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Mirliton Matin bleu (M.M. volume 1 : janvier 2023)

14/01/2023 Aucun commentaire

Jour Zéro

Oyez, oyez, oh yeah !
Dès le premier janvier
Adviendra le Grand Soir
Dans le Fond du Tiroir :
Marie Mazille et moi
Lançons, pour tout le mois,
Un nouveau quotidien !
Le « Mirliton matin »
Un média poétique
Musical sans musique
Qui traitera l’actu
Hors des sentiers battus
Rimaillera les faits
Pour les réenchanter !
(Ceci en prévision
De notre création
D’un concert en duo
Qui aura lieu bientôt :
Le vinteussept janvier.)
Oyez, oyez, oh yeah !

Le 1er janvier 2023 la page Fatchebouc du Fond du Tiroir accomplira une mue provisoire et deviendra… Mirliton Matin !
Mirliton Matin est un média éphémère (espérance de vie : deux mois/ obsolescence programmée : le 28 février), gratuit et joyeux qui, afin de résister à la sinistrose alimentée sans fin par l’actualité, ressuscitera la tradition du quatrain de circonstance et rimaillera sur quelques informations tombées aléatoirement sous nos yeux ou bien choisies sur le volet, aux bons soins de nos deux envoyés spéciaux sur le front de l’hémistiche, Marie Mazille et Fabrice Vigne.
Rien ne vaut un exemple… Aussi, en avant-première, je sélectionne immédiatement et sous vos yeux, mesdames et messieurs, une quelconque info du jour, ah, tiens, elle est particulièrement plombante, tant pis, c’est le jeu, cueillie sur Médiapart… et j’en concentre, comme en un creuset alchimique, la substantifique moelle pour faire naître un quatrain bien senti… alors le miracle s’accomplit ! La vie soudain, même la nôtre, même la vôtre, même celle des sapins toxiques, est infiniment plus gracieuse en alexandrins :

« Mon beau sapin, roi des forêts au vent fétide !
Une épine corrompt la magie de noël :
Des branches du Nordmann tombent les pesticides
Et nous les savourons en guise de cocktail
. »

Jour 1

1er janvier, MIRLITON MATIN !
Demandez MIRLITON MATIN !
Le quotidien qui vous enchante et qui paraît quand ça lui chante !
Le quotidien qui vous emballe et qui fait vibrer les timbales !
Le quotidien qui vous enivre et qui vous cause comme un livre !
Le quotidien qui rime ailleurs et qui devient bouquet de fleurs !
Le quotidien qui prend l’actu et lui colle une plume dans l’flux !

Lors, que puiserons-nous dans le remugle immonde
Des actualités qui encombrent le monde ?

George Santos est un sensationnel vantard
Nouveau champion poids lourd du cynique bobard
Fringante incarnation du futur politique
Qui nous vient (forcément) de New York, Amérique.
Enfoncés, les Contras, l’Irangate de Ronald…
Dépassée, la fable « armes massives » Bush Junior…
Relégués, tous les tweets vérolés du Donald…
Le boniment ricain a un nouveau cador !
Il s’appelle George Santos et il ment tellement bien
Qu’on ne peut croir’ ni ce qu’il dit ni son contraire
Il ment comme il respire, il ment pour tout, pour rien
Sur ses parents, sur son argent, sur sa carrière…
Sur sa vie sexuelle : il jure qu’il est gay
Si cela lui rapporte un électeur de plus !
La vérité est morte ! Et chacun peut briguer
Un mandat d’imposteur car toute honte est bue.
Ce jeune homme ambitieux, politicien ultime
Assure qu’il n’a fait que ce que d’autres font
Falsifier son CV pour un job… Pas un crime !
Puisqu’il vous dit que l’important est qu’il soit bon.

Jour 2

Mirliton Matin vous souhaite une bonne journée et une bonne année !
L’info du jour est très intéressante, preuve en est qu’elle est puisée dans Ça m’intéresse.
1
« Tes yeux sont si profonds que j’en perds la mémoire »
Ainsi parlait, à son Elsa, Louis Aragon
Qui, même s’il était un stalinien notoire,
Était, grâce à l’amour, rendu un peu moins con !

2
Attention aux dangers méconnus de l’orgasme !
On désire bien sûr ce vibrant choc nerveux
Qui nous secoue la fibre et l’âme et l’enthousiasme
Mais nous rend amnésique avant que d’être vieux

Jour 3

Mirliton Matin, rubrique sportive ! Le triste destin d’un champion.
Avec, pour l’un des deux quatrains (je ne révèlerai pas lequel), un reporter invité, M. Christophe Sacchettini.

1
Pauvre champion cycliste qui, sans ex-aequo
Et peut-être non plus sans anabolisants,
Avec pour seule came un peu de proseco,
Passe d’une heure de gloire à un drame cuisant !

2
C’est-il assez ballot d’échouer si près du but
A trop la secouer on triomphe sans gloire
Lors que notre champion aurait pu mieux boire
En penchant de côté son jéroboam en rut

Jour 4

Mirliton Matin, rubrique politique française !
Parfois l’actu s’offre comme un cadeau : le discours de nouvel an d’Emmanuel Macron, pour incongru et scandaleux qu’il fût, comprenait cette question de pure rhétorique, faussement naïve… mais qui, à peine remaniée, forme un délicieux alexandrin : « Qui aurait pu prévoir la crise climatique ? » Oui, il l’a dit. Il a osé.
Avec une telle matière première, rédiger le reste du poème n’était plus que formalité pour l’équipe de professionnels chevronnés de Mirliton Matin :


« Qui aurait pu prévoir la crise climatique » ?
La France compatit à l’effroi de Manu.
Nous qui ignorions tout ! L’instant serait critique ?
L’info est stupéfiante et nous tombons des nues !
Car depuis quarante ans, seuls quelques scientifiques
(Tous amish, marginaux, gauchistes malvenus)
Clament que le climat atteint un seuil critique !
Les autres, les sérieux, ont toujours soutenu
Que tout va pour le mieux ! La ré-ale politik
Rassure les marchés, et chaque revenu
De la croissance augmente les ruisseaux de fric
Pour sauver la Planète et tout son contenu !
Le réveil est brutal et l’aveu, poétique.
Terminée la bamboche, tas de parvenus !
Le président élu de notre République
Nous prendrait-il pour une bande d’ingénus ?

Jour 5

Mirliton Matin, rubrique vie pratique !
M.M. vous souhaite bon courage pour la reprise, et accompagne la fin de votre période de bamboches alimentaires avec une recommandation sanitaire.

Ce qui est bon pour nous ne l’est pas pour les bêtes.
Nos orgies ne sont pas pour les chiens, ni nos tables.
Chocolats interdits aux clebs pendant les fêtes !
Car Médor risquerait un trépas lamentable.
Son maître, quant à lui : uniquement diabète,
Surpoids, indigestion, plaisir un peu coupable.

Jour 6

Mirliton Matin, rubrique culturelle : un concerto de John Cage dure 639 ans.
Nous en extrayons deux quatrains, dont l’un comprenant une praïvète djoke à propos d’une chanson qui, si tout va bien, ne durera pas 107 ans.

1
L’œuvre lente de Cage, dont le prénom est John
Dure, c’est étonnant, six-cent trente et neuf ans.
Un accord chaque année et tout l’orgue en résonne.
Allah, dit le Coran, couronne les patients.

2
Ça ne vous suffit pas, un chant de 107 ans ?
Nous avons trouvé mieux : six siècles et des poussières !
Concerto pour têtus et pour leurs descendants
Qui à leur tour seront retournés en poussière.

Jour 7

Mirliton Matin, rubrique faits divers : alerte à la bombe à l’hôpital de Toulon après l’admission d’un octogénaire s’étant introduit un obus dans le rectum !
Les deux envoyés très spéciaux de M.M., Marie Mazille et Fabrice Vigne, ont immédiatement été dépêchés sur le lieu du drame afin d’enquêter sur cette délicate affaire.
Chacun, en toute indépendance, en a promptement rapporté (c’est ce que font les reporters) un papier. Nous les publions tels quels, mais par pudeur et discrétion, nous ne dévoilerons pas à nos lecteurs qui a écrit quoi. Peut-être devinerez-vous ?… La première bonne réponse gagne un abonnement à vie à Mirliton Matin !
1
Jouer au trou d’obus avec son trou de balle
Est séduisant, mais périlleux. Avertissement !
N’essayez pas chez vous ! Il peut être fatal
De s’introduire un projectile au fondement.

2
Un peu de vaseline
sur un obus
Vous débouche la pine
et puis le cul
Pas d’âge pour essayer
certains objets
Pour vos quatre-vingts ans
c’est excitant
Un obus dans le trou
le fait plus grand
Oui ! Allons-y gaiement
si ça nous plaît !
Et si c’est pour faire plai-
sir à Grand-mère
Enfilons-lui direct
un réverbère

Jour 8

Mirliton Matin, chronique criminelle !
« La police drogue la ville » ? Cette nouvelle littéralement stupéfiante valait bien un quatrain, sans doute.

Les flics croyant bien faire brûlent trois tonnes de shit
Aux abords d’une agglo comptant deux millions d’âmes
Reste à verbaliser tous ces toxicos, vite !
On n’est pas mieux servi que par sa propre came.

Jour 9

« Mirliton Dimanche-Voici-Gala-Closer » !
Par milliers, ou millions, je ne sais plus, je n’ai pas recompté ce matin, les lecteurs de Mirliton Matin nous réclament une rubrique people.
Nous vous avons entendu !
Notre reporterre ventre-à-terre Marie Mazille a réagi à chaud au coming-out de l’acteur Wentworth Miller, acteur vedette de la série Prison Break.

Le jour où j’ai découvert que Wentworth était homosexuel.

Wentworth Miller ? Homosexuel ?
Oh, doux Jésus, oh Sainte vierge !
Quelle abominable nouvelle
Prions, chères sœurs, prions le ciel
Pour que ça ne soit que lubie
Un si bel homme, Ah ! quel gâchis !
Moi qui, presque toutes les nuits
Rêvais de son cul, de sa verge !

Par solidarité, Fabrice Vigne a rédigé une réponse qui vient de tomber des téléscripteurs (ou des fax, je ne sais plus, je n’ai pas vérifié ce matin) de l’Agence France-Presse.

Console-toi Marie, voici ma sympathie
Je partage, sais-tu, ta profonde détresse !
Depuis toujours je suis dingo d’Anna Calvi
Et mon coeur saigne : elle préfère les gonzesses

Jour 10

Mirliton Matin, rubrique beaux-arts : un tableau de Piet Mondrian est accroché à l’envers depuis 77 ans dans un musée de Düsseldorf.
Nous prions nos lecteurs de ne pas nous signaler que le dernier mot du poème n’existe pas. Nous sommes au courant. Ce n’est pas un barbarisme mais une rime riche.

Peut-être connais-tu New-York city Un ?
C’est un tableau carré du fameux Mondrian
Inspiré d’un décor graphique et citadin
Composé de carrés bleus, rouges, jaunes et blancs
Exposé depuis plus de soixante-dix-sept ans
Dans une galerie au cœur de Düsseldorf.
C’est Suzanne Meyer (immense commissaire)
Qui a compris soudain, en faisant le poirier
Que ce tableau était (on ne peut le nier)
Accroché à l’envers (mon dieu ! la catastrorphe !)

Jour 11

Mirliton Matin, rubrique vie pratique et méthode Coué ! Le sourire peut améliorer notre santé mentale, paraît-il.

1
Faites un petit effort sur les zygomatiques
Étirez-moi ces muscles ! Mieux que ça je vous prie
Vous sortirez grandis de cette gymnastique
Par un sourire comme jamais on n’a souri.

2
L’info ne date pas d’hier mais de M. de la Bruyère :
« Rions avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri »
C’est le sourire qui rend heureux, non le contraire
Un sourire forcé… puis un vrai c’est promis.

3
Brassens, citant Pascal, se moquait des curés
Pérorant un moyen d’atteindre l’éternel :
« Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez ! »
À notre époque à peine moins irrationnelle
L’équivalent de ce conseil s’appellerait
« Manuel de Développement Personnel »

Jour 12

Mirliton Matin, rubrique psychologie de couple ! Toujours à la pointe de la recherche scientifique, M.M. puise l’info du jour dans Biba, qui régulièrement ajoute « selon la science » ou « une étude prouve » dans sa titraille pour faire sérieux.

