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Articles taggués ‘Le Fond du Tiroir’

2013 année zéro

04/01/2013 2 commentaires

Tout reste à faire, aucun acquis, nul ne m’attend, manches troussées. Je repars à zorro, babaille lypémanie, je vise en riant le ventre du gros sergent 2012, je signe à la pointe de l’épée, fuit fuit fuit.

Le Tiroir est douillet, chauffage central et murs capitonnés. Je m’en vais hiberner, rendez-vous au printemps. Adieu ! Si tout se passe bien j’en sortirai grandi, j’aurai écrit du substantiel. Mon plan de travail pour 2013 : aboutir deux gros livres ainsi que, pour m’amuser, deux petits. Ah ah ! Jamais, jamais, jamais réussi à me tenir cette sorte d’agenda pain-sur-la-planche… J’en dresse encore pourtant, j’y crois, naïf comme un bleu-bite, c’est bon signe, je ne suis pas si décati que ça finalement.

Le prochain livre mis en chantier par le FdT sera une triple première : un roman de genre (pour me dégourdir l’imagination) ; un livre CD (parce que la musique, bon sang, la musique) ; un livre co-écrit avec un musicien (pour les deux raisons pré-citées). Nous l’éditerons peut-être à l’automne, ou alors plus tard, ou alors jamais, on verra, on s’en fout, on est insoucieux de tous les équipages, je vous en souhaite autant, joyeux 13 radieux, à plus tard, je vous embrasse sous le gui.

(La vérité, c’est que j’adore le gui. C’est une plante ingrate, pas très jolie, parasite, sans racines, toxique, férocement éliminée comme une vulgaire ortie, mais en hiver elle est aussi belle que le sapin (de noël) et pour les mêmes raisons : elle est vivace, elle s’accroche, elle pousse alors que le reste de la nature dort si profondément qu’on pourrait croire que tout a succombé et pour toujours. Pas étonnant que l’un comme l’autre soient utilisés dans nos rituels de saison, à proximité du solstice : on leur confie l’incarnation de notre espoir dans le renouveau, la renaissance, au pire l’adaptation, au mieux l’exultation, promise pour plus tard, après la neige. J’aime me promener dans la forêt l’hiver, lever la tête vers le ciel vide et blanc, et voir les arbres secs, dégarnis, chauves, inertes, mais pourtant ornés ici et là d’une grosse boule broussailleuse de gui. C’est une vision bizarre, surnaturelle, une portée d’œufs extraterrestres couvés à notre insu, et rassurante en même temps, la vie dans la mort, le yin dans le yang. En décembre dernier je suis allé en forêt, j’en ai ramené du gui que j’ai accroché sur ma porte. Je crois surtout que j’aime bien les rituels, au fond. Et puis j’aime aussi le Winterreise de Schubert mais il n’y a peut-être pas de rapport.)

Voici, en exclusivité, ma tête de 2013 :

Le fonds (de pension) du tiroir (caisse)

02/11/2012 2 commentaires

Le Fond du tiroir étant une association, il convient d’en dresser régulièrement le bilan financier puis de le délivrer à tous les adhérents. J’ai en main la liste à jour des adhérents, je constate non sans quelque regret que vous n’en faites pas partie (ah ne jouez pas les innocents la main sur le coeur, n’aggravez pas votre cas vous êtes grotesque, « Mon Dieu est-ce possible j’ai donc omis de renouveler ma cotisation comment ai-je pu négliger »), mais je vous le donne tout de même ce bilan. Parlons argent.

Jusqu’à cette année, lors de chaque nouvelle publication, mon rêve d’autofinancement du FdT était systématiquement remis à plus tard, et il me fallait cracher au bassinet peu ou prou si je voulais vraiment que le livre existe. À titre indicatif, quand le FdT a réédité La Mèche en 2010, j’ai dû afin de boucler le budget de fabrication du livre pré-acheter environ 90 exemplaires et signer un chèque de 90 x 12 euros, moi Fabrice Vigne, au Fond du Tiroir, à charge pour moi de revendre de la main à la main ces 90 foutus exemplaires (aux dernières nouvelles, il m’en reste 12 à écouler avant d’être intégralement remboursé, or ça me plaît cette douzaine, on se console comme on peut, il se trouve que La Mèche est un livre sous le signe du 12).

