Archive

Articles taggués ‘L’Echoppe enténébrée’

Peut-être-Prague

04/03/2023 Aucun commentaire
Praga Magica d’Angelo Ripellino, collection Terre Humaine.
Mon frère m’a offert ce livre dans les années 90.

Cette nuit, je me trouvais dans une capitale d’Europe de l’Est, je crois que c’était Prague mais comme je n’ai jamais mis les pieds à Prague, je ne pouvais en être absolument certain. J’arpentais les rues, je n’osais pas demander aux passants une confirmation de cette localisation, la question Pardon sommes-nous bien à Prague ? semblerait ridicule à n’importe qui, moi compris, je craignais de me faire rembarrer aussi bien en cas de réponse positive que de réponse négative, d’ailleurs comprendrais-je seulement la réponse, je ne parle pas un mot de pragois, je ne voulais pas me mettre dans l’embarras.

J’étais venu à Peut-être-Prague assister à un colloque international sur les conséquences du réchauffement climatique et je venais d’en sortir, tétanisé, j’avais besoin de prendre l’air, j’étais resté très frappé par la communication donnée à la tribune (en français et non en pragois, heureusement) par Pacôme Thiellement. Celui-ci avait expliqué, powerpoint à l’appui, que l’un des effets du réchauffement était le détachement de l’Afrique du Nord qui, désormais, se déplaçait de façon chaotique et imprévisible en Méditerranée, comme un continent mobile, comme une île qui se déplace (Pacôme Thiellement précisait qu’heureusement nous étions prévenus de cette situation grâce à Lost). Ce continent à la dérive venait à vive allure se cogner aux côtes méditerranéennes, rebondissait comme une boule de flipper en provoquant des tremblement de terre, et le récent séisme turc était l’avant-garde de ce à quoi nous devions nous préparer en Grèce, en Italie, en Corse…

Marchant dans les rues de Peut-être-Prague, je remâchais cette perspective terrifiante en me demandant si Peut-être-Prague était suffisamment loin de la mer pour être à l’abri du danger? Mais à présent il fallait bien que je rentre chez moi, sauf que c’était où « chez moi » à Peut-être-Prague ? Ah, oui, ça me revenait, j’habitais un peu plus loin, dans un immeuble un peu délabré, sans ascenseur, que mon frère venait d’acheter à fin de location. J’habitais là, avec mon frère et E., qui était sa copine durant les années 90 et que je n’avais pas revue depuis 30 ans, à l’époque nous étions tous les trois étudiants, dans un appart qui occupait tout un étage, et qui était conçu en U, sur trois côtés, tout autour d’une cour intérieure : lorsque j’étais dans ma chambre, je pouvais par la fenêtre voir la leur de l’autre côté de la cour. Et justement voilà mon frère, penché à sa fenêtre, de son côté de la cour. Il me demande comment ça va. Je n’ose pas lui parler du continent mobile et de la boule qu’il m’a laissé dans la gorge. S’il investit dans l’immobilier c’est qu’il a confiance dans l’avenir. Mais tout de même mon frère finit par me rappeler que mon hébergement est une solution provisoire, il me fait bien comprendre que cet immeuble il l’a acheté et qu’aussi longtemps qu’il me cède une chambre il perd un loyer, il veut bien me dépanner mais il serait temps que je me trouve autre chose. Je répondais Oui d’accord mais moi je ne connais personne à Prague ! Or quand je prononce ce dernier nom il fait une drôle de tête, penché à sa fenêtre les deux mains sur le rebord, il écarquille les yeux, j’ai dit une bêtise ? Peut-être bien que nous ne sommes pas à Prague, finalement…

Je referme ma fenêtre et je sors. J’espère que je ne vais pas croiser mon frère dans le couloir. Me revoilà dans les rues. Mon seul espoir est de tomber sur une personne de ma connaissance, qui parlerait ma langue et serait prêt peut-être à m’héberger. Or voilà que ce miracle advient : au détour d’une rue, je tombe sur Antoine, mon ami d’enfance, qui est devenu le directeur du musée Berlioz de la Côte-Saint-André. Ça alors, Antoine ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce que tu fais à Prague ? Quand je prononce ce dernier nom il fait une drôle de tête, fronce les sourcils, ai-je encore gaffé avec cette histoire de Prague ?… Il n’est jamais venu à Prague, Berlioz ? Peu importe, je change de sujet, je suis content de le revoir, c’est inespéré, j’engage la conversation : Alors Antoine, toujours berlioziste à fond ? La Marche au supplice et tout le tremblement ?
Soudain je me rends compte de son accoutrement. Antoine est déguisé en Napoléon. Il n’a pas son bicorne, il est tête nu, mais porte son uniforme d’apparat, habit vert avec épaulettes, pantalon blanc, bottes jusqu’aux genoux et gilet à boutons. Il s’est même fait la mèche à la gomina. Mais… Qu’est-ce que tu fais en Napoléon, voyons, Antoine ? Quelle drôle d’idée Napoléon à Prague ?
Il éclate de rire et me dit : « Ah, tu vois, Berlioz mène à tout ! On m’a consulté à propos des liens entre Berlioz et Napoléon, en préparation d’un film en tournage ici. Et de fil en aiguille c’est moi qui ai décroché le rôle. Tu imagines, à mon âge, commencer une carrière au cinéma ? »
Voilà qu’il repart d’un gigantesque rire qui fait se retourner les passants.

