Kestufras quand tu sras grand ? (Moi je veux être président)

08/07/2023 Aucun commentaire

Si l’on cause littérature, et quoi de mieux au monde que causer littérature, je ne suis pas assez snob pour négliger Amélie Nothomb. Je m’en trouve fort aise puisque je prends souvent grand plaisir à lire ses livres, comme ici, ou (voir Jour 80).

Je viens d’en découvrir un formidable avec seulement 30 ans de retard, Le sabotage amoureux (son opus 2, en 1993), qui me conforte dans mes penchants : je préfère de loin sa veine autobiographique à sa veine romanesque. Sa propre vie réinventée m’enchante, tandis que je baille devant ses personnages imaginaires aux patronymes invraisemblables, dont la fantaisie fabriquée n’arrive jamais à la cheville de celle, authentique, de leur autrice.

Le sabotage amoureux raconte la deuxième enfance d’Amélie, en Chine, de 5 à 7 ans – sa première enfance, avant l’âge mûr de 5 ans, ayant été japonaise, comme chacun sait. Récit virevoltant, drôle, intelligent, débordant de la joie du mot d’autant plus étonnant qu’il est juste, érudit mais dont l’érudition n’est jamais autre chose qu’un carburant pour l’imagination (1)… Avant tout, beau livre sur l’enfance, qui énonce pour la première fois semble-t-il une idée appelée à devenir récurrente chez elle : les adultes sont des enfants déchus. L’irrémédiable déclin commence vers 14 ans.

Or j’avais une idée derrière la tête. Je préparais un atelier d’écriture sur le thème des souvenirs d’enfance (cf. l’interviou du Dauphiné Libéré ci-dessous) et je compilais soigneusement des citations susceptibles de nous inspirer. J’avais déjà du Peter Handke (« Quand l’enfant était enfant, il marchait les bras ballants, il voulait que le ruisseau soit rivière » cf. Les Ailes du désir) ; du Riad Sattouf (« En 1980, j’avais deux ans et j’étais un homme parfait« ) ; du Eugène Delacroix (« Je me souviens que quand j’étais enfant, j’étais un monstre« ) ; du Shakespeare (la chanson du bouffon, When that I was and a little tiny boy…) ; et même, une fois n’est pas coutume, quelques mystérieux versets de la Bible (Première épître aux Corinthiens, chap. 13-14 : « Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant (…) Frères, pour la raison, ne soyez pas des enfants. Mais pour le mal, oui, soyez des enfants. ») ; etc.

Je sentais bien qu’il me manquait du Nothomb. Je suis allé à la pêche dans le Sabotage. Je n’ai pas été déçu. Une perle p.54 :

Nous, nous avions un sens si aigu des valeurs humaines que ne parlions quasi jamais des plus de quinze ans. Ils appartenaient à un monde parallèle, avec lequel nous vivions en bonne intelligence puisque nous ne nous croisions pas.
Nous n’abordions pas non plus l’inepte question de notre avenir (…) Quand on me posait la fameuse question : « Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? » je répondais invariablement que je ferais Prix Nobel de médecine ou martyre, ou les deux à la fois (…), cette réponse pré-machée me servait à évacuer au plus pressé ce sujet absurde. (…) Peut-être parce qu’instinctivement, nous avions tous trouvé la seule vraie réponse : « Quand je serai grand, je penserai à quand j’étais petit. »

Me voilà refait, merci Amélie. Mais soudain je tombe aussi, p. 72, sur :

Qui diable était ce petit ridicule ? Je ne le connaissais pas.
J’enquêtai.
Il s’appelait Fabrice. Je n’avais jamais entendu ce prénom et je décrétai d’emblée qu’il n’y avait pas plus ridicule. Par un surcroît de ridicule, il avait de longs cheveux. C’était un ridicule extrêmement ridicule.

Allez, sans rancune…

_________________________________________________________

(1) – Exemple de l’utilisation ludique de sa culture : elle glisse, l’air de rien, p. 73, une citation merveilleuse de Stendhal, « Mon Dieu, si vous existez, ayez pitié de mon âme, si j’en ai une. » J’adore et je m’empresserais d’ajouter cette phrase dans la section Mon crédo du présent blog… si seulement j’étais sûr de son authenticité. Or je ne réussis pas à en élucider la source exacte, référencée et circonstanciée. Par conséquent, tant qu’un stendhalien assermenté (s’il y en a dans la salle…) ne m’aura pas donné confirmation, je présumerai que la Nothomb a inventé cette citation. L’en croire capable est lui faire crédit.