Eh bien là, non ! La perfusion est conjurée, au cul la danseuse, eh oh y’a pas marqué mécène de moi-même. Grâce à une heureuse conjonction de trois facteurs : la co-édition raisonnée avec Jean-pierre Blanpain, une bourde de dernière minute qui a diminué drastiquement le tirage sans modifier le prix de revient par exemplaire, et surtout une excellente réponse à la souscription (nous misions sur 100 souscriptions, nous en avons reçu 97, autant dire que c’était gagné, merci à tous, merci 97 fois), Double tranchant, qui est pourtant le plus beau livre du Fond du tiroir (puisqu’il est le dernier en date) a pu être produit avec les fonds propres de l’association, sans que je ne débourse un centime.

Oh, la crise (partout-partout) c’est comme la guerre, elle ne peut se conjurer que temporairement, et j’ai le vague pressentiment qu’en 2013, lorsqu’il me faudra procéder à la réimpression dispendieuse de Double tranchant, cette fois-ci sans réserves financières ni souscription possible puisque mon réseau sera tari, je devrai à nouveau mettre la main au porte-monnaie…

Mais à court terme ces comptes sains ont des conséquences énormes : d’abord je suis de bonne humeur, ensuite je ne change pas mes jetons, je les pousse avec désinvolture sur le tapis, je remise tout sur le numéro 13, allez hop, tournez croupier, valsez martingale ! Tenez-vous bien, le FdT publie un nouveau livre dès le mois prochain, oui messieurs-dames.

Quel livre ? Celui qui a été abandonné au printemps dernier après moult péripéties, je ne résume pas les épisodes précédents, vous n’aviez qu’à suivre : Lonesome George, mais si, souvenez-vous, ce livre qui évoque au passage la fin du monde du 21 décembre prochain, et dont j’avais dit Ouais ouais soit je le fais avant le 21 décembre 2012 soit jamais, or c’était bien parti pour être jamais, il y a quelques mois le FdT m’apparaissait à l’article de la mort, l’annulation de ce livre entraînait avec lui la fin pure et simple de l’aventure, mais la vie est pleine de surprises.

Autant Double tranchant se voulait (et se révèle) objet d’art, majestueux qui se pose un peu là, beauté du geste en accord avec son sujet même, autant George sera un livre plus lâché, plus modeste, plus cheap (le prix de vente provisoire est 9 euros), plus d’actualité, plus petit, numérique, mais très beau quand même parce c’est plus fort que nous. Autre différence : pour celui-ci nous n’enverrons pas de souscription par courrier timbré (en lettre verte). Si le FdT dispose de votre adresse mail, vous recevrez dans quelques jours le bon de souscription par ce moyen. Et sinon ? Bah, si vous êtes parvenu jusqu’ici, vous trouverez bien le bon de commande en temps utile.

Procédons à présent au bilan carbone. Soucieux d’écologie, le FdT renonce définitivement à faire imprimer ses livres en Chine. Le précédent livre ainsi que le prochain sont tous les deux imprimés par les Impressions Modernes, en Ardèche, et nous en sommes contents.

Merci à Franck Prévot pour le titre de cet article.

Beau comme le déclic d’un cran d’arrêt

17/09/2012 Aucun commentaire

Double tranchant est sous presse. Il mesure 22 cms sur 30, il pèse un peu moins de 300 grammes, il est imprimé en bichromie, sous une couverture à rabats, il est doté d’un n° d’ISBN tel qu’on en voit peut (rendez-vous compte : 978-2-9531876-7-0), il coûte 17 euros… Que dire de mieux ? J’ajouterais bien qu’il est très beau, mais je me rends compte que je me répète, « beau » est sans aucun doute le mot que j’emploie le plus souvent pour décrire les livres du Fond du Tiroir.

