la société répercutées sur un petit nombre de personnages, particulièrement un homme et une femme qui mettront du temps à devenir un couple (mais le deviendront-il jamais vraiment ?), évoluant dans un pays âpre, sauvage et sans pitié, à une époque révolue mais pourtant pas si lointaine ; et lorsqu’à la fin de l’histoire, la dernière reine du titre, en dépit de sa force, de sa splendeur et de sa liberté, accomplit son destin et trouve la mort, le lecteur est envahi par le sentiment du tragique, celui qui nous avertit qu’en même temps que le personnage, quelque chose a disparu à jamais, et rien ne sera plus comme avant. Mais la légende de la reine commence : pour la postérité, La dernière reine devient le nom d’une oeuvre d’art.

De l’autre côté : La dernière reine (2023), film algérien en costumes, coréalisé par Adila Bendimerad et Damien Ounouri, débordant généreusement de deux magnificences : celle d’un passé mythique fait de bruit et de fureur qui pourrait rendre des points à Sophocle, à Shakespeare, à Racine ou à Game of Thrones, et celle d’une cinématographie nationale peu connue et sinistrée (le FDATIC, Fonds algérien de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique, ayant hélas été dissous peu après la production du film).
Oeuvre singulière, magnifique, romanesque et d’autant plus poignante qu’on sait qu’elle restera la toute dernière de son genre. Mais au juste, de quoi parle-t-elle ?
Des violences de la guerre et de la société répercutées sur un petit nombre de personnages, particulièrement un homme et une femme qui mettront du temps à devenir un couple (mais le deviendront-il jamais vraiment ?), évoluant dans un pays âpre, sauvage et sans pitié, à une époque révolue mais pourtant pas si lointaine ; et lorsqu’à la fin de l’histoire, la dernière reine du titre, en dépit de sa force, de sa splendeur et de sa liberté, accomplit son destin et trouve la mort, le lecteur est envahi par le sentiment du tragique, celui qui nous avertit qu’en même temps que le personnage, quelque chose a disparu à jamais, et rien ne sera plus comme avant. Mais la légende de la reine commence : pour la postérité, La dernière reine devient le nom d’une oeuvre d’art.

Rien à voir entre les deux, rien du tout je te dis, c’est dingue cette pure coïncidence de titres, ou alors c’est moi qui fais une rechute d’apophénie.

Dans le même registre d’oeuvres qui ne savent pas liées entre elles mais qui n’ont rien à voir non plus, on pourra cliquer ici (Manifesto/Le Manifeste) ou bien là (affaires Laura Palmer & Grégory Villemin).

Chacun se sait mortel et se croit immortel

18/10/2024 Aucun commentaire

Chronique de lecture au Fond du Tiroir.
Attention, c’est pas du marrant.
C’est du bouleversant.
Dans la vie on ne peut pas se marrer tout le temps, tôt ou tard on se bouleverse.

Jean-Christophe Chauzy a toujours alterné les fictions de genre, polars ou anticipation (si ça se trouve, c’est lui qui a vulgarisé l’expression Le monde d’après en 2016) et les autobiographies.
Mais des autobiographies pour rire, à base d’absurde et d’autodérision, petits théâtres de marionnettes mettant en scène les tribulations de son double de papier, souvent nommé JC, angoissé et caricatural, au nez en triangle isocèle (au fil des décennies : Parano, 1995, Petite nature, 2007, ou mon préféré, L’Âge ingrat, 2000). Dans une interview il nomme cet avatar Mon Gaston latex.
Avec son dernier livre, Sang neuf (Casterman, 2024), il ouvre et pardon pour le jeu de mot pourri, une troisième veine.
Encore de l’autobio. Mais grave cette fois, au premier degré, question de vie ou de mort. Finie l’hypocondrie burlesque, adieu le pif isocèle, bye bye le masque en latex. On est dans le dur, qui porte le nom de myélofibrose de niveau 3.
Chauzy est malade, il risque de mourir.
La conscience de notre vulnérabilité, de notre fatale disparition, est une expérience universelle mais jamais banale puisque toujours neuve, chacun la sienne, on aura beau la partager elle se dissipera avec nous. Elle est l’humaine condition en personne.
To be, or not to be.