Des savants prestigieux (et cités par Biba)
Déconseillent toujours de rappeler son ex
Car cette humiliation accroit le célibat
Au lieu de garantir une partie de sexe

Même si votre moral reste désespérément bas
Ne le rappelez jamais sous aucun prétexe !

Jour 13

Mirliton Matin, rubrique Monde de l’éducation !

Et attention ! Aujourd’hui la rédaction de MM fait du zèle.
Le fait divers du jour est tellement inspirant que nous en tirons non un modeste quatrain mais un vaste poème épique en 31 alexandrins, conçu selon une versification particulièrement sophistiquée : rimes quadruples, en -Ac, -Ic, -Ec, -Oc.
Ayant constaté la nature rythmique et percussive de ce texte, nous avons songé que sa finalité idéale serait de devenir un rap. Mesdames et messieurs, nous avons le plaisir de vous annoncer que ce rap sera créé sur scène le 27 janvier prochain (les détails viendront). Car Mirliton Matin n’a peur de rien, tels les grands reporters qui lui servent de modèle, Albert Londres ou Jack London (qui portent du reste presque le même nom).


Grande stupeur au collège Georges Charpak !
Le prof d’histoire encourage les travaux pratiques
Invitant les élèves à la bibliothèque
À se munir d’objets racontant les époques…
Ce matin-là l’objet choisi faisait tic-tac
Un obus de 14 enclenche la panique !
« C’était à mon grand-père » , se défend le blanc-bec
Insouciant de la peur que sa bombe provoque :
700 élèves évacués de la baraque !
Une alerte à la bombe, on appelle les flics
Peu s’en faut qu’on lançât un nouveau plan ORSEC
Le préfet, les pompiers sécurisent le bloc
Le pays aux abois : un terroriste attaque !?!?
Plus de peur que de mal : l’artefact historique
N’était plus en état d’engendrer des obsèques.
Mais il ne faudrait pas minimiser le choc
Car il y a de quoi rendre paranoïaque…
Pour la prochaine fois, un cours sur l’Amérique
Chacun apporterait arc, flèches, poignard aztèque
Et l’on se scalperait à coups de tomahawk ?
Le collège aujourd’hui c’est n’importe nawac !
Laissons les professeurs faire œuvre pédagogique
Je sais bien que chacun doit gagner son bifteck
On dit qu’il y a beaucoup d’enseignants sous médocs
Mais si ça les retient de distribuer des claques…
Tenir… jusqu’à la fin… palmes académiques…
« Pense aux enfants ! À ta mission ! Et à ton chèque !
À Samuel Paty sans faire dans ton froc ! »
A-t-on le droit de l’dire sans passer pour réac ?
Ton métier a changé, ainsi que ton public
Je tire mon chapeau, je bois à ta santé, mec !

Jour 14

Page infomerciale dans Mirliton Matin !
Nos deux reporters de l’extrême, Marie Mazille et Fabrice Vigne (mais surtout l’une des deux) se lancent dans le publireportage et l’autopromo ! Car aujourd’hui, vendredi 13 janvier, s’ouvrent les inscriptions pour leur fabuleux Stage d’écriture de chansons aux bons soins de Mydriase, qui se tiendra du 16 au 22 avril 2023 à Bourgoin-Jallieu.

La vidéo se regarde ici, sauf il n’y a rien à regarder, c’est une image fixe, vous pouvez faire autre chose en même temps, la vaisselle, le ménage, un tableau impressionniste, ou un chèque d’arrhes pour votre stage libellé à Mydriase.

C’est le printemps c’est le printemps
C’est le stage de printemps
Ran tan plan tambour battant
Viens boire un petit coup de… rouge !

Raphnin Maurel et ses ritournelles
Vous apprennent le diato en ribambelle
Des polkas, des scottish des bourrées, des tangos,
En ré dièse en colargol, en mi bémol en do
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si tu veux dev’nir un as de l’accompagnement
Meilleur que Gershwin ou Michel Legrand
Choisis Milleret, Reboud, Quéré
Ces gars sont très forts en si en ré
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps

Que tu sois baryton, bar-man ou soprano
Que tu joues du pipo, du banjo, du piano
Que ton nom soit Rodrigo, Roberto, Pinocchio
Inscris-toi chez Piccolo saxo et Botasso
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si quand tu chantes au diato tu te perds et tu t’égares
Que le do sus neuf te laisse hagard
Que tu confonds les bémols et les bécarres
Précipite-toi chez Jean-Marc Rohart
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si tu veux faire des chansons petit patapon
Trouver des rimes en ronron en bonbon en pompon
Fabrice Vigne et Marie Mazille
T’apprendront tout tout tout avec un stylo bille
Au refrain ad. lib.

Jour 15

Mirliton Matin, rubrique sexologie (il était temps) ! Voici LE bon tuyau pour atteindre l’orgasme à tous coups.

Je ne prendrai pas de pincettes
Pour te refiler la recette
D’un mémorable cinq-à-sept
Pour un orgasme jeu, match, et set
Si tu veux partir en sucette
Dire adieu à ta vie d’ascète
Exploser comme un Exocet
Jouir comme une boule à facettes
En quadrichromie, en offset

Comme un jackpot crache les piécettes
Facile : tu gardes tes chaussettes

Jour 16

Mirliton Matin, rubrique écologie ! Réchauffement de la planète/Échauffourées de l’Allemagne.

Comme le Titanic fonçant sur un Iceberg,
Le monde et l’Allemagne avalent le carbone
Et recrachent l’émeute. Survient Greta Thunberg !
Peut-elle faire de ’23 une année bonne ?

Jour 17

(Spéciale dédicace à un ami qui se reconnaitra et qui décroche à l’instant son titre de professeur grâce à un mémoire sur le syndrome de l’imposteur.)

Mirliton Matin, rubrique « sociologie-et-non-psychologie » ! Car nous ne comprendrons rien du si répandu « syndrome de l’imposteur » si nous l’analysons exclusivement en termes de psychologie individuelle. Il s’agit d’un indiscutable fait social. Une seule remarque pour le démontrer : ce prétendu « syndrome » touche davantage les filles que les garçons… Quelles sont les places respectives des unes et des autres dans le champ social ?

Couplet 1
Je crois que c’est mon tour ? d’accord bonjour docteur
Je ne viens pas pour moi, c’est pour un d’mes amis
Figurez-vous qu’il souffre d’un étrange malheur
Il croit qu’il est un autre, il croit qu’il n’est pas lui
Il joue la comédie même s’il n’est pas acteur
Il a tout usurpé, il n’a aucun génie
Il ne mérite rien, ni statut ni honneur
On se trompe sur lui, il vit dans le déni
Il n’a que profité du hasard, d’une erreur
Pour en arriver là il a toujours menti
Il doit tout, son travail ou ses affaires de cœur
À des malentendus ! Imaginez sa vie…

Refrain
Je ne suis pas ce que l’on croit
Je ne suis pas celui qu’on dit
Le costume est trop grand pour moi
En dedans je suis tout petit
Faire semblant c’est du tracas
Mais je l’ai fait toute ma vie
Et j’aggrave encore mon cas
À chaque fois que je souris
La vérité éclatera
Sur ce qu’au fond de moi je suis
Le monde entier dénoncera
L’incroyable supercherie
J’irai me cacher comme un rat
Et j’attendrai que l’on m’oublie

Couplet 2
Pour couronner le tout, il a sans arrêt peur
Il craint qu’on le démasque, il craint d’être démis
Lorsqu’on l’appellera un mystificateur
J’ai fait quelques recherches sur internet la nuit
Ah oui c’est vrai docteur je prends l’affaire à coeur
J’ai appris que son cas fait partie des manies
Qui sont référencées par des grands professeurs
On a même donné un nom à sa maladie
Elle a pour nom de code « Syndrome de l’imposteur »
Enfin je n’en sais rien, je répète ce qu’on dit
Pouvez-vous faire quelque chose pour moi docteur ?
Euh non pardon bien sûr, je veux dire mon ami ?

Jour 18

Mirliton Matin, rubrique psychanalyse et grosses cylindrées ! Il était temps que la science démontre ce que l’on pressent depuis toujours : la taille du pénis est inversement proportionnelle à celle des bagnoles que l’on conduit.

Fabrice Vigne se sentant assez peu concerné par ce scoop (voici, en toute transparence et sans forfanterie, la liste complète de ses voitures successives : une R5, une 2 CV et trois Twingos), c’est Marie Mazille qui se colle au poème du jour :

Ferrari ou Bugatti ?
Tout petit petit zizi
Si tu roules à trois-cent-dix ?
Tout petit petit pénis
Fonce en Hennessey Venon ?
Zizi vraiment pas très long
Frime en Tuatara Jaguar ?
Microscopique, ton dard
Mais…
Mini-Cooper, Coccinelle ?
Considérable chandelle
Quatre-ailes ou bien deux-chevaux ?
Rocco rocco Sifredo
Trottinette ou bicyclette ?
Enormissime quéquette
Patins à roulette ou mob ?
Trois mètres de long, ton zob

Jour 19

Ce jeudi est un jour de mouvement social !
C’est bon le mouvement, et c’est beau le social.

Mirliton Matin déterre de son service d’archives une jolie photo de 2010 pour le plaisir de rappeler la pérennité de nos pas et se fend d’un quatrain de circonstance, ode au mouvement.

Il fait beau, il fait froid, on arpente la rue
On dégourdit ses jambes et son pouvoir : on marche
Notre 49.3 est l’allée parcourue.
Parce que c’est nous, pas lui, la « République en marche »

Manif 2010
Notre grand reporter, de dos et de guingois
Au sein du défilé de deux mille vingt-trois.
Une chose inchangée, et l’on peut en sourire :
Comme autrefois il porte son manteau de cuir.

Jour 20

Mirliton Matin, pages saumon : rubrique économie et premiers de cordée !

La méritocratie dans toute sa splendeur !
La fille aînée du roi devient reine à son heure
Il est si beau de triompher grâce à sa sueur
Humblement nous souhaitons à nos puissants seigneurs
Opulence et santé, réussite et bonheur
(Ils vécurent heureux et eurent l’argent du beurre)

Jour 21

Mirliton Matin, rubrique religion contre prouesse mentale ! (Un peu manichéen, comme accroche, mais faut ce qu’il faut.) La championne d’échecs iranienne Sarah Kadem «n’est pas elle-même» avec un voile.

La championne d’échecs ne sera plus voilée
La reine prend le roi ! Dehors les phallocrates !
Sous le fichu, la liberté est contrôlée
Un beau jour les mollahs seront échec et mat

Jour 22

Mirliton Matin, rubrique vie sauvage et hommage à Serge Reggiani ! Les loups sont de retour en Isère.

Deux loups, ouh-ouh, ouh-ouuh
Deux loups sont entrés dans l’Isère
En passant par Saint-Martin-d’Hères
Deux loups sont entrés dans l’Isère
Oh, tu peux rire, charmant Albert
Deux loups sont entrés dans l’Isère

Jour 23

Mirliton Matin, rubrique « Femme, Vie, Liberté » !
Il était urgent que Dieu nous fasse un petit coucou dans le ciel, tellement la planète étouffe de tous les abrutis qui parlent en son nom. Voilà qui est fait : jeudi dernier, la Turquie a pu admirer le con de Dieu.

Dieu nous est apparu, or c’est une déesse !
L’origine du monde : un beau sexe carmin
On ne voit que devant mais on rêve à ses fesses
À ses seins, à sa bouche, à ses yeux, à ses mains
Révisons en urgence et la Bible et la messe
Vivent les bacchanales, rites gréco-romains !

(Ce gros plan permet même les plus fous espoirs :
En plus que d’être femme, Dieu est peut-être noire ?)

Jour 24

Mirliton Matin, rubrique spectacle vivant !

Jour 25

Mirliton Matin, bulletin météo ! Phénomène rare, la mer gèle.