Double Tranchant est une nouvelle coutelière et illustrée de main de maître par Jean-Pierre Blanpain, au moyen de linogravures rehaussées d’une seule couleur, mais quelle couleur, celle de la violence et celle du progrès, celle du sang et celle des émotions, celle du Double et du Tranchant. Depuis près d’un an, recevoir par mail les linos gravées par JPB en préparation de ce livre est un immense bonheur. Il en a dessiné 17 en tout, soir 17 variations graphiques sur les couteaux, et je croyais qu’il en avait terminé. Mais non : il a décidé de se fendre d’une 18e lino, au sujet autobiographique (JPB himself en train de découper ses linos), qui n’apparaîtra pas dans le bouquin, mais sera tirée à part et fera l’objet d’une estampe numérotée et signée que nous glisserons exclusivement dans les exemplaires réservés aux souscripteurs, c’est-à-dire ceux dont les commandes nous seront parvenues avant le dévoilement officiel de l’ouvrage, le 15 octobre.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire : télécharger et imprimer sans plus attendre le bon de commande. Il est drôlement beau, ce bon de commande. Ah, zut, et voilà, je l’ai dit, c’est comme ça, je dis beau, je parle beau, je fais beau, je vise beau, je vous trouve très beau également.

Allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés

27/07/2012 un commentaire

Le bleuet des champs ou centaurée contient des antioxydants réputés ralentir le processus de vieillissement. L’on utilise, depuis les temps immémoriaux dits Temps de bonne femme, l’eau de bleuet pour adoucir les peaux irritées, décongestionner les yeux cernés, apaiser les corps meurtris, réconforter les existences en général. La centaurée (Centaurea cyanus) doit son nom au sage Chiron, précurseur à six membres de la pharmacopée, qui soigna les blessures d’Achille grâce à une décoction de bleuets.

En sus de si considérables vertus, le bleuet est le totem de la librairie la plus stupéfiante de France.

« Le Bleuet » avec un B majuscule qui est la moindre des choses a été fondé en 1990 par Joël Gattefossé, au milieu de nulle part, soit à Banon, village de moins de 1000 habitants des Alpes de haute Provence. Déjà, ouvrir une librairie ! De quoi faire pouffer n’importe quel banquier un tant soit peu sérieux. Mais à la cambrousse, en plus ! Or, visionnaire ou mégalomane, en tout état de cause libraire forcené et bosseur extravagant, l’énergumène Gattefossé voit les choses en grand, et petit à petit fait de son échoppe une des plus importantes librairies indépendantes de France, la septième en chiffres d’affaire, 13 salariés (soit 8% de la population du village), 110 000 titres disponibles (soit un choix de 110 titres pour chacun des habitants), un stock de 200 000 volumes (soit 200 par habitant), 500 ventes quotidiennes (soit 1/2 livre par habitant et par jour – bon, j’arrête la blague, il est évident que sa clientèle n’est pas autochtone).

Il ne compte pas s’en tenir là : pour passer aux choses sérieuses, il a entrepris des travaux pharaoniques (première tranche en 2012, un hangar de 1700 m3 bâti à portée de main dans la vallée) afin d’atteindre le stock du million de volumes. Ambition : devenir en 2015 la première librairie de France en fonds littéraire – vous cherchez un livre ? s’il existe, le Bleuet l’a. Il s’attaquera ensuite quand il aura cinq minutes à la vente en ligne, ouvre cet automne son site internet, escomptant fissurer la situation de quasi-monopole d’Amazon, pas moins.  Ce type est fou.