En un instant, c’en est fini du déni. Dans les couloirs de l’hôpital, mes jambes pèsent une tonne chacune. Un peu comme si un immeuble m’écrasait au ralenti. Encore vivant. Mais déjà un peu mort.

Sang neuf est la chronique d’un processus médical puis d’une longue et incertaine convalescence, deux ans d’un voyage intérieur dans la maladie, d’un enfermement (qui débute en même temps que tout le monde, en plein confinement pour cause de Covid-19, ce moment unique où la prise de conscience de notre fragilité est devenue une expérience collective !), d’abord en chambre stérile, puis à domicile.

(Au passage on trouve ici, de même que dans un livre un peu comparable, Pilules bleues de Benoît Peeters, un éloge de la médecine et de l’hôpital. N’attendons pas d’en avoir besoin pour les célébrer, et donnons nous aussi si nous le pouvons, donnons de notre personne, donnons notre sang et notre moelle osseuse…)

Le memento mori est-il un genre pictural parce qu’il est plus facile à dessiner qu’à penser (1) ? Ce que Sang neuf donne à voir, c’est l’effet de la maladie non seulement sur le corps de Chauzy, sur sa psyché, mais aussi sur son dessin. Grand coloriste à l’aquarelle, Chauzy n’utilise pourtant ici que le noir (encre de chine voire crayon à papier tout nu), le blanc et le rouge. À l’os, à la moelle, oui. Plus, par surprise, six pages tout en couleur, effet contrôlé.

Je formule une hypothèse esthétique : Chauzy n’aurait pas été en mesure de « traiter le sujet », d’aborder sa fin et surtout la possibilité de penser sa fin en tant que phénomène extrême agissant sur le mental, sur l’imaginaire et sur le corps, si durant les décennies précédentes il n’avait pas pris l’habitude de raconter ses anxiétés sur le mode farce, de jouer ses angoisses comme on dit jouer sa vie. Il faut prendre au sérieux la comédie, parce qu’elle est la répétition générale de la tragédie.


(1) – Pour moi le plus génial memento mori du monde dessiné est Vanité d’Etienne Lécroart, Philippe de Champaigne et Hans Holbein peuvent aller se rhabiller le squelette.

Des réponses enfin, des faits, de la théorie, et quelques mensonges (Dossier M, 6)

14/08/2024 Aucun commentaire

Suite et fin du feuilleton le plus lent au Fond du Tiroir, d’une aventure littéraire et mentale qui aura duré deux ans (DEUX ANS !) et 3000 pages : ma lecture des six tomes du Dossier M de Grégoire Bouillier.
Fresque immense, comparable à rien (même pas à Proust, j’y reviens ci-dessous) et, à mon niveau individuel des choses, choc littéraire de la décennie.
Pour mémoire, les épisodes précédents :

Épisode zéro : Une ruine pathétique
Épisode un (dossier rouge) : L’histoire commence le 26 avril 1937
Épisode deux (dossier bleu) : Le questionnaire Calle-Bouillier
Épisode trois (dossier violet) : « Le réel c’est quand on se cogne » (Jacques Lacan)
Épisode quatre (dossier noir) : J’écris pour savoir ce que j’ai à dire
Épisode cinq (dossier jaune) : Il eut d’autres amours (contenant en bonus, comme celui-ci, un échange de mails avec l’auteur)
Épisode bonus, consacré à Spider-Man : Ado sexagénaire

Mais quoi ! Il allait bien falloir que je résolve l’énigme. D’une façon ou d’une autre, je devais trouver un moyen d’assembler les pièces si je voulais avoir une chance de découvrir de quel puzzle il s’agissait. Je n’allais pas éternellement être le jouet de je ne savais quoi. Il fallait que cela cesse. Que soit révélé le fin mot de l’histoire. Je n’allais pas noircir des pages jusqu’à la fin des temps. Le livre (si c’est un livre) devait à un moment ou à un autre trouver son épilogue et, à voir ta tête, le plus vite sera maintenant le mieux.
Grégoire Bouillier, Le Dossier M, Livre 6, Dossier Vert : Le Temps, p. 331.