J’ai vu. L’âme erre… Jeu laid !
J’ai vu l’amer, je l’ai.
G., vue là. Merge l’est.
J’Ève… Hue, mère ! « Je » lait.
[vers psychanalytique]
Jé, vůle âme « R ». Je l’est
[un autre. vers rimbaldien]
Jet – vue la maire, geule, haie
[vers politique]
Gève, hue, lame, aire, jeu, lai
J’ai vu l’amère gelée…
J’ai vu la mer geler.

Précision pédagogique apportée par notre envoyée spéciale Marie Mazille :

Voilà qui permet d’apprendre quatre mots (minimum).
– Jé : sonde de jonc pour dégorger les tuyaux/synonyme de rotin.
– Vůle : volonté, bienveillance. Du vieux slave vola qui donne le polonais wola et l’anglais will.
– Lai : Petit poème narratif, en vers octosyllabique, inspiré de sujets sérieux ou passionnés, empruntés le plus souvent à d’anciennes légendes.
– Geule : variante rare de Gole ou de Gueule, pour désigner une bouche, un collet ou une parole.

Jour 26

Mirliton Matin, rubrique pseudo-people et drame de voisinage ! « Gainsbourg » excédé poignarde « Johnny » !

Quoi qu’est c’qu’elle a ma gueule / Oh ce mortel ennui
L’un se prend pour Gainsbarre et l’autre pour Jonnhy
Tous deux sont voisins proches et pourtant ennemis
Paul souvent se déguise, Norbert se travestit
Un beau jour c’est le drame car Paul Dupuis
Se saisit d’une hache et Norbert d’une scie
Le combat est sanglant en fin d’après d’après-midi
Ils agonisent en chœur sur leurs paillassons gris
Sans s’être dit bonjour pendant vingt ans et d’mi

Jour 27

Mirliton Matin, éphéméride ! Aujourd’hui, 27 janvier, bonne fête à toutes les Angèles !

Vous en voulez encore ? Chacun ses goûts. La suite-et-fin est ici.

Idéal connard

14/05/2022 un commentaire

Onésime et Élisée commencent alors à me parler
De tous les gens formidables qu’ils ont rencontrés
Bien sûr ils ont aussi croisé quelques salauds
C’était souvent des chefs dans le boulot

Bérengère Cournut, Élise sur les chemins

C’est reparti (ça recommence demain) ! Marimazille et moi-même nous taquinons à coups d’idées de chansons. Marie puise son inspiration dans des infos à la une du web, notamment scientifiques mais exclusivement saugrenues.

C’est ainsi il y a une paire d’années qu’elle m’avait défié d’écrire une chanson sur la découverte sensationnelle des fossiles de spermatozoïdes géants vieux de cent millions d’années… Je m’en suis acquitté et tu peux écouter ce chef d’œuvre en alexandrins à rime unique, –ide.

Puisque nul n’arrête la marche du progrès scientifique, ce coup-ci Marie me transfère une autre révélation fracassante qui vient secouer le milieu académique international : la formule du connard idéal (de l’asshole, en VO) vient d’être mise au jour par une équipe de chercheurs de l’université de Georgie. Certes, cette définition rigoureuse et méthodique du connard manquait à chacun de nous, qui employons cette insulte de façon si désinvolte ; une chanson pour chroniquer l’événement, aussi. OK, je m’y colle, je sens bien que si je n’écris pas cette chanson personne ne le fera et on ne saura pas ce qui nous manque. À nouveau en alexandrins à rime unique, -ard, comme Fond du Tiroir, par exemple.

De la vulgarisation ? Oui, mais de la vulgarisation de mirliton !

Intro
Les progrès de la science sont tellement rapides
(ah non au temps pour moi, mon erreur est stupide !
J’ai confondu avec une chanson en “-ide”
Désolé, je reprends pour éviter le bide…)

1
Les progrès de la science sont tellement bonnards
Qu’on a élucidé dans un laboratoire
Grâce à des savants fous et à tout leur bazar
Éprouvettes, cornues, alambic et sonar
Le vrai portrait-robot en mode opératoire
La formule chimique du parfait connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
2
Tu m’as bien entendu ! C’est pas un canular
Si tu ne me crois pas attends que je te narre
Quand j’aurai terminé tu seras moins ignare
Enfin tu pourras dire “Je sors du brouillard”
Sans même avoir besoin de brancher ton radar
Tu sauras repérer le plus parfait connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
3
Hommage soit rendu à ces brillants thésards
Qui consacrent leur vie à des questions bizarres
Et grâce à leur recherche augmentent le savoir
Universel car oui la science est un art
Venons-en au sujet : au fait et pour mémoire
A quoi ressemble-t-il notre fameux connard ?
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
4
Selon les statistiques, sources contradictoires,
Le profil idéal serait multistandard :
Ton ex qui t’a déçu en quittant ton plumard
Ou bien ton actuel qui manque encor’ d’égards
Ou bien un harceleur qui te suit dans le noir
En bref il est tout près, derrière toi un connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
5
Quoi d’autre ? Un chefaillon qui t’en aura fait voir
En jouissant d’exhiber son infime pouvoir
Un gougnafier sans gêne, un mesquin, un avare
Un gros bâtard qui a forcé sur le pinard
Ou un ancien ami qui te plante un poignard
En répétant partout que c’est toi le connard
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
6
Un dépressif qui t’a pris pour son déversoir
Un religieux qui te bénit à l’ostensoir
Un omniscient et ses maudits airs péremptoires
Un cruel qui fait mal pour rien et puis se marre
Un bavard, un tocard, voire un raton-lavoir
Alerte on est cernés, au secours, des connards !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
7
T’en veux encore ? L’escroc qui t’aura pris pour poire
Ou un voisin bruyant, sa femme et ses moutards
Un manipulateur et son art oratoire
Cousin relou, beau-frère réac, tonton Gérard
Enfin tu m’as compris, panel aléatoire
La conclusion s’impose, partout est le connard.
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
8
Mais attention car tout le monde (ou la plupart)
Est susceptible un jour, de l’enfant au vieillard
De correspondre peu ou prou à ce lascar
Toi-même tu devrais vérifier tôt ou tard
Si un de ces matins et comme par hasard
Il n’apparaîtrait pas au fond de ton miroir
(gare au connard dans ton placard ! gare au connard dans ton placard !)

Un char d’assaut sur l’océan

07/03/2022 2 commentaires

Ce que font les images en nous…

J’ai été frappé, il y a quelques jours, par une image. Par des milliers d’images, bien sûr. Mais par une image. Celle-ci.

L’image satellite de la colonne de 65 kilomètres de chars russes en route pour Kiev. Colonne qui paraît-il est restée à l’arrêt plusieurs jours pour cause de panne d’essence, détail qui serait comique, quoiqu’un peu invraisemblable, si nous étions en train de regarder un film, un film pacifiste parodiant la guerre, genre On a perdu la 7e compagnie de l’armée russe, ah ah non mais c’est un peu gros quand même, où vont-il chercher toutes ces conneries. Enfin la colonne est repartie, l’image est restée. Elle est restée comme l’emblème, la parabole de la catastrophe en marche, inexorable, lente, patiente, promesse de destruction, de feu et de sang. La mort en panne d’essence. La force de frappe rétinienne.

Je ne dors pas bien. Oh, cela ne date pas de cette semaine ou de Poutine. Je ne dors pas bien et je remâche des mots et des images, parfois pendant le sommeil, parfois même pas. Je mâche en veillant, je rêve sans dormir.

Sans dormir, j’ai rêvé plusieurs nuits de cette colonne de chars d’assaut, collée à ma cervelle, mais je l’ai rêvée dématérialisée des montagnes d’Ukraine et rematérialisée par magie, téléportée en un claquement de doigt, au-dessus de l’océan. Tiens, par exemple, à la verticale de la Fosse des Mariannes, 11000 mètres d’abysse. Je voyais, je vous jure que je voyais comme je vous vois, les chars d’assaut au-dessus de la mer, un à un surgis juste au-dessus de la surface vibrante de l’eau, flottant une fraction de seconde hébétée puis plouf adieu suivant, gloub gloub gros bouillon, les militaires ayant à peine le temps de sentir la résistance de l’eau, et pas du tout celui de comprendre ce qui leur arrive. Qui est incompréhensible, du reste. On ne choisit pas les visions nées de ses insomnies.

Puis, le matin, la journée, le soir, la re-nuit, j’avais cette image en tête, image délivrée par mon phosphore un peu mou et non par l’Internet, pas plus vraie pour autant : Un char d’assaut sur l’océan.

Je trouvais que les mots sonnaient bien, Un char d’assaut sur l’océan, l’octosyllabe est charpenté, le début d’un poème ou d’une chanson, j’ai fini par tenter quelques quatrains en fixant le plafond, histoire de poser des mots sur ce que je voyais :

Un tank à la fosse commune
Ou dans la poubelle je-trie
Ou téléporté sur la lune
Enfin au diable ou en débris

Un char d’assaut sur l’océan
Un char Dassault ou de l’Oural
Une armée réduite à néant
Noyée avec son général

Un char d’assaut sur l’océan
Deux tanks envoyés à la baille
Trois chars dans le gouffre béant
Quatre blindés quelques médailles


Cinq chars six chars et la culbute
S’en vont salir les fonds marins
Leurs tourbillons se répercutent
Tout mollement et plus plus rien

Dix chars vingt chars une colonne
Prend son virage à angle droit
Cent chars tombés dans le canyon
La gravité reprend ses droits

Mille chars jetés dans la flotte
À queue-leu-leu gros éléphants
Leurs artilleurs et leurs pilotes
Les pauvres, ce sont des enfants


La colonne au fond de la fosse
Des Mariannes en caniveau
Mon songe creux, mon idée fausse

Précipité dans mon cerveau

Cohorte avalée par la mer
Conflit englouti par les flots
Je suis rattrapé par l’amer
Par le réveil par la radio.

Enfin, à force de triturer l’image, cette nuit elle a fini par m’apparaître incontestable. Je n’avais plus aucun doute : je n’ai rien inventé, tout était là avant moi, le char sur l’océan est une image ancienne, archaïque même, tout le monde l’a formulée un jour ou l’autre, n’est-ce pas ? Stéréotype, cliché, poncif. Ce qui fait que, très logiquement (on fait de ces choses quand on ne dort pas), j’ai tapé sur Google « un char sur l’océan » pour vérifier méthodiquement toutes les sources historiques qui ne manqueraient pas d’éclore, afin que des images extérieures attestent les intérieures.

J’ai reçu en retour le char de Neptune :

C’était totalement hors sujet. Finalement, après de longs et patients recoupements sur Google Image, la photo la plus fidèle à l’idée que je m’en faisais avant de la connaître était celle-ci :

Il s’agit d’un reportage en Thaïlande datant de 2018. Vingt-cinq carcasses de chars d’assaut T69 ont été précipités dans la mer, ainsi que de nombreux wagons et camions-poubelles désaffectés, dans le but de créer un récif retenant les poissons, qui permettrait aux pêcheurs locaux de remplir un peu leurs filets, amaigris pour cause de surexploitation.

Ah, bon. Les Thaïlandais ne le sauront jamais mais c’était ma vision.

Ce que font les images en nous ? L’imagination.

Je m’éparpille (car tout m’est atelier)

23/10/2021 Aucun commentaire
« Un obus de 15 centimètres de long a été apporté au collège Georges-Charpak par un élève. » Photo Gendarmerie de Gex

Oh j’ai bien deux ou trois (ou quatre) livres à finir, mais je m’éparpille en chemin et j’écris des bricoles, puis d’autres bricoles, je joue, je réponds, je fais atelier.

Je m’éparpille comment ?

1) Je m’éparpille comme soufflé par un obus de la guerre de 14. Tiens justement, Marie Mazille, selon notre habitude, m’envoie une coupure de presse qui devient le sujet d’une chanson, c’est notre atelier d’écriture à deux et à distance, une sorte d’hygiène, de gymnastique.
L’article du jour porte sur un fait divers : « Mardi 19 octobre, le collège Georges-Charpak de Gex a été évacué pendant une heure. En cause, un obus apporté par un élève lors de son cours d’histoire-géographie. » Toutes affaires cessantes, c’est parti, feu. J’opte pour une forme délicate et sophistiquée sur quatre rimes croisées, ac, ic, èc, oc. Forcément ma plume dévie en cours de route et je m’éloigne du fait divers initial pour en évoquer un autre quatre vers avant la fin.