Je vous en cause parce que l’histoire est édifiante, un fou qui délire pour la bonne cause étant un bon fou, et une utopie qui fonctionne réchauffant toujours le coeur, mais aussi parce que les livres du Fond du tiroir sont introuvables en librairie. Sauf à Banon, capitale de la littérature française, 1000 âmes. J’ai rencontré le Bleuet et son patron à Montfroc, sur le salon du livre bio, et je leur ai abandonné mes petits produits artisanaux. C’est ainsi que, même pendant les congés d’été, la centaurée veille sur la bibliodiversité. Et décongestionne les yeux cernés.

On a tous besoin d’hamour

25/06/2012 4 commentaires


Ma petite entreprise, mon terrain de jeu et de liberté, mon utopie à roulettes, mon « Fond du tiroir », a donc volé en éclats. Alors que j’avais un planning de deux publications en 2012 (mai et octobre), Patrick Villecourt, mon graphiste, factotum et ami, co-inventeur de tout ce qui concerne le Fond du tiroir, me tire sa révérence dans le dos, mettant un terme brutal à quelque chose comme six ans (puisqu’il y eut une vie avant le FdT) de collaboration fructueuse, fébrile et rigolote. Il m’explique qu’il n’est plus capable de rester des heures devant un écran à composer des livres, ça l’emmerde, ça le fait souffrir, ça le laisse froid, il n’a qu’une envie, déguerpir, prendre l’air, s’occuper de ses ruches, de ses essaims et de son miel. Que faudrait-il répondre ? Naturellement je ne lui en veux pas, comment pourrais-je, il me reste encore un paquet de mercis à lui dire. Je te souhaite bon miel, vieux.

Pour me consoler il me la joue « les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, tu peux continuer avec n’importe qui », mais je ne vois pas les choses ainsi, je considère Patrick comme le co-auteur des 7 livres réalisés ensemble (le summum étant bien sûr J’ai inauguré IKEA, objet particulièrement graphique, où sa part de travail est supérieure à la mienne). Moi j’avais dans l’idée que le FdT était un duo, j’écrivais, il visualisait, on éditait à deux. Certes rien ne m’empêcherait, rien ne m’empêchera, de reformer un duo avec n’importe qui (l’un des deux livres prévus, au moins, reste à l’ordre du jour, sans que je sache ni où ni quand ni comment, et à peine pourquoi), mais ce ne sera pas le même cadre, ce ne sera pas sous le logo dessiné par Patrick.

Cette fin brutale était (presque) imprévisible, elle est en tout cas malencontreuse, parce qu’elle advient au moment précis où, ayant échoué depuis lurette intéresser des éditeurs traditionnels à mon travail (le dernier contrat que j’ai passé pour un livre date de 2009), j’avais fait une croix sur toute velléité de pénétrer le paysage éditorial français, bien décidé à occuper, en guise de position stratégique, le seul fond de mon tiroir. Le tiroir se délite et me voici tout nu.

Merci à tous ceux qui, dans mon dénuement, m’ont adressé un petit message d’hamour.

Je vais écrire un petit peu. Et voir ce que ça devient. Comme toujours.

Cette chronique est dédiée à la mémoire de Lonesome George, mort hier, dans la force de l’âge.

Suspense

08/06/2012 3 commentaires

Rien ne va plus. J’avais entrevu, dos au mur mais citant Flaubert pour me donner du coeur (« si vous n’êtes pas un coquin… »), la perspective d’un nouveau livre, réalisé rapidement, souscription en mai, sortie en juin, et dans la foulée l’opus suivant illico mis en chantier.

Finalement, tout croule et tombe au fond des limbes. Le livre en question n’est pas sorti, ne veut pas sortir, ne sortira peut-être pas. Le Fond du Tiroir en reste hébété. C’est quoi, cette odeur ? L’est en sapin, le Tiroir ? Patrick et moi aurons fait sept livres ensemble, ce n’est pas rien sept fois le plus beau livre du monde, mais le huitième ne vient pas, ah. Tarkovski, qui croyait dur aux fantômes, avait lors d’une séance de spiritisme invoqué l’esprit de Pasternak, et reçu de lui cette prophétie : Tu ne feras que sept films. Puis Tarkovski a fait sept films, et il est mort. Moi, pour les fantômes, je ne me prononce pas, mais sept est un joli chiffre.

