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En regardant les nuages

10/06/2013 Aucun commentaire

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Et ainsi les idées s’associent (numéro zéro). Mais où va-t-il chercher tout ça ?

* On raconte que Leonard de Vinci préconisait à ses élèves d’observer les nuages se former et se déformer, au moins quinze minutes par jour, afin de stimuler leur imagination. À défaut, la contemplation des cendres dans l’âtre ferait l’affaire, ou de lézardes, ou de taches formées par l’humidité, ou encore, préfigurant Rorschach, de celles que l’on provoque soi-même en projetant sur un mur une éponge imbibée de couleurs. Observation, inspiration, méditation, compilation, hallucination. Elle fonctionne ainsi, l’imagination : tout mène à n’importe quoi et réciproquement. Par association d’idées, se projeter par l’esprit dans les nuages peuvent vous conduire à inventer l’hélicoptère aussi bien qu’à résoudre une énigme astronomique où à peindre des anges.

* Vous auriez des circonstances atténuantes si l’envie vous prenait de gifler le prochain gugusse qui s’avise de vous reprocher d’être « dans les nuages » .

* Le mode de vie contemporain incite à consacrer ses heures quotidiennes à contempler la formation et la déformation, plutôt que du ciel, des taches apparaissant sur son mur Facebook. Et de là vers mille liens sur la toile. L’effet sur l’imagination est-il comparable ? Je ne préjuge pas. Tout est bon. Tout mène à tout, c’est le principe.

* J’entame ici et maintenant une série d’articles où je m’appliquerai à déployer sur la longue durée les idées associées, la chaîne de la pensée, maillon par maillon – processus qui donne lui-même à penser. Je ne sais combien j’en écrirai. Nous saurons où cela nous conduira une fois que nous y serons.

* À titre de prototype et d’échantillon, de quel nuage est sorti Double Tranchant, idée qui s’est longuement transformée, d’avatar en avatar, d’abord un texte, puis des linogravures, puis une lecture, puis un livre, puis une exposition, puis, prochainement, un spectacle ?

* Le tout premier embryon d’idée qui a libéré cette jolie cascade concernait la religion. Bizarre, non ? Au bout du compte, il ne reste rien de ce motif religieux initial, à part quelques allusions. Je me faisais la réflexion, banale, que la religion était facteur de chaos, de haine, de folie, de guerre, de grands inquisiteurs et de bûchers divers. Si l’humanité ne s’auto-détruit pas pour cause d’inconscience écologique ou d’avidité, elle le fera sans faute parce que des connards toujours plus nombreux sont persuadés que leur dieu perso est moins imaginaire que celui du voisin. Bon. Sur l’autre main comme disent les anglais, je me faisais la réflexion, également banale, que la religion a rendu meilleurs certains individus que je connais. Moins matérialistes. Plus spirituels, plus généreux, plus cultivés, plus ouverts, plus profonds, plus humains. La religion détruit peut-être autant qu’elle préserve, épanouit autant qu’elle asservit. Le moyen d’évoquer ce double mouvement ?

* Ensuite : connexion par synapses, et détour par le nationalisme québécois. Encore plus bizarre, non ? Je me souviens d’avoir lu, il y a peut-être quinze ou vingt ans, une interview de Felix Leclerc, interrogé à propos des revendications indépendantistes québécoises, susceptibles d’engendrer de grandes violences, de grands malheurs (rappelons qu’en 1970, le Front de libération du Québec se rendait coupable d’attentats, d’enlèvements, de meurtres…). Leclerc répondait que le nationalisme était un un simple outil, comme un couteau, un outil pour penser et pour vivre. Il expliquait qu’avec un couteau en main, on pouvait poignarder son frère dans le dos, ou partager un pain avec lui. Cette image si simple et si bouleversante, si sage et si poétique, est de nature à faire son nid pour longtemps dans la cervelle.

* (Je comptais donner les références de cette interview, puisque je comptais donner toutes les références. Pas moyen de remettre la main dessus. Je l’ai peut-être rêvée. Ou confondue. Ou attribuée à Leclerc par erreur. Je n’en sais rien. Je n’en saurai jamais rien. C’est la règle du jeu. L’idée demeure, plus longtemps que les hommes.)

* On a donc une idée entre les mains. Celle du tranchant double. On déroule la pelote. On gratte le papier. Puis les conditions d’écriture influencent à leur tour l’écriture. Les circonstances. Les prédispositions. Les vieilles obsessions et les jeunes frustrations. L’identification. L’empathie. Les souvenirs (je pense à mon grand-père). Le lieu et l’instant (La Maison de l’outil de Troyes, je l’ai déjà raconté). Les réminiscences s’empilent. Résultat final : le texte de Double tranchant commence comme un pastiche de 2001 l’Odyssée de l’espace, sa sublime syzygie et son ode ambigüe à l’outil comme prolongement de la main de l’homme ; et se termine comme un plagiat d’une chanson populaire des années 1900. Et on voudrait quoi, être original ? Bah. C’est en mélangeant qu’on invente.

