Les « cinquante nuances de gris », les vraies

10/05/2023 Aucun commentaire

Blandine Rinkel est musicienne, chanteuse et danseuse, au sein du groupe Catastrophe (pour rappel : rediffusion au Fond du tiroir).

Elle est aussi écrivaine. Son dernier livre, quoique minuscule (publié d’ailleurs aux minimalistes éditions 1001 nuits) tombe fort bien : Les abus gris.

La couverture en forme de nuancier Pantone explicite le titre, et ringardise une bonne fois pour toutes les trop fameuses Nuances de Grey qui sous couvert de dernier cri érotique ne faisaient que réincarner, pour le coup sans s’encombrer de la moindre nuance, les archétypes masculinistes les plus éculés, les plus archaïques rapports de domination d’un sexe sur l’autre.

Ici, au contraire, est entrevue la vaste « zone grise » entre le pur et simple abus sexuel et le consentement explicite.

En plus du reste (« par-dessus le marché » comme disait l’autre) Blandine Rinkel est belle. La beauté est un pouvoir. Le désir aussi, celui qu’on éprouve, celui qu’on provoque ; la libido tout entière est un nœud de pouvoirs. Les rapports entre les hommes et les femmes sont des rapports de pouvoir, voilà qui est à peu près fatal. Or je fais systématiquement mien le crédo anarchiste : dès qu’il y a pouvoir, il y a risque et soupçon d’abus de pouvoir, la pente est naturelle. Dans le présent contexte, il ne s’agit pas d’imaginer qu’on va éradiquer le pouvoir lui-même – projet utopiste et d’ailleurs pas forcément souhaitable (comment tomber amoureux si l’on récuse toute emprise ?). Ce sont (nuance !) les abus qu’il faut surveiller et prévenir. On les surveillera et préviendra en parlant, en écrivant, entre sujets, sans que l’un soit l’objet de l’autre.

Notre époque depuis #metoo, en libérant la parole et en la rendant en somme obligatoire, a peut-être compliqué mais sûrement assaini les rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Ce mini-livre contribue au débat.

Premier paragraphe :

A 18 ou 20 ans, je tenais à plaire aux hommes suffisants. Ceux qui, dans le milieu intellectuel notamment, semblaient avoir du pouvoir. Sans doute pour me prouver à moi-même ma maturité, je tenais à être désirée par des hommes mûrs. Ceux qui savaient, pensais-je, ce qui est digne d’être désiré et ce qui ne l’est pas (…) Il y avait un plaisir à créer de la frustration chez ces personnes repues, un plaisir à les sentir, parfois, encombrées par leur désir, sans toutefois le satisfaire.

Dernier paragraphe :

Je me fiche maintenant de plaire aux suffisants. J’ai fini de trouver des excuses à ceux qui dictent, asymétriquement, les règles du jeu érotique. Et j’ai fini d’éprouver de l’embarras à l’idée d’être ce que je suis : une femme, encore jeune, avec un corps de jeune femme, qui aime être désirée, mais à qui il importe plus encore d’être prise au sérieux. Une femme qui n’éprouve jamais de plaisir à être changée en objet malgré elle.

Entre les deux : une anecdote racontée avec minutie, éclairante, factuelle. Nuancée. Voilà de quoi nous avons besoin.

La Théorie de la compote, suivie de la Compote de la théorie

03/05/2023 Aucun commentaire

Deux ans jour pour jour après avoir déballé un carton et en avoir extrait le roman Ainsi parlait Nanabozo, je déballe un carton et j’en extrais mon nouveau livre, La théorie de la compote (L’Atelier du poisson soluble). Il sera en librairie le 19 mai. Soit, à nouveau, deux ans jour pour jour après Nanabozo. Cela commence a faire beaucoup de coïncidences. Les signes sont partout.

Les signes ne sont pas tous propices… Ce livre a enduré un nombre suspect de bâtons dans les roues… Il a cumulé tant de retard qu’il a failli ne jamais paraître.
1) En mars dernier, j’ai envoyé les épreuves à la correctrice qui réside en Auvergne, et mon courrier, mystérieusement égaré par la Poste, a mis quinze jours pour parvenir à destination (soit moins de 30 kms par jour en moyenne, j’aurais pu le faire à pied, c’eût été bon pour ma santé).
2) Au moment de l’impression, la machine de l’imprimeur est tombée en panne, retardant de trois jours la livraison.
3) Lorsqu’enfin le tirage fut prêt, le transporteur a récupéré la palette chez l’imprimeur mais l’a déposée « par erreur » (sic) non à l’adresse de l’éditeur mais devant chez un commerçant qui n’avait rien demandé.
4) Je feuillette l’ouvrage, je le trouve bien sûr très beau, mais… Bon sang, il a été façonné à l’envers ! Certes, la maquette est piégeuse puisque ce livre est à double entrée, La théorie de la compote (fiction) d’un côté, La compote de la théorie (essai) de l’autre. Or désormais la couverture de La théorie de la compote ouvre sur La compote de la théorie et réciproquement, ajoutant à la confusion ! Ne reste qu’à espérer que le lecteur s’imagine que c’est fait exprès… Ma résolution est prise : lorsqu’à l’occasion on me fera remarquer ce brouillamini, je sourirai d’un air énigmatique.