Grande stupeur au collège Georges Charpak !
Le prof d’histoire encourage les travaux pratiques
Invitant les élèves à la bibliothèque
À se munir d’objets racontant les époques…
Ce matin-là l’objet choisi faisait tic-tac !
Un obus de 14 enclenche la panique !
« C’était à mon grand-père » , se défend le blanc-bec
Insouciant de la peur que sa bombe provoque :
700 élèves évacués de la baraque !
Une alerte à la bombe, on appelle les flics
Peu s’en faut qu’on lançât un nouveau plan ORSEC
Le préfet, les pompiers sécurisent le bloc
La région aux abois : un terroriste attaque !

Plus de peur que de mal : l’artefact historique
N’était plus en état d’engendrer des obsèques.
Mais il ne faudrait pas minimiser le choc
Car il y a de quoi rendre paranoïaque…
Pour la prochaine fois, un cours sur l’Amérique
Chacun apporterait arc, flèches, poignard aztèque
Et l’on se scalperait à coups de tomahawk ?
Le collège aujourd’hui c’est n’importe nawac !
Laissons les professeurs faire oeuvre pédagogique
Je sais bien que chacun doit gagner son bifteck
On dit qu’il y a beaucoup d’enseignants sous médocs
Mais si ça les retient de distribuer des claques…
Tenir, jusqu’à la fin, palmes académiques…
« Pense aux enfants ! À ta mission ! Et à ton chèque !
À Samuel Paty sans faire dans ton froc ! »
A-t-on le droit de l’dire sans passer pour réac ?
Ton métier a changé, ainsi que ton public
Je tire mon chapeau, je bois à ta santé, mec !

(Avis aux amateurs : le stage d’écriture de chansons que Marie et moi-même sommes censés animer pour Mydriase, annulé en avril 2020, annulé en avril 2021, pourrait bien avoir lieu enfin en avril 2022 !)

2) Je m’éparpille aussi comme des graines soufflées à tous les vents. J’anime des ateliers d’écriture thématiques en médiathèque, or le dernier en date portait sur les graines, les plantes, la nature, tout ce qui pousse autour de nous. L’un des exercices que j’ai proposés était d’écrire un poème utilisant, en fin de vers, les mots : Tige, Sève, Feuille, Fleur, Fruit, et/ou Graine. J’ai composé au pied levé et en heptasyllabes (c’est vrai, ça, pourquoi pas l’heptasyllabe, on ne pense pas assez heptasyllabe) l’exemple suivant :

Et si demain tout se fige
Regarde grimper la tige
Et si demain tout s’achève
Regarde monter la sève
Si demain semble un cercueil
Regarde pousser la feuille
Même si demain tout meurt
Regarde s’ouvrir la fleur
Avant demain et la nuit
Regarde mûrir le fruit
Qui sait où demain nous mène ?
Regarde voler la graine

(Avis aux amateurs : le prochain atelier que j’animerai aura quant à lui pour thème l’amour (pas moins) et aura lieu le samedi 13 novembre à la médiathèque d’Eybens – et c’est gratoche.)

3) Je m’éparpille enfin comme on perd son temps sur Internet, à répondre à des mails. Chic, encore un brouteur qui vient me brouter ! Je ressors mon avatar « Raoul DeBoisat » !

Salut,
Veuillez m’excuse pour le dérangement.
Je vous prie d’ouvrir ma lettre sincère !
Bonne journée
Marie
[j’ouvre la pièce jointe :]
Salut bel-inconnue,
Comment allez-vous ? Tout d’abord, je tiens à m’excuser auprès de Vous pour le dérangement, j’espère de tout cœur que la conversation se poursuivra, je suis célibataire. Contactez-moi directement par e-mail j’espère que de Votre côté, vous avez également envie d’y croire et que j’aurais le Plaisir de recevoir une réponse.
[portrait d’une trentenaire brune, hilare, habillée pour l’été]

Chère Marie bonjour
On se méfie toujours quand on reçoit un message d’une inconnue… Pourtant, votre mail comportait le mot « sincère » et j’aime beaucoup la sincérité. Donc j’ai ouvert votre lettre sincère en toute confiance. Je ne suis pas déçu : vous êtes charmante et quand on vous regarde on a immédiatement envie d’en savoir plus sur vous. Où habitez-vous ? Que faites-vous dans la vie ? Êtes-vous vaccinée contre le Covid ? Dites-vous plutôt « le Covid » ou « la Covid » ? « Pain au chocolat » ou « chocolatine » ? Quelles sont vos mensurations (poitrine/hanche/taille) ? Mangez-vous de la viande ? Si oui, combien de fois par semaine ? Connaissez-vous la pizzeria Fratelli à Besançon, rue Berçot (c’est super sympa, la pizza végétarienne est à 15 euros, c’est un peu cher mais ça les vaut) ? Croyez-vous en Dieu ? Et si oui, pourquoi ? Ça t’ennuie si on se tutoie ? Bref, j’ai hâte d’avoir avec vous de grandes conversations comme avec une vieille copine et tous les petits détails m’intéressent.
Bien à vous
Raoul DeBoisat

Je me nomme Marie-Francoise, je suis Célibataire sans enfant et je suis célibataire j’en marre de la solitude. Je suis une femme de nature gentille, sérieuse, compréhensive, respectueuse. Honnête, sincère et fidèle. Je cherche l’âme sœur, je serais très ravie de fait votre connaissance. Avez-vous un compte Skype ou Hangout si oui laisse le moi pour que je puisse vous envoyer une demande pour qu’on puisse dialoguer.
Bien à vous.
Marie

Chère Marie-Françoise.
Merci pour votre chaleureux message qui énumère toutes vos qualités sincères mais… je ne suis pas sûr de comprendre… un doute persiste… Quand vous dites « Je suis célibataire », qu’est-ce que ce mot signifie pour vous, au juste ? Cela veut-il dire que vous n’êtes pas mariée ? Que vous n’avez pas d’homme dans votre vie ? Que vous souffrez de solitude ? Par conséquent que vous seriez disponible voire disposée à une rencontre ? Une aventure sentimentale et sexuelle avec un homme ? Et cette aventure pourrait être… (pardonnez-moi, je me projette déjà) avec moi ? Vous pourriez vivre une folle passion avec moi ? Nous pourrions nous aimer follement en nous moquant du qu’en-dira-t’on ? Soyez indulgente si j’extrapole et si je déforme votre pensée, j’espère ne pas vous froisser, ne pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit et vous faire passer pour une femme facile ! Parce qu’après, vous allez répondre « non mais pas du tout espèce de mytho », vous allez balancer votre porc alors merci bien. Mais j’ai besoin d’être certain, soyez claire SVP : êtes-vous, oui ou non, célibataire ? Et si oui, pourquoi ne répondez-vous pas à mes petites questions (sur votre vaccination, votre pass sanitaire en cours de validité, vos mensurations, et votre connaissance de Besançon) qui permettraient d’accéder à une connaissance plus intime l’un de l’autre ? Votre silence est un peu décevant, je l’avoue.
Bien affectueusement,
Raoul

Je vous remercie de répondre Raoul,
C’est avec joie et bonheur que j’accueille en moi un si beau et tendre message de ta part et sache que c’est un plaisir toujours partagé et renouvelé d’être en ta compagnie par le biais de nos écrits qui se rencontrent sans cesse !
Moi je suis celibataire sans homme ni d’enfant je suis la recherche d’un homme sincère fidèle et honnête Oui oui je serais disponible pour une rencontre et je serais prête pour une relation sentimentale et sexuelle avec un homme.
Oui oui nous pourrions si nous faisons bien la connaissance si cela ne vous dérange pas.
Si j’ai fais le vaccination et je mesure 171 cm , 65 kg , silhouette normale.
Permets-moi de te poser quelques questions.Je peux avoir quelques photos de vous ??
Avez vous un compte Skype ou hangouts pour bien faire la connaissance
Marie

Chère Marie-Françoise
J’étais déçu de n’avoir pas de nouvelles de vous depuis plusieurs jours… Et puis in extremis j’ai eu le réflexe de regarder dans ma boîte à spams. Suprise ! Votre message avait été rangé là et il m’attendait avec votre taille en centimètres et votre poids en kilogrammes !Quel toupet ont ces navigateurs GAFAM et compagnie qui décident à notre place qui sont les désirables et les indésirables ! Ensuite, comme il faut bien s’occuper, j’ai passé mon après-midi à philosopher sur qui est désirable et qui est indésirable et j’ai fini par somnoler. Marie-Françoise, es-tu désirable en plus d’être célibataire ? Ou bien es-tu célibataire justement parce que tu n’es pas désirable ? Ces questions me hantent, désormais !Ainsi qu’une autre, brûlante : habites-tu loin de Besançon ? Je préfèrerais une rencontre en chair et en os plutôt que de confier mon image à Skype ou Hangouts, qui la revendraient sans aucun doute aux Russes ou aux Chinois pour faire de la désinformation politique. En outre, la rencontre physique permettrait de s’aimer sexuellement tout nus, j’expère que tu vois ce que je veux dire sans que j’ai besoin de préciser car j’ai ma pudeur. Je ne te propose pas de venir chez moi parce que ma nièce risquerait de débarquer à tout instant mais je connais un hôtel assez propre à seulement 100 mètres de la gare.
Je t’embrasse
Raoul DeBoisat

Bonne journée!
Merci pour votre réponse Raoul
Comprend moi j’aimerais bien faire votre connaissance.
Mais tu peux créer un compte Skype ou hangout, la on pourras bien discute.

Marie-Françoise
votre insistance à me créer un compte skype ou hangout, plutôt qu’à me retrouver dans notre nid d’amour à Besançon, me met la puce à l’oreille. Attention, ceci est une métaphore, je ne dis pas que vous souhaitez me greffer une puce ou un QR code dans l’oreille pour me tracer et épier mes moindres faits et gestes… mais pas loin. Il est temps de dire la vérité ! Êtes-vous vendue aux GAFAM, Marie-Françoise ? Ou pire, aux Chinois, aux Russes, aux Reptiliens qui veulent faire de nous une armée de robots vaccinés ?
Mon cœur saigne, Marie-Françoise.

(Avis aux amateurs : écrivez-moi, je vous répondrai ! J’adore qu’on m’offre des occasions de procrastiner !)

La même bouille que Pierre Perret

06/04/2021 Aucun commentaire

Depuis que mon vieux père est vacciné, je recommence à lui rendre visite, et je m’en trouve fort bien puisque je savoure les histoires qu’il me raconte, aussi vieilles que lui, mélange habituel d’anecdotes que je connais et d’autres que je ne connais pas. Aujourd’hui il m’a raconté l’histoire de la Lamborghini. Et je l’ai trouvé tellement bonne que je vous l’écris, je la raconte à mon tour pour ne point la laisser perdre.

Cette histoire-là a été déclenchée par un aveu de ma part, un aveu d’ignorance à propos de ce que faisait mon paternel pour gagner sa vie quand j’étais enfant.

« Au collège, au lycée, au moment de remplir la fiche sur les métiers des parents, j’écrivais « Ingénieur des mines » mais je n’avais pas la moindre idée de ce que cela voulait dire. Je me disais, ça a sûrement un rapport avec les mines comme celle de La Mure, mais c’était flou. J’ai mis très longtemps à savoir ce que c’était, ton métier.

– Ingénieur des mines ne veut plus rien dire du tout, mais déjà à l’époque où j’ai commencé ma carrière, le service des mines commençait à être vidé de sa substance. Le corps des mines était constitué d’ingénieurs et était toujours dirigé par un polytechnicien major de sa promo, ils étaient censés être l’élite, les plus intelligents, les plus prestigieux, les visionnaires de la France industrielle et énergétique, des tronches… ce qui d’ailleurs ne les empêchait pas, parfois, d’être complètement cons. Mais lorsque j’y suis entré, les « mines » servaient surtout à faire passer le contrôle technique des voitures, de leur accorder leurs papiers d’immatriculation. De là le nom « plaque minéralogique », d’ailleurs. Qu’est-ce que je foutais là, moi ? J’étais ingénieur chimiste, j’étais très fort en chimie, à l’époque en tout cas, mais qu’est-ce que j’y connaissais en bagnoles, en mécanique, en conformité d’un moteur ? Rien du tout. Bon, j’étais ingénieur, j’ai appris sur le tas, j’ai fini par en savoir pas mal, et je faisais passer le contrôle technique, quoi. Je t’ai déjà raconté l’histoire de la Lamborghini ?