* L’originalité à tout prix, si l’on réfléchit, est un effet de l’ego. Or l’ego est une valeur ajoutée de la société marchande, un plus produit, marque de fabrique, gimmick, logo. Pour cette raison Pablo Picasso, cas pourtant exemplaire d’identification d’un style à un homme, s’écriait « à bas le style ! » . J’aime passionnément la littérature. En revanche l’ego des écrivains m’emmerde. Le mien, infiniment plus que tous les autres. Mon ego est vrai con. (Je comprends, écrivant ceci, pourquoi j’aime, et de plus en plus, la littérature anonyme, les contes, les mythes…) Alors je me mets à la musique. Je passe une à trois heures par semaine dans la salle de répétition de mon professeur de musique, qui a épinglé sur l’un des murs une citation zen d’Albert Einstein, que je lis systématiquement, jour après jour, en montant et en démontant mon instrument :

Ce qui fait la vraie valeur d’un être humain, c’est de s’être délivré de son petit moi.

* Double tranchant en outre est un ouvrage irrigué par un aphorisme de Guy Debord, une de de ces idées générales qui arment pour la vie : « Quand une chose ne change pas dans la société, on l’affuble d’un nom nouveau. En revanche quand une chose a été profondément modifiée dans sa nature, dans sa signification, dans son mode de production et dans son usage, alors elle garde son ancien nom. Exemples : une pomme, un steak, un diplôme. » Un couteau.

* C’est dit : mon prochain article sera consacré à Guy Debord.

Dans la lune, air connu (Dans la lune j’t’ai r’connu)

01/06/2013 Aucun commentaire

Les deux jours passés la semaine dernière à Tinqueux m’ont donné une énergie folle, qui j’espère durera. Le Centre culturel/Centre de créations pour l’enfance de Tinqueux, autrement dit Dans la lune, a réalisé une superbe exposition à partir du livre Double Tranchant cosigné JPB et Mézigue. M’immerger dans cette expo me procure une joie de même nature que découvrir ce qu’un illustrateur a créé en s’appropriant un de mes textes : soudain, mes mots existent en relief, relayés, incarnés dans l’air et dans les images. Je n’ai jeté qu’une allumette, et maintenant regarde, oh le bel incendie. Si je suis maître d’ouvrage de l’expo, je rends grâce à Sylvain, maître d’œuvre, dont les doigts ont du talent, de l’intelligence, et de la poésie. Le dispositif même de l’installation, jouant sur les contrastes (les doubles, sujet du livre) intérieur/extérieur, réalisme/stylisation, art/artisanat, abstrait/concret, concentration/imagination, silence/bruit, élargit, et même clarifie, les idées et principes qui avaient présidé à l’élaboration de l’ouvrage.

L’expo demeurera visible dans les locaux du Centre jusqu’au 20 juin 2013. Ensuite ? J’aimerais qu’elle voyage. Qu’elle s’approche de chez moi, parce que Tinqueux, c’est tout de même six heures de train. Ce n’est point à l’ordre du jour, alors je goûte l’instant : j’ai été là-bas très chaleureusement reçu et soutenu par des gens qui aiment et comprennent mon travail. Le roi n’est pas mon cousin et le monde est la mienne huitre. Merci Mateja, merci tout le monde.

On m’avait préparé quelques surprises dont, pour enrober de musique le vernissage, une joueuse de scie musicale. « Nous nous sommes permis d’ajouter une lame absente du livre… » Ben voyons, permettez-vous les amis, le plaisir est pour moi. La lamiste (elle joue de la lame et non de la scie, et m’a expliqué les différences) était, je dois dire, époustouflante. Elle nous a régalé avec du Bach, du Danny Elfman et du Indochine (le saviez-vous ? Dans la lune est incidemment le titre de l’album solo de Nicola Sirkis), et c’était très beau, j’en étais le premier surpris, moi qui me croyais peu sensible au son de la scie, tout kitch qu’il est et ondulant d’un vibrato suraffecté… Sauf que par elle, non ! Ça n’est que lyrisme. Elle s’appelle Gladys Hulot, et elle est n’est pas la première lamiste venue. Elle est, tenez-vous bien, championne du monde de scie musicale (c’est tellement bizarre comme instrument qu’il existe un championnat, et du monde, rien que pour eux)… On peut visiter son site ou l’écouter jouer ceci ou cela.

