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Demande à la poussière

Baudoin le dit, qui ne se trompe jamais

Chacun pour soi fait son ménage de printemps en la saison qui lui revient, qui lui convient. Pour moi, c’était là, en plein été. Je viens de remuer la poussière, un bon mètre cube de paperasse, trois jours de nez qui coule, de yeux qui piquent, et de souvenirs qui valsent.

J’ai énormément jeté, il était temps. Pour l’essentiel, une masse d’archives liées à la vie de mes livres, coupures de presse caduques, programmes, affiches, articles divers. Jeter prend du temps, parce qu’on soupèse soigneusement chaque article avec son lot, plutôt son halo, d’évocation. Jeter le temps qui passe à la corbeille… Sacrilège, presque. Mais j’ai tenu bon : de l’air ! De la place ! Il est passé par ici, le Flux ? Il repassera par là !

Entre autre, je l’avoue avec une petite vergogne, j’ai jeté la quasi-totalité des hommages qui m’ont été offerts lors de mes rencontres scolaires depuis six ans, des travaux d’enfants, des bricolages de classes, des ateliers d’écritures d’ados. Particulièrement, une très jolie maquette en carton, qui m’avait été faite je crois en 2006 par une classe de 6e dans un bled du Nord Isère… Ingénieux quoiqu’encombrant, cette merveille de travail manuel reproduisait en 3D la première scène de Jean Ier le Posthume, l’immeuble avec mes personnages en maillots de bain sur le toit, le mélange onirique de HLM et de piscine municipale, et puis la petite place en vis à vis avec les balançoires… Très joli, vraiment délicate attention, mignon tout plein et minutieux, mais que voulez-vous, ça ramasse la poussière pendant trois ans, jusqu’à ce qu’un jour la poussière le ramasse.

Au terme du désherbage, j’ai cependant épargné deux documents, deux dessins dont la redécouverte m’a particulièrement ému. Clémence, sursis, purgatoire : je les jetterai plutôt lors de mon ménage d’été suivant, dans dix ans. En attendant je vous les reproduis ici, pour leur donner avant la corbeille une illusoire pérennité blogosphérique.

Document A :

Un enfant, dont la signature est illisible (peut-être un Julien qui aurait interverti ses deux dernières lettres ?) m’a portraituré d’après nature, je ne me souviens pas exactement où, mais il me semble que c’était à Apt parce que c’est l’un des rares endroits où j’ai pu rencontrer des petites classes, petites à mon échelle, des gentils CE2, CM1, moi qui ai davantage l’habitude des grands méchants lycéens. Eh bien, ce portrait me touche et me ravit à un point tel que je regrette de ne point lui ressembler. J’aimerais me recopier moi-même à son image, enjoué, aérien, et un peu magique avec des fleurs à la place des mains. Comment voudriez-vous que je jette ce dessin ? (Je n’ai pas jeté non plus un portrait qu’une collégienne de 5e m’avait offert à Annemasse.)

Dix doigts à la main droite, six à la gauche

Document B :

Celui-ci est de ma main. J’ai retrouvé un bloc-notes de l’an 2001. Ses pages, à petits carreaux, étaient couvertes de diverses sortes d’écritures, des compte-rendus de réunions ou de formations que je suivais alors, mais aussi des bribes de phrases, des dialogues, parfois des paragraphes entiers, que l’on peut retrouver, plus ou moins intacts, dans le corps de TS, ce roman qui, alors, s’intitulait Dans la cage. Ce voisinage en vrac de mots utiles et de mots nécessaires m’est coutumier… Ce qui l’est moins, c’est le dessin que j’ai griffonné dans la marge. À l’occasion, je dessine mes personnages… Juste pour les voir… Et là, oui, j’avais ressenti le besoin de me rendre compte, géométriquement, de la tête de ce jeune homme habillé en noir qui baisse le front, qui se creuse deux rides verticales sur la proue, et qui vous fixe par en-dessous. Revoir ce dessin, c’est revoir un certain nombre de choses et de rides intérieures.

Au dos du même feuillet : un poème, mirlitonnerie existentielle de la même époque, signée Galoube.

Ici ou là, un endroit

Un endroit, c’est autrui. Que dirait-on ensuite ?
Qu’on n’est pas géographe, et que tout bouge vite ?
L’endroit change de tête au gré des va-et-vient
Il est pourtant forclos : dans la seconde, il tient.
L’altérité réside, ou a légué ses traces.
L’emplacement lui-même est l’inconnu qui passe.

Le saviez-tu ? "TS" s'intitulait initialement "Les rides verticales" puis, un peu plus tard, "Dans la cage"

Je ne jette pas non plus ces yeux-là. Ils me regardent. Allez savoir pourquoi, je trouve que ces deux dessins vont parfaitement ensemble, ils se nuancent l’un l’autre, doux et dur, et doux, et dur.

  1. 22/07/2009 à 11:25 | #1

    Le désherbage… j’ai entendu ce mot appliqué aux livres et aux papiers pour la première fois ce week-end, une soirée chez une bibliothécaire. Depuis, j’en rêve ; mon bureau de 7 m2 est au bord de la suffocation. Et mes « souvenirs de rencontres » trop difficiles à jeter sans culpabilité.
    Dis, Fabrice, tu veux pas venir désherber mon bureau aussi ? J’ai des chèques emploi services, allez… ;-)
    PS : très beau double portrait, je comprends qu’ils aient résisté au désherbage 2009.

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