Racisme anti-blanc ?
Jean-François Copé, poussant ses pions dans la guéguerre des chefs de l’opposition, a réussi à se faire remarquer par sa sortie sur le « racisme anti-blanc ». Je rumine cette histoire, cette curieuse association de mots… À ma propre stupéfaction je crois que Copé a raison. Je crois que le racisme anti-blanc existe, mais voilà qui m’inquiète : mon acquiescement ferait-il de moi un allié objectif de Copé, voire des Le Pen ? Cela m’oblige à un examen de conscience.
Il me semble que le racisme, comme son corolaire la bêtise, est universel, on-ne-peut-plus banal au sein de l’humanité. « Ces gens-là ne sont pas comme nous » , phrase archaïque qui permet de se faire une idée de qui nous sommes et donc d’apaiser notre angoisse. Selon l’endroit où l’on cherche, on débusquera ainsi sans se fouler des manifestations de racisme anti-blanc, anti-noir, anti-arabe, anti-jaune, anti-juif, anti-gitan, anti-roux, anti-gros, anti-anorexique, anti-handicapé, anti-jeune, anti-vieux, anti-riche, anti-pauvre, anti-intelo, anti-prolo, anti-femme, anti-homme, anti-homo, anti-hétéro… Il n’y a qu’à se baisser. Anti-tout. Modèle de société compatible avec le néo-libéralisme en cours de victoire hégémonique : la guerre de tous contre tous. (Aux dernières nouvelles Laurence Parisot dénonce le « racisme anti-entreprise », ce qui n’est pas fait pour clarifier le concept.)
Le racisme, selon cette acception extensive, est le prêt-à-penser très bien distribué qui permet d’avoir un avis sur son voisin sans le connaître, d’avoir peur de lui, et de le détester. Par exemple, si l’Union Européenne, fondée en 1957 sur les échanges économiques (et non sur les échanges culturels), court actuellement le risque d’exploser, c’est que la crise économique vaporise l’idée même d’union, et exacerbe partout-partout la haine des autres : les Français détestent les Anglais qui détestent les Allemands qui détestent les Grecs qui détestent les Italiens qui détestent les Polonais et ainsi de suite, nous sommes 27 en tout, à nous détester sans frontières (pendant ce temps les Belges se détestent entre eux – c’est normal, ils ont un rang à tenir, la Belgique abrite la capitale de l’Europe).
Je me souviens d’une scène particulièrement violente de Do the right thing (Spike Lee, 1989) où dans une série de travellings qui giflaient le spectateur, un blanc (italien) face caméra insultait les Noirs, un noir maudissait les Blancs, un WASP vomissait les Chinois, un chinois dégueulait les Latinos, etc. Spike Lee filmait en 1989 une société américaine tétanisée, à cran, en sueur, prête à se dévorer elle-même – la situation a-t-elle changé depuis que le Président des Etats-Unis est noir ? Fantasmons deux secondes : la France s’apaisera-t-elle le jour où elle élira un Président d’origine maghrébine ?
En attendant, le racisme « anti-gaulois » est un fait avéré dans les banlieues que les Gaulois ont ghettoïsées, je suis d’autant prêt à le croire qu’incidemment il m’est arrivé d’en faire les frais. On se demande donc par quel prodige le racisme anti-blanc serait le seul au monde à ne pas exister et, a priori, Copé ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Pourquoi en ce cas son truisme laisse-t-il un sale goût dans la bouche ? Peut-être parce que cette acception que j’ai qualifiée d’« extensive » du racisme prête au fond à confusion, en évacuant le sens initial, absolu, du mot Racisme, c’est-à-dire l’idéologie pseudo-scientifique de hiérarchisation des groupes humains, rancie quoique toujours opératoire, qui a théorisé et permis le colonialisme, soit l’origine de pas mal de maux d’aujourd’hui. Le paradoxal « racisme anti-blanc » serait une sorte de révisionnisme par le lexique : si l’on dilue comme Copé le racisme dans les racismes, perdant de vue l’Histoire, si l’on oppose terme à terme le racisme anti-blanc au racisme commis par les blancs, alors toute chose est égale par ailleurs et nous avons bien raison de ne pas les aimer puisque vous voyez bien, ils ne nous aiment pas, alors que nous sommes chez nous, merde, on les accueille dans notre pays et en plus ils ne nous aiment pas, ces ingrats. Et c’est là qu’on aperçoit la démagogie de Copé, c’est là qu’on comprend que ces ambiguïtés terminologiques profitent au FN : Marine a beau jeu de réclamer « une loi contre le racisme anti-blanc », comme si une loi contre LE racisme n’existait pas déjà dans la République.
En somme, comme le rappelle Humpty Dumpty, la question n’est pas de savoir ce que les mots veulent dire mais de savoir qui est le chef. Dans la mesure où les Blancs ont massivement le pouvoir, le racisme des Blancs est tout de même plus prégnant et plus toxique que le racisme dont souffrent les Blancs.
(La problématique est rigoureusement la même lorsque des petits malins masculinistes s’insurgent paradoxalement contre le « sexisme des femmes envers les hommes »… Mais jusqu’à nouvel ordre, qui détient le pouvoir, les hommes ou les femmes ? Et sur lequel des deux « sexismes » se fonde ce pouvoir immémorial ? De même, le précité racisme anti-entreprise de Parisot est une bonne blague, un retournement rhétorique victimaire, qu’il est aisé de démasquer puisque manifestement ce sont les classes laborieuses classes dangereuses qui souffrent de préjugés, de parcage et d’oppression depuis que la révolution industrielle a inventé la lutte des classes.)
Je pèche sans doute par naïveté tendance Yakafokon, tant pis : je crois que la première mission sociale du gouvernement actuel, sans doute trop ardue pour lui, est de changer les mentalités, réconcilier les Français, après un quinquennat qui a hérissé les communautarismes et les hostilités, accroissant systématiquement les inégalités. Pour cela, il faudrait aller au charbon, sur le terrain, dans les cités, ailleurs, faire reculer la bêtise raciste sur tous les fronts, démontrer économiquement et socialement aux Français des banlieues qu’ils sont Français comme les Gaulois… Au lieu de cela, la gauche s’indigne à bon compte et dénonce « les propos très graves » de Copé. Ah, ouais ? Et puis ? Faut-il remédier aux mots ou aux choses ? Moi je vote Humpty Dumpty.
Quel vaste et beau champ de réflexion, la Politique, quand elle revient aux sources : pourquoi et comment vivre ensemble.
Merci, Fabrice, de partager ta pensée.
Mais comme il est cruel, en comparaison, de constater à quel point nous sommes sevrés de politique véritable : pas de pensée mais des simplifications ; pas de partage mais de la persuasion.
Tu peux te présenter où tu veux (même chez moi), je vote pour toi.