Le sens est caché derrière l’anagramme

07/07/2023 Aucun commentaire

Si l’on cherche des anagrammes correspondant à la suite de mots aléatoire « La théorie de la compote », on tombe, comme par hasard, sur « Toi, Œdème phallocrate ».
Ou : « Coopter la mélodie = hate » .
Ou : « Empathie électorale ? Doo ! »
Ou : « Démocratie, hôtel opale » .
Ou : « La méthode Ciao-pétrole » .
Ou : « Acte rapide ? Hello # metoo ! »
Ou : « Léopold, âme théocratie » .
Ou : « Ophélie décalotte Omar » .
Ou : « Ami Théodore, le pactole » .
Ou : « Alcoolo ? Merde, hépatite ! »
Ou : « Oedipe récolta mâle hot » .
Ou : « Hamlet, le roi poète : coda » .
Ou (par conséquent) : « Ophelia, matelot décoré » .
Ou : « Othello, empoté, Arcadie » .
Ou (pour clôre l’instant shakespearien) : « Roméo et… Hop, détaille ça ! »
Ou : « Copte adorée mit le hola » .
Ou : « Toi, Lolcat, ado éphémère ! »
Ou : « Chiotte, Paloma remodèle » . (spéciale dédicace à Pablo Picasso)
Ou : « Échalote, poire modale » . (spéciale dédicace à Erik Satie)
Ou : « Philo éclatée moderato » .
Ou : « Comédie ? Tapote Le Horla » .
Ou : « Écho, pelote maladroite » .
Ou : « Polaroïd : Télécom athée » .
Ou : « Cool air, mode télépathe » .
Voire : « The cool dream : Éole tapi » .

Je pose très simplement la question : une telle accumulation de phrases signifiantes, de messages habilement sous-entendus, pour ne pas dire d’indices, peut-elle être une coïncidence ? Je vous laisse conclure en votre âme et conscience.

La Théorie de la Compote est aussi un livre en vente dans toutes les bonnes librairies.
Je ne vous apprendrai pas qu’il ne faut surtout pas croire tout ce qu’on peut lire sur Internet, surtout gratuitement.
Mais voilà, je vous signale tout de même, et vous vous ferez votre propre opinion, que l’éditeur dudit ouvrage a jugé bon d’en publier en ligne les premières pages. Gratuitement. C’est plus que louche.

Violence en col blanc, violence en uniforme bleu, violence en cagoule noire

01/07/2023 Aucun commentaire
Photo : merci le Dauphiné Libéré. Le saccage de la librairie le Square, à Grenoble, 30 juin 2023

Un policier tue un ado, encouragé par son collègue qui lui parle comme s’ils jouaient à un jeu vidéo, « Vas-y, shoote-le ! » = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « débordements regrettables ».

S’en suivent des émeutes dans les rues, un peu partout en France = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « incivilités inexcusables ».

Tant que les pouvoirs publics n’auront pas pris conscience de la continuité linéaire entre ces deux violences, ainsi que d’autres (ce gouvernement EST violent), les violences se poursuivront.

Pour autant, je n’excuse rien. Je me permets de trouver plus « inexcusables » que toutes les autres violences, les destructions de librairies et de bibliothèques, qui sont lieux d’émancipation et non d’oppression, victimes collatérales des violences du gouvernement et des violences de rues.

Alors je relis un poème de Victor Hugo, « À qui la faute ? » in L’Année terrible, 1872.

Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui.
J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.

#moiaussi

26/06/2023 un commentaire

Jacques Higelin m’émeut et me transporte.

Je crois bien qu’Higelin est mon chanteur préféré. J’aboutis facilement à cette conclusion en constatant la fidélité de mon amour pour lui, à travers toutes ses périodes, ainsi qu’à travers toutes les miennes. Car dans nos amours artistiques la durée joue un rôle aussi déterminant que dans nos amours intimes.

Sentant peut-être sa fin proche, Higelin avait accepté de publier ses mémoires, racontées par lui, ordonnées par la journaliste Valérie Lehoux et parues en 2015 sous le beau titre Je vis pas ma vie, je la rêve, phrase tirée de la chanson Parc Monsouris. Puis, en 2018, il est mort. Cette année paraît un codicille, signé de la seule Valérie Lehoux, Car toujours le silence tue, entièrement consacré à un seul épisode de la vie d’Higelin. Cet épisode était pourtant déjà évoqué dans le tome précédent, mais il l’était furtivement, discrètement, à la volée, p. 289. Il aurait mérité, selon les termes d’Higelin lui-même, un bouquin à part entière. Voici ce bouquin, posthume. Cette fois, les points sont enfoncés sur les i, le secret est longuement explicité.

Higelin a été abusé sexuellement, de l’âge de 10 ans à l’âge de 15 ans, par un homme qu’il aimait, de douze ans son aîné, un homme qu’il considérait comme son mentor, qui lui a fait découvrir la musique, le théâtre, le cinéma, et la liberté. Et l’a violé.