J’ai pas mal discuté avec elle, de rêves surtout, car elle rêve abondamment. Elle m’a raconté des choses stupéfiantes comme  « Ah, tiens, tu as publié un recueil de tes rêves ? Moi aussi j’écris mes rêves, je les dessine aussi, mais je ne sais pas si ce serait publiable, parce que c’est quand même très bizarre. La dernière fois, je dévorais Evelyne Delhia. » Une autre nuit, elle a discuté avec John Lennon. Moi, c’était avec Ringo Starr. On a blagué ensemble, à l’idée qu’il ne nous restait plus qu’à trouver deux autres rêveurs pour refonder les Fab Four, mais seulement la nuit.

Bref, Tinqueux = dream team, littéralement. Merci encore du fond du cœur à toute l’équipe œuvrant Dans la lune, perpétuellement jeune. Cela ne m’empêchera pas d’aborder à présent une vieille lune.

Il me faut reparler un peu de cette question tannante posée dès le début du présent blog, puis régulièrement : ce qui est littérature jeunesse, ce qui n’en est pas, et ma légitimité au beau milieu. Pardon pour ceux que cela bassine, oh comme je vous comprends, vous pouvez quitter la pièce, vous êtes excusés, je n’y reviens pas pour le plaisir, mais parce que ces invulnérables étiquettes m’irritent le cuir. Alors je gratte. Je me moquerais bien, pour mon compte, d’élucider ma nature profonde d’écrivain jeunesse ou bien d’usurpateur, si d’autres ne cherchaient sans relâche à trancher ce point. Il se trouve qu’une critique de Double tranchant a été publiée dans la Revue des livres pour enfants, qui, précisément, mettait bien en garde ses lecteurs sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un livre pour enfants. (Comme cet article, coïncidence, figurait sur la même page qu’un autre consacré au précédent livre de Jean-Pierre Blanpain, Je veux aller à la mer, je reproduis toute la page…)

Double tranchant se voit donc officiellement, institutionnellement même (la Revue faisant foi et référence) raccompagné à la frontière du champ de la jeunesse. C’est embêtant. Que faire ? Sans aucun doute, parler à la jeunesse par-dessus les institutions. La littérature de jeunesse a de nombreux et indéniables mérites, puisqu’elle favorise l’imagination, cet endroit virtuel, en nous, en tout, où l’on explore les possibles. Quant à sa limite, elle tient peut-être dans le fait qu’elle ne peut s’empêcher de préconiser. Par nature la littérature de jeunesse sait si un livre est pour toi ou non, or cela n’est rien d’autre qu’un manque d’imagination.

Un éditeur, qui avait refusé de publier Double tranchant, dont je respecte néanmoins infiniment les jugements, m’avait déclaré : « Je ne vois pas ce que ce livre a de Jeunesse, si ce n’est bien sûr qu’il faudrait que tous les jeunes le lisent« . J’adore ce point de vue, je le fais mien. Et si, dès notre première rencontre, je me suis senti en si parfaite affinité avec l’équipe de Tinqueux, c’est que, lorsque je les ai prévenus : « Attention, je ne suis peut-être pas un auteur jeunesse, parce que je n’écris pas forcément pour la jeunesse. En revanche j’aime beaucoup, et je crois suprêmement important, d’adresser à la jeunesse ce que j’ai écrit, une fois que je l’ai écrit », ils m’avaient simplement répondu : « Pas de problème. Nous faisons la même chose. »

J’ai l’honneur de vous informer que les visites scolaires de l’exposition Double tranchant que j’ai conduites à Tinqueux ont été de grands moments de rencontre, de débat, et de découverte. Ce livre, cette expo, parlent aux jeunes, voilà une évidence que je suis navré de devoir énoncer, parce que j’ai l’air de quémander. La palette était large entre la classe de CM2 avec qui j’ai échangé sur la notion de double tranchant (« Une chose peut être son contraire. Qu’est-ce qui est bon et mauvais à la fois ? Qu’est-ce que vous aimez mais que vous n’aimez pas ? L’école ! Mon frère ! Mes parents ! Okay, okay, vous avez pigé le truc… ») et les collégiens de SEGPA avec qui les conversations ont rapidement tourné autour de la violence, symbolique ou réelle (à peine avais-je déplié le couteau que j’avais dans ma poche, qu’un môme en face de moi a immédiatement fait de même avec le sien – la prof lui a fait les gros yeux : moi j’avais le droit, pas lui ; un autre a exhibé ses cicatrices, qui s’était fait planter dans le ventre en pleine rue…), et de la différence entre un métier, un travail et un emploi.
À la fin de la journée, une fillette, une fois épuisées les questions sur le livre, sur les couteaux, sur la linogravure, sur l’écriture en tant que travail artisanal… a fini par me demander : « Mais au fait, Double tranchant, est-ce que c’est un livre pour enfants ?