Toutes ces mésaventures empilées sont-elles réellement des accidents, du manque de chance à répétition ? N’y aurait-il pas quelque part, derrière le rideau des apparences, certaines puissances occultes, actionnant les leviers, et cherchant par tous les moyens à m’empêcher de révéler dans ce brûlot ce que je sais sur le complotisme ? Ces péripéties auraient-elles pour objectif final d’intimider les libraires qui à juste titre pourraient craindre que leur boutique prennent feu « fortuitement » le 19 mai s’ils plaçaient ce livre dans leur vitrine ?
Il suffit de réfléchir deux secondes et le jour se fait : à qui le crime profite ? Quel empire éditorial tremble devant l’indépendance farouche de l’Atelier du Poisson Soluble, qu’il n’a jamais réussi à racheter malgré quelques OPA agressives (il a échoué de même à mettre la main sur le Fond du Tiroir et depuis m’en veut mortellement) ?
Vincent Bolloré, bien sûr ! Vincent Bolloré et ses complices reptiliens bien placés dans le Vatican sataniste, la CIA islamiste, le Big Pharma illuminati, et la République en marche renaissante !

Réussirez-vous à lire La Théorie de la compote le 19 mai ? Le suspense continue.

Joie, beauté et couleur

01/05/2023 Aucun commentaire

Lu dans le Dauphiné libéré, un article aimable consacré au spectacle Goya : Monstres et merveilles en trio avec Bernard Commandeur, Christine Antoine et mézigue, joué la semaine dernière au château de Seyssinet.
Avec naturellement une coquille, sans laquelle le Daubé ne serait plus le Daubé : « Fabrice Vigne au chant et au texte » . Non, non, sur ce coup-là je ne chante pas, promis. Sauf si je suis dans un état second ? Si ça se trouve… mon dieu… Le Daubé aurait raison ? Je suis revenu du stage d’avril épuisé, confus, ébranlé nerveusement, et je me serais mis à chanter sans m’en apercevoir, les Spermatos par exemple ? Voilà qui mérite un mirliton !

L’obscurité régnait dans l’aile du château / Et l’ombre de Goya enrobait le trio / Nous étions concentrés sur le « Très de Mayo » / Quand soudain retentit l’hymne des spermatos (de notre correspondant du Dauphiné Liberato)

Prochaines dates du spectacle : dimanche 25 juin 11h au Peuil (Claix) ; jeudi 19 octobre au Musée de Grenoble dans le cadre de la programmation « Musée en musique » .

Mais comme dans la vie il n’y a pas que « Goya et la musique espagnole » , Christine, Bernard et moi-même préparons un nouveau spectacle musicalo-biographico-pictural en trio : « Chagall et la musique russe » .
Déjà deux dates prévues : création à l’occasion des Journées du patrimoine, dimanche 17 septembre, en l’église Notre-Dame-des-Vignes, Sassenage ; reprise en appartement à Grenoble le mercredi 1er novembre (Toussaint).
Ce qui entraîne que ces jours-ci je lis pas mal de choses sur Chagall. C’est beau, Chagall. C’est féérique. C’est joyeux. C’est plus coloré que Goya (euphémisme).
Et puis à force de recherches, fatalitas et sérendipité, je tombe sur une citation de Jean-Marie Le Pen. Fin immédiate de la joie, de la beauté, et de la féérie.
Le 13 février 1984, date clef, Le Pen devient une star de la télévision et commence une ascension qui ne s’interrompra plus : il apparaît dans sa première émission en prime time, « L’Heure de vérité ».
Fort de son antisémitisme décomplexé et décomplexant, il profère cette ignominie, tous les Juifs dans le même sac :

« Je considère les Juifs comme des citoyens comme les autres… Ils ne le sont pas plus que ne le sont les Bretons ou d’autres. Je ne me sens pas obligé d’aimer la loi Veil, d’admirer la peinture de Chagall ou d’approuver la politique de Mendès-France ».

Près de 40 ans plus tard, Le Pen vient d’être hospitalisé pour un malaise cardiaque, mal en point. Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, jamais, ça ne se fait pas. Par conséquent je ne dirai pas : « Qu’il crève » .

