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Corbier pas mort (Troyes épisode 37)

Essayez de taper « François Corbier » dans la gueule béante de Google. La première association de mots que vous suggèrera l’oracle est « François Corbier mort ». Ce qui signifie que les gens qui cherchent des renseignements sur Corbier souhaitent le plus souvent savoir quand il est mort, de quoi, dans quelles circonstances, et à quel âge (histoire de vérifier s’il fait partie du Club des 27).

Or je suis en mesure de certifier que Corbier est vivant : je l’ai vu chanter hier dans un troquet de Troyes. Je me demande si Corbier est au courant, pour Google. Il y aurait de quoi choper un maousse bourdon. Lui qui est la bonne humeur incarnée et barbue. Ou alors, il est mort et n’est pas au courant, parce qu’il n’a pas Internet. Il a dans son répertoire une chanson rigolote sur les chanteurs morts, à la fin de laquelle il se présente comme « le seul chanteur mort encore un peu vivant ».

Corbier est prodigieusement sympathique. Archéo-chansonnier et gibier de potence (son pseudonyme est une déformation du vrai nom de François Villon, François de Montcorbier), il porte gaiement ses refrains anars, sa chemise noire, son swing à la guitare, sa gouaille douce, ses amours risibles et ses gentilles satires anti-nucléaires, ses micro-chansons de trois secondes (et voici la chanson du pompier qui repeint un pont. Attention, une, deux… Peint ! Pont ! C’est fini) et ses blagues rodées mille fois (Pardon, je suis en retard, je me suis perdu en route… J’ai demandé mon chemin à un agent, il m’a dit, mais, c’est vous ? c’est vous ? c’est bien vous ? Je vous connais, je vous regardais quand j’étais petit, vous étiez dans Dorothée ! J’ai répondu, euh, non, pas tout à fait, j’étais à coté…) Parfaitement insoucieux de toute ringardise, il n’est par conséquent pas ringard pour un poil.

Pourquoi je raconte Corbier sur un blog dont la fonction est plutôt de purger mes états d’âme d’auteur en résidence ? J’y viens. À un moment donné, Corbier nous dit : « Il y a deux sortes de chanteurs. Il y a les juke-box, qui ont derrière eux un stock de chansons connues et martelées par les radios, qui montent sur scène pour les rabâcher à l’identique, le public est content, il a entendu la même chose qu’à la radio, et le juke-box a bien gagné sa vie. Et puis il y a les autres, qui sans vraiment gagner leur vie chantent dans des petits lieux comme celui-ci [le bistrot était particulièrement bruyant, les mangeurs et les buveurs concurrençaient le chanteur en décibels, parfois jusqu’à la pure et simple impolitesse], ils chantent leurs chansons que vous connaissez, ou pas, peu importe. Je suis de cette catégorie. Je chante encore parce que j’aime ça » .

Je sens que je suis de la même catégorie. Je me verrais bien, voilà tout le mal que je me souhaite, écrire et chanter encore à 65 ans mes chansonnettes que personne n’écoute, tout seul au fond de ma fumerie, pour un public de vieux Chinois. Les derniers albums de Corbier ne sont pas distribués. Ils sont en vente exclusivement par correspondance sur son site personnel, ou alors en direct sur les lieux de concert. Vous savez ce qu’elle vous dit, l’auto-édition ?

Londonomètre : mille à l’aise, mais pas sûr ça tienne à la relecture demain.

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