– Bah, je ne sais pas trop. Est-ce que tu es un enfant ?
– Oui, bien sûr.
– Est-ce que tu as trouvé ce livre intéressant ?
– Oui, bien sûr.
– Alors Double tranchant est un livre pour enfants ici et maintenant, entre toi et moi. Je n’en sais pas plus. »

Double-edged

04/05/2013 Aucun commentaire

On cause de tout de rien, mais de longtemps nous n’avions parlé de Double tranchant… Que devient le plus beau livre du catalogue ? Eh bien d’abord ceci, relativement inédit : il est resté le plus beau livre du catalogue quand bien même il a cessé d’être le dernier paru.

Et par ailleurs, ou bien par conséquence, il est en cours d’épuisement. Seulement quelques dizaines d’exemplaires en stock. Nous le réimprimerons donc puisqu’il est hors de question de le laisser disparaître, mais j’ignore quand, ou en quelles quantités, il me faut ressortir la calculette et équationner les prix de revient, le compte en banque, le temps virtuel de rentabilisation, sachant que je ne peux plus compter sur la vente auprès des fidèles au moment de la souscription. Seule certitude, cela retardera forcément le livre suivant, qui de toute façon n’est pas prêt. Écoutons The Knife pour fêter l’événement, ou le non-événement, ou ce qu’on voudra.

En attendant, le livre voyage. Jusqu’au Kansas, oui messieurs-dames, où un certain John Mallery (photo ci-dessus) cumule dans la même silhouette rondouillarde et sympathique un lanceur de couteaux, un historien de l’art, un chef d’entreprise spécialisé dans la sécurité informatique, et un esthète collectionneur, car tout est possible dans le grand pays Iouhessay. Fendant l’air transatlantique par voie numérique, l’affiche de la récente Librairie éphémère a tapé dans l’oeil de l’homme, qui est entré en contact avec Jean-Pierre Blanpain pour acquérir vite-vite en dollars, et le livre, et la linogravure.

Le livre voyage aussi sous la forme d’une exposition, qu’hélas je désespère de voir près de chez moi, mais que, lagardèriratatoi, j’irai prochainement vernir avec grand bonheur dans les locaux du Centre de création pour l’enfance de Tinqueux, Dans la lune, le vendredi 17 mai à 18h30. L’expo demeurera visible là jusqu’au 20 juin 2013.

Bonus : on sait que JP Blanpain, imprévisible homme de couleurs, s’est illustré dans Double Tranchant en réalisant notamment une siasissante gravure inspirée du sacrifice abrahamique, belle comme du Rembrandt. Il persiste dans l’art religieux puisque, iconoclaste iconographe, il vient d’achever une Cène, pas moins, qui sera exposée dans la chapelle de Saint-Clair sur Galaure (38). Tout est possible ici aussi, en fait.

FMR

07/12/2012 un commentaire

La Librairie éphémère n’est pas un endroit mais un événement. Elle se tient deux fois l’an à la Halle Saint-Pierre (Paris 18e) à l’instigation d’Isabel Gautray de Passage Piétons éditions, et réunit des dizaines de petits (voire micro-) éditeurs, invisibles dans les librairies pérennes et autres échoppes en dur. De l’FMR pour livres SDF.

Non seulement la prochaine édition, qui aura lieu du 11 décembre au 6 janvier 2013, réservera un coin de table aux artisanales productions du Fond du tiroir, mais les visuels (affiche et flyers) ont le bon goût de mettre en avant une linogravure extraite de Double tranchant. Les épreuves réalisées par Jean-Pierre Blanpain pour ce sublime objet d’art seront en outre exposées sur place durant toute l’éphémerité de la Librairie. Vernissage jeudi 13 décembre 18 à 21h, sans moi pardon j’ai autre chose à faire, mais avec JPB himself, qui se fera un plaisir de se rendre disponible pour des dédicaces et plus si affinités. Surtout si vous l’abordez en lui déclarant : Au fait Jean-Pierre, puisque je vous tiens, sachez que j’ai été très touché par le dernier article publié sur votre blog, celui à propos de Montreuil, les livres pour enfants, mais les livres d’un côté et les enfants de l’autre hélas.