Puis je me réveille.

La nuit sera verte et brune

04/12/2022 2 commentaires

Cette nuit je me trouvais dans une cuisine bondée où je regardais des femmes éplucher des légumes et où je les écoutais discuter politique. Les éplucheuses s’adressent soudain à moi, me mettent la pression en me disant « C’est à toi de jouer ! », et oui, ça me revient maintenant, j’ai des responsabilités politiques, je me suis engagé, il faut assumer et y aller. Cette cuisine prépare le repas d’un symposium consacré à « Tradition culturelle et extrême droite ». Et je me retrouve à présent à la tribune, sur une estrade, face à une salle des fêtes clairsemée et des chaises en plastique. À ma gauche se tient une jeune fille qui tient un discours militant, dogmatique, très véhément et très brouillon, revendiquant, si je comprends bien, qu’il ne faut rien laisser de culturel à l’extrême droite, que « culture d’extrême droite » doit absolument être tenu pour un oxymore sous peine de laisser la culture de l’extrême droite devenir LA culture. Mais elle trouve aussi le moyen de préciser qu’elle est végétarienne, fait l’éloge des légumes et je ne vois pas trop le rapport, ou alors c’est une métaphore qui m’échappe. À ma droite se tient un vieux bonhomme émacié qui a un peu la tête de Jean-Pierre Léaud, avec des cheveux longs et gras. Je crois me souvenir qu’il a été présenté comme un spécialiste agrégé de la littérature du XXe siècle, je n’ai pas retenu son nom, je m’en veux d’être trop distrait, trop obnubilé par ce que je dois dire en public pour rester vraiment attentif à ce que disent les autres. Le faux Léaud prend la parole, sec, lent mais impatient, désagréable. Son discours consiste à dézinguer ses interlocuteurs (la jeune végétarienne et moi-même) en décrédibilisant leurs manières de parler, leurs tournures et barbarismes. Cuistre, sournois, il lit à voix haute et nasillarde la liste des fautes de français qu’il a relevées parmi les propos de la jeune fille, puis se tourne vers moi avec un sourire méprisant : « Quant à vous, j’ai noté une mention d’Artaud-le-Momo ou je ne sais quel charabia, sincèrement mesdames et messieurs, soyons sérieux, où sommes-nous, dans une cour de maternelle ? » Je me lève brusquement, je tiens la chaise derrière moi, je m’enfurie ! Agressé, je l’agresse à mon tour ! « Monsieur, votre attaque est incompréhensible. Vous vous présentez comme un spécialiste mais vous ignorez le livre d’Artaud-le-Momo sur le concombre ? Vous êtes un usurpateur ! » Tout en guettant avec fébrilité sa réaction qui ne saurait être qu’outrée, je me demande : d’où est-ce que je sors cette histoire de concombre ? Suis-je en train de m’embrouiller les pinceaux et de confondre avec les éplucheuses de légumes ?

Je me réveille perplexe, je me demande si Artaud a réellement écrit quoi que ce soit sur le concombre, il faudra que je vérifie sur Google, recherche croisée Artaud-concombre. Je n’ai pas de temps à perdre, je dois me préparer et rejoindre aujourd’hui mes amis pour le symposium de l’association Mydriase afin de discuter de l’avenir de nos stages.

