Pas mort, Etienne
En blogolangue, un article se dit « post ». Après ? Pourtant la blogosphère est oublieuse de nature, l’éphémère même, il n’y a plus d’après à Saint-Germain des blogs, le contraire de la postérité.
Publier sur un blog, il faut le savoir, revient à enterrer (littéralement, pousser vers le bas) ce qu’on y a préalablement publié. Lorsqu’on met en ligne un post, soit les lecteurs déposent des commentaires immédiatement, dans les heures qui suivent, soit ils ne le font pas, et on oublie le post du jour, au suivant… Oh certes il demeure virtuellement, tout chassé qu’il est, mais comme s’il n’avait jamais existé. Limbes digitales. On ne commente pas les vieux posts. C’est la règle.
Survient parfois une exception : l’article que j’ai publié sur Étienne l’été dernier, ce post posthume, reste le plus consulté du Tiroir. Une fois tous les 36, et la semaine dernière encore, quelqu’un, quelque part, pense à Etienne, tape « etienne delmas » dans la gueule à Google, espère de ses nouvelles… Et c’est moi qui en donne, mauvaises, je suis navré, oiseau de malheur. Alors, la personne est triste, et elle dépose en commentaire ses propres souvenirs d’Étienne, une fleur de plus pour le bouquet. Cet usage imprévu de mon blog, registre funéraire, chapelle ardente, est très émouvant. Cinq personnes ont ainsi témoigné en neuf mois, que je ne connais pas pour quatre d’entre elles, mais voilà, il y avait Étienne entre nous. Il manque, à plein de monde, on pense à lui, il est vivant.
Je viens de lire le tout premier livre d’Étienne, que je ne connaissais pas, Son île (éditions du Hêtre rouge – n’existent plus, celles-ci non plus, je crois). Moi qui ai gardé en mémoire, à vif, les douleurs de Je suis là pour la nuit, je découvre là son pendant en plein air et en plein vent, un livre heureux, épanoui, amoureux. Ah, le bonheur, matière poétique fort fragile, et délicate… De quoi pleurer aussi, pourtant… Car on trouve aussi des deuils, dans cette douce chronique… Parce que le temps dure longtemps…
Quant à la postérité éditoriale d’Étienne, il me faut donner des nouvelles plus triviales.
Les éditions Castells, qui ont publié une quinzaine de livres, dont deux d’Étienne et deux de moi, sont portées disparues depuis deux ans. Il semble qu’elles soient officiellement en cessation d’activité, ce qui ne vaut pas, juridiquement, une cessation d’existence. Pour ma part, j’essaye de récupérer les droits sur mes deux livres « Castells », désormais aussi introuvables que s’ils avaient été édités au Fond du Tiroir. La veuve d’Étienne, Laurence, fait de même pour ses deux ouvrages précédents… Subsistaient en souffrance deux manuscrits d’Étienne, que Castells avait initialement promis de publier : Boucheries, un amusant exercice de style, et surtout le plus substantiel La peau des princesses. Laurence a l’intention d’auto-publier ce dernier (littéralement, dernier – la couverture ci-dessous trahit la définitive teinte d’impression, rouge sang), comme un ultime hommage, une dernière manifestation de la vie d’écrivain d’Étienne (sa vie de musicien, elle, connaîtra d’autres avatars). Si quelqu’un dans l’assistance, tombé ici via gougueule, est intéressé par ce projet de livre, qu’il me contacte, je transmettrai les coordonnées de Laurence.
Addendum, 11 août 2008 : treize ans presque pile après sa disparition, j’ai croisé Étienne cette nuit. Lui n’avait pas changé du tout. En sortant de ma voiture je tombe sur lui sur le trottoir et je suis heureux de le voir, les rumeurs sur sa mort étaient donc bel et bien exagérées. Il tient en main, comme on tiendrait un oisillon, une petite caméra HD dont il semble très satisfait. Je lui demande ce qu’il devient, il me répond qu’il filme les gens. Ah, bon, tu tournes un documentaire ? En quelque sorte, oui. Je demande aux gens comment ils vivent pendant la pandémie, comment ils vivent avec la maladie. C’est très intéressant. Toi, par exemple, Fabrice, qu’est-ce que tu fais ? Comment tu vis ? J’ai l’impression que tu ne respires pas très bien. C’est important, tu sais, de bien respirer, n’oublie pas. Il allume sa caméra sur moi. Je me réveille et je décide de retenir son conseil de l’au-delà, je respire.
Bonjour,
Je vous remercie très sincèrement pour votre page au sujet d’Etienne et pour ces nouvelles de ses livres.
Je l’ai connu au lycée, je crois qu’il était en première et moi en 3ème, il m’a appris mes premiers accords de guitare d’accompagnement, moi qui ne faisait que de la guitare classique.
Plus tard on a vécu ensemble des moments de musique russe (j’ai bien sûr le souvenir de sa passion pour la musique et tous les instruments, le souvenir de ses lignes de basse à la guitare, si musicales, bien trouvées, originales, de sa gentillesse…).
On ne s’est plus revus depuis 1983…
Je suis très malheureuse parce qu’il m’a fait signe lors de la publication de son livre « son île », et j’ai été extrêmement touchée par ce récit, et aussi bien sûr par « je suis là pour la nuit », mais de mon côté je ne suis pas parvenue (l’éloignement, l’attente d’aller mieux moi-même, une longue panne d’ordinateur…) à vivre des retrouvailles, à échanger un peu plus. Et maintenant c’est trop tard.
Même si c’était dur d’apprendre qu’il n’est plus là, découvrir cette nouvelle par l’intermédiaire de votre blog contenait un peu d’anti-dote à la douleur, avec votre témoignage sensible, et ceux des autres personnes l’ayant connu. Oui je crois qu’il est bien vivant dans le coeur de ceux qui l’ont rencontré.
Je ne suis pas arrivée à me procurer « l’ange objectif » (qui semblait pourtant disponible l’an dernier sur le site de la FNAC), et serais heureuse de participer, même petitement, à une édition-réédition de ses textes.
Je vous envoie donc ce message à toutes fins utiles…
Avec reconnaissance,
Claire