Valérie Lehoux donne les tenants et aboutissants, non seulement de ce viol, mais aussi des conditions de sa révélation si tardive. C’est que désormais l’époque est propice : on appelle ces agissements pédocriminalité et non plus pédophilie, car il s’agit bel et bien d’un crime, avec un coupable et une victime. Lehoux énumère longuement des artistes issus de champs très variés, victimes de viol ou d’inceste (en commençant bien sûr par Barbara, dont elle est une grande exégète) et ce que chacun a fait plus tard de cette faille en lui/elle. Elle donne aussi une statistique : 160 000 mineurs sont victimes d’abus sexuels en France chaque année, chiffre purement indicatif puisque sans doute la majorité des cas n’émergera jamais du tabou. D’ailleurs pour l’essentiel, les victimes ne deviendront pas artistes pour en faire quelque chose, elles devront juste vivre avec. Enfin, retenons seulement que « 160 000 » = un gros paquet.

Parvenu à ce point de ma lecture, une révélation me prend. J’en suis stupéfait. Un déclic : moi aussi. #metoo. Je n’y ai pas repensé depuis des décennies, je ne l’ai jamais dit ni écrit à quiconque, mais brusquement je me souviens, il m’est arrivé un truc quand j’étais petit, la mémoire me retrouve.

1979 ou 1980. J’ai une dizaine d’année. J’habite avec mes parents et mon frère le 3e étage d’un HLM, dans le quartier dit La Coupiane, à La Valette-du-Var. Notre barre d’immeuble borde la Place rouge, qui doit son nom à la terre battue et non à un quelconque hommage à Moscou. D’autres barres comparables ou plus hautes (avec ascenseur) et plus labyrinthiques bornent le paysage. Je traîne mes guêtres dans le quartier avec mes copains ou, parfois, avec ceux de mon grand frère, lorsque ceux-ci tolèrent un merdeux de trois ans de moins qu’eux. Parmi cette bande informelle qui se fait et se défait et navigue de l’une des résidences à l’autre, recommence sans cesse le tour des immeubles et des parkings, et au mieux, parfois, fuit un instant le béton pour arpenter la forêt sur la colline, figure un grand gars, dégingandé, voûté et taiseux, dont j’ai oublié le nom (si jamais je l’ai su), ne me souvenant que du sobriquet qu’il doit à sa tignasse, coupe au bol typique de l’époque : Blondinet.

Blondinet a peut-être cinq ans de plus que moi, ou dix, je suis incapable d’être plus précis, en tout cas c’est un grand, caractérisation suffisante. Je ne suis pas spécialement proche de lui, je ne lui parle pas, je le côtoie dans cette fameuse cohorte floue de quartier, je ne me suis jamais trouvé seul avec lui. Sauf une fois. Un samedi après-midi. Il fait très chaud. Pourquoi les autres se sont dispersés ? Je ne sais plus. Je suis seul avec Blondinet et je crois me souvenir qu’il est vêtu de jaune, ou alors je confonds avec ses cheveux. Il me demande de le suivre dans les garages d’une autre barre, de l’autre côté de la Place rouge. Il a, dit-il, quelque chose à me montrer. Je le suis, je n’ai rien de mieux à faire. J’aime bien, d’ailleurs, jouer dans ses parkings, l’un de mes copains a des talkie-walkie et cet accessoire permet de transformer les parkings souterrains en territoire d’enquête, d’exploration, d’aventure.

Nous descendons tous les deux la rampe pour voitures et nous entrons dans la galerie souterraine qui donne, de part et d’autre, sur les parkings individuels. Nous restons dans la pénombre puisqu’il n’allume pas la minuterie. Il me dit Viens là ou quelque chose comme ça. Je m’approche, il nous plaque contre le mur, il me retourne, s’accroupit derrière moi et m’enlace, me serre, me serre de plus en plus fort, un bras sur mon ventre et l’autre sur ma poitrine, il halète dans mon cou. Il fait quelque chose que je ne comprends pas, qui est en tout cas inconfortable, j’ai un peu de mal à respirer et puis l’air est déjà plus que chaud, j’attends que ça passe, qu’il s’arrête, je ne peux rien faire, je suis un objet, il s’agite, m’agite, et je regarde devant moi, la lumière du jour tout au fond de la galerie obscure, littéralement je regarde la lumière au bout du tunnel.

Enfin ça se termine, il me lâche, grommelle quelque chose que je ne retiens pas, je me mets en marche tout de suite, j’avance vers la lumière, j’émerge. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire, maintenant ? Un samedi après-midi de canicule et mes copains ne sont pas là. Bon, ben, je vais remonter chez moi et regarder la télé, j’espère que ma mère ne dira rien. Avec un peu de chance, il y aura Le Prisonnier, ma série préférée. Ou peut-être Cosmos 1999. Deux séries archi-angoissantes, que j’adore, mais à mon âge je n’ai pas encore intégré le concept de catharsis.

Toutes les fois que j’ai recroisé Blondinet dans le quartier, il m’a évité et a fui mon regard.