Dick fait non de la tête

24/09/2022 Aucun commentaire

Cette nuit il faisait grand jour, c’était encore l’été et j’arpentais une ville espagnole que je ne connaissais pas. J’arpentais les rues bondées, et je passais d’un vieux quartier, en bord de mer, aux rues étroites et aux maisons en briques, à un autre, en hauteur, récent et moderne, de verre, de béton et d’acier.
J’effectuais plusieurs fois l’aller retour entre ces deux mondes, en me disant qu’à force je finirais bien par connaître le chemin par cœur et même comprendre ce que je foutais là. J’étais venu pour accomplir une mission précise, résoudre une énigme, mais pour mener celle-ci à bien encore fallait-il que je comprenne en quoi elle consistait. Deviner l’énigme était une première énigme à part entière et, alors que j’étais de plus en plus perplexe, j’avisais une échoppe de tapas à emporter. Autant manger, je réfléchirais après.
Je m’approche de la fenêtre ouverte par laquelle on passe commande, je survole le menu affiché et je m’apprête à tester mon espagnol mais le cuistot me parle en français avant même que j’ouvre la bouche : « Alors ? Tu as pris ta décision ? Il serait temps, je n’ai pas que ça à faire ! » En fait, il m’attendait. C’était peut-être lui qui était censé me préciser ma mission ? Le cuistot était un agent double ? Mais soudain, je le reconnais… Sous sa blouse blanche et sa toque, derrière son sourire en coin et ses yeux pleins de sous-entendus… C’est bien lui, c’est Dick Rivers ! L’annonce de sa mort était donc un leurre lui permettant de travailler undercover dans un street food en Espagne !
Je tente tant bien que mal de choisir mes mots pour faire comprendre à Dick que je n’ai pas compris ma mission et que j’attends de nouvelles instructions, tout en donnant le change aux oreilles indiscrètes :
« Non, je n’ai pas fait mon choix, tout a l’air délicieux mais j’aimerais être certain de ce qu’il y a dans la pâte… C’est bio, au moins ? »
Dick soupire et me dit à voix très basse, avec un sourire ironique :
« OK, garçon, t’es complètement paumé. Je vais te donner un indice. Pense à ce bouquin de Pinter.
– (je jette des coups d’œil à gauche et à droite pour vérifier qu’on ne nous écoute pas) Hein ? Harold Pinter ?
– (Dick fait non de la tête.) Au polar de Pinter.
– Hein ? Il a écrit des polars Harold Pinter ?
– (Dick fait non de la tête.) À ce roman où on porte des vestes en jeans sur la couverture.
– Hein ? Un roman de Pinter avec du jeans ? »
Dick fait non de la tête puis, excédé par la lenteur de mon entendement, fait mine d’en avoir trop dit, se met à me parler strictement en espagnol et je ne comprends plus un mot, il ne me lâchera pas un indice de plus. Je dois donc me contenter de ce que j’ai et je retraverse une fois encore la ville, je pénètre dans le quartier moderne (acier, béton, verre), il me semble avoir longé une bibliothèque nationale. Avec un peu de chance je dégoterai une édition catalane ou basque d’un roman policier de pinter avec des jeans sur la couverture, et alors tout s’éclairera. Zut, en chemin je réalise que Dick ne m’a rien donner à manger, c’était bien la peine, j’ai faim, je me réveille.

Ils embauchent n’importe qui

15/09/2022 Aucun commentaire

Cette nuit j’ai fait ma rentrée scolaire.

Car j’avais cette fois décidé pour de bon de changer de métier, et puisque l’Éducation Nationale recrute des vacataires, j’étais embauché au pied levé en tant que prof de français en collège. Je recevais mon affectation pour le jour même, c’était à Annemasse, je me disais ah au moins je connais bien Annemasse, avec la résidence de Mustradem et tout, si ça se trouve ce sera un collège où je suis déjà allé. Mais arrivé sur place je ne reconnaissais rien, même le paysage avait changé, les montagnes avaient l’air dix fois plus hautes et plus raides et plus proches, c’était beau mais un peu écrasant. Je passais la grille blanche du collège, la cour était absolument déserte, je commençais à craindre de m’être trompé d’endroit ou de jour. Mais je finissais par trouver la salle des profs où mes nouveaux collègues me dévisageaient en faisant la moue et en me lançant des moqueries (« Si c’est ça le sang neuf ah ah », « Ah ben il était temps, vous le savez que la rentrée c’était le mois dernier ? Vous avez eu une panne de réveil ? » etc.). Enfin un pion avait pitié de moi et m’emmenait rejoindre ma classe, en me prévenant : « Bon, désolé, mais on est à court de salles, pour le moment vous donnerez votre cours dehors, tant qu’il n’y a pas d’orage ça ira, ça va bien se passer, vous verrez », je répondais juste « Ah, bon » et je jetais un œil au ciel, qu’on voyait à peine tellement les montagnes étaient à pic et proches presque à toucher, comme des murs géants au fond du jardin, le ciel était gris et menaçant mais enfin il tiendrait bien encore une heure ou deux, je réfléchissais surtout à ce que j’allais leur faire faire à ces enfants pour ce premier cours, je me rappelais soudain que j’avais oublié de demander si c’était une 6e ou une 3e, merde, merde, attends, mais je commence par quoi en fait ? J’ai rien répété, quel con ! Qu’est-ce que j’aurais en stock pour leur donner un cours de mémoire, au bluff ? Une fable de La Fontaine ? Ah oui une fable de La Fontaine c’est parfait en 6e comme en 3e ça marche toujours, sauf que sur le moment, en déambulant dans ces couloirs sans lumière j’étais incapable de me souvenir d’une seule fable de La Fontaine. Enfin le couloir débouchait sur une arrière-cour, en pente, envahie par les mauvaises herbes et les ronces, où des tables avaient été grossièrement disposées en carré. Le pion m’a planté là en disant “Ils vont arriver” et j’ai attendu en essayant de me fouiller la cervelle pour retrouver une fable de La Fontaine, au moins une, ça faisait comment déjà « le Lapin et le Renard » ? Elle existe celle-là ? Bon à la limite je l’inventerai, de toute façon ils n’y verront que du feu. Mes élèves sont arrivés au compte-goutte et sans un regard pour moi se sont assis autour de la table, ils fumaient. Ils étaient bien plus vieux que ce que je pensais, tous barbus, bodybuildés et tatoués, tiens mais pourquoi il n’y a que des garçons d’ailleurs ? Ce n’était ni des 6e ni des 3e, ils avaient tous plus de 20 ou 25 ans. Allons bon, ils avaient redoublé combien de fois, ceux-là ? Ils en avaient peut-être ras-le-bol des fables de La Fontaine. Je commençais à leur parler, à leur dire bonjour je m’appelle etc., mais ils n’écoutaient pas du tout, ils continuaient de fumer et de blaguer entre eux. Soudain, coup de théâtre, le CPE a surgi derrière moi pour les engueuler et les rappeler à l’ordre : « S’il vous plait ! Il a fait l’effort de venir, écoutez-le ! Ou au moins faites semblant, c’est une question de savoir-vivre ! » Et je l’ai reconnu : ça alors, cette barbiche, cette cravate, ces lunettes… c’était le CPE du lycée Vaugelas dans les années 80 ! Il n’était donc pas mort ? Ou à la retraite, au moins ? Comment il s’appelait, déjà ? Perrin ! Oui c’est ça, monsieur Perrin, c’est dingue tout de même que je retrouve son nom plus facilement qu’une fable de La Fontaine ! On s’encombre la mémoire avec de ces trucs ! Ou alors c’est son fils, qui lui ressemble à mort, oui, c’est l’explication la plus logique, son fils a suivi le même chemin. Qu’est-ce que je fais, je lui dis “Bonjour monsieur Perrin”, pour voir ? « Merci monsieur Perrin, et comment va votre papa, sinon » ? En tout cas je me disais si le CPE est obligé d’intervenir au bout de cinq minutes du premier cours l’année va être longue, et cela m’a angoissé tellement que je me suis réveillé avec le dos bloqué.