Pour le 1er mai, un brin de muguet peint par Chagall (vers 1975)
Ce ! N’est ! Qu’un ! Brin d’muguet !
Continuons le ! Com ! Bat !

Revenir sur la terre ou exploser en vol

29/04/2023 Aucun commentaire

Photo aimablement prise par un CRS pourtant sur les nerfs, qui faisait le pied de grue à la sortie de l’autoroute mais qui attendait des blacks blocs plutôt qu’un trombone et une nyckelharpa.

Ah quel stage que celui de création de chansons encadré par Marie Mazille et moi, trépidant, foisonnant et joyeux. entouré de plein d’autres ateliers plus sérieux mais tout aussi bons ! Si le monde (professionnel) était mieux fait je ne gagnerai ma vie qu’ainsi tant je me régale tout en régalant les autres. Prochaine session : dimanche 14 au samedi 20 avril 2024. En attendant vous pouvez vous inscrire au stage d’août de Mydriase, pas mal non plus.

Mais il faut bien revenir dans le vrai monde, qui vous attend au tournant. La semaine de stage était tellement intense que j’en ai oublié de regarder l’info – ce sevrage constituant un avantage bonus.

Voyons voir, qu’ai-je loupé d’essentiel ces derniers jours ? Ah, tiens, ça, enfin une info marrante : Le Starship, la mégafusée de SpaceX, explose en vol trois minutes après son premier décollage.

Voilà qui mérite un mirliton :

Quelle déconvenue, affligeante et très brusque,
Advient au gros poupon dénommé Elon Musk !
Il brise son joujou à grosse empreint’carbone
Dans son techno-av’nir y’a kekchoz qui déconne.

Le pays des ombres

17/04/2023 Aucun commentaire

Ce matin j’attrape 54 ans et, comme d’habitude, je comprends que plus on vit plus on enterre. Je rends grâce et hommage à ceux qui sont descendus à cet arrêt : Louis Owens, par exemple, est mort à 54 ans. Et salement, en plus.
Voilà ce que je pourrais faire pour mon anniversaire, relire le Chant du loup.

Poisson volant

06/04/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui : nouvelle journée de grève, mobilisation et manif contre la réforme des retraites. Nous en sommes à combien, septième, dixième, quarantième journée, je ne sais plus, j’ai perdu le fil, je ne les ai pas toutes faites.

Le gouvernement ne bouge pas. Le président ne bouge pas. Rien ne bouge à part l’essentiel, le Peuple (je luis mets une majuscule pour faire plus hugolien).

Or par hasard c’est aujourd’hui que passe sous mes yeux Le Président d’Henri Verneuil, vieillerie de 1961. Et je suis époustouflé de ce qu’il me dit sur la situation d’aujourd’hui.

Est-ce réellement, du reste, un film de Verneuil qui, après tout, n’a fait que diriger, filmeur plutôt qu’auteur ? Ou est-ce plutôt un film de Jean Gabin qui le porte tout entier sur ses épaules de patriarche ? Ou est-ce un film de Georges Simenon, qui écrivit le roman quatre ans plus tôt (le livre, qui tourne davantage autour de la décrépitude du protagoniste, ancien président du Conseil rédigeant ses mémoires et méditant ses combats, est plus morbide et crépusculaire que le film) ? Ou est-ce un film de Michel Audiard dont l’esprit vachard suinte de chaque réplique ?

Le film est resté célèbre pour un bon mot :

– Il existe des patrons de gauche, je tiens à vous l’apprendre !
– Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !

… mais on pourrait citer treize bons mots à la douzaine. J’en prélève un autre qui me plaît beaucoup, très classe et bien loin du cynisme que l’on prête d’ordinaire à Audiard :

Monsieur le Président, vous pouvez tout !
– C’est bien pour ça que je ne peux pas tout me permettre.

Surtout, ce que ce film nous raconte d’utile pour comprendre aujourd’hui, et peut-être toute l’histoire politique française, tient en une idée-force : la loi est faite par les riches, afin de les rendre encore plus riches.

Ce film parle, comme si on y était, de l’arrivisme en politique : de notre startup nation, de sa startup assemblée, de son startup sénat et de son startup président, à cause de qui la vraie démocratie sera encore, sera toujours, confisquée par la ploutocratie. La déconnexion entre les députés Renaissance qui ont voté la réforme des retraites et les Français qui la subiront, est en réalité une très ancienne tradition. Cette tradition est ici mise en scène, en direct de 1961.