Quant à moi j’étais censé récupérer aujourd’hui Georgie-boy chez l’imprimeur, mais phoque godedème chiite et bladi elle ! J’en suis empêché par l’alerte orange et la neige partout-partout. J’abandonne George dans ses cartons et sur sa palette, je l’imagine tout seul dans les entrepôts des Impressions modernes, on éteint la lumière pour le week-end, j’espère qu’il sera sage et ne s’ennuiera pas trop, c’est difficile à dire, ce garçon n’a l’air de rien. Merci aux souscripteurs d’accepter mes excuses pour le délai, le livre ne leur sera posté que la semaine prochaine.

Mais ce n’est que partie remise ! Je ne risque pas de l’abandonner, celui-ci. Un livre naît pendant qu’un autre meurt (Heeey ! / Hooo !). Car une autre nouvelle tombe aujourd’hui, parallèle à la neige, et fait plus que jamais du Fond du tiroir mon unique éditeur : mon « best-seller » (tout est relatif) dans l’édition traditionnelle, Jean Ier le Posthume, est épuisé chez son éditeur, Thierry Magnier, qui ne souhaite pas le réimprimer vu les faibles ventes, et m’a proposé de me rendre les droits. Je ne sais pas du tout ce que je vais en faire (éditer ce livre au FdT ? ce serait absurde, mais je n’en serais pas à ma première absurdité), mais en tout état de cause une évidence m’explose à la figure : mon plan initial, qui visait une « carrière » avec un pied dans l’édition normale, et l’autre dans mon Tiroir, est un échec consommé. Désormais je suis intégralement sous le radar, et FMR.

D’une cuirasse de tortue Hermès créa la lyre

06/11/2012 2 commentaires

(Hermès le dieu grec, j’entends, Hermès aux pieds ailés, patron des commerçants et des voleurs, pas la société de luxe qui sous-traite pour une bouchée de pain la couture de ses grotesques carrés de tissu dans les ateliers des prisons puis les revend aux bourgeois 350 euros.)

Une bonne grosse tortue… En voilà un beau héros de livre pour enfants, en route vers le succès planétaire voire une adaptation en dessin animé : George est une tortue non adolescente, non mutante, non ninja, et non mangeuse de pizza. Mais qui revient d’entre les morts.

Comme on le sait, la tortue géante des Galapagos Lonesome George est, sinon le sujet, du moins le totem d’un livre que j’ai écrit l’an dernier, pratiquement prêt à sortir mais annulé au dernier moment. Notamment, même si ce fut loin d’être la raison déterminante, parce que ce brave George est mort le 24 juin dernier. Or voilà quil pourrait revenir du séjour des morts, ressuscité par son ADN façon Jurassic Park. Cette Pâques tortuesque n’est toujours pas la raison déterminante des activités éditoriales au Fond du Tiroir, mais il se trouve que le livre est lui aussi ressuscité, parce que j’avais pris le soin d’en congeler l’ADN dans mon disque dur. Il sera prochainement disponible noir sur blanc et sur papier, ce qui fait que je désactive le lien qui, jusqu’à présent, permettait de lire gratuitement Lonesome George sur le blog. Tant pis pour ceux qui n’en ont pas profité, il leur faudra désormais s’acquitter de 9 euros pour lire ce qui n’est plus un texte mais un livre.

Et ensuite nous en aurons terminé pour de bon avec cette si bizarre et contrastée année 2012, et nous pourrons passer à autre chose, de l’air, de l’air.

En attendant le prochain opus, un œil sur la revue de presse du précédant : Double Tranchant a été lu et approuvé par une phalange d’excellents lecteurs qui ont eu l’amabilité d’en rendre compte sur leur blog ou média usuel. Mille grâces et reconnaissances à Jean-Louis Roux (dans Les Affiches), à Vanessa Curton, à Michèle Caron, et à Yves Mabon.

Au sujet de ce dernier : comme tout critique digne de ce nom, Yves me fait découvrir un aspect de ce livre que j’avais négligé. En l’occurrence, le caractère exclusivement masculin, voire viril, couillu, de la passion du couteau, substitut phallique parmi d’autres. Certes, j’aurais dû y penser tout seul, à force de blaguer avec Jean-Pierre sur notre « bipénis »… Yves me pose une question dont il connaît la réponse : « Connaissez-vous des maîtresses-coutelières ? » Hmm… Non, en effet. Mais comme les archétypes sexuels et sexués me pèsent sur les nerfs, et que je crois exceptionnels et archaïques les métiers non accessibles aux femmes (pape, grand rabbin, ayatollah, dalaï-lama), je ne m’avoue pas vaincu et je lance illico un appel à témoin. Un exemplaire de Double tranchant sera offert à la première maitresse-coutelière qui se manifestera ici. Je n’ai aucun doute sur son existence. De là à ce qu’elle trouve son chemin jusqu’à moi…

Adieu, Troyes ! Adieu !