Allocher la vedette

21/08/2022 Aucun commentaire
Muhlenbergias capillaris (dite aussi Muhly à poils longs, Muhlenbergie capillaire herbe, Muhly rose, Herbe à cheveux rose…)

Hier j’ai marié ma fille. Ce qui fait qu’exceptionnellement j’étais habillé. Je portais des chaussures neuves, j’avais mal aux pieds, et de plus j’ai beaucoup dansé, beaucoup marché, ce qui n’aide pas.

Cette nuit j’avais les mollets courbatus, des ampoules aux talons et sur la plante, mais j’étais de bonne humeur, la noce avait été joyeuse, alors je continuais de marcher, en boitillant mais le cœur léger. J’enchaînais les kilomètres sur la route toute la nuit, et enfin au petit jour j’arrivais à destination : place des Capucins, à La Mure.

Je devais me rendre ici parce que j’avais été embauché pour exécuter une tâche, hélas j’avais tant marché que je ne me souvenais plus de laquelle. Je faisais le tour de la place et je voyais différents orchestres s’installer, aux coins des rues ou dans des bistros, mince, c’était un festival ? J’étais censé jouer de la musique ? Je n’avais pas pris mon instrument ! Heureusement, non, je n’était pas là pour ça : j’étais attendu pour du jardinage, je devais m’occuper des jardinières et plates-bandes municipales, travail d’intérêt général. Une dame entre deux âges, portant une ample robe bleue des années 70 et un chapeau de paille, assise sur un tabouret, se lève à ma vue et m’interpelle : Ah, te voilà ! Allez, on s’y met ! Ce matin il faut allocher la vedette avant qu’il ne soit trop tard, et il est plus que temps, la saison est très avancée !

Allocher la vedette ? Je n’ai aucune idée de ce dont elle parle, mais je fais mine, j’opine du chef, je me dis qu’il suffit de la regarder faire et de l’imiter. Je lui emboîte le pas vers un immense parterre recouvert d’une graminée à très hautes tiges, aux longues fleurs bleues et mauves. La vedette, je présume ?

La dame me fait une vague conversation, elle me tutoie mais comme je ne parviens pas à me souvenir si nous nous connaissons suffisamment pour partager notre vie privée, je n’aborde pas le mariage de la veille et ma longue marche de la nuit. Je me contente d’observer ses gestes sur l’un des plans de fleurs, et de le reproduire sur un autre plan, à l’autre bout du parterre.

Elle empoigne chaque tige et l’agite, au besoin en faisant remonter son poing par à-coups jusqu’au sommet, afin de faire retomber au sol tous les pétales éparpillés, pistils et pollens. D’accord… j’ai compris… Allocher la vedette signifie procéder à la dissémination des pollens à la surface de la terre, afin de préparer la prochaine génération, la prochaine germination, contribuer au cycle naturel.