Gabin incarne un type d’honnête homme, animal politique intègre et idéaliste, plus rare encore dans le monde réel que les poissons volants (en guise de repère, il s’était fait grimé en Georges Clémenceau car le Tigre était l’un des rares hommes politiques qu’il respectait), tandis que son adversaire, le député Philippe Chalamont qui attend son heure à la Chambre après avoir fait carrière dans les banques d’affaires (sic), interprété par Bernard Blier, est quant à lui un modèle infiniment plus courant, récurrent, voire banal, un invariant de la médiocrité. On aurait hélas pour le réincarner aujourd’hui l’embarras du choix : il est Macron bien sûr, comme il a été Sarkozy le président des riches, il a été Fillon, il a été Juppé droit dans ses bottes, il est chaque ministre pris, telle Agnès Pannier-Runacher, la main dans le pot de confiture du conflit d’intérêt, il est l’ignoble Jérôme Cahuzac, il est leurs prédécesseurs et leurs successeurs. Il est le Pouvoir politique français en personne, autrement dit le business, la bourgeoisie capitaliste, depuis, grosso-modo, que Thiers a écrabouillé la Commune pour installer les épiciers.

Dans la tirade la plus célèbre du Président, exceptionnel exercice d’éloquence que les détracteurs du film ont qualifié de populiste (on disait poujadiste à l’époque), Gabin seul contre tous commence par rappeler :

J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger les chômeurs, j’ai vu la richesse de certaines contrées et l’incroyable pauvreté de certaines autres…

Oh oh… Est-ce un reportage d’actu ? Elle en est où, la manif, dites ?
Puis, Gabin président rappelle que l’affairisme est la clef historique de toute politique (y compris le colonialisme ! quand le film sort, la France n’est pas encore sortie de la guerre d’Algérie). Ensuite, extralucide, il assène que l’Europe en train de se construire sera celle des multinationales et des lobbies :

La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus, messieurs, de soutenir un ministère mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration.

Et pour terminer en apothéose, flinguant sa carrière, il se met à interpeler par ordre alphabétique chaque député dans l’hémicycle et énumère ses intérêts. Geste anachronique et jouissif du lanceur d’alerte. Tous ces élus du peuple en croquent et pensent à leur biftèque, CQFD. Essayez de visionner l’extrait sans vous laisser gagner par l’hallucination de regarder LCP en 2023 (quoiqu’en 2023 on verrait davantage de femmes, déjà ça de gagné même si le progrès est modeste, on trouve des femmes d’affaires parmi les hommes d’affaires) :

Post-scriptum qui n’a presque rien à voir :
Indigné par les propos de Gérald Darmanin, écœurant ministre de l’Intérieur (ça ne sent pas très bon à l’intérieur, faudrait aérer) sur la Ligue des Droits des L’Homme, je viens de me précipiter pour adhérer à cette vénérable association.
Je ne suis pas le seul.
Intéressante variation sur l’effet Streisand.

J’espère que cet afflux des dons ne servira pas de prétexte supplémentaire à couper les aides publiques.

Homo Sapiens Predator

01/04/2023 Aucun commentaire
This handout picture released by the Egyptian Ministry of Antiquities on March 25, 2023, shows mummified ram heads uncovered in recent excavations at the temple of Ramses II in Abydos. A team of archaeologists from the US’ New York University uncovered more than 2,000 mummified ram heads dating from the Ptolemaic era, as well as other animal mummies and artifacts in the Temple of Ramses II in Abydos in southern Egypt, a discovery that points to a persevering ram cult 1000 years after Ramses II’s time, according to the country’s antiquities authorities. – == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS == (Photo by EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES / AFP) / == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS ==

Dimanche 26 mars 2023 : les autorités égyptiennes annoncent la découverte dans le temple funéraire de Ramsès II, dans la cité antique d’Abydos, à 435 kilomètres au sud du Caire, de plus de deux mille têtes de béliers momifiées datant de l’ère ptolémaïque ont été découvertes. Il s’agirait d’offrandes témoignant que le culte de Ramsès II était encore célébré mille ans après sa mort. D’autres momies d’animaux (brebis, chiens, chèvres, vaches, gazelles, mangoustes) ont aussi été mises au jour lors de ces fouilles. (Source : AFP)

La photo de ces innombrables cornes me rappelle quelque chose, que j’ai vu il n’y a pas très longtemps… Je réfléchis… Un charnier peut-être ? La guerre en Ukraine ? Ah, non, c’est autre chose, je sais.

Cette découverte égyptienne me passionne parce qu’elle ne nous parle pas d’hier, elle nous parle d’aujourd’hui et de toujours : elle parle d’Homo Sapiens Predator, de son inextinguible folie destructrice, de son élimination méthodique et pourtant enragée des autres espèces animales (en commençant par les plus gros, identifiés comme rivaux), de sa dévoration sans pitié de l’environnement vu comme pure ressource à sa disposition, de l’orgueil insane qu’il tire des trophées après le carnage, elle parle même de sa superstition imbécile et de ses religions consolatrices, les restes des animaux morts lui servant de gris-gris, de garantie propitiatoire dans l’eau-delà. Plus il tue, plus il échappera à la mort, croit-il, l’abruti.