Le blog aussi est suspendu dans cette mauvaise passe. À plus tard. Peut-être.

La suite en avant

21/04/2012 4 commentaires

On efface tout, on recommence, rien dans les pains, rien dans les moches. La situation de mon prétendu prochain livre s’est à nouveau contredite depuis le précédent post : à l’issue d’un trimestre de tergiversations, le Rouergue a fini par refuser poliment mon petit manuscrit intitulé Lonesome George. Les relations entre les deux parties sont restées cordiales, il n’y a simplement pas eu moyen de s’entendre. Ils ne pouvaient me publier en l’état sans dépareiller leur collection, je ne pouvais me plier à leurs exigences de modification sans dénaturer mon intention initiale, tout ça pour 36000 malheureux signes (espaces compris), trois fois rien sans doute, oui mais ce sont mes 36000 signes à moi. Ils restent à moi. Rien qu’à moi. Je suis bien avancé. Retour à la case Fond du tiroir.

Je gamberge sur ce rendez-vous laborieusement manqué, je ne dors pas, je divague, je rumine pour et contre, cette fin de non-recevoir s’ajoute aux déconvenues de Double tranchant, c’était bien le moment, je me demande si je suis encore, littérairement et/ou psychologiquement capable de publier chez un autre éditeur que le Fond du tiroir, je me figure irrémédiablement hors jeu, hors cadre, hors réseaux et hors paysage, hors logiques éditoriales, hors tout, I’m a poor lonesome je-ne-sais-quoi and a long-long way from je-ne-sais-où. Dans le même temps, je suis en train de lire la fort intéressante Sagesse de la conteuse écrite par Muriel Bloch (je dois prochainement l’interviouver en public). Forcément, elle y raconte un grand nombre d’histoires, dont celle-ci, qui sonne comme un avertissement :

[Je me promis] de ne jamais ressembler au conteur solitaire de la ville de Prague qui, selon la légende, racontait sans public. À l’enfant qui lui faisait remarquer qu’il parlait tout seul, l’homme répondit : « Autrefois je racontais pour changer le monde, aujourd’hui je raconte pour que le monde ne me change pas ».

Est-ce moi ce conteur autiste confit dans ses histoires pour personne, ce dérisoire graphomane gaga sur une place de village déserte ? Non, je ne crois pas, puisque je reste convaincu que le geste esthétique n’existe pas sans un récipiendaire, fût-il unique, je l’ai déjà dit. Mais alors quoi ?

Alors, je me retrouve avec sur l’établi deux livres qu’il faudrait simultanément éditer au Fond du tiroir mais l’argent manque parce que personne n’a acheté les précédents. La raison exigerait que je me lève, que je fasse craquer mes articulations, et que je quitte dignement la place de Prague, deux histoires encore dans la gorge. Ce petit Lonesome George est soit urgent soit nul, il faudrait le faire tout de suite (genre : souscription mai, sortie juin), ou jamais. Les deux hypothèses ont des charmes.

En attendant, lisons ce que dit Flaubert des éditeurs dans sa correspondance, ça nous distraira :