– Non, ça ne me dit rien…

– Quand j’ai commencé à travailler à Toulon, je contrôlais des véhicules de transports en commun, des voitures de collection, parfois même des voitures de sport. Parmi les individus que je voyais régulièrement, il y avait ce type, très sympathique, qui avait la même tête que Pierre Perret, tu te souviens de la tête de Pierre Perret ? Une bouille ronde, malicieuse, toujours le sourire, des cheveux frisés, amical, chaleureux comme tout.

Il importait des voitures d’Italie, des Fiat ou d’autres marques, on le voyait tellement souvent dans les bureaux des mines qu’il y était presque comme chez lui, il discutait avec les secrétaires, les faisait rire, passait derrière elles et fouillait dans les placards pour prendre le bon formulaire en disant « Ne vous dérangez pas, ah ah, je sais où c’est ! », il avait toujours un mot gentil, tout le monde l’aimait bien. Moi aussi je discutais avec lui, « Alors, les affaires ont l’air bonnes, vous en importez beaucoup, des voitures italiennes », il répondait volontiers, « Oui, en ce moment ça marche fort, depuis la dévaluation de la lire, les Italiens ne demandent pas mieux que de faire rentrer des francs, alors j’achète, je vends… »

Et puis un jour, je me souviens qu’il faisait très chaud, ça devait être l’été, je dirais 1973 ou 74, il arrive encore plus joyeux et débonnaire que d’habitude, il commence à remplir les papiers et me dit que cette fois il a une voiture exceptionnelle, une Lamborghini, et il est impatient de me la montrer. Je prends mes outils et je l’accompagne pour le contrôle. Je ne suis pas expert en bagnoles, ça ne m’a jamais passionné mais tout de même je reconnais que c’est une belle voiture, classe, flambant neuve, brillante, noire, aussi noire que les Ferrari sont rouges. Tu savais que Lamborghini, au départ, fabriquait des tracteurs ? Mais il était copain avec Enzo Ferrari et lui avait dit « Moi aussi si je voulais je pourrais en fabriquer des voitures de luxe, aussi belles que les tiennes ! Encore plus belles ! » Ferrari s’était marré, s’était foutu de lui, lui avait dit Mais je t’en prie, fais-toi plaisir, fonce, fais-nous un beau tracteur… Et Lamborghini les avait faites, ses voitures encore plus belles que des Ferrari. (1)

Et j’en avais une sous les yeux, pour la première fois de ma vie. J’effectue le contrôle, nous allons faire un tour, je m’installe côté passager, le gars au volant roule un peu plus que nécessaire tellement il est content, on contourne quelques pâtés de maison. Et il me dit : « Écoutez, c’est pas tous les jours, ça me fait tellement plaisir, que si vous voulez, je vous paie le resto ! Un petit gueuleton pour fêter la Lamborghini, ça vous dit ? Hein ? » Je réponds que non, tout de même, ça serait de la corruption de fonctionnaire, et ça nous fait rire tous les deux, mais que bon, comme il fait très chaud, allez, je ne dirais pas non à une petite bière. Aussitôt qu’il croise un bar sur la route, il freine, il se gare sur le trottoir d’en face et il m’invite à boire une bière. Je bois ma bière et on continue de discuter très gentiment… Et par la vitrine je vois une voiture de la police de la route s’arrêter dans la rue et coller à la Lamborghini une contravention, pour stationnement sur le trottoir. Le gars sort du bar, sa bonne humeur à peine entamée, et va discuter avec les flics. Je voyais qu’il était un peu ennuyé, pas tellement pour le montant de la prune, il était au-dessus de ça, mais pour le principe. Enfin bon, moi j’avais signé les papiers, j’avais fini mon boulot, bu ma bière, ça ne me regardait plus…

Deux jours plus tard, ou peut-être après le week-end, à la première heure deux flics débarquent dans mon bureau. Mais des vrais ceux-ci, la criminelle, pas la police de la route. Ils demandent à parler à l’ingénieur qui fait passer les contrôles, s’assoient devant moi et me mettent une photo sous le nez. « Est-ce que vous connaissez cet homme ? » Bien sûr que je le connaissais ! La bouille ronde et frisée, le sosie de Pierre Perret, je leur dis : « Oh oui bien sûr je le connais bien, il est là souvent, très sympa ! » Les flics se regardent, puis me regardent, sans sourire. « Nous sommes à sa recherche. Pouvez-vous nous dire son nom ? »

Alors là… « Son nom ? Heu… Ben maintenant que vous me posez la question, je me rends compte qu’il ne me l’a jamais dit. Mais demandez aux secrétaires, elles le connaissent forcément, elles l’aiment bien, il discutait sans arrêt avec elles. » Les flics interrogent les secrétaires, qui fouillent dans leurs dossiers… Rien. Le nom du gars n’apparaît nulle part. La signature est illisible.

Je suis très embêté, j’ai conscience que nous passons pour des gens pas très sérieux et négligents, je cherche comment je pourrais me rattraper. « Écoutez, il y a peut-être un moyen de le retrouver. Vos collègues de la police de la route lui ont mis une contravention il y a deux jours pour stationnement sur un trottoir, une Lamborghini. Demandez-leur, ils doivent l’avoir écrit, son nom, une Lamborghini, ça ne court pas les rues dans le département… » Ils prennent des notes, me remercient, s’en vont.

Le lendemain, j’ouvre le journal, Var Matin. Le type est là en photo. Toujours sa bouille de Pierre Perret mais les menottes aux poignets et encadré de deux flics à képis. Titre : « Un vaste réseau de trafic de voitures volées en Italie démantelé. » J’ai eu longtemps la trouille qu’ils reviennent me voir et me soupçonnent de quelque chose, je ne sais pas, recel, complicité, corruption. Mais non, rien, je n’en ai plus jamais entendu parler.
– Eh ben ! Quelle histoire !
– Attends, attends, elle n’est pas tout à fait finie. Il y a une chute. Dans l’article, le gars arrêté expliquait en détail les rouages de son trafic, et il disait quelque chose comme : « Je remercie l’administration française qui m’a toujours très bien reçu. »

C’est à ce moment que j’explose de rire et que je suis content de ma journée. Vous voyez, elle est bonne, l’histoire de la Lamborghini, et méritait de ne pas se perdre, pas vrai ? À nouveau, je m’estime très chanceux de pouvoir recueillir ces histoires, c’est inespéré, il y a quelques années encore je pensais que je ne reverrais jamais mon père… Mais ceci, comme disait Kipling, est une autre histoire.


(1) – Moi qui suis tout-à-fait ignorant en voitures, et qui ne suis capable de les distinguer que par leurs couleurs (la mienne est grise… par malheur dans les années 2020 elles sont toutes grise), j’ai dû demander à Google si Lamborghini existait encore… Oui ! Et se porte très bien, comme tous les produits de superluxe réservés aux superriches.

Là où les gens chantent

27/03/2021 Aucun commentaire

Le jour où les trois mots « Villeneuve de Grenoble » n’appelleront plus le commentaire « Ah oui, je vois, c’est là où les voitures brûlent » mais plutôt « Ah oui, je vois, c’est là où les gens chantent », le genre humain aura fait un tout petit pas vers la sagesse. C’est ça, ouais, d’ailleurs ce jour-là il n’y aura plus de misère, les soldats seront troubadours, et nous, nous serons morts, mon frère.

Il se trouve qu’à titre personnel, à la Villeneuve, je connais davantage de gens qui chantent que de voitures qui brûlent. Et même que je chante avec eux, parfois. Quelques unes de ces chansons ont été enregistrées sur un bel album à paraître en juin, sur lequel j’ai contribué en donnant de la voix sur les choeurs, aussi en lisant quelques textes écrits par d’autres, enfin en écrivant une sorte de préface à l’objet, ci-dessous.

L’album paraîtra au mois de juin. Il est à craôdfâoun’der sur Ulule tout-de-suite-maintenant. À l’attention des plus fortunés, notons que l’option deluxe prévoit un concert dans votre salon. Oui, j’y serai. Quand faut y aller.

À la circulaire

Que faire ? La question est toujours la même. La réponse, selon les temps, selon les gens, selon les confinements, prend les formes les plus diverses. Sinon on s’ennuie.

Que faire pendant le premier confinement (printemps 2020) ? « À la verticale » : un immeuble qui chante. Imagine, un calendrier de l’avent grand comme une façade, dont toutes les fenêtres s’ouvrent en même temps et à heure fixe pour laisser échapper quelques chansons.

Que faire pendant le deuxième confinement (automne 2020) ? « À l’horizontale » : un livre. Imagine, couchées sur papier, ces belles paroles, ces belles musiques, ces belles images, ces belle âmes. Le tirage s’arrache comme une fournée de petits pains.

Que faire pendant le troisième confinement (printemps 2021) ? « À la circulaire » ! Oh oui, quelle bonne idée, faisons un disque ! Qui tourne rond ! C’est notre « tournée » !

Les idées longues, les idées larges, les idées rondes, c’est de Marie Mazille et Adeline Guéret qu’elles fusent, depuis le 170, galerie de l’Arlequin, Villeneuve, Grenoble. Nous autres, on court derrière, on tâche d’être à la hauteur (et à la largeur, et à la rondeur), parfois on s’essouffle, surtout qu’en même temps on rigole. Oui, c’est vrai, on rigole beaucoup. Au moins cette réponse-ci est constante face à la question éternelle. Que faire ? Rigoler, pardi.

Mais pas tout le temps. Attention, tout ne prête pas à rire. Quand Marie me dit : « Viens chanter avec moi, on enregistre des chœurs sur La Paysanne !», je dis oui d’accord et j’arrive, comme d’habitude, mais une fois en studio, casque sur les oreilles, j’arrête de rire. Formidable découverte, cette Paysanne. Hymne national alternatif, bien moins con(nu) que la Marseillaise, écrit par Gaston Couté (1880-1911), composé par Gérard Pierron. Je l’ai chanté avec Marie, presque solennellement je l’avoue, et j’en ai frémi. Quelle modernité, quelle sagesse, quelle puissance politique, quelle leçon ! Écoute le couplet sur les filles-mères, il parle de tolérance et de #metoo ! Écoute celui sur les religions, ces dieux féroces et maudits ! Écoute celui sur le Capital qui ne fait germer que la misère ! En ce qui me concerne, la Paysanne réussirait presque à remplir sa mission d’hymne national, me rendre fier d’être français.

Que faire ? Rêver les hymnes alternatifs. Les alternatives, tout court.
Que faire ? Se tenir droit, la main sur le cœur, et chanter. C’est important, se tenir droit. « À la verticale ». Retour au début. Normal : un disque, c’est rond.

Fabrice Vigne, 28 mars 2021

Il s’en passe de belles à l’heure du couvre-feu

20/01/2021 Aucun commentaire

– Quoi ? J’apprends que vous avez animé hier soir un atelier d’écriture de chansons ? Par Zoom et par un pied-de-nez au contexte dit global ? À l’heure où les honnêtes gens couvrent le feu ? À deux doigts du reconfinement ? Sans attestation, sans le moindre ausweis ? Par-dessus le marché, entre deux poussées de fièvre dedans votre carcasse tremblante ? En outre il paraît que tout s’est très bien passé ? Vous ne manquez pas de toupet ! Alors qu’il y a tant de malheureux sur la terre !

– Oui, oui, j’avoue, tout est vrai, tout va très bien, merci Marie Mazille et la Maison des Écrits d’Echirolles, merci à vous aussi ! Au fait, connaissez-vous l’origine de l’expression « Je vais me faire appeler Arthur » ? Très amusante, cherchez donc, vous verrez, non débrouillez-vous, je ne vais pas chercher à votre place, je n’ai pas le temps, je rimaille.

