Prisencolinensinainciusol
On ne se comprend plus.
En général, je veux dire, on ne se comprend plus trop. On se répond « Hein quoi kestadi ? » . Voire « HEIN QUOI KESTADI CONNARD ? »
Alors, autant écouter des chansons incompréhensibles.
Et danser, en faisant le pari que la danse est un langage universel.
J’adore les chants en langues construites. Le kobaïen. Le vonlenska. Le klokobetz. Même des charabias potaches, des yaourts régressifs comme Merde in France de Dutronc ou Mets de l’huile de Regg’lyss, m’emplissent de joie, sans doute via l’idée utopique de comprendre l’autre par la seule musique, d’entrer en contact au-delà du sens des mots.
Cet été, ce que j’écoute en boucle, c’est plutôt Prisencolinensinainciusol.
En 1972 Adriano Celentano entend démontrer par l’absurde que les Italiens sont prêts à écouter n’importe quoi qui ressemblerait à de l’américain et catapulte son nouveau single, Prisencolinensinainciusol, chanté dans un entraînant bla-bla englishoïde. C’est un tabac international. Sur la pochette figure cet avertissement : « Questa canzone è cantata in una lingua nuova che nessuno capirà ; avrà un solo significato : amore universale ».
Ah, ouais, d’accord, amour universel. A love supreme. Et on danse.
J’épuise les versions de Prisencolinensinainciusol sur Youtube : la version originale ; puis la deuxième version sous forme de sketch avec explication de texte dans lequel Celentano joue les instits et prétend avoir consacré cette oeuvre à l’incommunicabilité, ce qui lui confère un sérieux à la Michelangelo Antonioni ; la version live des 40 ans ; la version avec les paroles en sous-titres (totalement inutile mais c’est juste pour vérifier) ; son excellente utilisation, fébrile et obsessionnelle, dans la saison 3 de Fargo avec Ewan McGregor moustachu ; la version 2.0 mise à jour 2016 avec chorégraphie XXIe siècle…
Une chanson incompréhensible est un peu comme la messe en latin, au fond : on pige que dalle et cette sainte non-compréhension de masse est le vecteur même de la transcendance et de la foi en l’amour universel. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent, tous ces fichus calotins ! Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde ! Et l’eau du sacré calice se change en eau de boudin (sans le latin, sans le latin) et ses vertus faiblissent. Ô Sainte Marie mère de, Dieu dites à ces putain de moines qu’ils nous emmerdent, sans le latin ! Il était inévitable, n’est-ce pas, qu’au bout du cycle, je finisse par me souvenir que la chanson à texte a elle aussi de grandes vertus.
Au passage, Prisencolinensinainciusol passe pour le tout premier rap en langue italienne. Et au fait, le premier « rap français » ce serait quoi ? Pour le savoir, rediffusion au Fond du tiroir.
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