Voilà tout. Fin de l’histoire. Elle est évidemment minuscule, anecdotique comparée à celle d’Higelin ou de tant d’autres. Si, plus de 40 ans après l’événement, je pose sur lui des mots, je crois comprendre ceci : un gars en position de force s’est collé dans le dos d’un gamin tendre, mignon et faible et, sans le déshabiller, sans le tripoter davantage, s’est masturbé dans son dos dans un parking souterrain. Il ne s’est rien passé de plus grave, ni de très grave. Est-ce grave tout de même ?

Je n’en ai aucune séquelle, je crois. Je n’en suis resté ni traumatisé, ni dépressif (oh j’ai de bien meilleures raisons d’être dépressif), ni violeur-à-mon-tour (croyez-le ou non, je n’ai jamais agressé personne, l’idée même m’empêcherait de bander). Peu importe. C’était mal, ce n’était pas normal. Quels que soient les dégâts, les circonstances, la fréquence… un adulte n’a pas à utiliser, à réifier un corps d’enfant pour assouvir sa propre sexualité, jamais. La sexualité des adultes est forte, celle des enfants est faible, il y a donc déséquilibre et abus de pouvoir. À bas tous les abus de pouvoir, et celui-ci d’abord.

Alors, #moiaussi, je parle pour la première fois, ma parole en est venue à se formuler, à se libérer, grâce à l’époque et grâce à la libération préalable de centaines de personnes avant moi, merci à toutes et tous, merci à Jacques Higelin pour tout et même pour ça, bonus. Parlons. Parlons, juste pour que la parole soit là entre nous, pour verbaliser que cela est mal, que cela n’est pas normal, que cela est un abus de pouvoir, que cela ne se fait pas. Espérons que verbaliser chaque cas permette d’en prévenir quelques-uns en saturant, anecdote minuscule après anecdote énorme, tout l’espace de Cela ne se fait pas. Rêvons un peu : chaque année, 160 000 Cela ne se fait pas. Soit un gros paquet.

Le vrai du faux

18/06/2023 Aucun commentaire

18 juin 2023 : joyeux anniversaire, Paul McCartney ! L’un des deux Beatles survivants a 81 ans aujourd’hui, chapeau.
On m’a aimablement fait remarquer que j’avais laissé passer une coquille dans La théorie de la compote. Car j’y ai écrit ceci :

« Il paraît, et c’est vrai hein, et même c’est plus que vrai c’est carrément logique, que plein de morts célèbres, Michael Jackson, John F. Kennedy, Jack l’Eventreur, Jésus Christ, Che Guevara, Marilyn Monroe, Claude François, Amy Winehouse, Napoléon, Lady Di, le petit Grégory, Johnny Hallyday, Paul McCartney, je sais plus qui j’en oublie mais la liste se trouve assez facilement je t’enverrai le lien, en réalité ils ne sont pas morts. Ils se sont brûlé les ailes comme Pégase. Ils se sont approchés trop près de secrets qui ne les concernaient pas trop, tu vois ce que je veux dire, des secrets de la CIA, et depuis tous les faux morts se cachent entre eux dans des bunkers ultra-sécurisés et attendent le bon moment pour revenir. « 

Ce n’est pas une erreur, figurez-vous. J’ai fait absolument exprès d’inclure sir Paul dans la liste des morts, en référence à l’une des plus anciennes et tenaces rumeurs virales entourant la pop culture. Cf. l’exégèse qu’en fait Pacôme Thiellement.

Comme j’ai écrit le premier jet de ce texte il y a 5 ans et qu’il a mis un temps assez long à paraître, pendant 5 ans je me suis dit : « Pourvu que McCartney ne meure pas dans l’intervalle, cela gâcherait ma blague ! « 
Merci McCa d’être encore vivant, joyeux anniversaire ! Il vient d’ailleurs d’annoncer la sortie d’un titre inédit des Beatles terminé par une intelligence artificielle, je demande à entendre…

(Et sinon, au cas où, puisqu’il faut être parfaitement transparent, « Ils se sont brûlé les ailes comme Pégase » c’est pas une coquille non plus.)

Julien Assange, bien placé pour émettre un avis sur les complots puisqu’il en a révélé une poignée et subi un autre, a récemment énoncé cette idée intéressante :

Je ne comprends pas pourquoi les gens se passionnent pour de faux complots, alors qu’il en existe tant de vrais.

Révérence gardée, il me semble que la réponse à sa question est des plus fastoches. On se passionne pour les complots, peu importe qu’ils soient vrais ou faux (la question de la discrimination entre le vrai et le faux étant autrement épineuse, et sacrément contemporaine), tout simplement parce que les complots sont d’excellentes histoires. On aimera les complots aussi longtemps qu’on aimera les histoires, qu’on aimera comment elles se construisent et comment elles nous construisent dans le même mouvement, comment elles nous tiennent en haleine, et comment elles nous révèlent la vérité petit à petit ou brutalement. Chaque théorie du complot est un whodunit, excitant comme du Agatha Christie.