Cette découverte égyptienne nous parle de Ramsès II, pharaon de la XIXe dynastie (vers -1304, vers -1213) aussi bien qu’elle nous parle de Victor-Emmanuel II, roi d’Italie (1820-1878). Il se trouve que je reviens d’un voyage dans le si beau Val d’Aoste où j’ai notamment arpenté le château de Sarre, acheté par Victor-Emmanuel et utilisé en tant que pavillon de chasse, camp de base lors de ses innombrables fêtes du plomb dans les montagnes alentour, notamment dans le Grand Paradis. Le roi adorait buter du bouquetin en masse et du chamois par paquets de douze – privilège aristocratique et symbolique. Droit de vie et de mort. C’est qui le patron, hein ? C’est qui le maître de la nature qui prend la pose pour la postérité avec son fusil, son chapeau et son chien ?

Le sel de l’histoire est que le boucher du Val d’Aoste, après avoir fortement contribué à la quasi-extinction du bouquetin des Alpes, passe pour son sauveur providentiel : inquiet de l’amenuisement de son gibier, soucieux de la pérennité de son hobby, Victor-Emmanuel fait interdire par décret la chasse au bouquetin dans les Alpes italiennes. Sauf dans la réserve royale et à son propre usage. Il y a pire, et plus sordide : le maniaque couronné transforme la tuerie en apparat, faisant décorer plusieurs salles et couloirs, plusieurs murs et plafonds du château de Sarre, avec un ahurissant et morbide amoncellement de centaines de cornes de bouquetin. On se croirait chez Ramsès. C’est bien ici que je l’avais vu. J’en ai même ramené un petit reportage photo :

Constance de l’instinct de mort d’Homo Sapiens Predator, qui hélas n’est pas un archaïsme mais un invariant : trente-trois siècles après Ramsès, un et demi après Victor-Emmanuel, cette découverte égyptienne nous parle, enfin, de Willy Schraen, copain de Macron et patron du désormais riche et puissant lobby des chasseurs. Taïaut ! Nous ne ferons pas de quartier et comme nos illustres prédécesseurs nous exposerons les cornes pour impressionner le quidam.

Rappel : le montant des aides accordées à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a connu une hausse fulgurante au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, passant de 27000 euros à 6,3 millions d’euros en cinq ans. Car la chasse est une priorité nationale absolue.

Rappel : bon an mal an, 80 à 100 accidents de chasse, dont une dizaine de morts (d’êtres humains morts, je veux dire). Willy Schraen réagit et déplore les victime collatérales : « Il n’y a pas de risque zéro » . Et de réussir à faire jouer les leviers de pouvoir en sa faveur, et d’inciter le Sénat à légiférer : pour réduire le risque de prendre un plomb dans la tête en se promenant en forêt, la solution est tout simplement d’interdire de se promener en forêt, cela s’appelle le délit d’entrave à la chasse.

Rappel : 70% des Françaises ne se sentent pas en sécurité en période de chasse et 78% demandent l’instauration d’un dimanche sans chasse. Ils n’ont pas été entendus. (Au fait et dans le même genre, 68 % des Français sont contre la réforme des retraites. Seront-ils entendus ? Y’a-t-il le moindre suspense ?)

Rappel : comme tous les gens de pouvoir (les religieux, par exemple), les chasseurs sont chatouilleux et ne supportent pas la critique, la dérision, la caricature. Le dessinateur Bruno Blum (qui, lors d’une vie antérieure, était connu en tant que producteur de musique sous le nom de Doc Reggae, réalisateur du meilleur album live de Gainsbourg) est actuellement poursuivi en justice et risque jusqu’à 12 000 euros d’amende pour une caricature qui malheureusement n’a pas fait rire M. Schraen :

On peut soutenir Bruno Blum ici. Un dernier dessin pour tester votre humour :

Les « hommes qui racontent des fables »

28/03/2023 Aucun commentaire

Hier soir j’étais de projection au village. Comme la programmation est aléatoire (il arrive que les films soit pré-loués par l’association de cinéma itinérant avant même leur sortie et tout avis critique), parfois le film est une bonne surprise, parfois une infâme panouille… Et parfois, au petit bonheur, un chef d’oeuvre. Dans ce cas, et c’est exceptionnel, je passe toute la séance assis sur mon fauteuil, je ne perds aucune miette, sans me lever une seule fois pour jeter un oeil au projecteur ou à l’ordi de contrôle. Et c’est ce qui est arrivé hier : je range The Fabelmans de Spielberg dans la catégorie chef-d’oeuvre. C’est un merveilleux film d’émerveillement et, sur l’enfance des cinéastes qui raconte par métonymie l’enfance du cinéma, je le place au même niveau que Jacquot de Nantes ou Fanny et Alexandre. Mais en outre c’est un film américain, et les USA, pays de cinéma, existeraient beaucoup moins sans les images qui bougent. Les écrivains américains rêvent tous, paraît-il, d’écrire « le grand roman américain » , en attendant ceci est un « grand film américain » qui saisit ce moment de l’histoire, les années 50 et 60, où l’Amérique est devenue une nation audiovisuelle. Naissance d’une nation, comme dit l’autre.