Je me souviens d’une interview où Bouillier, auteur, narrateur et personnage de son oeuvre, disait que, durant tout le processus d’écriture du Dossier M, il avait l’impression d’être immortel puisqu’il ne pouvait pas mourir avant d’avoir terminé et c’est, en quelque sorte, ce qu’éprouve aussi le lecteur. C’est bien sur la longue durée, en accompagnant le Temps lui-même, que le Dossier M aura croisé ma route et m’aura fait un si gros effet.

À ce propos. On sait que Sainte-Beuve estimait qu’un livre (ne) s’expliquait (que) par la biographie de son auteur, ce qui poussa Marcel Proust, indigné, à rédiger son Contre Sainte-Beuve, fer de lance d’une vision de la littérature plaidant depuis lors pour une critique hors-sol, une réception de l’oeuvre en elle-même et pour elle-même, détachée de ses conditions de création.

Or Bouillier, pour qui l’identité (ou à tout le moins la continuité) de l’auteur et de son oeuvre est un truisme, va encore plus loin que Sainte-Beuve en affirmant que la biographie du lecteur lui-même explique la réception de l’ouvrage et c’est donc ici, pp. 136-137 du Dossier vert, qu’il conviendrait de cesser les comparaisons entre l’oeuvre de Proust et celle de Bouillier, en fin de compte diamétralement divergentes malgré leur ampleur commune, leur mise en exergue du Temps et leur ambition d’écrire dans les plus infimes détails une vie intérieure qui aspire sur la page, comme en un trou noir, l’univers tout entier :

J’aimerais beaucoup refonder la critique littéraire à partir de la biographie de ceux qui font le beau métier de donner leur avis sur ceci ou sur cela puisque tous nos jugements procèdent de notre biographie, absolument tous, depuis notre naissance jusqu’au moment où nous donnons notre avis car ceux-ci ne tombent pas du ciel, non, ils expriment, en l’objectivant et en le cristallisant, tout ce qui nous est arrivé (et tout ce qui ne nous est pas arrivé aussi). Et plus que la biographie, j’aimerais que chaque critique expose où il en est personnellement dans sa vie au moment où il dit du bien ou du mal de ceci ou de cela, au lieu de donner son avis à partir d’un désintérêt personnel transformé en intérêt professionnel. Car ici le vrai problème : parce qu’il est payé pour lire à la chaîne des livres dont il se fiche personnellement, le critique fonde son jugement sur la distance qui le sépare de ses lectures et c’est d’elle dont il parle lorsqu’il croit parler de lui et le tour est joué : d’avoir si bien intellectualisé qu’il n’avait rien à dire, le critique se croit quitte. Ce qui s’appelle un tour de passe-passe.
Alors que je serais plus enclin à me fier à un avis si son auteur révélait qu’il (ou elle) est amoureux ou en instance de divorce, si il (ou elle) a fait Sciences Po ou le tour du monde, etc. J’aurais alors une clé pour comprendre pourquoi lui juge ceci ou cela un peu, beaucoup ou pas du tout intéressant. Le critique découvrirait lui-même d’où il parle et ce ne serait peut-être pas du luxe. Car quoi que nous cherchions dans un livre (des réponses, un plaisir, une évasion…), nous ne cherchons pas tout le temps la même chose. Avant M, je lisais beaucoup d’auteurs américains (Roth, McGuane, Ellis…) ; depuis M, je lis des poètes français, à commencer par Charles d’Orléans qui, fait prisonnier par les Anglais à Azincourt en 1415, resta 25 ans (25 ANS !) « en la forest d’Ennuyeuse Tristesse » et moi aussi « c’est grant pitié qu’il couvient que je soye / L’omme esgaré qui ne scet ou il va ».
Parce que les poèmes qu’écrivit Charles d’Orléans en une si longue captivité coïncident avec mon état carcéral du moment, ce qui n’est pas le cas des livres que je lisais avant M. Ceux-là ne sont plus appropriés à ma situation présente. Ils ne me parlent pas et, sur moi, ne produisent plus l’effet escompté. Ils sont hors de mon cercle comme on dit hors sujet et, de ce fait, ils ne m’apportent ni les réponses, ni le plaisir, ni l’évasion dont j’ai actuellement besoin. Ils ne coupent pas ma route. Ce n’est donc pas que les livres sont bons ou mauvais, il ne s’agit pas seulement de cela, non, il s’agit aussi de la configuration existentielle dans laquelle nous nous trouvons lorsque nous les lisons et qui tantôt nous donne accès à Joyce ou à Enid Blyton, tantôt nous en interdit l’accès et, bref, les livres sont un existentialisme, ils sont affaire de ligne de vie et tout conseil en la matière, toute recommandation venue de l’extérieure, aussi chaleureuse soit-elle, nous détourne des livres qu’il nous faut lire au moment où il importe que nous les lisions, selon notre état psychique du moment et d’après lui. Ceux-là nous sont nécessaires et utiles, ceux-là nous lisons, tandis que les autres nous égarent et nous volent un temps que personne ne nous remboursera.