C’est pourquoi je réclame que le complotisme soit inscrit au nombre, outre des pathologies mentales, des arts du récit. Le complot est un phénomène imaginaire, un phénomène littéraire. C’est en tant que tel que je l’ai abordé puis brodé, en ma petite fantaisie intitulée La Théorie de la Compote.

Avisse : le samedi 24 juin à 18h, je ferai une rencontre-lecture-dédicace-un-peu-n’importe quoi en l’excellente librairie la Caverne, 11 rue Montorge à Grenoble, et ce sera comme une inauguration officielle, sans petits fours et sans sous-préfet qui coupe un cordon tricolore, mais avec beaucoup mieux : avec Marie Mazille. Donc on chantera, aussi.

Le diable, probablement pas

16/06/2023 Aucun commentaire

(Pour le contraire, Le diable probablement, c’est par ici.)

Statistique brute prélevée dans le flux internetisé de l’actualité : en ce moment, la République Islamique d’Iran exécute après jugement sommaire, en moyenne, un être humain toutes les six heures. Quatre par jour.

Ce nombre est abstrait. Comment rendre la peine de mort concrète, c’est-à-dire incarnée dans des êtres humains qui soit exécutent, soit sont exécutés ? Par le cinéma, évidemment.

Je viens de voir un film iranien et j’en sors bouleversé, en larmes : Le diable n’existe pas (titre péremptoire et pourtant prodigieusement subtil, puisque marquant non une fin de réflexion, mais un début, pour méditer après le film) de Mohammad Rasoulof. Ce chef d’œuvre me conforte dans deux de mes convictions. Primo, le cinéma iranien est l’un des plus passionnants du monde, et aussi l’un des plus héroïques puisque pour exister il doit se battre pied à pied contre son propre pays. Le diable n’existe pas a été tourné en clandestinité, déjouant une censure locale qui ferait passer le code Hays pour une aimable partie mah-jong, et Rasoulof, après sept mois d’internement dans la tristement célèbre prison d’Evin, a désormais interdiction de quitter le territoire alors qu’il était attendu en tant que juré du dernier festival de Cannes.

Secundo, pour accéder à la complexité d’une culture, d’un pays, ou d’une époque, il est préférable de regarder ses œuvres d’art plutôt que de coller l’œil sur le flux internetisé de l’actualité. Ici, on comprend ce qu’est concrètement la peine de mort : c’est une tache indélébile sur un homme à qui un deuxième homme a dit Tue ce troisième homme.

Ce film ressemble davantage à un recueil de nouvelles qu’à un roman puisqu’il assemble quatre histoires distinctes (une chronique sociale, un thriller, un mélo amoureux, un mélo familial) qui ont toutes en commun le thème de la peine de mort mais, plus largement, celui de la responsabilité individuelle. C’est, philosophiquement, aussi profond que du Albert Camus, autre auteur pour qui la peine de mort était un grand sujet à incarner, et c’est aussi beau que dans ses livres, puisque la lumière, le soleil et les couleurs sont, comme chez Camus, époustouflants. Et d’autant plus tragiques.

Question incidente et subsidiaire : voilà deux films persans que je vois coup sur coup, Leila et ses frères et ce Diable n’existe pas, où apparait le même élément narratif (essentiel dans le premier, anecdotique dans le second), qui semble un trait des mœurs persanes, très exotique pour nous Français : l’importance extrême, à la fois économique et symbolique, accordée aux pièces d’or. Durant la crise (or la crise est sans fin), la « pièce d’or » semble une valeur refuge, contre l’inflation aussi bien que contre la déroute spirituelle, chargée des valeurs mythiques et mythologiques attribuées à l’or, comme dans les contes traditionnels. Ainsi, selon ces deux films, si l’on veut faire à quelqu’un un cadeau « sûr » , conséquent, prestigieux voire ostentatoire, empreint d’une grande valeur à la fois financière et symbolique, on offre des pièces d’or.

En France existe une sorte d’équivalent : les personnes riches offrent ou s’offrent des Napoléons ou des Louis d’or, mais c’est une pratique plus marginale, plus rare, réservée à la grande bourgeoisie, et il ne me semble pas que cela tienne lieu de cadeau traditionnel. Sans doute parce que l’économie française est plus stable que l’économie iranienne. Jamais personne dans ma famille n’a possédé un Louis d’or.

McCarthysme

13/06/2023 Aucun commentaire
Moi, déambulant le long de la route effondrée entre Miribel-Lanchâtre et Saint-Guillaume, juin 2023

Cormac McCarthy n’est plus. En hommage, rediffusion au Fond du Tiroir d’un article de 2009, toujours d’actualité.

J’ai lu, durant le long hiver 2007-2008, La Route, roman de Cormac McCarthy – sur les conseils concomitants de deux lecteurs avisés n’ayant aucun lien entre eux, messieurs Yann Garavel et Jean-Marc Mathis. Lorsqu’une préconisation surgit simultanément de deux horizons séparés, mieux vaut la prendre au sérieux. Si je donne les noms de ces deux gentlemen, c’est pure gratitude.