Ce que raconte Spielberg sur le cinéma est non seulement bouleversant (et l’apparition de David Lynch à la fin est beaucoup plus qu’une pirouette, c’est un couronnement), mais diablement intelligent : il nous montre sans jamais l’expliquer ce que signifie le cinéma filmé par son personnage-miroir, Sam Fabelman. Ainsi, dans le passage sur les années « collège » (on dirait un peu Grease, American Graffiti ou mille autre teenagers movies, mais en mieux, puisque vu à travers une caméra), son apprenti-cinéaste filme magnifiquement un athlète en pleine action (les images évoquent Leni Riefenstahl filmant les Dieux du Stade, autre cinéaste d’une grande nation de cinéma et de propagande et, oui, en filigrane, il est ici question d’antisémitisme). Or cet athlète, il le déteste et le méprise… Alors pourquoi ? La réponse est tout sauf superficielle.

Quelle ambiguïté ! J’avoue que je n’en espérais pas autant de Spielberg, que je croyais plus simpliste. Y compris sur les relations familiales : Spielberg a toujours eu une tendance au mélo et au happy end familial… Rien de tel ici, tout est plus délicat que d’habitude, plus tragique que mélancolique. Magnifique. Espérons juste que ce ne soit pas un enterrement de première classe et que le cinéma vive encore longtemps. The Fabelmans a fait un bide, échec le plus cuisant de son auteur.

Numérination

19/03/2023 Aucun commentaire

Flashback ! Les photos ci-dessus, sur lesquelles on me voit charger avec Amour un projecteur de cinéma 35 mm, sont faciles à dater. Voici 10 ans, le cinéma achevait sa mue, abandonnait sans retour l’argentique pour se convertir au numérique. Fin du film originel, ruban de triacétate de cellulose qui par métonymie désigne pour toujours une œuvre cinématographique.

Du reste, Amour, le film de Michael Haneke, dont on voit le titre imprimé sur l’amorce de la pellicule, est sorti en France le 24 octobre 2012.

Ces photos et le matériel qu’elles figurent ont désormais un charme vintage, ainsi que tant d’objets muséifiés : radio à galène, téléphone à cadran, machine à écrire, reflex 24×36, phonographe complet de son cornet et de ses disques à 78 tours, répondeur téléphonique à bande, magnétoscope, 2CV, disquette cinq pouces un quart, minitel, et autres artefacts dont le seul destin aujourd’hui sera celui d’accessoires lors de tournages de films d’époque. Filmés en numérique.

Dix ans de numérisation, donc. Si l’on s’en tient au sens littéral et étymologique du numérique, dix ans à faire parler les nombres. La numérisation du cinéma n’est que l’un des symptômes, sans doute pas le plus important, de la numérisation du monde, massive et irrémédiable, transformation de toute connaissance et de tout rapport humain en nombres, en zéros et en uns, dont nous n’avons pas fini de cerner les effets. En ce qui me concerne, depuis ma cabine de projection et par le petit bout de ma lorgnette, je peux dire au moins ceci : lorsque, au siècle dernier, j’ai passé l’examen du CAP d’opérateur-projectionniste de l’audiovisuel, ce métier était artisanal et ses outils de base étaient les ciseaux et le rouleau de Scotch. Les outils du projectionniste sont aujourd’hui le disque dur et la souris. Me risquerais-je à en faire un cas général, et à avancer que tous les métiers artisanaux, voire tous les métiers, point, sont devenus des métiers d’informaticiens ?

L’époque révolue de l’argentique alimente désormais la nostalgie, et en 2023, soit au terme d’un laps rond de dix ans après enterrement, le nombre de films récents de fiction qui alimentent cette nostalgie du triacétate est remarquable : The Fablemans de Spielberg ou Empire of light de Sam Mendes. Ce dernier poussant le chic jusqu’à proposer aux spectateurs quelques séances en 35 mm argentique, excentricité qui nécessite de dénicher un projectionniste de la vieille école avec ciseaux et Scotch, mais ça va, il faut davantage qu’une seule décennie pour qu’un savoir-faire artisanal se perde.

