El árbol y el palo (Troyes épisode 64)
Oui, pourquoi au juste ai-je la néoténie en tête ?
Eh bien, parce que mon mode de vie actuel me renvoie à un stade antérieur de mon existence. Superficiellement, je vis un peu comme lorsque j’étais étudiant (euh… quelques excès en moins, sans doute, j’ai l’âge de mes artères, pas celui de mon agenda). C’est-à-dire que j’éprouve la rude expérience de la liberté mais ne perds jamais de vue la tâche à accomplir. Livré à moi-même, j’effectue comme un yoyo des allers-retours à vélo entre ma garçonnière et la bibliothèque. Mais surtout, plus profondément, je redécouvre que l’on peut consacrer son temps à lire, à écrire, à apprendre, et cela ne me renvoie pas seulement à mes années de campus (la solitude de l’étudiant en sociologie : Un homme qui dort, un extrait à lire et relire ici), mais bien plus tôt encore. C’est étonnant, je suis élève.
J’apprends. Entre autre, puisque je m’échine à enquêter sur une histoire hispanophone ayant laissé assez peu de traces en langue française, j’ai décidé d’apprendre l’espagnol, langue dont j’ignore à peu près tout. J’ai emprunté une méthode à la médiathèque, et je m’astreins à une heure quotidienne d’espagnol (l’ironie du sort étant que, jusque là, le vocabulaire de base vise explicitement à se débrouiller dans les magasins). L’espagnol, comme toute langue je suppose, est fort intéressant à découvrir pour un novice, qui commencera par débusquer des faux-amis révélateurs comme des lapsus : ¡que ilusión! signifie Qu’est-ce que je suis content ! Eh, fais voir ton planning, t’as quoi ce matin ? 9h-10h, espagnol. Ah bon ? Comme hier, alors. Et t’as qui comme prof en espagnol ? M. Berlitz. Ah. Paraît qu’il est sympa…
Une autre question récurrente pendant les rencontres scolaires est « Quand vous étiez petit, vous aimiez l’école ? » Et je sens bien que je déçois toujours un peu les enfants, ils espèrent vaguement m’entendre déplorer « Ah, non, j’avais horreur de ça », une charge de ce genre leur ferait plaisir, les défoulerait un peu, me placerait de leur bord face à la maîtresse, un micro-tabou serait brisé et sinon à quoi bon inviter un écrivain. Hélas je suis bien obligé d’avouer que j’aimais l’école, j’aimais apprendre, j’aime toujours. Je regrette que l’apprentissage intellectuel soit dans nos vies cantonné à une certaine période, première, éphémère, période de souplesse de nos cellules grises… Je prétends que la souplesse s’entretient, et j’espère bien que j’apprendrai toute ma vie, peut-être même apprendrai-je à jouer de la lyre le jour de ma mort, ce serait classe, comme néoténie. ¿Comprende, compañeros?
ELSA – Oui mon vieux, c’est là un des grands principes de l’existence : plus on vieillit, moins on apprend. Au début, tout bébé, on apprend le plus difficile, et qui nous servira le plus longtemps : voir, entendre, goûter, toucher, pleurer, parler… Sentir sa maman… Sa grande sœur… Reconnaître ce qui bouge, et les couleurs… Ensuite, à l’école, on apprend le reste de ce qui est encore un peu utile, lire, écrire, compter… Énumérer les rois de France avec leurs dates de naissance et de mort… Mais une fois qu’on est adulte, c’est terminé, on n’apprend plus grand-chose. À ton avis, pourquoi les adultes regardent le journal de vingt heures ? Pour se donner l’impression d’apprendre quelque chose dans leur journée, tiens. Mais c’est peine perdue : ce qu’ils apprennent à vingt heures, c’est largement moins essentiel que lire, écrire, compter… Ou même pleurer, appris en premier.
Jean Ier le Posthume roman historique, p. 89. Roman un peu périmé, d’ailleurs, « historique » pour le coup, parce qu’aux dernières nouvelles plus grand monde ne regarde le journal de vingt heures.
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