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Faire simple (Troyes épisode 57)

J’avais offert mon roman Jean II le Bon, séquelle à Susie Morgenstern, pour des raisons sentimentales expliquées ici. Un an plus tard, je passe, entre un salonduliv et une rencontre scolaire dans la bonne ville du Gua, quelques heures charmantes en compagnie de la délicieuse Susie, bloc de générosité, de tendresse et de bonne humeur qui rend plus agréable votre journée et, grosso-modo, votre vie. Elle trouve finalement l’occasion de m’en parler, de ce Jean II, qui lui a été un pensum. Elle semble triste d’être déçue, ou réciproquement. Elle qui avait tant aimé TS, ou Les Giètes, ou même La Mèche (alors qu’elle déteste Noël), aujourd’hui elle enfile des gants, saisit des pincettes, et prend toutes les précautions pour m’avouer sans me blesser que ce livre-là, non, elle n’a pas pu.

– Mais Fabrice, c’est bien trop alambiqué pour ce qu’il s’y passe. Aucun ado ne parle comme tes personnages, tu les fais parler comme des agrégés de lettres, c’est du pur intellectualisme, moi je décroche, je n’y prends pas de plaisir… Ou alors, tu aurais dû prévenir, préciser qu’ils étaient élèves dans une école de surdoués… Personne chez ton éditeur n’est là pour freiner tes penchants ?
– Il faut croire que si, puisque mon manuscrit suivant n’a pas passé la rampe. Mais, une école de surdoués ? Euh, ben non, ce n’est pas ça du tout… Je le sais bien, Susie, qu’ils ne ressemblent pas à des vrais enfants, à des vrais ados, à des vrais dialogues, ça fait même partie du plan. Contrairement à d’autres de mes livres, dans Jean Ier et II je ne cherche pas du tout le réalisme. Le modèle originel de ces deux romans, au fond, c’est Enid Blyton, c’est le Club des cinq, ce sont des enfants qui, de façon pas le moins du monde réaliste, partent à l’aventure. Si l’on y réfléchit une seconde, il est à peu près aussi crédible que le Club des cinq coure à la chasse aux voleurs et aux faux-monnayeurs, que mon trio se mette à discuter sémiotique de l’image et analyse génétique du texte dans la cour de récré. Mes héros partent à l’aventure aussi, sauf que c’est une aventure intellectuelle.
– C’est TROP intellectuel. Tu es intelligent, mais si tu n’es qu’intelligent, tu ne pourras pas écrire un livre qu’on lit avec plaisir. Laisse-toi aller ! Sois simple ! J’aimerais te faire travailler dans un atelier d’écriture, et tu n’aurais qu’une seule consigne : sois simple. Tiens, prends Marc Lévy, par exemple… Attends, non, pardon, pas Marc Lévy tout de même, c’est trop bête. Mais tu vois, c’est cette direction… Sauf si tu ne vises que la postérité.
– Bah, non, je ne vise pas ça non plus. Quand je suis déprimé je doute de la postérité du livre en général. Alors, la postérité des miens…

Je gamberge sur cette conversation. Je ne peux la balayer d’un revers de manche. Les conseils des pros sont toujours bons à prendre, surtout lorsqu’ils sont dispensés avec bienveillance (Susie m’aime bien, et elle souhaiterait sincèrement, quoique naïvement, me voir écrire un best-seller), mais je ne tiens pas à être simple à tout prix. Je suis ravi si je le suis, quand je le suis, et comme tout le monde je suis fâché si on ne prend pas de plaisir en me lisant ; pour autant je n’ai pas envie de me fixer la simplicité comme but à atteindre. Je suis sûr, ceci je le sais en tant que lecteur, qu’il n’y a pas que la simplicité qui donne du plaisir. J’adore Susie, j’aime certains de ses livres, elle est un écrivain naturel et débordant, parce que son talent se confond avec sa générosité, mais je ne peux ni ne veux écrire comme elle. Chacun écrit comme il peut, voilà le secret, et on peine à faire aboyer un chat.

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