La manie qu’ils ont de corriger les manuscrits qu’on leur apporte finit par donner à toutes les oeuvres, quelles qu’elles soient, la même absence d’originalité. S’il se publie cinq romans par an dans un journal, comme ces cinq livres sont corrigés par un seul homme ou par un comité ayant le même esprit, il en résulte cinq livres pareils. Voir comme exemple le style de la Revue des Deux Mondes.
Tourgueneff m’a dit dernièrement que Buloz lui avait retranché quelque chose dans sa dernière nouvelle. Par cela seul, Tourgueneff a déchu dans mon estime. Il aurait dû jeter son manuscrit au nez de Buloz, avec une paire de gifles en sus et un crachat comme dessert. Mme Sand aussi se laisse conseiller et rogner ; j’ai vu Chilly lui ouvrir des horizons esthétiques et elle s’y précipitait. Nom de Dieu ! Il en était de même pour Théo[phile Gautier], au Moniteur, du temps de Turgan ! etc. Eh bien ! De la part de pareils génies, je trouve que cette condescendance touche à l’improbité. Car, du moment que vous offrez une oeuvre, si vous n’êtes pas un coquin, c’est que vous la trouvez bonne. Vous avez dû faire tous vos efforts, y mettre toute votre âme. Une individualité ne se substitue pas à une autre. Il est certain que Chateaubriand aurait gâté un manuscrit de Voltaire et que Mérimée n’aurait pu corriger Balzac. Un livre est un organisme. Or, toute amputation, tout changement pratiqué par un tiers le dénature. Il pourra être moins mauvais, n’importe, cela ne sera pas lui.
(Lettre à Charles-Edmond Chokecki, 26 août 1873)

Quadrennat (bilanzeperspectiv 1/2)

09/04/2012 Aucun commentaire


Par essence est obscur ledit Fond du tiroir. J’y joins de la lumière, et vlan, fiat lux. En chandelles, par exemple. Par groupe de quatre. J’aime la lueur des bougies. La Mèche qui vacille et fait danser les ombres…

9 avril 2008 / 9 avril 2012 : quatre bougies pour le FdT ! Le webmestre dévoué (et masqué) vient de renouveler le bail annuel, on le remercie et on lui colle une bise sur chaque joue. Au terme de mon mandat, je tire tête haute le bilan de ce quadrennat et présente à mes e-lecteurs un programme courageux pour temps de tourmente, afin qu’ils me renouvellent leur confiance pour les quatre prochaines années. (Hum, pardon, j’ai du politiquement correct dans la gorge, le climat actuel est mauvais pour les bronches, je crache ce vilain glaire, ric-ptou, et reprends ma causerie au coin du feu.)

Quatre ans d’écritures, quatre ans d’art et essai, de tentatives, de rêves, d’exaltations, d’improvisations et de constructions remises sur le métier, quatre ans de livres et de doutes. Et ensuite ? Four more years ? Sera-t-on encore là en 2016 ? Je ne sais vraiment pas… Il a peut-être fait son temps, le FdT, je pourrais aussi bien passer à autre chose, m’empoisonner et m’enchanter l’existence autrement. Comme l’écrit très justement un ami libraire qui s’apprête à fermer sa boutique sans la moindre rancoeur, et à qui j’adressais mes condoléances en déplorant l’incompatibilité de la passion et de l’économie réelle, « Je dois t’avouer que je trouve intéressantes ces fameuses lois de l’économie dans leur rude franchise ! Au moins on ne peut pas tricher. Un projet qui n’intéresse que peu de monde risque – s’il perdurait – de passer de passion à caprice. Et ça n’est pas forcément intéressant. » J’en prends bonne note.

En ce qui concerne les publications, le rythme est d’ores et déjà brisé, puisque je renonce formellement à pérenniser l’ambition initiale de deux livres par an (certes, à ma montre, quatre ans = huit livres au catalogue, on y est, même si deux parmi les huit enfin bon bref). Pour faire des livres, il faudrait vendre ceux qui existent. Les cartons s’accumulent dans mon garage, les stocks pâteux font des grumeaux dans le flux, et la trésorerie manque. Pourquoi ajouter sur cette terre des livres que je trouverai à nouveau les plus beaux du monde mais que je ne vendrai pas non plus ? D’autres problèmes s’ajoutent à ceux de type grec. Je ne vous dis pas tout.