Une fois que je maîtrise bien le geste, après cinq ou six tiges de vedettes que j’ai correctement allochées, je tente une plaisanterie : Okay, j’ai compris pourquoi elle s’appelle la vedette, cette plante ! En fait, ce qu’on est en train de faire, c’est, ni plus ni moins, la branler. Seule une vedette peut convoquer du petit personnel, des petites mains, pour se faire branler, au lieu de se débrouiller toute seule. Ah ah ah !

La dame ne rit pas du tout. Elle me regarde interloquée, sans que je réussisse à interpréter son regard, soit choqué, soit illuminé par cette révélation comme si, d’elle-même, elle n’avait jamais réfléchi à son geste traditionnel. Je suis soudain mal à l’aise, aussi je me réveille.

Je me lève avec mes courbatures aux mollets et je consulte au plus vite un dictionnaire, puis un autre, en ligne. Rien à faire, le verbe allocher est introuvable, zut de zut. Je poursuis mes recherches, et je finis par trouver, dans un improbable Anglo-Norman Dictionnary. La forme allocher, avec un ou deux l, est, au même titre que eslocer, eslochier, eslicher, esluisser, esluissier elocher, ellocher, elloschier, une variante formelle du verbe Eslocher qui signifie to loosen, shake loose. Soit agiter pour desserrer, détendre pour libérer. Branler, en somme. Je suis épaté, mon inconscient n’a pas inventé ce mot, il le connaissait, il est plus savant que moi.

On n’a plus le droit de faire ça

14/08/2022 Aucun commentaire
A une dizaine de kilomètres de chez moi : Incendie de forêt, Isère, 11 août 2022, photo Le Dauphiné Libéré/Karine Valentin

Cette nuit, je me trouvais dans un local surchauffé où un courant d’air soigneusement aménagé entre la porte d’entrée et la porte de sortie ne faisait hélas que brasser de l’air brûlant et augmenter encore la température. La salle, vaste mais toute en longueur, avait été grossièrement agencée en tant que centre d’accueil d’urgence et j’étais présent comme bénévole, rappelé pendant mes congés, afin d’assurer quelques services de premier secours auprès des réfugiés. Comme je me tenais debout derrière une banque, en nage, une scanette en main pour lire des codes-barres, il est possible que j’ai été tout bonnement mobilisé d’office pour faire ce que je sais faire, pour enregistrer des livres sur les comptes-lecteurs des malheureux réfugiés, et je m’appliquais à cette tâche, rassuré que la médiathèque soit enfin présentée comme un service essentiel. Or nous étions à quelques minutes de la fermeture de cette médiathèque de fortune, non loin du grand incendie.

Soudain, au moment même où nous prions les dernières personnes présentes de gagner la sortie, une femme entre en trombe, tête baissée. C’est une jeune maman, brune, yeux noirs, mince, accompagnée de sa fillette qui est une sorte de version réduite d’elle-même, trottinant pour rester collée. Elle fonce sur moi mais ne me regarde pas, ses yeux sont pointés vers le sol. Elle me dit : « Pardon mais je suis pressée. »

Elle a l’air de faire la gueule. Je le regrette. Je le prends même personnellement. La vie des réfugiés (elle semble davantage être en vacances qu’en détresse, mais je lui fais crédit) est bien difficile, je comprends qu’elle me fasse la gueule, mais je tiens absolument à la dérider, à la détendre, j’en fais une sorte de mission, un défi, alors je cherche à toute vitesse dans ma tête une répartie qui pourrait la faire sourire.

« Ah, bon, vous vêtes preffée ? Mes plus plates excuses monsieur le Préfet ! Je ne vous avais pas reconnu Monsieur le Préfet ! A vos ordres Monsieur le Préfet ! » Et je redresse torse et menton, je fais claquer mes talons (mes sandales) en plaçant ma paume droite perpendiculaire à ma tempe pour la saluer règlementairement.

Je ne suis pas mécontent de ma blague. Je me retiens de pouffer. Hélas, elle lève enfin sur moi ses yeux très noirs et très beaux, qu’elle fronce pour me foudroyer. Elle est en colère. Elle me dit, calme et excédée, dents serrées : « On n’a plus le droit de faire ça, vous ne le savez pas ? On n’a plus le droit de faire ce genre de blague. » Sa fillette me lance exactement le même regard noir, le même jugement miniature.

Je tombe des nues. Elle est décidément pénible cette époque woke où on n’a même plus le droit de se moquer des préfets, minorité susceptible ! Moi qui justement étais en train de mijoter dans ma tête le récit de cette anecdote pour en faire mon prochain article de blog ou mon prochain post Facebook, peut-être même l’inauguration d’une série consacrée à mes meilleures blagues, qui commencerait par « Vous vêtes preffée ah ah ah » okay, je vais revoir mes plans, je ne peux pas publier ça.

D’ailleurs je me réveille.