Car depuis ces années écoulées, je pense à ce livre, non quotidiennement, ce serait insupportable, non régulièrement, ce serait de la préméditation, mais enfin, très souvent. Et sans sommation. Des visions me prennent soudain, me reviennent de loin derrière ou m’arrivent de demain, je ne sais pas. En roulant sur l’autoroute. En mangeant une pomme. En regardant mes enfants. En regardant un arbre. En poussant un caddie dans un supermarché. En ouvrant une boîte de conserve. En me retrouvant seul, même accompagné. En contemplant un paysage, n’importe quel paysage, pour en ressentir très profondément, à en pleurer, sa fragilité, la mienne aussi, sa beauté en train de mourir.

Quel est donc ce roman qui, bientôt deux ans après avoir été lu, procure encore telles sensations ? Tels effrois physiquement ressentis, et telle conscience viscérale (L’horreur ! L’horreur !) de notre rapport tragique au monde ? Quel est donc ce roman qui vous retourne l’œil ?

Et ce n’est pas tout. Cette nuit, j’y étais, sur La Route.

J’étais dans ce monde gris et mort, j’étais seul et tapi dans un terrier de cendres, j’espérais que les miens étaient encore vivants mais je n’avais aucun moyen d’en être sûr, je savais que les alentours étaient dangereux, j’étais squelettique et en haillons, je faisais partie d’un groupe qui m’avait relégué, un groupe cruel et dur et violent, mais censé protéger ses membres d’un autre groupe plus cruel, plus dur et plus violent, qu’on ne voyait pas, qu’on entendait parfois, dont la menace obligeait à rester caché, couché, prostré dans la boue grise… Finalement, je me suis tout de même levé, rassuré parce que j’avais en poche l’outil qui me permettrait d’aller voir plus loin : le précieux passe-partout [il s’agit de mon trousseau de clés professionnel, qui ouvre toutes les portes du centre culturel qui m’emploie], j’avançais dans la boue grise en tâtant ce sésame à travers ma poche et en écoutant chaque écho de la forêt défunte, pelée, sans feuille, et chaque coup de mon cœur… Je suis parvenu devant une palissade hétéroclite, amoncèlement de planches de chantier, et là, à moitié dissimulée, une porte. Ma clef est entrée dans la serrure, j’ai tourné la poignée, je suis entré. Entré dans quoi ? Derrière la porte, j’étais toujours dehors. Au-delà, le même paysage continuait, identique, plus vallonné peut-être. J’ai entendu un cri : « Un espion ! » J’ai répondu d’une voix très faible : « Je ne suis pas un espion… Je n’ai pas d’arme sur moi… » Alors, des individus aussi squelettiques que moi, aussi sales, pareillement en haillons, ont fondu sur mon corps, m’ont encerclé, ont commencé à me palper, à soupeser mes maigres muscles, mes jambes, mes bras, et je comprenais parfaitement à quelle fin ils me jaugeaient ainsi. Or ils étaient tous des enfants. Aucun n’avait plus de treize ans.

Et je me suis réveillé, en sueur, le cœur battant très fort d’être vivant.

Quel est donc que ce roman qui, bientôt deux ans après avoir été lu, procure encore des cauchemars ?

Un chef d’œuvre, sans aucun doute, voilà la réponse.

Il paraît qu’ « ils » vont en faire un film, non parce que c’est un chef d’œuvre, ce qui serait une raison extraordinaire, mais comme d’habitude pour la raison ordinaire : parce que le livre a eu du succès. Je ne vois pas l’intérêt. Les pouvoirs de la littérature sont une chose ; ceux du cinéma, très grands et tout aussi respectables, en sont une autre, et ces deux choses mélangées dans le pot commun du box-office ne sont pas forcément des ingrédients compatibles. De quoi gâter le goût, aussi bien. Je n’irai pas voir ce film, de même, et à peu près pour les mêmes raisons, que je ne suis pas allé voir un autre film évoqué ici. À quoi bon ? Des images, j’en ai déjà, plein la tête, plein la nuit.

Mise plutôt sur le monde

13/06/2023 Aucun commentaire

Saison du bac.
Le Fond du Tiroir a une pensée pour les bacheliers, présents passés et futurs, et offre gracieusement à tous un sujet négligé par l’Éducation Nationale et qui mêle habillement culture académique, actualité, et rock ‘n’ roll.

Vous considérerez d’abord en parallèle puis en confrontation dialectique l’aphorisme énigmatique noté par Franz Kafka dans son journal : « Dans le combat entre toi et le monde, choisis le monde », et la chanson de The Clash : « I fought the law and the law won. »
Vous alimenterez impérativement votre réflexion par quelques concepts-clés issus de la vie politique française tels que « 49.3 », « Réforme juste, équilibrée et inévitable », « Brav-M », « Flashball », « Texte définitivement adopté par l’Assemblée » ou « Validation par le Conseil Constitutionnel » (liste non exhaustive).