Financièrement, l’association « Le Fond du tiroir » n’aura jamais réussi à trouvé son équilibre. Le seul livre dont les ventes ont permis de rembourser ses frais de fabrication est J’ai inauguré IKEA (et presque pour la Racontouze). C’est peu. La Mèche, particulièrement, que je me figurais compromis idéal entre mes exigences artisanales et un accès tout-public, et pour lequel le FdT a accompli de sensibles et peut-être malencontreux efforts de normalisation et de distribution, me reste finalement sur les bras par palettes. Je dois bien avouer, sans vouloir gâcher l’anniversaire, que le pari initial, à savoir vendre un minimum, oh pas dans le but de dégager le moindre bénèf, mais juste afin de financer le livre suivant, n’a jamais été atteint, et j’ai avalé bien des couleuvres. Le réalisme économique a fini par me rattraper, et la crise, partout-partout, ne m’arrache plus qu’un sourire crispé. 2012 est l’année où j’ai repris mon emploi salarié à plein temps, bien content de pouvoir, même. Tu m’étonnes, que je trotte !

Demain, suite et fin du rapport moral : perspectives 2012. Il y en a.

Foudroyant comme la tortue, mon totem

04/02/2012 un commentaire

Rêvé il y a quelques nuits : je découvre dans la poche arrière de mon jeans un chèque froissé de 4320 euros. Peu à peu les souvenirs me reviennent : à l’époque où j’habitais Troyes, j’avais été embauché pour animer une vente de charité. Un piano était le plus gros lot de ces enchères. C’est Yves Simon qui avait remporté le piano, pour 4320 euros, et m’avait signé ce chèque. Défroissant le chèque, je décide d’en faire un article sur mon blog : « Yves Simon est vachement sympa, il n’a pas hésité à débourser cette grosse somme d’argent pour nos bonnes œuvres. Et à présent, puisqu’il a remporté un piano, il va pouvoir se mettre à la musique ». Après réflexion, je me dis que cette blague est méchante et gratuite, en outre pas très drôle, et que je ferais mieux de ne pas la rendre publique. En plus, ma compagne me recommande la prudence : « Yves Simon est un nom très banal, tu es sûr qu’il s’agit du bon ? Quel qu’il soit, il va vouloir qu’on lui rende des comptes, savoir ce qu’est devenu son chèque… »

Rendre compte de ce qui a été investi durant ma résidence troyenne. Hum.

Selon les jours et les heures, mon totem est la tortue, ou l’ours, ou le pingouin. Là, c’est la tortue qui prend nettement la tête de la course : j’avais prévenu que je ne reviendrai ici que pour annoncer un livre, or j’ai l’honneur de beugler discrètement dans mon sourd porte-voix que mon prochain livre sera Lonesome George, élégie pour un poignant célibataire anapside. N’étant parvenu à intéresser aucun éditeur à cette tortueuse histoire, je me résous bravement à l’éditer au FdT. La partie de mon cerveau « invention d’un livre », voisine du département « écriture classique, moderne et de caractère », s’agite présentement. Parution avant l’été. Bon de souscription à mi-chemin. Si du moins je remets la main sur mon directeur artistique, bon sang je ne sais plus ce que j’en ai fait, j’étais pourtant sûr de l’avoir posé là.

Quant à mon autre projet à court terme, Double tranchant, il se trouve pour l’heure en transit intestinal, ou en lecture, je ne sais plus, je confonds toujours les deux, dans une paire d’officines éditoriales parisiennes, et inch’Allah. Le toujours vert Jean-Pierre Blanpain, co-auteur de cette aventure coutelière, m’a fait remarquer que le terme latin bipennis exprimait à lui tout seul la notion technique « Double tranchant », ce qui ne saurait faire du tort à notre virilité. Puisqu’on en est au rayon physiologie, comme à chaque fois que j’envoie un manuscrit à un éditeur et que la réponse tarde, je viens de me fader ces derniers jours une jolie petite poussée d’eczéma. Faut croire, et c’est un scoop, que mon objectif occulte lorsque je m’adonne à l’auto-édition est de prendre soin de ma peau (et de ma carapace).

