M le Menu
JC Menu : voilà un homme.
Lorsque, pérorant à propos du FdT (l’un de mes sujets favoris), j’éprouve le besoin d’invoquer un auteur devenu éditeur par viscéral besoin d’émancipation, d’intégrité, de liberté, je cite volontiers Benoît Jacques ; mais en fin de compte, dans ce registre, le Menu est peut-être une figure tutélaire plus importante encore(1). Alors que Benoît Jacques n’édite que lui-même, cowboy solitaire, Menu a les épaules d’un porte-drapeau (c’est lourd un drapeau, il faut des épaules), et il a initié une émulation longue, large et profonde, une collective lame de fond où ont trouvé leur place quantité d’auteurs (parmi lesquels Benoît, d’ailleurs).
Évidemment, mon cas personnel s’inscrit plutôt, représentatif d’exclusivement moi-même au creux de mon Tiroir sur mesure, dans le sillage de Benoît… Et c’est pourquoi je le cite spontanément en tant que modèle… Cependant je revendique fermement l’influence de Menu.
Jean-Christophe Menu, homonyme sans parenté de la présidente du Fond du Tiroir, est pour mémoire le co-fondateur et principal animateur de l’Association, cette maison d’édition capitale, qui a montré par l’exemple et par la ténacité que les livres, les bandes dessinées en l’occurrence, pouvaient être autre chose que ce que l’on s’attend à ce qu’elles soient.
Voilà plus de vingt ans (oui : Meder, 1988) que je ne manque rien de son œuvre protéiforme, et même doublement protéiforme, c’est dire s’il y a de quoi manger : auteur passionnant (avez-vous lu le Livret de phamille ? Les Lock groove comix ? qu’attendez-vous, bon sang ?) et éditeur irremplaçable (les trois volumes de l’Eprouvette, quelle somme ! quelle corne d’abondance ! et l’OuBaPo ! et Lapin !). Au sein de sa bibliographie, je fais la fine bouche seulement devant les Plates-bandes, pomme de discorde certainement salutaire mais qui ne méritait peut-être pas un livre. Car Menu, en outre, est un graphiste qui soigne ses objets : le livre a de la valeur ; est une valeur. Je trouve qu’il y a dévaluation du livre avec les Plates-bandes, texte contingent, lisible mais pas relisible, bah, peu importe.
Un récent entretien paru sur le site du9 présente un Menu toujours aussi stimulant. C’est bien simple, l’écouter parler, moi, ça me donne envie d’en faire, des livres. Depuis vingt ans, presque.
Dans cet entretien on peut lire notamment ceci, position radicale, provocation primesautière, par conséquent vitamine pour l’esprit, que je me fais un plaisir de copiercoller, juste parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de « littérature jeunesse » :
« L’Association n’a jamais fait de la jeunesse. Parce qu’on trouvait qu’il y avait plein de gens qui le faisaient déjà bien, et que faire une collection « jeunesse » à L’Association ça n’aurait pas eu de sens. On nous a souvent demandé pourquoi on ne l’avait jamais fait (…) Il y a déjà trop de choses à faire, il y a une sorte de sélection naturelle pour ce qui ne se fait pas. Et puis d’ailleurs je suis plutôt contre le fait de concevoir des livres réservés aux enfants. Ils n’ont qu’à tout lire !«
(NB : lors d’une conversation avec Thierry Lenain, à propos du projet de ce dernier de créer une structure éditoriale « jeunesse » alternative, gérée par les auteurs eux-mêmes, je lui avais dit « Il faudrait pour cela une sorte de Menu… » Mais qui en aurait la carrure ? Thierry lui-même, c’est possible. Certainement pas moi !)
(1) – J’ajoute cette note parce qu’entre temps, un souvenir d’enfance m’est revenu… Un autre cas de bande dessinées éditées par l’auteur… Chez mes parents, quand j’étais petit, traînaient les volumes des Frustrés auto-édités par Claire Bretecher. Pourtant je savais (je m’intéressais déjà à ces choses) que Bretecher était éditée ailleurs, chez Dargaud… Sans aucun doute, l’exemple de Bretecher, auteur considérable qui choisit la voie de l’édition personnelle par souci d’indépendance, m’a également nourri.
Et pourquoi après tout, Jean-Christophe Menu ne serait-il pas un de mes lointains cousins ? Je n’ai rien contre…