Consigne de vote

21/04/2022 un commentaire

Comment ? Il paraît qu’un événement national aura lieu ce dimanche 24 avril ? Attendez, je ne vois pas de quoi vous parlez… Laissez-moi réfléchir… Ah, mais oui, bien sûr ! Le début du stage de printemps à Bourgoin-Jallieu ! Avec notamment l’atelier « Ecriture de chansons » par MMMM (Marie Mazille et Mézigue pour Mydriase) !

Et voilà que, dommage collatéral, cette nuit je participais avec ma fille à un atelier d’improvisation théâtre-clown, dirigé par François Raulin (qui dans le monde réel dirige un orchestre où j’improvise au trombone).
Avec son énergie et sa vitesse habituelles, François lance les thèmes et pousse les gens sur la scène. Il nous désigne, ma fille et moi, en deux coups d’index : « Allez, on y va, hop-hop, vous deux, vous tournez dans une émission de téléralité, il y a le présentateur qui retrace la carrière de son invité et appelle à monter sur scène successivement sa famille, ses amis et son chat. Vous avez deux minutes pour vous préparer. »
Immédiatement j’empoigne un papier et un stylo, je commence à écrire à toute vitesse et je dis à ma fille : « Alors… c’est moi qui tiens le micro, je te présente tout mielleux tout sourire, attends j’ai une super idée, je me fous en caleçon et je te dis comme si de rien n’était : Merci beaucoup d’être venue, nous sommes ravis de vous recevoir, nous avons envie de tout savoir de vous, y compris votre inconscient, vos cauchemars récurrents, par exemple, racontez-nous : cela vous arrive-t-il de rêver que vous apparaissez en public en sous-vêtements, pas du tout préparée ? Ah ah, trop marrant, non ? »
Et en riant je commence à me dessaper. Ma fille lève les yeux au ciel et me dit en soupirant : « Mais arrête, qu’est-ce que tu fous, rhabille-toi, et d’ailleurs arrête d’écrire tout à l’avance, c’est un atelier d’improvisation, pas d’écriture… »
Je me réveille, et je recommence illico à cogiter à notre stage de chansons qui commence dans quatre jours.

Une nuit sous le plafond de verre

30/03/2022 Aucun commentaire

Le Printemps du livre de Grenoble commence aujourd’hui, mercredi 30 mars.

J’interviendrai en marge de celui-ci, parmi les « éclats de lecture » pour animer avec Marie Mazille trois ateliers de création de chansons, vendredi 1er, dimanche 3, lundi 4 – programme ici.

Pourtant cette nuit a d’ores et déjà eu lieu l’inauguration dans mon échoppe enténébrée, cette nuit j’étais invité du Printemps du livre, invité en tant qu’écrivain je veux dire, pas en tant qu’animateur.
J’étais invité mais il n’y avait pas de place pour moi dans les lieux officiels, alors j’étais logé dans un long dortoir aménagé comme un abri de fortune pour réfugiés, dans l’étage désaffecté de la grande bibliothèque Chavant. La nuit était tombée, c’était l’heure du couvre-feu dans le dortoir et j’étais censé dormir sur un lit de camp militaire, en compagnie de personnages mystérieux et livides, aux vagues allures de zombies, poussant des gémissements en famille, dans la lueur bleutée des veilleuses surplombant les portes de sécurité. J’étais allongé mais je ne trouvais pas le sommeil, je me demandais comment je ferais si je devais aller faire pipi. Je me suis réveillé chez moi et je suis allé faire pipi.

Un char d’assaut sur l’océan

07/03/2022 2 commentaires

Ce que font les images en nous…

J’ai été frappé, il y a quelques jours, par une image. Par des milliers d’images, bien sûr. Mais par une image. Celle-ci.

L’image satellite de la colonne de 65 kilomètres de chars russes en route pour Kiev. Colonne qui paraît-il est restée à l’arrêt plusieurs jours pour cause de panne d’essence, détail qui serait comique, quoiqu’un peu invraisemblable, si nous étions en train de regarder un film, un film pacifiste parodiant la guerre, genre On a perdu la 7e compagnie de l’armée russe, ah ah non mais c’est un peu gros quand même, où vont-il chercher toutes ces conneries. Enfin la colonne est repartie, l’image est restée. Elle est restée comme l’emblème, la parabole de la catastrophe en marche, inexorable, lente, patiente, promesse de destruction, de feu et de sang. La mort en panne d’essence. La force de frappe rétinienne.

Je ne dors pas bien. Oh, cela ne date pas de cette semaine ou de Poutine. Je ne dors pas bien et je remâche des mots et des images, parfois pendant le sommeil, parfois même pas. Je mâche en veillant, je rêve sans dormir.