23/10/2012 un commentaire


J’ai reçu la preuve tout à l’heure, dans le métro parisien, que j’avais une sale gueule, oh je la vois d’ici, je la connais ma sale gueule, celle des jours où si je me croise dans le miroir je reconnais quelqu’un d’autre, je dis « bonjour papa », je l’imagine ma gueule dans le métro, empâtée, mal rasée, bajoues chiffonnées, nez qui coule, aisselles rances et toux crochue, paupières lourdes par le haut, bouche ouverte par le bas, et entre les deux le no man’s land des cernes comme des valoches à roulettes. Je termine autant que je suis terminé : je reviens, épuisé, de cinq jours au salon du livre de Troyes.

Je suis debout agrippé à la rampe, le métro roule, je suis entre deux gares, même pas la moitié du voyage, Paris n’est qu’une zone de transit souterraine. J’ai en plus de ma valise un gros et haut sac à dos dont je n’ai guère l’habitude (à pied dans les tunnels, je me suis retourné plusieurs fois, avec la sensation d’être suivi). Surgit dans la rame, une porte plus loin, un gars qui me ressemble, dépenaillé, veste en jeans, sac à dos, gueule à coucher dehors, émacié, des cicatrices sur le visage. Il se met à déclamer. « Je m’appelle Kevin, j’aurai 24 ans la semaine prochaine. À l’âge de seize ans j’ai commencé à dealer pour obéir à mon beau-père, sinon il était violent. Finalement j’ai arrêté de dealer, mais ça s’est mal fini, on m’a placé dans un foyer. Là, la drogue circulait encore. Je suis maintenant sorti du foyer, mais je ne sais pas où dormir. Croyez que je ne fais pas la manche par plaisir, chaque jour j’arrête lorsque j’atteins les 35 euros qui me payeront une chambre d’hôtel, le lit la douche, plus un peu pour manger, je veux juste que mon beau-père ne me retrouve pas, je vais passer parmi vous pour faire appel à votre solidarité. »

Son discours terminé, il arpente la rame, regardant le sol, un visage, le sol, un visage, le sol. Quand il arrive à mon niveau, il me dévisage en un éclair, ses yeux bleu pâle se branchent aux miens, il saisit instantanément d’après ma gueule qu’il ne faut rien attendre de moi puisque je suis autant en galère que lui. Pour me saluer en toute discrétion, sans s’arrêter de marcher il se cogne le cœur, puis du même poing me caresse l’épaule. Je murmure « Bonne chance… », il répond « Merci, vieux, toi aussi, reste au chaud », et il est déjà plus loin. Je réalise, avec une impression cousine de la honte, que je viens de faire appel à sa solidarité.

Putain, mon cas n’est pas si grave que ça, tout de même, je viens seulement de passer cinq jours dans un salon du livre, des plus chouettes, dense, gorgé de vie et d’êtres humains, et éreintant.

J’ai reçu là-bas de beaux vrais éclats de joie. Voir cette belle expo, cet accomplissement, souhaiter la pareille et bon vent à Elisa Gehin la résidente de cette année, discuter avec Jean-Pierre, retrouver Benoît (qui demeure, toutes catégories confondues, l’une des personnes que j’admire le plus dans ce milieu)… Les rencontres scolaires se sont passées à merveille et m’ont conforté dans l’idée que Double tranchant, projet pas spécialement ‘jeunesse’ vu de loin, ne demande qu’à le devenir si on l’accompagne. Pour qu’une chose soit ‘jeunesse’, il suffit de l’adresser à des jeunes. Les visites guidées que j’ai menées dans l’expo à l’attention des collégiens étaient toutes passionnantes, ils réagissaient au quart de poil coupé en quatre, les grands méchants troisièmes autant que les mignons petits sixièmes. Un moment rigolo : « Alors, regardez bien… Dans cette série de linogravures, Jean-Pierre a extrapolé mon texte et a représenté des scènes célèbres de l’Histoire, qui toutes ont un rapport avec les couteaux. Reconnaissez-vous ce personnage qui vient de se faire poignarder, sa plume encore en main ? Voyons, quel homme célèbre est mort dans sa baignoire ? » Un garçon au premier rang brandit sa main en aspirant bruyamment une grosse goulée d’air, et prend la parole avant que je la lui donne : « Claude François ! »

Certes, la curiosité des Troyens en général à l’égard de mon travail ne s’est pas sensiblement accrue depuis l’année dernière, puisque l’atelier d’écriture que j’avais soigneusement préparé fut finalement annulé, pour cause de zéro inscrits, mais je n’en garde pas de ressentiment, mon travail reste là, pour qui veut, et même si personne ne veut, je sais ce que j’ai fait et ce qui m’a fait. Et je le remise au Fond de mon tiroir : le texte rédigé pour l’occasion, censé tenir lieu d’introduction à cet atelier fantôme « Écrivons la mémoire des objets », restera lisible ici même, sous ce lien. Pour qui veut.

