« Le style ? C’est l’homme même ! » (Céline)
« À bas le style » ? C’est un-peu-court-jeune-homme, même en provenance de Picasso. Je n’allais tout de même pas me laisser dire ça sans broncher !
Pour le pur plaisir de la dialectique, j’oppose Céline à Picasso, parce que les jours se suivent et ne se ressemblent pas, mais peuvent se chamailler. Ils vont se gêner.
Rappelons tout de même, pour contextualiser la démonstration, que Louis-Ferdinand Céline après-guerre se définit exclusivement comme « homme à style » afin de dénigrer la « littérature à idées ». Cette position est stratégique : elle sert à désavouer implicitement (car il ne le fera jamais explicitement) certaines « idées » qu’il aura trop défendues avant-guerre…
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« Alors voilà : pour tout dire, je regarde les romans de mes contemporains, je me dis : « ça signifie déjà du travail, mais du travail inutile. » Voilà ce que j’en pense. Parce qu’ils ne sont pas à la mesure de l’époque, ni dans le ton de l’époque (…)
Il faut tenir compte que le roman, puisque c’est là-dessus qu’on me demande de donner ma pensée, le roman n’a plus la mission qu’il avait : il n’est plus un organe d’information. Du temps de Balzac, on apprenait la vie d’un médecin de campagne dans Balzac. Du temps de Flaubert, la vie de l’adultère dans Bovary, etc., etc. Maintenant, nous sommes renseignés sur tous ces chapitres, énormément renseignés : et par la presse, et par les tribunaux, et par la télévision, et par les enquêtes médico-sociales. Oh ! Il y en a des histoires, avec des documents, des photographies… Il n’y a plus besoin de tout ça. Je crois que le rôle documentaire, et même psychologique, du roman est terminé, voilà mon impression. Et alors, qu’est-ce qu’il lui reste ? Et bien, il ne lui reste pas grand chose, il lui reste le style. (…)
Je dis que ce que l’on fait, ce sont des romans inutiles, parce que ce qui compte, c’est le style, et le style, personne ne veut s’y plier. Ça demande énormément de travail, et les gens ne sont pas travailleurs (…)
Eh bien, des styles, il n’y en a pas beaucoup dans une époque, vous savez. Sans être bien prétentieux il n’y en pas beaucoup. Il y en a trois ou quatre par génération – il faut dire la vérité, parce que, si je ne la dis pas, personne ne la dira. (…)
Je reviens à [mon] style. Ce style, il est fait d’une certaine façon de forcer les phrases à sortir légèrement de leur signification habituelle, de les sortir des gonds pour ainsi dire, les déplacer, et forcer ainsi le lecteur à lui-même déplacer son sens. Mais très légèrement ! Oh ! Très légèrement ! Parce que tout ça, si vous faites lourd, n’est-ce-pas, c’est une gaffe, c’est la gaffe. Ça demande donc énormément de recul, de sensibilité. C’est très difficile à faire, parce qu’il faut tourner autour. Autour de quoi ? Autour de l’émotion. (…)
[Mais] les Français sont soudés. Ils sont soudés au style Voltaire, qui était une jolie forme d’ailleurs, qui fut copié par Bourget, par Anatole France, et puis finalement par tout le monde. (…)
La France a passé l’âge de changer d’habitude. Il est donc très certain, presque certain, qu’elle ne va pas changer de style pour me faire plaisir. Alors moi, je gratouillerai toujours dans mes perfectionnements, mes raffinements, mais ça ne sert à rien du tout. On continuera toujours à publier du Bourget, de l’Anatole France, de la phrase bien filée, etc. Donc c’est un coup pour la gloire, c’est vraiment de la vanité. J’en suis au désespoir moi-même et, je vous prie, avec beaucoup de mal. Ceci dit, je n’ai plus qu’à me retirer. Je n’ai plus grand chose à dire. Non… Non… Je vous remercie. Ça va comme ça. Je crois. »
Extrait de Louis-Ferdinand Céline vous parle, monologue enregistré en octobre 1957 et publié sur disque microsillon dans la collection « Leur œuvre, leur voix » (Festival, 1958), réédité dans le coffret Anthologie Céline (Frémeaux et associés, 2000).
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Encore une citation sur ce blog ? Eh oui, encore. J’aime ça. D’ailleurs, en voici une autre : « Une citation est commode pour parler en public. Une citation est une béquille pour timide. Et je m’y connais, en béquille. » (Fabrice Vigne, Les Giètes, ed. Thierry-Magnier, 2007, p. 132)
Bon. Sinon, si vous êtes là, ce n’est pas seulement pour que je vous fasse part de mes lectures. Vous avez peut-être la gentillesse d’attendre de mes nouvelles ? Eh bien, j’ai la grippa (d’Aubigné), figurez-vous. Oui, LA grippa. Pour une fois que je rencontre quelqu’un dont on parle dans les journaux. C’est d’un commun ! D’un vulgaire ! J’en suis malade une seconde fois. J’aurais pu chopper un truc super-rare, un mal inconnu et bizarre, mais non, j’attrape la maladie à la mode, celle qui se refile dans le métro, les cours de récré, devant les guichets ou dans les files d’attente des centres de vaccination. Le plus rageant, c’est que je dois annuler mon voyage à Paris, le colloque à la BNF où j’étais censé exposer mon petit artisanat, le salon de Montreuil… Le docteur m’a dit : « C’est vous qui voyez, mais si vous intervenez en public, ce sera avec le masque »…
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