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À quoi bon calculer la durée d’un sourire (Troyes épisode 45)

Je souffle, le salon de Troyes s’est achevé hier. Six jours plus tôt j’étais content qu’il démarre, et puis là je suis content qu’il se termine (finalement je suis toujours content, pas difficile le gars), parce que j’ai eu ma dose. Ce salon est sans aucun doute l’un des plus beaux de ma carrière de salonnard (gens charmants, organisation fluide, public pléthorique, bouffe trois étoiles etc., merci à toutes les petites mains), mais il n’empêche que cinq jours pleins, cinq jours de brouhaha et de rencontres, c’est éprouvant. Ou alors c’est parce que je vieillis. Je deviens scheik, comme disait l’autre.

Les rencontres scolaires se sont révélées fertiles, je pense particulièrement à une classe de 2de qui avait non seulement lu, mais très bien lu, Les Giètes, ce livre difficile, et avait des choses à dire à son sujet, nous avons donc causé ensemble d’histoire, de politique, de littérature, de nos rapports respectifs à nos vieux – dans ce cas la « rencontre » devient un vrai échange, on reçoit autant qu’on donne (l’autre classe, qui, deux jours plus tard à pourtant vu le spectacle, était beaucoup moins motivée et réceptive, tant pis, on prend ce qui vient, c’est le principe).

De mon côté, parce qu’il faut bien aussi penser à ce que j’ai à offrir, et aux mômes qui me voient débarquer en se disant eux aussi « on prend ce qui vient », la seule rencontre que j’ai foirée, et j’en suis sincèrement déçu comme d’un rendez-vous manqué, c’est celle à l’école de l’hôpital. J’avais beau être prévenu que le groupe serait imprévisible tant en nombre qu’en âge, je n’ai pas vraiment su m’y prendre face à ces enfants empêchés, coincés pour deux jours ou six mois dans une classe encore plus hétéroclite qu’une classe unique de campagne… J’ai eu du mal à trouver des mots qui s’adresseraient aussi bien à une ado de 14 ans qu’à un petit garçon de 6 ans et demi, n’ayant en commun qu’une santé en berne, alors au bout du compte je n’ai à peu près rien dit. Notre rencontre maladroite a tourné court, nous avons gentiment pris le goûter ensemble mais je doute de leur avoir apporté quoi que ce soit. L’instit a tenté de relancer : « Vous n’avez pas une question à poser à Fabrice pour savoir comment on fait un livre ? » Le garçonnet de 6 ans, des bandages couvrant tout le bras et la main droites, et traînant son goutte-à-goutte par déambulateur : « Oui, moi, j’ai une question. Comment on fait pour écrire un livre si on peut pas se servir de sa main ? » Glups. Ben… Euh… Tu peux dicter, tu peux taper sur un clavier avec l’autre main, tu peux parler au lieu d’écrire, tu peux écrire dans ta tête en attendant le moment où tu pourras à nouveau le faire noir sur blanc… Mais, je reconnais, rien de tout cela n’est facile. Pardon.

Comme d’habitude, sur le salon lui-même mon bilan comptable est piteux (j’ai peu signé, une vingtaine de bouquins en cinq jours), sans proportion avec le bilan humain qui, lui, est très précieux : le plus grand plaisir reste le voisinage de stand, l’apprivoisement mutuel (je l’ai vérifié bien souvent). J’ai retrouvé des-que-je-connais (Anne Jonas, Franck Prévot, Jean-Marie Defossez, François Place, les impayables duettistes Bernard et Roca, Yann Degruel), et découvert des-que-je-ne-connais-pas-mais-je-ne-demande-qu’à-faire-connaissance. Je me souviendrai de mes conversations avec Ramona Badescu (et ce qu’elle m’a raconté restera, pour moi, l’histoire la plus extraordinaire de ce salon, ah, je vous jure, mais je ne vous en révèlerai rien, cette histoire lui appartient), avec Frédéric Kessler, avec Serge Bloch (LE Serge Bloch), avec Kris Di-Giacomo, avec Clémence Pollet (précédente résidente), avec Max Ducos (quel gars étonnant ce Max Ducos, gentleman minutieux et élégant, qui cache dans son carton à noirs desseins des facettes légèrement plus trash), avec Benoît Charlat (lui aussi stupéfiant, extra-terrestre), avec Rolland Auda, et même avec Anne Fine, charmante et rigolote tendance pince-sans-rire comme une anglaise, d’ailleurs elle est anglaise, et j’ai eu l’honneur de lui servir d’interprète avec mon louzi inegliche aksinte, lors de son interview pour la télé locale. Sans oublier deux auteurs en simple visite sur le salon : Jean-Philippe Blondel et Vincent Karle.

Et voilà, rideau, salut la compagnie, je retourne au silence, à la solitude, à l’écureuil, et je vais essayer d’écrire un peu. Le vent souffle, les feuilles volent, la pluie tombe enfin et le ginkgo jaunit, je me remets au travail.

Mais comment mesurer la hauteur d’un frisson
À quoi bon calculer la durée d’un sourire
Les plaisirs entrevus et qu’on voudrait décrire
N’existent déjà plus et n’ont d’autre leçon.
(Galoube, un jour où il avait le bourdon.)

Pour nous consoler, voici un nouveau jeu concours, a priori destiné exclusivement aux quatre Troyens parmi les onze lecteurs de ce blog : le premier de vous quatre qui localisera la rue où j’ai pris la photo ci-dessus gagne un Flux ou un J’ai inauguré IKEA, au choix.

  1. 19/10/2011 à 19:56 | #1

    mon commentaire s’est envolé…
    alors, frangin, je t’embrasse tout simplement

  2. Laetitia
    14/11/2011 à 19:36 | #2

    Je suis passée devant tout-à-l’heure, vers le 85 ou 87 de l’avenue du Président Wilson) mais il est peut-être trop tard…Bonne soirée!

  3. 14/11/2011 à 20:23 | #3

    C’est plutôt au niveau du 83, mais bah, on va dire que c’est gagné, félicitations. Quel lot choisis-tu ? Le Flux ou IKEA ? Mais peut-être les as-tu tous les deux ?

  4. Laetitia
    14/11/2011 à 20:50 | #4

    Après mûre (et courte!) réflexion, ce sera Le Flux! Merci! Je suis aussi contente qu’un enfant qui aurait trouvé un Carambar.

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