Sans dormir, j’ai rêvé plusieurs nuits de cette colonne de chars d’assaut, collée à ma cervelle, mais je l’ai rêvée dématérialisée des montagnes d’Ukraine et rematérialisée par magie, téléportée en un claquement de doigt, au-dessus de l’océan. Tiens, par exemple, à la verticale de la Fosse des Mariannes, 11000 mètres d’abysse. Je voyais, je vous jure que je voyais comme je vous vois, les chars d’assaut au-dessus de la mer, un à un surgis juste au-dessus de la surface vibrante de l’eau, flottant une fraction de seconde hébétée puis plouf adieu suivant, gloub gloub gros bouillon, les militaires ayant à peine le temps de sentir la résistance de l’eau, et pas du tout celui de comprendre ce qui leur arrive. Qui est incompréhensible, du reste. On ne choisit pas les visions nées de ses insomnies.

Puis, le matin, la journée, le soir, la re-nuit, j’avais cette image en tête, image délivrée par mon phosphore un peu mou et non par l’Internet, pas plus vraie pour autant : Un char d’assaut sur l’océan.

Je trouvais que les mots sonnaient bien, Un char d’assaut sur l’océan, l’octosyllabe est charpenté, le début d’un poème ou d’une chanson, j’ai fini par tenter quelques quatrains en fixant le plafond, histoire de poser des mots sur ce que je voyais :

Un tank à la fosse commune
Ou dans la poubelle je-trie
Ou téléporté sur la lune
Enfin au diable ou en débris

Un char d’assaut sur l’océan
Un char Dassault ou de l’Oural
Une armée réduite à néant
Noyée avec son général

Un char d’assaut sur l’océan
Deux tanks envoyés à la baille
Trois chars dans le gouffre béant
Quatre blindés quelques médailles


Cinq chars six chars et la culbute
S’en vont salir les fonds marins
Leurs tourbillons se répercutent
Tout mollement et plus plus rien

Dix chars vingt chars une colonne
Prend son virage à angle droit
Cent chars tombés dans le canyon
La gravité reprend ses droits

Mille chars jetés dans la flotte
À queue-leu-leu gros éléphants
Leurs artilleurs et leurs pilotes
Les pauvres, ce sont des enfants


La colonne au fond de la fosse
Des Mariannes en caniveau
Mon songe creux, mon idée fausse

Précipité dans mon cerveau

Cohorte avalée par la mer
Conflit englouti par les flots
Je suis rattrapé par l’amer
Par le réveil par la radio.

Enfin, à force de triturer l’image, cette nuit elle a fini par m’apparaître incontestable. Je n’avais plus aucun doute : je n’ai rien inventé, tout était là avant moi, le char sur l’océan est une image ancienne, archaïque même, tout le monde l’a formulée un jour ou l’autre, n’est-ce pas ? Stéréotype, cliché, poncif. Ce qui fait que, très logiquement (on fait de ces choses quand on ne dort pas), j’ai tapé sur Google « un char sur l’océan » pour vérifier méthodiquement toutes les sources historiques qui ne manqueraient pas d’éclore, afin que des images extérieures attestent les intérieures.

J’ai reçu en retour le char de Neptune :

C’était totalement hors sujet. Finalement, après de longs et patients recoupements sur Google Image, la photo la plus fidèle à l’idée que je m’en faisais avant de la connaître était celle-ci :

Il s’agit d’un reportage en Thaïlande datant de 2018. Vingt-cinq carcasses de chars d’assaut T69 ont été précipités dans la mer, ainsi que de nombreux wagons et camions-poubelles désaffectés, dans le but de créer un récif retenant les poissons, qui permettrait aux pêcheurs locaux de remplir un peu leurs filets, amaigris pour cause de surexploitation.

Ah, bon. Les Thaïlandais ne le sauront jamais mais c’était ma vision.

Ce que font les images en nous ? L’imagination.

Wok/e

01/01/2022 Aucun commentaire

Tiens ? Houellebecq est de retour. Il publie un roman le 7 janvier, comme en 2015, lourde date. On va manger du Houellebecq, on en mange. Un mien ami, plus fan que moi, m’a recommandé de regarder sur Youtube sa récente discussion dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne avec Agathe Novak-Lechevalier, professeure et spécialiste de son œuvre, échange intitulé Le livre ou la vie, pourquoi pas.

J’ai tenu 40 mns puis j’ai renoncé en soupirant devant ce happening exaspérant de complaisance. Je n’ignore pas qu’à chaque fois qu’on tend un micro à un écrivain pour qu’il s’épanche sur son œuvre, la complaisance est un danger naturel (je m’en rends compte y compris à ma propre échelle, évidemment plus modeste – et en guise d’antidote à ce penchant peut-être inévitable de la vanité de l’auteur en interview, je ne saurais trop conseiller Fumier, la désopilante Patte de mouche d’Étienne Lécroart) mais alors avec cette vidéo on touche le fond. Cette madame Novak-Lechevalier commence l’interview en hyperventilation tellement qu’elle est émotionnée, puis glousse et se pâme à chacune des saillies (pourtant peu drôles) de son grand homme. Spectacle pauvre (très peu de fond… sur ces 40 premières minutes j’ai relevé une seule idée intéressante, « il y a plus de différence entre zéro et un lecteur, qu’entre un lecteur et un million de lecteurs »), vaniteux et assez ennuyeux, pur fan service et non conférence comme je le croyais.

