Marronnier
Jeudi 3 septembre 2009
Comme chaque année à date fixe, l’on peut lire ceci pour se remettre en train.
Ensuite, requinqué ou pas, l’on se penchera sur l’actualité, cyclique également. Car voici un autre marronnier, et plus sinistre, bois de menace, dévorante forêt : les expulsions se poursuivent au quotidien, dans notre beau pays la France, de misérables dépourvus de papiers. À peine le temps de signer une pétition, qu’un autre cas survient. Mais M. Eric Besson, excusez-du-peu ministredelimmigration- del’intégration- del’identiténationale- etdudéveloppementsolidaire (pour l’usage ici audacieux du vocable solidaire, cf. Debord, comme toujours), M. Besson donc, déclare ce matin à la radio : « Ah, non, je ne répondrai pas à votre question, je ne me ferai pas piéger, vous ne me ferez pas parler d’un cas particulier ». Ainsi les cas particuliers, c’est-à-dire les êtres humains, se noient en silence dans les statistiques, excellentes, qui démontrent l’efficacité des forces de police nationales.
Thierry Lenain, auteur avec Olivier Balez d’un admirable Moi, Dieu Merci, qui vit ici, s’est emparé d’un cas particulier. Celui d’un petit gars portant ce même nom, Chama Dieumerci, 6 ans, qui ces jours-ci tente de faire sa rentrée comme les autres enfants de 6 ans, malgré le risque d’expulsion immédiate pesant sur son père. Petit gars que Besson d’un revers de manche renvoie dans les statistiques.
Lenain adresse ceci à une liste d’auteurs dits jeunesse, dont je suis :
Bonjour,
La Cour d'appel de Paris a refusé hier de libérer le père de Chama Dieumerci.
Prochaine étape judiciaire : audience du Tribunal administratif de Cergy,
demain mercredi à 10h.
En attendant, je vous propose cette action :
Beaucoup d'entre vous à qui j'adresse ce mail ont au moins un livre jeunesse
sous la main. Parce que vous êtes auteurs, illustrateurs, libraires,
bibliothécaires, médiateurs, enseignants, parents...
Prenez ce livre. Imprimez et signez la lettre ci-jointe.
Monsieur le Préfet de Seine Saint-Denis,
Je voudrais aider M. ABEL GABRIEL à constituer la bibliothèque
de son fils, Chama Dieumerci. Mais je ne sais pas où le joindre. Aussi
je me permets de vous confier ce livre pour que vous le lui fassiez
remettre. Vous êtes en effet celui qui a entre ses mains la vie de ce
père et de cet enfant.
Je profite de cet envoi pour vous demander instamment et avec
confiance d'user de votre pouvoir discrétionnaire pour abroger
l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière de Mr ABEL GABRIEL,
pour prononcer sa régularisation et ainsi permettre à ce père et son
fils de 6 ans né en France de se retrouver et de vivre ici, en paix,
parmi nous.
Respectueuses salutations,
XXX
Préfecture
Monsieur MEDDAH Nacer
1 ESPLANADE JEAN MOULIN
93007 Bobigny Cedex.
Si vous avez envie de participer à cette action, ne vous demandez pas trop
si elle est vaine ou pas. Ne vous demandez pas trop si les autres vont le faire
ou pas. Et surtout, ne remettez pas cet envoi à demain, postez ces livres
DES AUJOURD'HUI.
Merci.
J’obtempère immédiatement, ravi d’accomplir un geste plus effectif qu’une pétition supplémentaire – et ma foi si c’est une illusion, ravi de l’illusion. J’envoie aux bons soins de M. le préfet un exemplaire de Jean Ier le Posthume, ce livre qui dit : les enfants vivent la vie que leur ont laissée leurs parents. Je me sens vaguement, très vaguement mais c’est déjà bien, plus efficace, plus à ma place, plus « cas particulier » que si je n’avais signé qu’une pétition de plus : j’ai offert un livre, j’ai offert un peu de langue française, cette langue que je partage avec Chama Dieumerci, j’ai constitué une bibliothèque comme un geste politique, j’ai en somme fourni des papiers. Voilà. La suite de l’histoire ici, mais surtout, en direct, sur ce site.
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Post-scriptum I, 14 septembre 2009. Le père de Chama Dieumerci a été libéré la semaine dernière. L’arrêté de reconduite à la frontière a été abrogé (info confirmée) et Mr Abel Gabriel a rendez-vous à la préfecture pour un réexamen de son dossier. Mr Abel Gabriel et son fils vont enfin pouvoir entrer dans la légalité. Sur le site, Thierry Lenain invite à « aider financièrement ce père à sortir de la misère, à mettre en place les conditions de sa nouvelle vie et à se retrouver dans de bonnes conditions de recherche d’un travail » (les dons sont possibles en ligne).
Sur le « sujet », si l’on est capable d’utiliser un vocable aussi neutre, de l’indigne traque des sans-papiers, on peut aussi s’intéresser au travail de mon collègue de bureau (sic) Vincent Karle, qui a, comme Thierry Lenain, joint l’action militante toute crue à la littérature. Il a publié Un clandestin aux Paradis, remarquable petit roman de la collection « D’une seule voix » (Actes sud junior), et il a secouru une famille de clandestins, notamment en permettant la publication du témoignage rédigé par la fillette de la famille, Maroua, 11 ans : Il faut déménager, la police va venir nous chercher. Le thriller de l’année, que voulez-vous.
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Post-scriptum II, 17 septembre 2009. Un communiqué signé Thierry Lenain :
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