Si le monde doit partir en fumée
Ce ne sera qu’à l’heur’ du couvre feu
Le brasier attend, qui pour l’allumer ?
Couve, prend, grandit… Reste à faire un vœu.

Si le monde doit voler en éclats
Ce sera à l’heur’ du confinement
Il explosera comme sonne un glas
Et rendra ses couleurs au firmament.

Si le monde doit changer de chemin
Ce sera à l’heur’ du Covid-19
Pour croire encore un peu au lendemain
Au fond de l’inconnu, trouver du neuf.

Si le monde doit renverser la table
Ce sera à l’heur’ de la pandémie
Les bornes franchies de l’insoutenable
La guerr’ cessera faute d’ennemis.

Si le monde doit se réinventer
Ce sera à l’heur’ du coronavirus
Ou à la limite, quelques jours après
Nous sommes au début du processus.

Si le monde doit devenir heureux
Ce sera à l’heur’ du vaccin pour tous
En attendant prends courage et la queue
Et reste poli, j’en vois des qui poussent.

Si le monde doit retrouver ses marques
Ce sera à l’heure du variant mutant
La galère est là, pas le choix embarque
Tout est à réinventer maintenant.

Ce que j’aime dans la vie (anaphore)

14/01/2021 Aucun commentaire
Marie Mazille et moi-même en pleine action : atelier d’écriture de chansons, In Situ Babel Annemasse, décembre 2020. Merci photo : Patrick Reboud.

Le Fond du Tiroir hors les Murs ! MusTraDem m’est comme une résidence secondaire… Si vous êtes abonné à la niouzletter de MusTraDem, la prose de Christophe Sacchettini, qui joue de l’édito comme de la cornemuse, vous est familière. En 2015, je l’ai remplacé une première fois dans sa fonction d’éditorialiste. En janvier 2021 je recommence (deux fois en six ans, on ne peut pas dire que je me me surmène). Moi président, j’ai eu l’idée d’une anaphore que je reproduis ci-dessous.

Ce que j’aime dans la vie c’est être sur scène. Jouer, déclamer, échanger, chercher et trouver sur scène. Je ne sais plus qui a dit « La scène est le seul endroit sur terre où l’on ne vieillit pas » mais il est clair que ce type-là (ou cette fille, aussi bien) était dans le vrai. La scène produit une curieuse réaction chimique sur tout corps posé dessus et par miracle le processus de dégénérescence des cellules est immédiatement stoppé voire inversé, je n’irai pas jusqu’à dire que j’en ai la preuve mais à tout le moins l’expérience, et l’intuition. Malheureusement en ce moment les scènes sont toutes verrouillées, inaccessibles, ce qui fait que je vieillis un peu plus vite et sans remède. Je le sens bien, là, au moment même où je te parle, je vieillis à vue d’œil, mes cellules sont en pleine dégénérescence, elles s’affaissent sous moi, je perds mes dents et mes cheveux, une vraie pitié. Et pas moyen non plus de m’adonner à une autre activité que j’aime (dans la vie), fréquenter une salle de spectacle pour admirer sur scène le processus de rajeunissement d’autres que moi.

Ce que j’aime dans la vie plus généralement c’est la musique. En écouter – en ce moment il y a Youtube et les CD et c’est mieux que rien. En jouer – mais ça, je préfère avec des gens. Tout seul je manque un peu de volonté, je me décourage assez vite.

Car ce que j’aime dans la vie ce sont les contacts humains. Et les questions à la con du genre « Les contacts électroniques sont-ils des contacts humains ? » ou « Suis-je encore tout seul quand je suis en contact électronique avec quelqu’un ? »

Heureusement que j’aime d’autres choses dans la vie, des choses que je peux faire tout seul. Ce que j’aime dans la vie tout seul par exemple, c’est écrire. Des livres, des gros ou des petits, ou des poèmes, ou des courriels, ou des questions à la con, ou des frivolités, ou à la rigueur des éditos pour MusTraDem.

Ce que j’aime dans la vie, plus que tout, ce sont les bonnes histoires. Tu en veux une, de bonne histoire ? J’en ai. Il était une fois il y a fort fort longtemps, oh, une quinzaine d’années je dirais, ma première rencontre avec Marie Mazille. C’est un été en Maurienne, dans une maison pleine d’amis. Marie est au téléphone, elle était d’ailleurs tout le temps au téléphone, elle finit par raccrocher, elle me voit et la toute première phrase qu’elle m’adresse est : « Toi tu es écrivain, c’est ça ? Tu écris des chansons ? » (Il n’est pas absolument certain que ce soit sa vraie première phrase, il est possible après tout qu’elle ait commencé par « Bonjour », mais tant pis, moi ce que j’aime dans la vie c’est John Ford : « When you had to choose between history and legend, print the legend ».) J’ai répondu en riant un peu nerveux : « Chansons ? Pas du tout ah ah ah ! C’est pas mon truc ! J’ai écrit quelques poèmes et c’est ce qui s’en approcherait le plus, mais une vraie chanson ? Refrain couplet ? Ouh là là non, très peu pour moi, je ne serais pas capable. Ah ah. » J’avais instantanément cessé d’intéresser Marie Mazille qui s’est détournée et son téléphone s’est remis à sonner. Mais Marie étant une fille têtue, elle m’a reposé la même question à intervalles réguliers, jusqu’à ce que quinze ans plus tard je finisse par me rendre à l’évidence et que je réponde, avec surprise : « Ah mais oui, tiens ! Si fait, j’écris des chansons avec Marie Mazille. »

Ce que j’aime dans la vie c’est faire des choses dont je ne me croyais pas capable (merci Marie). J’aime énormément co-animer avec Marie des ateliers d’écriture de chansons, quand les pandémies nous foutent la paix. Je crois qu’il reste des places pour notre stage Mydriase de printemps, vérifie, si ça t’intéresse.

Ce que j’aime dans la vie c’est MusTraDem, sinon tu penses bien que je n’aurais pas accepté de présider un tel bazar. Autre excellente histoire. Il était une fois, il y a six ans MusTraDem me demande : « Tu ne voudrais pas être président ? » Je réponds un peu nerveux : « Président ? Pas du tout ah ah ah ! Je ne serais pas capable. » Six ans plus tard tu remarqueras que je n’ai pas à rougir de mon bilan présidentiel : j’ai réussi à convaincre UNE personne supplémentaire d’adhérer à l’association MusTraDem. C’est Marie Mazille. Grâce à elle l’assemblée plénière de l’association accède enfin à la parité ! Je veux dire par là que nous y avons une paire de femmes. Et toujours huit hommes.

Ce que j’aime dans la vie c’est l’étymologie. Le président, étymologiquement, est celui qui est assis au-dessus des autres.

Oui, mais ce que j’aime dans la vie c’est Michel de Montaigne (1533-1592) : « Sur le trône le plus élevé du monde, nous ne sommes encore assis que sur notre cul ».

Ce que j’aime dans la vie ce sont les rituels. Les rituels confirment que le temps passe, et mieux encore le renouvellent, le revivifient, le débloquent quand il est bloqué, le répètent mais avec variations, transpositions et coda. Exemple, monter sur une scène pour voir ses cellules se régénérer est un rituel. Autre exemple, un président prenant la parole pour présenter ses bons vœux de nouvel an : « Mustradémiens, Mustradémiennes, chers administrés, quand les temps sont durs les durs prennent leur temps. Je vous souhaite de prendre le temps d’énumérer tout ce que vous aimez (dans la vie). Et une fois que vous en aurez dressé la liste ce sera pile ce que je vous souhaite en 2021. »

Fabrice Vigne

C’est toujours mieux que de rester à ne rien foutre

06/11/2020 Aucun commentaire
Coprô B 125 EN. 124 FL GS 50 (Photo exclusive rapportée au péril de sa vie par Marie Mazille à l’issue d’une expédition très périlleuse à un kilomètre de chez elle)

L’hyperactive et incorrigible Marie Mazille ne saurait s’ennuyer sous prétexte de reconfinement. Les idées débiles débordent naturellement de sa personne et, par chance, m’embarquent en route.

Par exemple. Comme tout le monde, elle accomplit sa petite promenade quotidienne dans un cercle isochronique réglementaire d’un kilomètre de rayon. Mais, contrairement à tout le monde, par la grâce d’une hallucination qui lui est singulière et qui réenchante le quotidien emmerdant, au sein de ce périmètre elle assimile ce qu’elle croise en chemin à une formidable exposition, un musée en plein air dont un guide appointé pourrait expliciter les merveilles à l’attention des visiteurs profanes. Là, elle m’envoie la photo d’une bouche d’égout. Okay, je m’y colle.

Ce magnifique et cependant énigmatique spécimen de tôle rouillée et sculptée, dont la datation à l’empreinte carbone 14 est actuellement estimée à – 17 000, un jeudi en fin d’après-midi, pourrait apparaître simplement « artistique » à nos yeux d’occidentaux toujours prompts à enfermer dans le champ esthétique les artéfacts produits par des civilisations inconnues. Pourtant, cette œuvre rare revêt sans doute un sens rituel et sacré qui outrepasse largement sa simple fonction décorative. Selon les plus récentes recherches anthropologiques et archéologiques, les légères traces d’usure et de manipulation constatées sur cette tranche sculptée révèle qu’elle était certainement utilisée lors de rites d’initiations chamaniques durant lesquelles, après certaines séances de transes et d’absorption de substances, le jeune homme (peut-être la jeune femme) accédait au savoir et au statut d’adulte en découvrant dans la hutte du chef les gravures creusées au tournevis en bas-relief. Le motif géométrique, répété avec obstination, est le chevron à angle droit. D’emblée l’intention est clairement culturelle et conceptuelle puisque l’angle droit n’existe pas dans la nature. Mais une plus ample observation révèle le plus intéressant : l’alternance de lignes de chevrons selon deux sens inverses. Cette alternance, sans aucun doute fractale puisqu’elle oblige à regarder l’objet selon plusieurs échelles, exprime une foi primitive en l’unité fondamentale quoique binaire du cosmos par la succession, à parts égales, des signes opposés et cependant complémentaires (haut/bas, chaud/froid, sec/mouillé, masculin/féminin ?). Les chevrons dirigés vers le sol (forces venues du ciel) et ceux dirigés vers le ciel (forces telluriques), suggèrent un équilibre mythique parfait entre l’activité des humains et celle des éléments, le tout en rotation autour d’un centre circulaire évidé et obscur qui symbolise l’autorité éternelle et invisible, inconnue et indépassable, ou peut-être, en vertu de connaissances astronomiques que les peuples de ce temps auraient acquises de façon intuitive, l’axe d’une sorte de plan cosmogonique et cosmologique de l’univers en mouvement. Dans ce cas, les indéchiffrables caractères en haut et en bas de la tôle seraient à interpréter en tant qu’indications géodésiques qui, tel un GPS de l’âge de pierre fixeraient un repère sur un plan, « Vous êtes ici », à l’attention des éventuels visiteurs extra-terrestres ou, selon une terminologie plus contemporaine, des « dieux » .
L’admiration, l’émotion venue du fond des âges, la gratitude même, qui nous saisissent en pensant à l’artisan anonyme ayant réalisé cette œuvre en – 17 000, un jeudi en fin d’après-midi, ne doit pas nous faire oublier que nous avons sous les yeux, non le fruit d’un hom.fem.me singulier.e et habile.e graphiste.e, d’un.e individu.e, d’un.e « artiste.e » pour employer un anachronisme que les primitifs seraient bien en peine de comprendre, mais la création métonymique, cohérente et coagulante de toute une civilisation empreinte de spiritualité et sans solution de continuité connectée à la nature. Il est à craindre que le sens profond des mystères dépeints sur cette tôle, les tragédies immémoriales qui s’y jouent, soient perdus pour le commun, oubliés à jamais, et que nous devions nous contenter de l’émerveillement et, à tout le moins, du respect, que nous inspire un tel savoir-faire, exécuté avec exigence et opiniâtreté.
Certains chercheurs dissidents estiment quant à eux que les signes sculptés au tournevis pourraient avoir une signification beaucoup plus prosaïque, et avancent comme traduction approximative : « Merde à celui qui lira ça » . Cependant ces chercheurs sont loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique.