Autre signal statistique fort de la nostalgie en marche : en rafale sortent les films qui compilent, sur une voix off réfléchie et réflexive, les bobines d’autrefois, publiques ou privées. Je pense aux Années Super 8 d’Annie Ernaux, au formidable Retour à Reims (fragments) de Jean-Gabriel Périot ou au non moins sensationnel quoique plus rigolo Et j’aime à la fureur d’André Bonzel (1) qui déclare explicitement en incipit :

Depuis mon enfance je collectionne les bobines de films d’amateurs et d’anonymes. Voir la vie des autres m’a sans cesse fasciné. Ces cinéastes d’un jour filmé leurs amours, leurs bonheurs dans une vaine tentative d’arrêter le temps.

Ces trois montages de vieilles bobines ont en commun d’être à la fois autobiographiques et universel, et de célébrer le retour aux sources et au sens premier du cinéma, art démocratique : assister à ce miracle, la lumière qui sauve et ressuscite, qui fait bouger des fantômes. Nos fantômes sourient. Sur un support fantôme.


(1) – Au sujet de ce dernier, je consigne ici un fait surprenant, une coïncidence. Il se trouve que le même jour, à quelques minutes près, j’ai vu Et j’aime à la fureur qui tire son titre et son épigraphe du poème Les bijoux de Charles Baudelaire, et j’ai lu la page 130 du roman Riquet à la houppe d’Amélie Nothomb citant très exactement la même phrase qui, il faut bien le reconnaître, semble parler du cinéma (les choses où le son se mêle à la lumière) 40 bonnes années avant l’invention des frères Lumière.
(Qu’est-ce qu’ils ont les Belges avec ce poème ? Ils ne sont pas rancuniers.)
La raison était suffisante pour relire Baudelaire et d’ailleurs tous les prétextes sont bons, et ce poème parle aussi des grappes de ma vigne, c’est dire.

Les bijoux

La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe !

Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !

Apophénie

12/03/2023 Aucun commentaire

Accéder à la culture, faire siens des objets culturels, ce n’est pas les ingurgiter un à un, accumuler une chose puis la suivante.
C’est tirer des fils et tisser des liens.
Ce n’est pas juxtaposer, c’est alimenter une dialectique.
(Je suis en train de m’autociter sans vergogne, étant sur ce point d’accord avec moi-même.)

Le risque de l’association d’idées débridée est de sombrer dans l’apophénie, de tisser des liens entre tout et n’importe quoi et réciproquement, liens paranoïdes qui révèlent davantage la personnalité ou l’agenda de celui qui reçoit les œuvres que les œuvres elles-mêmes. J’avoue que je sombre régulièrement dans ce risque de l’apophénie et, circonstance aggravante, je dispose d’un blog pour m’y complaire.

Exemple entre mille. J’ai, à quelques jours d’écart, vu/lu un film et livre qui a priori n’avaient rien en commun sinon de me passer sous les yeux simultanément. L’apophénie fait le reste : ah mais c’est pareil en fait.

1) Le film : Mr. Nobody (Jaco Van Dormael, 2009)

Au départ était un autre film, que j’ai vu et projeté par hasard (puisque je continue mon job de projectionniste au village un lundi sur deux). Au petit bonheur : parfois je me réjouis du film, parfois je m’emmerde et me contente de me souvenir que j’aime le cinéma en général même quand je n’aime pas tel film en particulier. Ce lundi soir, j’ai adoré ce que j’ai vu : Le tourbillon de la vie d’Olivier Treiner. Typiquement le film ni attendu ni repéré, que je ne serais pas allé voir en ville, que je projette fortuitement et sans m’être renseigné le moins du monde, même pas lu de critiques. Le titre est un peu con, beaucoup trop référencé (on pense forcément à la chanson de Jeanne Moreau dans Jules & Jim alors que ça n’a quasi-rien à voir), et l’affiche est un peu moche…

Or voilà que le film est formidable. Il est à la fois très conceptuel, très prise de tête, et pourtant limpide, évident, bouleversant à chialer, un bon gros mélo mais, comment dire sans spoïler, un mélo virtuel, et d’autant plus mélancolique, comme est mélancolique la chanson Les passantes de Brassens sur les amours qu’on n’a même pas perdues puisqu’on ne les a pas eues. Le film réussit sur les deux tableaux, l’idée et l’émotion. Et puis l’actrice, Lou de Laâge, est géniale, changeant de tête cent fois, autant qu’elle change de vie, cent nuances. Ce film qui parle de nos vies non vécues, ou bien vécues dans des univers parallèles, m’a bien sûr fait penser à la saison 6 de Lost. Je l’ai trouvé au même niveau, soit assez haut.

Je m’en ouvre à une copine, fondue de Lost comme moi. Elle me dit, parce qu’elle compose ses propres apohénies et chacun les siennes, c’est intime ces histoires-là : Ah, d’accord, le pitch me fait penser à un film que j’aime bien, Mr. Nobody.