Que faire des ordures

27/05/2023 Aucun commentaire
Photogramme : L’Île aux fleurs (Ilha das Flores), court métrage génial de Jorge Furtado, Brésil, 1989. À revoir régulièrement ici.

L’alchimie, pré-science du symbole plus que de la physique, rêvait de disposer à volonté de la matière, aspirait à la décomposition et à la recomposition des éléments, ambitionnait de défaire et refaire le monde : son principe était la transformation.

Pour l’opération de décomposition, l’alchimiste utilisait l’alambic, qui sépare par distillation la matière en ses différentes substances élémentaires ; pour l’opération inverse, la transformation par fusion ou amalgame, il utilisait l’athanor, mythique four philosophique à combustion lente, outil suprême censé permettre la création de la pierre philosophale, qui changera le plomb en or – mais aussi guérira toutes les maladies et apportera, enfin, à l’homme le bonheur.

Athanor est également le nom, poétique et vaguement inquiétant, du centre de tri et d’incinération des ordures ménagères de l’agglomération où j’habite, réceptacle du souci alchimique de notre temps : la transformation de la matière que nous produisons sans cesse, au sens de plomb, au sens de résidu, au sens de détritus, au sens de rebut, au sens de relief, au sens de merde. Athanor est dédié au tri, selon le mot plus prosaïque qu’alchimique, de près de 250 000 tonnes de déchets par an, à l’échelle de 49 communes et de leurs 450 000 habitants. J’en suis.

J’en rêvais depuis des années. J’ai enfin eu aujourd’hui l’occasion de visiter Athanor.

Une traversée du miroir. Un dévoilement de la face cachée ultime de notre mode de vie délirant (consommation-extraction-pillage-destruction). Une expérience d’initiation au destin de tout ce que nous jetons à la poubelle pour mieux penser à autre chose, et chaque seconde de la visite guidée était passionnante, autant du point de vue politique, que sensoriel, que technique ! Un centre de tri est, si l’on veut, une sorte de parc d’attractions, mais pour les adultes, pour les conscients, un parc à thème dont le thème serait enfin le réel. Pas de souris à grandes oreilles et gilet à boutons, seulement des bons vieux rats.

Il me semble que tout le monde devrait faire un tour, au moins une fois dans sa vie mais le plus tôt possible, dans ce château hanté de la modernité. Adultes, enfants, usagers, professionnels, élus, citoyens. Je m’emballe au pied des emballages entassés : on devrait le visiter en famille, entre amis, organiser des sorties scolaires ou naturalistes (on trouve ici un nombre remarquable d’espèces d’oiseaux et de rongeurs), des séminaires, des week-ends, des goûters, des escape games, des mariages, Saint-Valentin ou fêtes d’anniversaires, des veillées funèbres, enfin tous les prétextes rituels seraient bons pour voir ce qu’on n’a pas envie de voir, comprendre ce qu’on n’a surtout pas envie de comprendre, méditer.

Bien sûr on ne serait pas obligé de faire, comme je fais malgré moi, des associations d’idées bizarres : sur le moment, j’ai gardé pour moi les visions qui me sont venues. Ce paysage clôturé formé par deux bâtiments qui se regardent en chien de faïence, le centre de tri horizontal, et l’incinérateur vertical terminé par deux longues cheminées d’où s’échappe la fumée, m’évoquait un camp de concentration ; les montagnes d’ordures ont convoqué aussi en moi la dernière scène de Zabriskie Point d’Antonioni et boum ; Powaqqatsi, également ; surtout, L’île aux fleurs.

Tous les sens sont saisis : le bruit des machines, l’odeur des décompositions, les trépidations incontrôlables, et naturellement la vue des monceaux de détritus hauts comme des villes, alimentés en permanence par la noria des camions-bennes. Sensation terrible et désespérée de course contre la montre : vas-y colibri, pioche et trie là-dedans, minutieusement, ton kilo de plastique vert, pendant qu’au-dessus de toi versent deux nouvelles tonnes de drouille toxique et mêlée. Les ordures sont là, il n’est plus temps de les nier, il nous faut les « traiter » autant que possible, c’est-à-dire pas autant que l’on voudrait. Que faire des ordures ?

Deux fins possibles :

– Par ici, on compacte tant bien que mal la matière grossièrement triée, réunie par balles cubiques et thématiques (un bloc d’alu, un bloc de carton, un bloc de plastoc… surtout du plastoc, qui aura beau être recyclé se retrouvera pourtant in fine dans les océans, intégré au cycle de l’eau… je m’approche d’une balle de papier de deux mètres de haut, car je suis et serai toujours toujours attiré par le papier, et j’aperçois, saillant de la masse, surtout des prospectus publicitaires, quelques feuillets manuscrits dont des copies d’écolier corrigées en rouge, et même un livre ratatiné dont je réussis à lire une ligne, que j’oublie aussitôt), balles qui seront chargées dans d’autres camions, vendues une bouchée de pain à qui voudra les recycler à l’autre bout de la France (puis ? vers quel pays-décharge en voie de développement ? sachant que le mot développement, aussi mythique que l’alchimie, désigne justement le mode de vie insane qui produit les déchets).