(Ce qui n’empêchera pas Bouillier de se contredire quelques centaines de pages plus tard, car il est très doué aussi pour se contredire, abondant cette fois dans le sens de Proust et non plus de Sainte-Beuve au fil d’une désopilante envolée théorique quoique délirante pp. 338-342 : « On parle des auteurs pour ne plus parler des livres ! Vous pigez le truc ? Vous voyez le malentendu ? Mais qu’est-ce qu’on a à fiche de l’auteur ? (…) Cette époque a trouvé un excellent moyen de se débarrasser de la littérature et ce moyen ce sont les auteurs eux-mêmes ! (…) Les livres ne devraient pas être signés. Voilà ! Ils devraient être ANONYMES ! » )

Mais foin de théories – la conclusion d’une telle somme réclame des faits. Il y en a.

Ce dernier Dossier, de couleur verte, Le Temps, voit Bouillier replier sur eux-mêmes les cinq précédents. Il les vérifie au crible de tout ce qu’il a entre temps ajouté au dossier, il les cite à nouveau à comparaître pour bien vérifier que lorsqu’on parle de quelque chose on parle aussi d’autre chose, et c’était cela le vrai sujet finalement. Il va au bout de tout, de son histoire de M, de sa dépression, de ses diversions, de ses digressions, de la patience de son lecteur ; il réintroduit des personnages importants (« S » alias Sophie Calle, que l’on n’avait pas revue depuis le dossier rouge), il apporte quelques réponses que l’on attendait depuis le tout premier niveau du tout premier tome – on comprend enfin le rapport entre M et le suicide de Julien, suicide dont le récit tenait lieu d’entrée en matière ou d’entrée dans le lard, quelques milliers de pages en amont. Les réponses sont-elles plus importantes que les questions posées ? Peu importe (et au fait, qui peut me dire, si la France n’est pas un pays, c’est quoi ?), même si une clef surgit bel et bien sous nos yeux (métaphoriquement au début du livre, puis littéralement p. 495), le Dossier M n’a jamais été un whodunit.

Il est même le contraire d’un whodunit, puisqu’il n’y aura pas d’élucidation rassurante, pas de résolution, pas de re-solution, seulement la fin du voyage, et encore, la fin d’une partie du voyage avant l’étape suivante. Ce qu’est le Dossier M, c’est avant tout un texte. Une suite de mot (l’aveu intervient dès la page 82 de ce tome-ci : « Comprends que mon histoire de M est avant tout une histoire de mots » ). Un flux. Une énonciation. Une distance Y compris une palinodie, et y compris des mensonges. Il nous avait menti, et ce, depuis le début !
À compter de la page 372, voilà qu’il déballe tous les bobards dont il nous a abreuvés, plaidant « Maintenant que la fin approche il me faut me mettre en règle avec mon créateur » et on suppose que par cette formule c’est le personnage Bouillier qui souhaite se mettre en règle avec l’auteur Bouillier, GB n’aura jamais été aussi clivé que dans ce tome. Il n’était donc pas si fiable que cela, ce narrateur, mais paradoxalement, ou pas, cela renforce encore sa réalité, il ment comme vous et moi, et comme la réalité bien sûr, ce qu’on appelle la réalité.
(Et au chapitre du rapport à la vérité, à titre personnel, pour des raisons que je ne vous donnerai pas si vous ne les avez pas déjà, je me régale de cette anecdote p. 390 : « La fiction ne m’intéresse pas. Seule la vérité me captive, parce qu’elle est une fiction plus vaste que nous. Ma mère elle-même l’a compris lorsque, voulant m’intenter un procès après la sortie de mon premier livre, elle y renonça finalement, au prétexte, je cite ses mots : « Tu as de la chance que tout soit vrai. » Sans déconner ! C’est moi qui ai de la chance ! » )