Ni une ni deux je me procure ledit Nobody. Verdict : le film est visuellement et formellement époustouflant, avec une idée par image, bombardement épuisant sur 2h40 (puisque j’ai choisi de regarder la version longue), d’une richesse étourdissante… et pourtant j’ai préféré le Tourbillon de la vie, sans doute justement parce qu’il est plus simple, plus modeste, et ne se sent pas obligé d’expliquer sans cesse ce qu’il est en train de faire au moyen de rationalisation de science-fiction. J’ai l’impression que Mr Nobody complexifie à loisir son propos et dit de façon toujours plus compliquée des choses simples. Que le héros, Nemo Nobody, ait accès à ses vies parallèles, ok, j’adore, très fertile et romanesque, mais à quoi bon lui donner divers pouvoirs supplémentaire, notamment celui, radical, de ne PAS mourir et de repartir en marche arrière ? Cette conclusion me semble nier le tragique de la vie, c’est là pirouette simplette et optimiste comme une religion qui promet la vie éternelle. Oui, c’est ça, exactement comme une religion, Mr Nobody se réduit finalement à une fable qui nie la mort. Le Tourbillon, de ce point de vue, me semble plus « sage » et je veux dire : plus mûr.
Car lorsqu’on a évacué le tragique, plus rien n’a d’importance, et l’émotion aussi s’en va. La fin du Tourbillon m’a ému aux larmes tandis que celle de Nobody m’a juste fait « Ah ouais bon d’accord » .

2) Le livre : Riquet à la Houppe (Amélie Nothomb, 2016)

Là encore, je viens à cette œuvre via une autre. Je retourne régulièrement aux contes, et repars toujours d’eux. J’adore depuis, ma foi, toujours, le Riquet à la Houppe de Perrault qui m’a expliqué tout ce que j’avais besoin de savoir sur l’esprit que l’on prête à la beauté, sans que l’on ne prête de beauté à l’esprit. Le conte ne pense pas pour vous, il est plus ambigu que cela, il vous fournit des cadres de pensée. Riquet à la Houppe aide à penser la libido et quelques-unes de ses mille situations, par exemple le sex-appeal des intellectuels (qui porte un nom : la sapiosexualité), ou, inversement, l’opinion sur la crise socio-économico-géopolitique que l’on sollicite, fébrile, auprès des top-models 90-60-90.

Amélie Nothomb en a écrit une version contemporaine ? Elle a quelque chose à dire sur le sujet ? Fort bien, je me plonge.

J’aime la Nothomb et comme je n’en nourris jamais de trop hautes espérances, elle ne me déçoit pas. Je la lis comme on boit un rosé, ce ne sera pas un grand cru, tant pis, mais qu’est-ce que ça fait du bien par où ça passe, sympathique et rafraichissant (cf. une autre lecture d’un autre Nothomb ici, jour 80).

Dans ce Riquet-là, je retrouve avec plaisir son allant et son excentricité, quoique je continue de préférer ses autobios à ses romans. Par exemple, j’aime beaucoup ce qu’elle raconte de la prime enfance de Déodat Eider (le nom de son Riquet), ce sentiment de plénitude et de toute-puissance de l’enfant avant le langage, qui regarde les adultes comme une bizarrerie, sauf qu’elle l’avait déjà raconté, et en mieux je crois me souvenir, à propos d’elle-même dans la Métaphysique des tubes.
Dans le dernier chapitre de Riquet, elle parle soudain à la première personne et j’adore tout ce qu’elle me dit.
En tout cas j’ai apprécié son hommage, sincère et pertinent, au conte originel, dont elle salue « l’exquise absence de morale » , elle peut glisser à l’intérieur, comme si elle était chez elle, sa propre candeur et sa propre fantaisie.

3) L’apophénie

Je n’ai pas pu m’empêcher (je ne peux jamais m’empêcher) d’apophéniser, c’en est presque pathologique. Ainsi je vois très bien les points communs entre Nobody et Riquet, et surtout sur leur facteur commun qui fait que j’ai trouvé ces deux œuvres distrayantes-sans-plus : les noms des personnages. Personne, dans la vraie vie, ne peut s’appeler « Nemo Nobody » (Personne Personne) ni « Déodat Eider » (un nom d’oiseau, évidemment). Non plus que « Trémière » ou « Lierre » (autres personnages dans le Riquet : Nothomb est coutumière des noms de personnages impossibles), etc. Dans les deux cas, les auteurs soulignent, voire surlignent, à coups de noms archi-signifiants, l’idée qui a présidé à la fabrication des personnages, comme s’ils dévoilaient les coulisses. C’est aussi cela qui tient à distance mes émotions, l’impression de me trouver trop clairement face à des idées et non face à des personnages romanesques.