Houellebecq écrivain m’intéresse et m’amuse (je lirai sans aucun doute son Anéantir comme j’ai lu tous les autres). Houellebecq acteur aussi, chez Nicloux ou Kervern-Delepine, même si son registre est fatalement limité. En revanche Houellebecq vedette m’assomme, et Houellebecq prophète infiniment davantage. À chaque fois qu’il a proféré un avis politique au lieu d’écrire un roman sur le sujet, je l’ai trouvé roi-tout-nu, nul, bêtasse et cependant péremptoire (exemple : La religion la plus con, c’est quand même l’islam, 2014). Au mieux on peut dire de lui, en riant un peu honteusement la main sur la bouche, « Ah celui-là alors il a pas sa langue dans sa poche » comme on ferait d’un poivrot désinhibé au comptoir. Je n’oublie pas qu’en 2016 il roulait à fond pour Macron l’homme neuf (interview enamouré dans les Inrocks), puis peu après les élections de 2017 il disait à qui voulait l’entendre (oh ils sont nombreux à vouloir, les Inrocks et autres Novak-Lechevalier) qu’il donnerait son vote à quiconque lui garantirait le Frexit (en contradiction totale avec Macron le proeuropéen). Depuis il a émis tellement d’éloges idiots de Trump, de Poutine ou, évidemment, de Zemmour, que recueillir son « avis » dans les gazettes n’est rien d’autre qu’un symptôme révélateur de la bouillie politique dans laquelle nous pataugeons. La politique est déboussolée et en toute logique le modèle du grand écrivain « phare politique » de son époque (Voltaire, Hugo, Sartre, Camus) trouve son incarnation parfaite en Houellebecq.

Il n’y a qu’en littérature que je prends Houellebecq au sérieux, parfois. Je me fiche comme d’une guigne de ce que Houellebecq pense de l’euthanasie et cependant je lirai sans faute Anéantir en sachant d’avance qu’il m’horripilera, mais aussi me passionnera, me fera rire, dans le meilleur des cas m’attendrira, puisque j’aime la tendresse contrariée de Houellebecq. En attendant, je lis ses interviews en secouant la tête alternativement dans le sens vertical et le sens horizontal. Et dans Le Monde je relève ceci :

« Moi, je ne m’intéresse pas trop à Freud, j’ai beaucoup de reproches à lui faire, mais je m’intéresse vraiment aux rêves, et je suis très content d’en avoir mis autant dans Anéantir. Le rêve est à l’origine de toute activité fictionnelle. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que tout le monde est créateur, parce que tout le monde reconstruit des fictions à partir d’éléments réels et irréels. C’est un point important. Moi, j’écris quand je me réveille. Je suis encore un peu dans la nuit, il me reste quelque chose du rêve. Je dois écrire avant de prendre une douche, en général dès qu’on s’est lavé, c’est foutu, on n’est plus bon à rien. »

J’opine. Et j’en profite pour faire un tour dans ma propre Échoppe enténébrée. Voici ma première aventure nocturne de l’année 22, qui a sans doute été influencée par le visionnage, la veille, d’un échange dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne.

Cette nuit j’étais bien embêtée parce que j’étais invité à prononcer une causerie dans je ne sais trop quel colloque sur le campus de Grenoble et je ne maîtrisais pas mon sujet, j’avais procrastiné pendant toutes les vacances et je ne l’avais pas assez préparé. J’avais pourtant imprimé un peu de documentation, essentiellement des copiers-collers de Wikipedia, en me disant que je les relirais en chemin, mais soudain je m’apercevais que j’avais oublié ces feuillets dans mon imprimante. Je déambulais sur le campus, je sortais de la galerie des amphis, le longeais la BU et je marchais en direction de l’IEP, et au lieu d’avoir sous le bras mes précieuses antisèches, je portais une poêle à frire, assez haute, avec son couvercle en verre, flambant neuve puisque reçue quelques jours plus tôt en cadeau de noël. Tout en marchant je pestais contre moi-même, non mais franchement à quoi pensais-je, cette poêle pouvait bien attendre, j’aurais mieux fait d’occuper mon week-end à préparer mon intervention. Enfin j’arrivais dans l’amphi, je grimpais à la tribune où je reconnaissais quelques personnes, je remarquais une parfaite parité, trois hommes dont moi-même et ma poêle à frire, et trois femmes. Je m’asseyais en souriant et saluant tout le monde, mais je transpirais beaucoup et j’espérais que je ne serais pas le premier à passer, les interventions des autres devraient me laisser le temps de me souvenir de quoi j’étais censé parler. Heureusement, je me suis réveillé avant que le colloque ne commence.

Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que cette poêle à frire (présent réellement reçu à noël) était un calembour lacanien. Le nom chinois de ces poêles aux bords relevés est wok. L’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble est présentement empêtré dans une affaire aux pénibles relents « woke ».