Comme une foule qui a trouvé un couteau

18/10/2012 Aucun commentaire

Jour de vent. Ma valise est bouclée, elle est lourde (40 ex. de Double tranchant multiplié par 300 grammes = 12 kilos), moi aussi. Je retourne à Troyes, c’est curieux, en sus de l’adrénaline j’en éprouve un peu de nostalgie, comme si tout était déjà passé, je dois confondre avec l’autre fois, je suis décidément un drôle de pistolet.

Alors que tout reste à faire. Outre les rencontres scolaires, les moments cruciaux autour de DT seront le vernissage de l’exposition vendredi 19 octobre à 18h (ci-dessus deux clichés, le dehors et le dedans de l’installation agencée par Sylvain), et l’atelier d’écriture que j’animerai à la médiathèque du Grand Troyes le samedi 20 octobre de 14h à 17h. Je n’ai pas l’habitude de cette sorte d’exercice, je ne suis pas tout à fait certain d’être capable de faire écrire mon prochain, j’ai pourtant accepté, je me suis creusé la tête pour bâtir une thématique en lien avec le livre et l’expo, avec la Maison de l’outil aussi. Finalement j’ai pensé à l’aura des objets, j’ai intitulé l’atelier Ceci a appartenu à un être humain, et me suis fendu de la note d’intention suivante :

Un objet. Un vieil objet. Qui traînerait chez vous depuis on ne sait quand. Depuis plusieurs générations. Un souvenir de quelque chose… Un outil unique fait à la main d’une personne. Un vêtement spécial? Un bibelot ramené d’un voyage ? Une montre ? Un vieux livre, jauni mais annoté ? Un dessin ? Un bijou ? Un objet fabriqué peut-être par un parent, un aïeul… « Ceci a appartenu à un être humain », voilà un magnifique début d’histoire. Dans un monde où les produits sont jetables, les objets, eux, renferment une mémoire, des émotions. Choisissez chez vous l’un de ces objets, et écoutez son histoire. Au besoin, inventez-là. Et venez l’écrire.

Et puis j’ai ajouté une citation de CLS que j’aime bien, mais elle n’a pas été retenue dans le programme, voici cette scène coupée bonus rien que pour vous :

Les hommes ne diffèrent, et même n’existent, que par leurs oeuvres. Elles seules apportent l’évidence qu’au cours des temps, parmi les hommes, quelque chose s’est réellement passé.
Claude Levi-Strauss, Regarder Ecouter Lire

Y’en aura pas pour tout le monde

12/10/2012 Aucun commentaire

JPB et moi-même sommes allés chercher hier le tirage de Double tranchant, sur le dos de la bête, en Ardèche (photo ci-dessus). C’est dingue, l’Ardèche, allez voir, c’est juste à côté sauf qu’il y fait beau.

Il fait super beau, tu veux dire. Double tranchant est un livre magnifique, j’en ris tout seul, mais à deux c’est mieux. Si je ne le vendais pas, je l’achèterais. Pendant tout le trajet de retour, sur l’autoroute, tressautant de joie je lorgnais les lignes pointillées sur la chaussée d’un oeil et d’une main, tandis que de l’autre et de l’autre j’admirais le livre dans le carton trésor posé sur le siège passager, et j’étais heureux. Je pense parfois à cette anecdote rapportée par Borges, je ne me souviens plus si c’est un souvenir, un poème, une fiction : J’étais dans le désert, je me suis accroupi, j’ai puisé dans ma main une poignée de sable, j’ai fait quelques pas, j’ai écarté les doigts, le sable s’est dispersé, et j’ai dit à haute voix : « Je viens de changer le visage du désert ». Je pense à cette anecdote parce que je continue de croire que faire un beau geste, un beau livre par exemple, c’est changer le visage du monde, qui est, faut bien l’avouer sans vexer personne, globalement disgracieux, faire un beau geste dans le désert, déplacer quelques grains de sable c’est faire de son mieux contre la mocheté du monde.

Il n’y en aura pas pour tout le monde, de la grâce à la valeur ajoutée : suite à une erreur  de l’imprimeur, le tirage est plus modeste que prévu, amputé d’un tiers, peinant à atteindre les 400 exemplaires.

