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Cinquante ans utérins

Rappel #1 : quiconque est né en l’an de grâce 1969 est fondé à exiger du Fond du Tiroir l’attribution gracieuse, contre un PDF mentionnant la date de naissance du bénéficiaire et dans la limite des stocks disponibles, d’un exemplaire du mini-livre Le Flux, enjoué memento mori où sont notamment abordées les circonstances de ma conception à l’été 1968 et de ma naissance au printemps 1969.

Rappel #2 : quiconque souhaite faire un cadeau de bon goût à une personne de son entourage née en 1969 est encouragé à commander au Fond du Tiroir un exemplaire du mini-livre Le Flux, agrémenté d’une dédicace personnalisée audit natif de ’69, pour la somme dérisoire de 3 euros. Bon de commande à imprimer ici.

Le Flux est fluctuant. Où donc ai-je lu, où ai-je entendu que les Chinois calculaient leur âge à compter non de leur naissance mais de leur conception, neuf mois plus tôt ? Ce principe n’est peut-être qu’une légende urbaine, une excentricité plaisamment créditée au compte d’un folklore lointain, une autre vision du monde dont on affuble à la diable une civilisation exotique tiens les Chinois pourquoi pas les Chinois (d’ailleurs ça me fait penser, il paraît qu’en Angleterre ceux qui font caca par terre on leur coupe le derrière pour en faire des pommes de terre)… Peu importe : ce pas de côté mental qui intègre au compteur la vie intra-utérine est tout-à-fait charmant (du moins aussi longtemps qu’il n’est pas récupéré idéologiquement par quelque zinzin cul-bénit pro-life). Aussi chers amis fêtons sans plus attendre cet anniversaire-ci et ce sera toujours ça de fait ça de pris puisque nous ignorons l’avenir : mesdames et messieurs, « à la Chinoise » et sous vos yeux je passe en trombe le cap des 50 ans sur la terre.

Pour fêter dignement mes 50 balais, je suis allé écouter une lecture musicale du duo Les Fernandez, Corinne Lovera Vitali + Fernand Fernandez. Comme d’hab, CLV m’a empoigné par les tripes et a tiré doucement la ficelle jusqu’à me faire bouger l’intérieur de la tête. À un moment, elle a évoqué un film de 1971, qu’elle a vu par hasard et par accident à l’âge hors-sujet de 11 ans, et revu d’innombrables fois par la suite sans hasard ni accident. Elle a eu une phrase que j’ai retenue, à propos des accidents propres à cette époque-là, elle a dit quelque chose comme : « Les années 70 étaient libres et dangereuses tandis que les années d’aujourd’hui sont dangereuses seulement » .

Ensuite, toujours pour mon anniversaire qui devenait carrément soirée thématique, j’ai regardé We blew it, stupéfiant documentaire de Jean-Baptiste Thoret, road movie contemplatif et mélancolique ayant pour sujet, d’abord le cinéma d’il y a 50 ans, ensuite et surtout l’énigme de ce qui a bien pu mal tourner depuis 50 ans aux Etats-Unis. La phrase désabusée We blew it est extraite d’Easy Rider, film conçu en 1968 et né en 1969.

Pour le dire vite : sociologiquement, il s’est passé quelque chose au moment historique où les baby boomers, nés dans la foulée de 1945, ont atteint l’âge adulte et fébrile, alors même qu’ils vivaient sous la repoussante autorité de barbons et d’épouvantails, sous Nixon, sous Pompidou, sous Brejnev… Un rêve d’autre chose, un décalage mental autrement plus vaste qu’un simple décompte des jours, s’est structuré au tournant des années 60 et 70. Et puis quoi ? Et puis We blew it, et puis le monde est rentré dans le rang à la décennie suivante, et puis Reagan et les yuppies.

Sous les repoussants barbons et les épouvantails de 2018, sous Trump, sous Macron, sous Poutine, nous pouvons toujours envoyer nos bons voeux et baisers à la génération qui atteint l’âge adulte, l’âge fébrile. Et puis, sans trop verser dans une débilitante nostalgie ou dans l’éloge chauvin du pays natal, nous pouvons tenter de suggérer que les traces laissées par ces années-là, dans le cinéma, dans la musique, ainsi peut-être que dans d’autres champs que je ne connais pas (la mode…), sont toujours aussi passionnantes et stimulantes.

Jean-Baptiste Thoret, en présentant son film, cite une phrase de George A. Romero : « En 1969, il s’est passé dix ans ». Oui, le Flux est fluctuant. Pensez à commander votre exemplaire gratuit ou payant.

* N.B. : We blew it est en VOD sur le site des Mutins de Pangée, qui font un formidable boulot cinématographique et politique, ou le contraire.

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