Ce qui importe ce n’est pas une vérité factice ex machina, ni un contrat de vérité dont on sait ce qu’il vaut dans le roman, ce qui importe est que l’auteur, de même que le lecteur, est de toute évidence devenu une personne différente à la fin du livre. Et ce n’était même pas le but, c’est seulement un constat en parvenant au bout.

Quant à moi : je suis refait, merci, je suis une meilleure personne qu’il y a deux ans et pourvu que ça dure.

Quant à l’auteur transformé par son propre livre : écrire ce Dossier M qui s’invente en permanence sous ses doigts et sous nos yeux lui a permis de mettre au point, dans la douleur et dans la joie, rien de moins qu’une méthode littéraire – tirer un fil et dévider la pelote, disons. Improviser, comme un peintre ou un jazzman, ne pas savoir mais être suprêmement attentif. Rappelons une fois encore l’épigraphe initiale : « Je pars d’un point et je vais jusqu’au bout » (John Coltrane) qui est contrebalancée bien plus loin par une autre des innombrables citations-exergues : « Je pars d’un point et je continue autour » (Pablo Picasso). Parmi les nombreuses fins du Dossier M nous aurons droit, p. 550, à une explicitation de cette pratique de l’improvisation, ce discours de la méthode sera l’ultime long extrait que je recopierai et celui-ci est capital :

Maintenant, qui peut dire si je ne peins pas lorsque j’écris (si j’écris), en mémoire de cette période [dans sa vingtaine, Bouillier s’imaginait non écrivain mais peintre et il peignait comme Jackson Pollock] et pour surmonter mon coïtus picturo-interruptus ? Pour renouer avec un sentiment premier qui ne m’a jamais quitté. A toujours guidé mes goûts. Fut dans un premier temps peinture, avant de devenir musique. Car après Pollock, il y eut Coltrane. Les deux sont liés. Il s’agit de la même chose, qui n’est pas une « chose » mais « the new thing » disaient Coltrane et les autres musiciens free. Que cette chose soit évincée et elle se transporte ailleurs. Pas de problème. On lui retire ses pinceaux ? Elle va jouer du saxophone. On lui retire son saxophone ? Elle va… où ? Sur la pelouse bien tondue de la société, la vie est un chiendent qu’il faut arracher. Dans l’ordre réglé du monde, l’improvisation libre est une hérésie. Elle est une perte de temps, d’argent et de contrôle. Alors qu’elle est, individuellement et collectivement, la solution si improviser signifie être concentré, attentif, à l’écoute de soi et de autres, responsable enfin de tout ce que l’on fait. Signifie refuser les formats imposés et, de ce fait, cesser d’agir mécaniquement. Signifie je ne sais quoi qui rend heureux et rend libre. Fait obstruction au mensonge et L’Art perdu de Jackson Coltrane : que penses-tu de ce titre, à la place de Le Dossier M ? Pour dire qu’il est possible d’improviser sur la page.

Il semble que cette méthode de liberté, jusqu’au bout et tout autour, appliquée durant 3000 pages à son histoire de M, peut se révéler tout aussi efficace pour saisir et révéler n’importe quel autre sujet. Durant le temps long de ma lecture, Bouillier a publié deux autres livres, qui semblent relever de cette même méthode mais sur d’autres vies que la sienne : Le coeur ne cède pas (2022) sur Marcelle Pichon et Le syndrome de l’Orangerie (2024) sur Monet, la peinture et la botanique. Okay. Il n’en a pas fini avec nous, je n’en ai pas fini avec lui. Le feuilleton continuera, finalement.


Épilogue : un échange de mails avec l’auteur.