Le lendemain elle m’envoie une entrée d’eau à même le sol :

Okay, okay, je m’y colle aussi :

« Water/Vater », Yvette Klein (1962- ), technique mixte, 2002, Rostock
Cette pièce exceptionnelle, qui mêle avec sensibilité et délicatesse l’histoire de l’art et l’histoire personnelle, les débats théoriques et l’intimité familiale, est typique de la période psychanalytique d’Yvette Klein, artiste franco-allemande qui vit et travaille en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.
Rappelons qu’Yves Klein, dynamiteur de l’art contemporain, avait choisi une couleur, le bleu outremer, comme seul véhicule de sa quête d’immatérialité, d’infini et de parts de marché. Il avait déposé cette couleur en 1960 sous le nom d’IKB, « International Blue Klein ». Malheureusement arraché à la vie deux ans plus tard par un infarctus, il ne connaîtra ses enfants, à la fois au sens artistique mais aussi au sens génétique puisque sa fille, Yvette, naîtra ) titre posthume, deux mois après la mort de son père en 1962.
Yvette consacra l’essentiel de sa première partie de carrière à des explorations monochromes magenta ou jaune d’œuf, deux couleurs qu’elle songea à breveter avant de se raviser et d’entamer, en 1996, soit à 34 ans (âge qu’avait son père lors de sa disparition) une longue période bleue qui s’est révélée non seulement une redécouverte du patrimoine paternel, mais également un dialogue avec les origines et un dépassement dialectique et transcendantal. En effet, alors qu’Yves avait poussé la représentation dans ses retranchements en renonçant à toute figuration et à toute inscription sur ses monochromes bleus, Yvette va encore plus loin en réintroduisant des signes dans son œuvre personnelle, geste d’une rare radicalité qui redistribue encore une fois toutes les données esthétiques et cognitives. C’est ainsi que nous pouvons « lire » l’œuvre présentée ici, le lisible émergeant par-dessus le visible : nous sommes à même de déchiffrer au-dessus de la couleur IKB immédiatement reconnaissable les mots « Pah Pava », qui naturellement, même si l’interprétation est laissée à l’appréciation de chacun, peuvent se comprendre comme « Papa, va », une manière pudique pour Yvette de dire à son père qu’il peut s’en aller à présent que d’autres ont repris le flambeau pour perpétuer son œuvre – quitte à la trahir. On voit que les vingt-cinq ans de psychanalyse d’Yvette ont porté leurs fruits. Le titre de l’œuvre, « Water/Vater », jeu de mot trilingue en contrepoint du mot « EAU » inscrit également sur l’œuvre, devient clair, si l’on nous permet cette plaisanterie, comme de l’eau de roche : le bleu « outremer » inventé par Klein père était bien celui de l’eau, qui coule inlassablement sous les ponts et apaise y compris les deuils familiaux.

Quelques jours plus tard, un double motif géométrique photographié à même la chaussée :

Sans titre (« Cercle blanc et disque jaune »), Kévin Personne (1953-), Grenoble, 2015
En 1987 quatre artistes francs-tireurs et boursiers du CRAC (Centre Régional d’Art Contemporain), Roland Orepük, Mad, Bernard Béraud et Kévin Personne, créent à Grenoble le groupe Radical. Par cette appellation provocatrice, ces quatre disciples de Klee, Kandinsky, Mondrian et autres Malevitch, annoncent leur volonté d’en découdre avec la modernité, de rompre franchement et sans retour avec l’art de leur temps, qu’ils dénoncent comme décoratif, banal, compromis et commercial, aux mains de faiseurs ayant pignon sur rue, indignes imitateurs interchangeables de Klee, Kandinsky, Mondrian et autres Malevitch. Les quatre compères veulent revenir à l’exigence purement esthétique et rétinienne de l’art, en explorant les possibilités infinies des aplats monochromes (exclusivement avec les trois couleurs primaires, jaune, magenta et cyan) et les motifs géométriques de base (le cercle, le carré, le triangle, la croix, et certains soirs, après avoir bu, le trapèze irrégulier). Radical multiplie durant les années 90 les mémorables expositions collectives dans les galeries, FRAC, et centres d’art, jusqu’au jour fatal de 1998 où Kévin Personne sème la discorde et provoque l’éclatement du groupe, en présentant à ses trois camarades sa dernière œuvre, dont il prétend être très fier, un portrait figuratif hyperréaliste de sa femme, Paméla Personne, peint à l’huile avec fond dégradé à l’aérographe. Il leur aurait déclaré : « Ben quoi les gars ça vous plait pas ? Non mais si, regardez, j’ai fait attention à ce que ce soit vachement ressemblant, tous ceux qui connaissent Paméla me disent qu’ils la reconnaissent presque facilement, j’ai soigné les plis de sa robe et tout, et les mains, c’est incroyable comme c’est difficile à faire les mains, y a pas deux doigts pareils, alors j’ai un peu bâclé et je lui ai donné un sourire sympa en me disant qu’on regarderait surtout sa tête et pas trop les mains ». Après une réunion de crise de Radical, Kévin Personne est exclu du groupe à l’unanimité et sans indemnités. Il plonge alors dans l’alcoolisme et dans une dépression qui le conduit à produire exclusivement, pendant plus d’une décennie, des portraits d’humoristes célèbres ou d’acteurs américains, vendus à la sauvette sur les marchés, des châteaux de Vizille sur lauzes et des chats mignons qui jouent dans un panier, signés du pseudonyme Kévinou. Recouvrant, après une rigoureuse cure de désintoxication, un nouveau désir de radicalité à partir de 2014, il détruit toutes les toiles de sa période « Kévinou » et décide de limiter plus que jamais le nombre de ses motifs et couleurs. Depuis lors, il ne peint plus que des cercles blancs évidés et des disques jaunes pleins, toujours dans la même taille (respectivement 20 et 10 cms de diamètre) et la même configuration. N’étant plus le bienvenu dans les centres d’art, il n’a de cesse de peindre ce double motif en plein air, sur les murs, sur le mobilier urbain, sur les trottoirs ou simplement sur la chaussée, surtout dans les quartiers de l’agglomération grenobloise qu’il sait fréquentés par ses trois ex-amis, comme autant de perches lancées en direction de Radical, dans l’espoir d’être réintégré dans le groupe. Jusqu’à présent, sans succès.

Et ça ? Et ça ? Tout en longueur ? J’en veux ? Ben oui.

Den perfekte ide om øen (« L’idée parfaite de l’île »), Jorg Asner (1914-1973), technique mixte, première création Aarhus 1972 / recréation à l’identique Grenoble 2020
Membre fondateur de l’Internationale Situationniste dès juillet 1957,
le Danois Jorg Asner en est également le premier exclu pour déviationnisme, dès août 1957. Brouillé avec les autres membres, il exploite toutefois, à ses fins personnelles, le concept situationniste de psychogéographie, c’est-à-dire la création de situations urbaines agissant directement sur les émotions et les comportements des individus. Par ailleurs obnubilé par l’idée d’une île utopique, paradis perdu ou « terre sans mal » dont la forme longiligne réapparait sous les formes les plus diverses dans la plupart de ses travaux durant près de vingt ans (peintures, sculptures, installations, dessins au doigt sur les vitres embuées, gribouillis sur le bloc posé à côté du téléphone…), il cherche assez longtemps l’endroit urbain le plus approprié pour installer son île, qui symbolise pour lui la beauté parfaite et inatteignable dont on ne ne peut se faire une idée que grâce à l’art.
En 1971, un éclair de génie psychogéographique lui livrera la solution et le terme de sa quête : en ville son île ne pourra qu’être négative, prendre la forme d’une étendue d’eau entourée de bitume. Pendant quatre mois il s’installe dans une rue très passante d’Aarhus, la rue Søndergade, où il multiplie les expériences pour faire émerger « l’idée parfaite de l’île » en déformant la chaussée et en déversant une quantité d’eau calculée au millimètre cube, semi-asséchée sur les bords afin d’évoquer une « plage » sans reflet, chantier de précision qui s’effectuera avec une équipe de huit personnes au grand dam des riverains se plaignant de ne plus pouvoir traverser à pied sec. Le coin de rue qu’il sélectionne doit avoir non seulement l’inclination idéale, mais également l’environnement qu’il recherche obstinément : deux réverbères et un bâtiment doivent absolument apparaître dans la partie haute du reflet de « l’île » pour figurer la présence urbaine lointaine mais implacable et, métaphoriquement, les barreaux d’une prison. Il complète son œuvre d’un dispositif comprenant une paire de lunettes montée sur un pied à hauteur des yeux, afin que les spectateurs (les passants) puissent contempler l’œuvre depuis l’angle exact prévu par l’artiste, autrement dit, selon les termes de son journal intime, « pour que l’homme de la rue voie l’île telle que je la vois, se glisse dans mon cerveau, comprenne l’idée de la beauté négative, de la terre sans mal qui le rendra meilleur ».
Malheureusement, à peine achevée, l’oeuvre sera vandalisée par les riverains excédés, au cri de « Qu’est-ce que c’est que cette flaque à la con ». Asner ne se décourage pas et n’aura de cesse de trouver un autre endroit susceptible d’accueillir son « idée parfaite de l’île », mais dès l’année suivante, sa brutale disparition l’empêche de mener à bien son travail. Prenant le relais, la Fondation Jorg Asner, garante de la pérennité de son œuvre, explorera les grandes métropoles du monde pendant près de 50 ans, avant de trouver enfin en 2020 l’emplacement adéquat (inclination de la chaussée, hydrométrie, environnement urbain comprenant deux réverbères et le bon type d’architecture reflétée…) dans un coin de rue de Grenoble (Isère, France)

Un dernier pour la route ?

L’Arlésienne 215, virulente critique de la société de consommation, Marcel Valpolicella (1939-), installation, objets divers, Grenoble 2017
Artiste affilié à l’École de Nice, sous-estimé et régulièrement oublié par les historiens de l’art, Marcel Valpolicella n’en a pas moins marqué son temps grâce à son œuvre la plus célèbre, et pour ainsi dire unique, L’Arlésienne.
Installation à géométrie variable, virulente critique de la société de consommation, L’Arlésienne a été déclinée par son auteur près de 250 fois à ce jour dans le monde entier, chacune des versions étant conçue sur le même modèle, quoique distincte et numérotée.
La première version, initialement nommée L’Arlésienne puis de manière rétroactive l’Arlésienne 1, a été créée à Nice en 1969. Virulente critique de la société de consommation, l’œuvre prenait la forme d’une accumulation de détritus trouvés dans les poubelles de la ville (boîtes de conserve, épluchures, papiers gras, vêtements hors d’usage, matières plastique non identifiées, reliquats organiques) entassés et surmontés d’une boîte d’allumettes de la SEITA, grand format. Cet objet emblématique, qui allait devenir la signature même de Valpolicella et l’unique point commun des quelques 250 versions ultérieures de l’œuvre, porte en effigie la silhouette stylisée d’une danseuse, qui rappelle sans la citer, telle une publicité subliminale, la marque de cigarettes « Gitanes », mais dans les tons rouge-orangé au lieu du bleu caractéristique.
Cette boîte d’allumettes couronnant une pile d’ordures semblait exprimer un cinglant commentaire politique, et l’encouragement suivant : « Qu’attendez-vous pour mettre le feu au consumérisme qui produit tant de déchets ? », assurant la réputation de l’œuvre en tant que virulente critique de la société de consommation.
L’Arlésienne 1, constamment restaurée sur site, notamment recouverte de déchets organiques frais (coulis de tomate, os de poulet, fonds de bouteilles, etc.), est aujourd’hui réputée en tant qu’essentielle, avant-gardiste et virulente critique de la société de consommation, d’ailleurs estimée sur le marché de l’art à environ 30 millions d’euros.
Ayant trouvé son style et son créneau personnel dans cette virulente critique de la société de consommation, Marcel Valpolicella n’a plus jamais, depuis 1969, fait autre chose que des variations sur l’Arlésienne. Il a produit à la demande, pour les collectionneurs privés comme pour les collections publiques, de très nombreuses Arlésiennes originales, chacune de ces virulentes critiques de la société de consommation compilant les déchets découverts in situ et caractéristiques non seulement du lieu mais de l’époque de son élaboration (par exemple, dans les Arlésiennes des années 90 les boîtiers cristal de compact-discs remplacent peu à peu les vinyles brisés ; les débris électroniques de téléphones portables apparaissent dans les années 2000 ; les journaux quotidiens cèdent progressivement leur place aux tracts et publicités…). Mais encore et toujours, toutes gardent pour leitmotiv la gitane de la SEITA, tentatrice flamenca (littéralement : enflammée) qui, sensuelle, semble inciter le spectateur à commettre un autodafé.
Le tout, bien sûr, dans une provocante et virulente critique de la société de consommation.
Depuis de nombreuses années, Marcel Valpolicella, toujours subversif quoique désormais domicilié en Suisse, ne fouille plus lui-même les poubelles mais dispose heureusement d’un personnel qualifié pour entretenir sa virulente critique de la société de consommation.
Invité par la ville de Grenoble à l’occasion d’une résidence artistique de trois mois en 2017, Marcel Valpolicella a chargé son équipe de fouiller sur place quelques poubelles et, à l’issue d’un travail minutieux, a laissé derrière lui une œuvre qu’il a numérotée Arlésienne 215, offrant une nouvelle et virulente critique de la société de consommation au patrimoine artistique de la capitale des Alpes. La Mairie n’a malheureusement pas souhaité répondre à nos sollicitations et nous
ignorons le montant de l’assurance couvrant l’œuvre, virulente critique de la société de consommation, non plus que le budget de surveillance, de conservation et d’entretien.