– Mais par là le résidu, tout de même une moyenne de 40% de « refus » , c’est-à-dire de déchets juste bons à brûler, direction l’incinérateur et le ciel, anus mundi. 40%, contre 20% à l’échelle nationale : elle a bonne mine Grenoble la « capitale verte » .

Parmi les observations sociologiques les plus fulgurantes : dans la salle où les « opérateurs » (c’est leur titre professionnel) trient à la main nos déchets sur des tapis roulants, dernière tâche que les machines ne savent pas faire, la plus sale, la plus ignoble et la plus dangereuse (oui, bien sûr qu’il y a des tessons de verre et tant d’autres débris intrus qui n’ont rien à faire là, et vous, vous triez impeccablement, chez vous ?) 100% du personnel, du moins le jour de ma visite, était constitué d’hommes noirs, nous les regardions travailler à travers des vitres, dans leurs gilets jaunes. Qu’est-ce que cela dit de notre monde ? Qu’est-ce que cela dit de l’abolition supposée de l’esclavage (l’esclavage a été aboli en France au moins quatre fois, 1315, 1794, 1815, 1848 et qu’est -ce qu’un commerce qu’on a besoin d’abolir régulièrement) ? Qu’est-ce que cela dit de notre principe d’enfouissement ? Qu’est-ce que cela dit de la République Française ?

Terminons sur un peu de poésie, faute de quoi nous ne nous en sortirons jamais. Dans cette magnifique chanson, Jeanne Cherhal visite une station d’épuration, Et sachez qu’en hiver/Inhaler au grand air/Le ventre de la terre/On dirait du Baudelaire.

La tête en compote

19/05/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui 19 mai 2023 (deux ans jour pour jour après Nanabozo), surgit en librairie La théorie de la compte, éditions l’Atelier du Poisson Soluble.

Les théories du complot imprègnent l’air ambiant. Réchauffement climatique, premier homme sur la lune, attentats, vaccins, morts célèbres, grand remplacement, sociétés secrètes… Plus ou moins farfelues, mêlant dangereusement le vrai et le faux, elles forment un fascinant phénomène imaginaire, et même, lâchons le mot, littéraire : un mythe moderne. Voilà qui valait bien un livre.

Et même, pratiquement, deux : La théorie de la compote suivi de La compote de la théorie. Côté pile une fiction, surenchère burlesque / côté face un bref essai, pense-bête scientifique, qu’on lira dans l’ordre qu’on voudra.

C’est Olivier Belhomme, éditeur, qui a eu l’idée de cette double entrée : « Elle est bien, ta Compote, Fabrice, mais tu ne peux pas la balancer comme ça toute nue, de nos jours le sujet est trop sensible pour courir le risque du malentendu, tu aurais l’air de dire que tout se vaut, le vrai, le faux… Ton texte a besoin d’un autre texte qui l’accompagne, peut-être une préface, ou une postface ? »

J’ai rechigné, temporisé, hésité, rappelé qu’il n’y a rien de pire ni de moins drôle qu’une blague qui a besoin d’être expliquée… Mais je l’ai écrit, ce second texte, finalement convaincu par la forme tête-bêche de la maquette, un livre à l’endroit, un livre à l’envers, comme un rappel subliminal qu’en toute chose il vaut mieux considérer les deux aspects. Parfois, les éditeurs ont raison. Merci Olivier.

Et puis, c’est un livre violet. Je n’en avais pas encore, de livre violet. Jolie couleur. Un rapport entre la nuance lilas et le contenu du livre ? Oh ben forcément, puisque tout a un rapport avec tout, c’est le principe même du complotisme, jeu merveilleux et infini qu’ailleurs on appelle apophénie.

Voyons voir… Qu’évoque le violet ? Première image qui vient ? Le chocolat Milka. Milka, aussi suisse que le secret bancaire est évidemment associé à un complot lié au Covid-19 (« mille cas » , comme par hasard) ! Interrogeons aussi le langage des fleurs : la violette signifie Notre secret est bien gardé (complot !). Cette couleur violette est également celle des évêques (Vatican = complot !) et, plus tardivement, celle du féminisme (lobby = complot !), bref on n’est pas sorti des mailles du filet ! Qui est le coupable ? Le Cluédo nous avait prévenus, c’est le professeur Violet dans la bibliothèque.

Veuillez noter dans vos agendas : le samedi 24 juin à 18h, cet ouvrage sera officiellement inauguré en la librairie La Caverne, 11 rue Montorge, Grenoble. Lecture, dédicace, rencontre, et même un peu de musique, avec Marie Mazille en très spéciale guest-star. Donc nous chanterons.