Bonjour Grégoire
J’ai la joie de vous informer qu’au bout de deux ans presque exactement (je me retiens d’écrire en majuscules DEUX ANS ! ce serait de la parodie), j’ai achevé la lecture du Dossier M.
Merci et bravo, je n’avais jamais rien lu de tel. Il est indéniable qu’une aussi longue durée engendre chez le lecteur (comme chez l’auteur sans aucun doute) des effets très spécifiques. Et notamment sur les liens que l’on crée tous azimuts, que l’on découvre ou bien que l’on imagine : pendant deux ans, et pour une durée à venir encore indéterminée, je n’ai cessé de penser « Tiens, voilà qui me rappelle le Dossier M » . Vos lecteurs aussi continuent d’ « ajouter des pièces au dossier » .
Ce dernier tome vert est particulièrement fertile en de tels « liens » puisqu’il se fonde sur l’idée de reprise, c’en est quasiment le thème y compris au sens musical : tout est perpétuellement repris, reprisé, replâtré et replié, depuis le premier tome rouge ou bien depuis la grotte Chauvet. Chaque expérience se vit en seconde ou en sixième fois. Quel mille-feuille ! et même quel trois-mille feuilles.
Toutefois, je me permets de vous signaler une « reprise » qui m’a sauté aux yeux à la lecture, telle une riche et évidente révélation, Eurêka, mais que vous semblez négliger, en tous les cas que vous ne relevez pas, dont vous ne faites rien, alors qu’elle me semble capitale dans votre (et, excusez : notre) Histoire de M.
La dernière fois que vous avez vu M, elle vous a dit « Vous me faites pitié » et par pur réflexe vous avez répondu du tac au tac « Vous aussi » ; lorsque l’aréopage des 107 femmes (du moins sa délégation) vous a dit « On veut vous dire que l’on vous trouve très courageux d’être venu ce soir », par pur réflexe vous avez répondu du tac au tac « C’est moi qui vous trouve très courageuse de vous présenter devant moi ». Or c’est la même chose, c’est un flagrant « remake », une identique répartie en miroir, de type « c’est çui qui dit qui y est » (un peu comme dans l’interview d’Andy Warhol que vous citez – encore un lien). Sauf que bien sûr une reprise n’est jamais un copié-collé mécanique, l’intention et les effets sont distincts lors de la répétition, ne serait-ce que du fait même de la répétition. Face à M, la répartie était doloriste, faible, presque honteuse ; face aux 107, la répartie était orgueilleuse, volontariste, et presque joyeuse. La même attitude mais en deux mouvements contraires : une plongée, et une remontée.
Enfin, voilà, c’est terminé pour moi, et sur l’époustouflant dernier mouvement j’ai bien écouté en boucle conformément aux consignes l’album Certain Blacks de l’Art Ensemble of Chicago, introuvable en tant qu’objet mais heureusement disponible sur Youtube.
Bien à vous,
Fabrice Vigne

Cher Fabrice,
Je vous réponds avec quelque retard, mais la rentrée littéraire (comme on dit) m’accapare…
Voilà qui me plait beaucoup : que vous soyez allé écouter Certain Blacks
Lorsque la radio FIP m’a proposé une carte blanche, j’avais hésité à programmer Certain Blacks. Finalement, l’émission commençait par The lowlands et c’était assez sauvage. Ou comment le chaos finit par s’harmoniser collectivement… Un bonheur en nos temps résilients… (le free jazz est la seule musique que le marché n’a pas réussi à transformer en marchandise culturelle !)
Une tranche de Jazz primaire et sauvage.
Votre message me fait d’autant plus plaisir que, même si je sors un nouveau livre, Le Dossier M reste pour moi une aventure unique, inégalée, fondamentale ; que des lecteurs comme vous continuent de le faire vivre est pour moi une joie que vous n’imaginez pas. 
Non, un clou ne chasse pas l’autre !
Vous avez raison. Cela m’avait échappé mais, oui, ces « tac au tac » dans deux situations différentes, oui, c’est vrai, il s’agit bien de quelque chose de l’ordre de la reprise. Celle-là m’avait échappé et merci à vous de l’avoir relevée…
J’ignore ce que vous allez lire maintenant, mais merci merci de m’avoir lu !
Avec toutes mes amitiés.
Grégoire Bouillier