Et s’il n’y avait que les visites farfelues dans le paysage urbain… Marie concocte également une comédie musicale sur les gestes barrière. (Surtout ne pas demander pourquoi.) D’accord, je m’y colle encore, je ne dis jamais non à Marie, ça me perdra. Je contribue avec une chanson sur la distanciation sociale.

On nous l’a dit dans la télé dans le journal
Distances de distanciation internationale
Mais attention à la nuance fondamentale
La distanciation ne vous en déplaise est sociale
L’expression est bizarre, j’y comprends que dalle !
On acolle deux mots contraires diamétral…
Et faudrait faire semblant de trouver ça normal ?
Comme une paranoïa conviviale
Une industrie artisanale
une imitation originale
Un divorce matrimonial
Une gaité de pierre tombale
Un chauve avec une queue-de-cheval
Ou une viande végétale
Une extinction de voix à la chorale
Un être humain animal
(heu non mauvais exemple ça c’est banal)
Un commencement final
Un village mondial
Un oeuf de marsupial
Un poison mortel médical
Un silence (John Cage) musical
Un vêtement à poils
Une vapeur à voile
Un toit à la belle étoile
Superficiel jusqu’à la moëlle
Un vol direct avec escales
Un communiste capital
Une quadrature ovale
Une dictature électorale
Une plage privée au Népal
Une banalité paradoxale
Un consensus radical
Une métaphore littérale
Un rôti de porc halal
Un végétarien cannibale
une prostituée virginale
Une tempête de neige tropicale
Une vérité gouvernementale
(Genre :) Un bombardement chirurgical
Une délicatesse colorectale
Un assassinat amical
Une égalité salariale
Un géant infinitésimal
En compagnie d’un nain colossal
Une féministe patriarcale
Un allongé qui reste vertical
Parce que zéro lit à l’hôpital
Un lundi matin dominical
Un confinement de festival
un oxymore devenu viral
Une distanciation sociale !
Une distanciation sociale !
Une distanciation sociale !
Une distanciation sociale ! (ad lib)

Je m’arrête ou je continue

26/08/2020 un commentaire

Le lundi 16 mars 2020 a débuté un événement historique qui demeurera le grand fait collectif de cet an de grâce : le confinement. Je prends le pari que dans quelques décennies, ceux d’entre nous qui seront encore en état de produire du langage articulé évoqueront 2020 comme l’année du confinement davantage que comme l’année du coronavirus, puisque la maladie a touché quelques uns tandis que le grand lockdown a saisi tout le monde. « Tu te souviens du confinement ? Tu te souviens comme on autosignait son attestation avant de sortir pour tenter de trouver, un peu anxieux, dans les quelques magasins ouverts le PQ, le gel, la farine ? Ah, Raoult, la chloroquine, le télétravail, Zoom, les applaudissements de 20h aux soignants, la Peste de Camus en livre numérique, et les élections municipales masquées, c’est toute ma jeunesse !« 

Oui, souvenons-nous de ce printemps 2020 anormalement doux. À l’heure où la société française se délitait, se balkanisait en milliers de revendications identitaires et de chacun-pour-soi propice au triomphe du libéralisme, les conditions de vie ont brutalement basculé, pour tous, sans faire le tri entre exploitants et exploités, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, joyeux ou moroses, malades ou bien portants, dévots ou blasphémateurs, une même enseigne créant un sentiment paradoxal et sans doute fugitif d’unité dans le peuple français – nous avions au moins ceci en commun, plus petit dénominateur. Second paradoxe : cette unité a pris la forme non d’une quelconque solidarité ou d’une fraternité comme le veut le 3e terme de notre devise, mais d’une atomisation absolue. Reste chez toi. Reste seul comme tout le monde.

Ce lundi 16 mars au soir, pogné par le besoin de rester en vie et d’échanger des nouvelles avec d’autres atomisés, mes frères et soeurs vivants eux aussi, j’ai entrepris d’écrire un journal quotidien, m’engageant à publier quelques lignes chaque jour à heure fixe sur un réseau dit social nommé Fakeboutre ou quelque chose comme ça. Cette pratique du journal de confinement, comme tout ce qui est susceptible de produire du lieu commun a été très critiquée et moquée – car tout de même la société française n’était pas révolutionnée au point de délaisser la critique et la moquerie. J’ai tenu 83 jours (84 si l’on compte le jour zéro). Puis, le 23 mai, j’ai renoncé, retournant en ce qui me concernait à la normale, c’est-à-dire à l’attente patiente, pour écrire, d’avoir quelque chose à écrire.

Six mois plus tard. C’est la « rentrée » paraît-il. Nous baignons encore, peu rassurés, dans l’expectative de la deuxième vague et dans le jus amer de cette maladie, mais nous pouvons déjà dresser un bilan de ce que nous avons vu de nouveau – lire le terrible texte Choses vues sur terrestres.org.

Pour ma part je viens de rouvrir et relire mon journal de confinement et je suis étonné de le trouver si lointain, témoin d’une période historique ouverte puis refermée. Je l’ai écrit pour l’Histoire, estimerais-je, si j’étais fat ; comme je ne le suis pas je sais que je ne l’ai écrit que pour mon histoire. Par souci d’archivage systématique de celle-ci, ce journal a été compilé ici même en cinq tranches :

Tranche 1 : du 16 au 31 mars.

Tranche 2 : du 1er au 15 avril.

Tranche 3 : du 16 au 30 avril.

Tranche 4 : du 1er au 15 mai.

Demi-tranche 5 (Coda) : du 16 au 23 mai.

De cette relecture exhaustive je retiens quelques idées qui mériteraient d’être creusées, mais que sans doute j’oublierai à nouveau. L’une d’elles pourtant me travaille, à la date du 1er mai 2020 :

Jour 46
1er mai sans défilé. Faute de collectif, cette date n’est plus que la fête du travail sur soi.
Je suis un dépressif chronique. Depuis l’âge de 12 ans environ je connais les mauvaises passes. Je n’en tire ni orgueil ni honte ni lamentation (excessive), en général j’attends juste que ça passe. Ces épisodes pénibles me délivrent-ils une expérience ? Ont-il, en cela, une fonction quelconque, une utilité ? « Traverser l’enfer pour n’y gagner qu’un peu plus soif » comme dit Céline dans Guignol’s Band.
Ils me ralentissent, me handicapent, m’empêchent, me diminuent. Ils m’apportent tout au moins une certaine connaissance de moi-même, et sans doute la connaissance, fût-elle de soi-même, est le bien suprême. La principale information qu’ils me délivrent mon sujet est une conscience aigüe de ma fragilité. Je suis fragile, j’en prends bonne note. Est-ce une sagesse ? Pas tout à fait, même si la sagesse part de là.
Eh, les bizuths, écoutez le briscard : la pandémie et le confinement, qui sont comme une dépression planétaire, nous donnent une conscience douloureuse de notre fragilité. On peut vivre avec, empêchés, diminués, fragiles et vivants. Reste à trouver la sagesse.

Je pousse la réflexion (le dialogue avec mon moi d’il y a quatre mois). Je la pousse comme une montagne et accouche d’une souris. Après des années d’expérience je parviens à un pauvre truisme, tout au moins à deux définitions extrêmement simples. La dépression n’était peut-être pas finalement une affaire de solidité ou de fragilité mais de sensibilité à la forme du temps – soit on ressent le temps continu, soit on ressent le temps brisé.

1) Temps brisé. La dépression consiste à être submergé par l’évidence (plus ou moins illusoire, on s’en fout) que quelque chose est irrémédiablement terminé (une étape, une époque, un amour, une amitié, un travail, voire un travail artistique, un espoir, une enfance, un lien, une habitude, un acharnement thérapeutique, un système, un statut, un coin de rue en travaux, un journal quotidien sur Fastbrücke, une dent qui tombe, un cheveu qui reste sur le peigne, un glacier qui fond, un millier d’espèces animales qui disparaît, le concept d’album en musique…) ; si quelque chose s’arrête tout s’arrête et par contagion la vie elle-même. La phrase la plus triste du monde ? C’est terminé.

2) Temps constant. L’absence de dépression se caractérise, de même que la santé se caractérise par l’absence de maladies, par la conviction (plus ou moins illusoire, on s’en fout) que quelque chose continue ; si quelque chose continue tout continue et par contagion la vie elle-même.

Cette dichotomie a beau être simplette, elle serait applicable à d’innombrables pans de notre vie, et pas seulement métaphysiques (oui, globalement tout ça va mal finir parce qu’à la fin on meurt). Un exemple suffira et je prends le premier qui passe. L’engouement pour les séries télé découle (pas seulement, bien sûr) du fait qu’elles ne s’arrêtent jamais (ou du moins qu’elles en donnent l’illusion, je vous dis qu’on s’en fout), encore un épisode, encore une saison, encore-encore. Tandis qu’un film, ou une oeuvre quelle qu’elle soit, est borné par un début et une fin, il est par conséquent potentiellement tragique, son début contient en germe sa fin et sa dépression. Mais pour conjurer la dépression, le cinéma n’a pas attendu 100 ans les séries télé pour comprendre tout seul qu’il devait proposer en permanence un nouveau tour de manège à coups de remakes, sequels, reboots ou spinoff, ou au moins de plagiats. À Hollywood où les histoires originales sont rarissimes tout est organisé pour ne pas désespérer le spectateur et lui suggérer Tu vois bien que ce n’est pas fini comme on donne une tape amicale sur l’épaule.

En gros, Stop ou encore.

Tiens, au fait.

J’ai entendu souvent que le tout premier morceau de rap français était Chacun fait c’qui lui plait de Chagrin d’amour en 1981, et je me le tenais pour dit.
Sauf que l’autre jour, par hasard à la radio j’entends Stop ou encore de Plastic Bertrand.
Mais ?… Plastic Bertrand en plus d’être un faux punk belge serait donc un proto-rappeur ? Car ce morceau est manifestement du rap, et il date de 1979, deux ans avant l’autre ! Il faut réécrire l’histoire ! (Avec une pensée et des gratitudes pour mon grand frère qui possédait les albums vinyles, dont un rose, de Plastic Bertrand, que j’ai écoutés sinon plus souvent, au moins plus longtemps que lui…)

Dans la foulée j’ai gouglé Plastic Bertrand, parce que je le croyais fini. Or il n’est pas fini du tout, il continue, il joue à guichet fermé dans les tournées Stars 80 devant des foules immenses et avides d’avoir sur scène la preuve (ou l’illusion, je vous répète que cela n’a pas d’importance) que quelque chose se poursuit.

(Bonus : comme Plastic Bertrand n’épuise pas tout à fait le langage poétique universel, voici un peu de Pessoa.)