Autre avatar de cette nouvelle aiguisée : la lecture publique. Courant janvier, Melle Vanessa Curton m’a aimablement convié à causer devant micro dans les studios de RCF Isère. Le résultat de l’intreviouve fut si copieux qu’il fut finalement décidé  d’en faire non pas une mais deux émissions d’une demi-heure, diffusées à quinze jours d’intervalle. La première, écoutable ici, est consacrée au Fond du tiroir en général, aux conditions de la résidence d’écriture, à mon gros chantier inachevé… La seconde, que je mettrai en ligne dans quelques jours, contiendra la mise en scène et en onde de la nouvelle Double tranchant par votre serviteur (spéchol sinx à Maxime Barral-Baron). Et ci-dessous, en bonus, Melle Corday dessinée par M. Blanpain.

Introduire/Fold (Troyes épisode 86)

07/12/2011 5 commentaires

Hier, prenant patience dans la queue du bureau de poste pour réceptionner une bouteille d’huile qui n’entrait pas dans ma boîte aux lettres, j’ai entendu le postier poser cette très intéressante question à l’usager qui me précédait : « Cela n’a aucune valeur ? Ce ne sont que des écrits ? » On est bien peu de chose. J’ai attendu mon tour, et je suis reparti avec mon litre d’huile sans faire d’histoires.

Parmi les écrits sans valeur dont il m’a été donné de me nourrir par le passé, Le Pékinois de Jacques Perry-Salkow, délicieux recueil d’anagrammes (Albert Einstein = Rien n’est établiClaude Levi-Strauss = A des avis culturels ; Roméo Montaigu/Juliette Capulet = J’aime trop ta gueule/Et moi, ton cul ; Robert Doisneau = D’où notre baiser, etc.) Ainsi que le Discours sur l’origine de l’univers d’Etienne Klein, captivante méditation vulgarisatrice.

Je me supposais un goût fort original, pour enchaîner deux lectures aussi disparates… Mais voilà que ces deux auteurs, le farceur anagrammatique et le brillant physicien, sont plus originaux que moi : ils viennent de signer un livre à quatre mains, intitulé Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde. Ce livre étonnant jongle avec l’ordre des lettres et celui des particules élémentaires, deux sortes de quêtes, deux révélations homothétiques. On découvre pantois que percer les mystères du langage faute de ceux de l’univers, eh bien c’est drôlement mieux que rien, et, même, que c’est de la poésie. Je me réjouis très sincèrement d’apprendre que La courbure de l’espace-temps contient dans son principe Superbe spectacle de l’amour. La cohérence est miraculeuse comme de se souvenir que, puisqu’aucun atome n’a été créé depuis le big bang, nous sommes faits des mêmes poussières d’étoile que feu les dinosaures.

Comme ce livre est très stimulant, j’ai passé une heure et demie à tenter de faire surgir le sens anagrammatique caché du Fond du Tiroir – oui, une heure et demie d’anagrammes, je présente mes excuses à ceux qui peut-être s’imaginaient que je consacrais toutes mes heures de veille à forger des chefs-d’oeuvre (je ne crois plus aux chefs-d’oeuvre depuis que je connais l’avis du facteur). Et voici le résultat de mes recherches non subventionnées par le CNRS :

Le Fond du Tiroir = Introduire/Fold

Qu’est-ce à dire ? Introduire et fold, deux mots qui semblent sortir d’une partie de poker et qui pourraient se traduire par : lancer la partie, puis se coucher. Ouvrir puis fermer. S’engager puis se retirer (je préciserais bien ‘rien de sexuel’ mais mon déni serait suspect). Entreprendre, puis renoncer. Commencer, et ne pas terminer. Hum… Pas un très bon présage. C’est tout des conneries finalement ces histoires d’anagrammes.

Ça suffit. Bonne nuit. Je me couche.

(Londonomètre : 2)