Il n’y en aura pas pour tout le monde bis : les cent souscriptions initiales, bénéficiant d’un tiré à part original dédicacé par Jean-Pierre Blanpain, sont pratiquement toutes parties (nous venons d’attribuer le n° 91, et il en tombe tous les jours dans la boîte, dru, genre Gravelotte, merci mesdames et messieurs). Plus la peine d’utiliser le bon de souscription, c’est trop tard, fallait y penser avant, ah si j’avais su, ouais ouais, tout le monde dit ça dans le désert, si j’avais su, consolez-vous avec ce qui reste, or il vous reste à imprimer le bon de commande ordinaire afin de vous procurer la même chose mais sans extra, qui est déjà très bien.

Boucle

02/10/2012 Aucun commentaire


La vie tourne et se retourne, et voilà qu’elle nous adresse en passant un petit clin d’oeil. On peut ne pas croire au destin, et trouver la synchronicité une chose admirable, juste histoire de rendre le clin d’oeil.

Pendant la conception de Double Tranchant, Jean-Pierre Blanpain m’a rapporté l’anecdote suivante : « Lorsque je suis revenu de mon service militaire, mes parents se demandaient ce qu’ils pourraient faire de moi. C’est alors que mon père qui était très pote avec un imprimeur a décidé qu’on ferait de moi un imprimeur. Nous sommes allés voir ce pote, qui dirigeait l’imprimerie de la Renaissance à Troyes sise à l’hôtel de Mauroy. Comme j’étais déja trop vieux l’affaire n’a pas pu se faire… »

Ce rendez-vous manqué à toutefois constitué le premier pas de Jean-Pierre dans le monde des livres et de l’imprimerie, monde qu’il a exploré depuis, avec quel talent et gourmandise. Or, la scène se passait à Troyes, hôtel de Mauroy. Cet imposant hôtel particulier du XVIe siècle n’abrite plus d’imprimerie depuis longtemps (l’imprimerie de la Renaissance, installée ailleurs, existe toujours, et elle vient de tirer le carton d’invitation de l’exposition…) mais, désormais, en lieu et place, La Maison de l’Outil et de la pensée ouvrière. Quarante ans après la jeunesse turbulente de Mister JPB, je réside à Troyes. Studieux, je passe beaucoup de temps dans le centre de documentation de cette Maison, et, entouré des fantômes de générations de compagnons du devoir, j’écris là un récit sur l’orgueil et la beauté du geste artisanal. Je confie ce texte, pour illustration, à Jean-Pierre – c’est ce que je fais de plus intelligent cette année-là. Le livre est rentré hier dans sa phase de fabrication, aux bons soins des Impressions Modernes, Guilherand-Granges (Ardèche), ci-dessus le reportage photographique de Jean-Pierre. Nous retournerons tous deux, dans quinze jours, présenter le fruit de notre labeur à Troyes, et la boucle sera bouclée.

Il ne vous reste que quelques jours pour souscrire à ce livre et recevoir, en sus de l’ouvrage, un tiré à part numéroté et signé de la main de celui qui n’est pas devenu imprimeur.

Beau comme le déclic d’un cran d’arrêt

17/09/2012 Aucun commentaire

Double tranchant est sous presse. Il mesure 22 cms sur 30, il pèse un peu moins de 300 grammes, il est imprimé en bichromie, sous une couverture à rabats, il est doté d’un n° d’ISBN tel qu’on en voit peut (rendez-vous compte : 978-2-9531876-7-0), il coûte 17 euros… Que dire de mieux ? J’ajouterais bien qu’il est très beau, mais je me rends compte que je me répète, « beau » est sans aucun doute le mot que j’emploie le plus souvent pour décrire les livres du Fond du Tiroir.

Double Tranchant est une nouvelle coutelière et illustrée de main de maître par Jean-Pierre Blanpain, au moyen de linogravures rehaussées d’une seule couleur, mais quelle couleur, celle de la violence et celle du progrès, celle du sang et celle des émotions, celle du Double et du Tranchant. Depuis près d’un an, recevoir par mail les linos gravées par JPB en préparation de ce livre est un immense bonheur. Il en a dessiné 17 en tout, soir 17 variations graphiques sur les couteaux, et je croyais qu’il en avait terminé. Mais non : il a décidé de se fendre d’une 18e lino, au sujet autobiographique (JPB himself en train de découper ses linos), qui n’apparaîtra pas dans le bouquin, mais sera tirée à part et fera l’objet d’une estampe numérotée et signée que nous glisserons exclusivement dans les exemplaires réservés aux souscripteurs, c’est-à-dire ceux dont les commandes nous seront parvenues avant le dévoilement officiel de l’ouvrage, le 15 octobre.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire : télécharger et imprimer sans plus attendre le bon de commande. Il est drôlement beau, ce bon de commande. Ah, zut, et voilà, je l’ai dit, c’est comme ça, je dis beau, je parle beau, je fais beau, je vise beau, je vous trouve très beau également.