Battre le fer tant qu’il est froid
Fais péter du Flaubert ! « Je me suis remis à travailler. Car l’existence n’est tolérable que si on oublie sa misérable personne. » (Lettre à George Sand, 29 avril 1872)
Et retournons sur le métier.
Je viens de recevoir un coup de téléphone de mon éditrice chez Magnier. Le texte de mon Jean II le Bon ne convient toujours pas. Ce roman est trop long, trop savant, trop répétitif, elle décroche. Il me faut en remettre une couche, affiner derechef le bazar. Je soupire. Je me retrousse les manches de la tête. Verbatim :
– Ah, et au fait, je reviens d’une réunion avec Thierry et les commerciaux… Jean II le Bon séquelle est décidément un titre impossible, ça a fait rire tout le monde…
– Rire ? Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. C’est un très bon titre, séquelle. Un jeu de mot franco-anglais qui a du sens…
– Oui, sauf que personne ne le comprend, ton jeu de mot. On ne sait pas ce que c’est une « sequel », tout le monde n’y entend que la « séquelle » médicale, ça ne donne pas envie…
– Eh ben ils n’ont qu’à lire le livre, ils comprendront !
– Ah, Fabrice, ça ne marche pas comme ça… Ils faut comprendre le titre avant de lire ! Sinon le livre ne se vend pas… Et ce serait bien qu’il se vende un peu, ce livre…
– Hon-hon, ah ouais, d’accord, je vois le genre, bonjour l’argument oiseux… « Vendre le livre », bien sûr, je n’avais pas envisagé les choses de cette façon… On n’est pas au Fond du tiroir, ici… Bon, puisque ces messieurs du commerce ne veulent pas de séquelle, on se rabat sur réplique, tant pis.
– Eh, non : réplique, ils n’en veulent pas non plus.
– Hein ? Mais pourquoi ? ça les fait marrer, ça aussi ? Ils ont un drôle d’humour, les commerciaux.
– Allez, courage. Tu as une semaine pour me trouver un nouveau titre. Et revoir ton texte, aussi.
Étrange salto arrière du destin : ce livre qui n’en finit pas de finir n’a d’abord existé que par son titre, aboli in fine. En 2005 ou 2006, lors de mes premières rencontres scolaires en service après vente du Posthume, les mômes me demandaient : « Tu vas écrire la suite ? » Ah, sûrement pas ! Jamais de la vie ! J’ai horreur des suites ! Mais si jamais je l’écrivais, j’aurais un titre tout trouvé, l’évidence même, la bonne blague : Jean II le Bon, séquelle. Lorsque je m’y suis mis en joyeux renégat, j’ai empilé tout le livre sur ce socle. Cinq ans plus tard, le livre est écrit, et on sape sa base. Est-ce grave ? Je ne sais pas. (1)
Dans le fil de la conversation, j’ai appris en outre la date de sortie de ce livre innommable : 15 septembre. Plus tôt que je croyais. Très bien. Ainsi, je publierai deux livres cet automne : Jean II le bon whatsizname chez Magnier, mon opus 11, et peu de temps après, La légende du monde au Fond du tiroir, ouvrage qui marquera son statut d’opus 12 en étant entièrement rédigé en alexandrins. Parfaitement mesdames messieurs. Et il ferait beau voir que les commerciaux qui distribuent les livres du FdT réunis en conclave (uh ! uh ! uh ! le tableau ! mon tour de rire !) tentent de m’en empêcher.
Voilà pour mon pain sur la planche. Et à part ça ?
Et à part ça, je viens, toute pudeur bue, de pleurer à chaudes larmes en regardant cette vidéo, est-il possible d’être aussi sentimental.
L’idée que d’un seul coup, par magie, surgisse dans la vie ordinaire un moment où l’on chante (juste) et où l’on danse (en mesure), un moment de pure joie et de délire et de cohésion, me bouleverse, aux larmes, je vous jure. J’en tire exactement le même type d’émotions que des comédies musicales, qu’elles viennent d’Hollywood ou de Bollywood. Une comédie musicale est une utopie, un rêve d’harmonie sociale, il y a sûrement quelque chose de politique, au fond de ces larmes.
(1) – Et voilà que je lis une interview avec Jean-Luc Godard dans Les Inrocks, juin 2010 : « J’ai toujours des titres d’avance, qui me donnent une indication sur des films que je pourrais tourner. Un titre précédant toute idée de film, c’est un peu comme un la en musique. J’en ai toute une liste. »
Moi, franchement, je te le dis comme je le pense : j’aime bien séquelle. Mais je ne suis pas ton éditeur (thanks God or whoever deals with those things). Du pain sur la planche, cet été, donc… et où donc en est le mi-temps (thérapeutique?) consécutif à cette belle bourse que l’on t’a attribuée? bises
Si je puis me permettre… après réflexion: peut-être, en effet, qu’une personne (allez, un ado, disons) ne faisant pas le lien entre le français séquelle et l’anglais sequel (joli mot, soit dit en passant, surtout lorsqu’on le prononce) pourrait être déconcertée par le titre, admettons… dans ce cas, pourquoi ne pas l’appeler Jean II le Bon, et basta (et basta ne faisant pas partie du titre, entendons-nous bien)… Jean II le Bon, c’est bien, non? Moi ça me donne envie, en tout cas… et puis aussi: peut-on en savoir un peu davantage sur La Légende du Monde? Livre-objet? Illustré? Grand? Petit? Protéiforme? ou bien est-ce un secret… Re-bises
Eh bien, disons que ‘La légende du monde’ est une expérience d’hybridation transgénique in vitro de ‘la légende des siècles’ de Victor Hugo et du journal quotidien ‘Le monde’. Le résultat sera une chimère fort curieuse et peut-être totalement illisible, et nous envisageons de l’imprimer sur papier journal, ou alors papier bible, on réfléchit encore…
Ah mais si, c’est très bien, ça : « Jean II le Bon et basta », moi ça me plaît bien (et comme ça on sait qu’il n’y aura pas de Jean III…)
Jambon le Deux ?