Du plus profond de mon tiroir, mes meilleurs voeux pour la Rentrée
« Au ciel passaient des chevrons d’oies sauvages, comme des guillemets qu’on ouvre.
Les allées du parc ressemblaient à des ruisseaux charriant les feuilles mortes jusqu’à la mer. Le vent en remuait doucement la surface, pour donner l’illusion des vagues. J’avais les yeux noyés dans ce flot rouillé, et je venais de comprendre pourquoi l’automne est la saison la plus prodigue en sentiments mêlés, la plus mélancolifère pour ainsi dire. C’est une question de calendrier. C’est dû aux secousses des mouvements du temps. Le tremblement de cycle, la tectonique des dates.
Vous avez d’un côté le retour d’âge de l’hémisphère : de vieillesse les feuillages se meurent, de froid les horizons se racornissent, de sommeil les animaux les plus costauds capitulent pour de longs mois, fondu au gris, rideau. Et d’un autre côté, vous assistez à la société des hommes qui « rentre ». La « rentrée », c’est « l’activité » redécouverte à date fixe, l’automne transformée en quinzaine commerciale, les affaires re-prennent, les idées re-jaillissent, les écoliers re-cartablent, l’économie re-boume. Pendant que la Nature hurle « C’est fini ! Foutu jusqu’au printemps ! Rentrez chez vous ! Ne bougez plus ! Couvre-feu ! », les hommes pas gênés pour si peu s’exaltent : « Youpi c’est reparti ! Débordons d’activité, cher collègue la saison le réclame ! » Alors que la saison réclame le contraire.
Voilà ce que c’est, la mélancolie automnale, ni plus ni moins : un choc dialectique entre la nature et le social. Et nous autres individus, déchirés entre les deux parce que nous sommes à la fois animaux et de société. Forcément c’est propice aux affres, une contradiction pareille. De là, tristesse, frissons, penchant aux souvenirs, à la poésie ou bien au suicide. Tout l’automne en somme.
J’en étais là de mes réflexions, posé sur mon banc, dans l’ombre superflue, peau-de-chagrin criblée, d’un marronnier, au beau milieu du jardin de ville jaune et rouge. L’écharpe en bataille, une pomme dans la poche du manteau pour mon quatre-heures, coudes sur les cuisses et mains ballantes au milieu, bouche ouverte (nez bouché), et les pieds qui jouaient seuls à faire rouler des marrons sous les semelles. Le cerveau, pilote automatique, profitait de ce que personne ne surveillait pour carburer en roue libre, et décrypter l’univers : éclairs de lucidité, révélations fulgurantes et aussitôt oubliées, le fil des pensées déjà précipité ailleurs. À ce moment précis, j’avais donc sans payer de mine compris intégralement l’automne, sa vie son œuvre. Et, de la même manière qu’un réveil en sursaut nous force à regarder en face la fin d’un rêve, un beuglement retentit qui figea ma pensée sur mes trouvailles de saison, les préservant in extremis de la dispersion dans le flux ininterrompu de la conscience. »
Première page de la nouvelle « Ephéméride sous les marronniers » (1998), in Voulez-vous effacer/archiver ces messages ?
Sinon, sur le même sujet, Baudelaire, c’est pas dégueu, non plus (merci à RVB pour le tuyau).
Commentaires récents