Je vous en fiche mon billet
À la une de Livre & lire, mensuel de l’Arald, figure une chronique intitulée « Les écrivains à leur place », rédigée par un écrivain différent chaque mois. Le rédac-chef du canard, Laurent Bonzon, a aimablement proposé de me la confier pour le numéro de janvier 2009.
J’ai d’abord hésité. Cette carte blanche, que je lis à peu près sans faute, est surtout le lieu de la complaisance narcissique d’auteurs en train de se regarder écrire (à l’exception notable d’Enzo Corman qui, l’an dernier, a malicieusement joué de sa colonne comme d’un sketch, très drôle, subversif comme sait l’être l’absurdité, portant pertinemment sur la communication médiatique des écrivains). Or, en ce qui me concerne, je dispose déjà d’un support où je me regarde écrire, et me complais narcissiquement : le présent blog. Qu’aurais-je à écrire dans cet article, que je n’eusse point pu écrire dans MA tribune au Fond du tiroir, ma jalouse liberté d’expression ?
Par association d’idées, j’ai tenté, en vain, de retrouver dans ma bibliothèque la page où Céline (est-ce dans un roman ? une interview ? quelque « tribune libre » de journal ?) raconte qu’il déteste les photographies où des écrivains prennent la pose, plume à la main, le regard pénétré de l’œuvre à venir. Céline trouve ces clichés aussi obscènes que si l’on avait tiré le portrait de ces messieurs-dames « de lettres » assis sur leurs toilettes, pantalon sur les chevilles… Toujours la métaphore scatologique associée à l’écriture, chez lui : écrire, c’est expulser de soi une forme noire et malodorante, qui vous rendrait malade si vous la gardiez à l’intérieur du corps.
Je lance, tiens, incidemment, le grand concours FdT de l’année : le premier ou la première qui me retrouvera la référence exacte de cette citation donnée ici de mémoire recevra le stylo bille série limitée Fond du Tiroir (ce n’est pas des craques, ça existe vraiment, qu’est-ce que vous croyez), afin de pouvoir écrire ce qui lui chantera à titre purgatif.
Bref ! Finalement je me suis dit qu’il serait goujat, et stupide, de dédaigner ce micro tendu par la Région (surtout avec ce que je dois à la Région), et je me suis fendu d’un texte qui me permettait tout à la fois d’exprimer ma gratitude, d’évoquer ma « place d’écrivain » (au fond du puits), et de parler d’autre chose. Voici ce texte.
L’orgueil du métier
Merci, l’Arald. Merci pour le soutien à « la vie d’écrivain », pour la tournée du PRAL qui m’a vu arpenter la région.
Merci pour l’étape à Saint Etienne. Le matin, avant mon intervention en librairie, j’avais du temps, des loisirs. J’ai cerclé sur le plan le musée de la mine. On pénètre d’abord le domaine fantôme, l’administration, le bureau des ingénieurs, la salle des pendus comme une cathédrale, puis les machines, lampisterie, chaufferie, centrale électrique, bassins de décantation, recette. Enfin on passe sous le chevalement. On prend l’ascenseur. On descend sous terre. On respire plus fort.
Dans le tunnel humide, le guide vante avec lyrisme la noble caste disparue.
« Les mineurs, aristocratie du prolétariat, accomplissaient le plus dur travail de la nation, le plus cruel et brave ! Des titans, des héros, une race éteinte de géants ! Leur prestige était tel que leur métier fut le seul mesdames et messieurs à orner jamais un billet de banque français (coupure de 10 francs, 1941-1949). Mais ne confondons pas… Il y a mineur et mineur… La mine n’est pas un métier mais cent ! Or, la tâche est distincte au fond et au jour, selon qu’on est pousseur, haveur, toucheur, boiseur, trieur, soutireur… Parmi eux, le seul vrai prince, l’audacieux colosse révéré de tous est le piqueur ! Celui qui nu se frotte à la terre, à même la paroi et abat le charbon ! Un quelconque mineur ne saurait se prévaloir d’être authentique piqueur, car un signe ne trompe pas : les poussières de charbon imprègnent la peau du piqueur, et ses bras, son visage, tout son corps, se voilent de dessins bleus. Qui porte ces tatouages, voilà le piqueur ! Voilà celui que l’on respecte. »
Et moi j’entends cela, je vois la peau bleue marbrée de mon pépé, j’apprends ce que je savais déjà : qu’il était prince, je m’éloigne au fond de la galerie rehaussée d’écrans multimédia, et j’essore mes yeux. Il en est mort à petit feu, d’être prince. Travail de titan, de billet de banque, mais travail de con, aussi, qui tue pour faire tourner la boutique « France ». Les mines ont fermé ? Tant mieux.
Merci pour tout, l’Arald. Pour le précieux soutien à « la vie d’écrivain ». Ce n’est pas la mine, allez.
Fabrice Vigne
(N.B. : sur la première ligne de l’article dans sa version publiée, les correcteurs du journal ont jugé bon de remplacer « tournée du PRAL » par « tournée du prix Rhône-Alpes du livre » – explicitation du sigle qui perturbe la métrique et entraîne deux génitifs successifs, c’est moche, ce n’est pas ma faute.)
Sur le couvercle de la cachette, une ombre de suie noire.