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Les Giètes, apocryphe

Abalakalot'

Dépêchons, dépêchons, plus que quatre jours pour assister à l’adaptation théâtrale des Giètes, écrite par Angéla Sauvage-Sanna, qui se donne sous le titre  Marx, Flaubert… et les icônes au Carré 30 de Lyon. Une critique du spectacle, aimable, est parue sur le site du Petit Paumé.

Moi aussi, je l’ai vue, cette pièce. Si je l’ai aimée ? Oui, oui… Voilà une expérience étrange, pas commode, émouvante, frustrante, je regarde, je suis assis, je suis muet, sans la moindre prise, une version de mon livre  m’échappe, file entre mes doigts en direct, une lecture possible mais publique, rien à voir avec une lecture privée qui appartient à son lecteur, spectacle vivant, moi qui suis si maniaque de mes mots j’en suis dépossédé devant tout le monde… Mais ces mots sont les leurs, après tout, pour ce soir… Pour cette semaine… Partageons… Pensez, j’eusse pu friser le coup de sang, sur le mode « Impossible, Monsieur, mon sang se coagule/En pensant qu’on y peut changer une virgule » (Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)

Le point fort du spectacle, c’est le comédien, Benoît Musy, qui incarne « mon » Maximilien, ah non, le sien pardon, le sien, et qui le porte très haut, très fort, très doux… Il m’a touché, je l’ai, ah, comment dire, reconnu. Eh bien, merci, oui, c’est ça, on a envie de rire avec lui et de le prendre dans ses bras pour le consoler.

Et le point faible ? Honnêtement, certains aspects de l’adaptation m’ont donné  l’impression, à moi qui suis charnellement attaché à cette histoire (et qui déjà estime qu’elle n’est pas sans défauts, bon, hmm), de la résumer, de la commenter, de boucher certains trous que je préférais laisser à vif… La pièce commence par « Mon voisin, M. del Plata, est mort. Sa disparition creuse en moi un vide, et sa mort me fait penser à la mienne ». Je tique un peu… Ronge mon frein… Mille excuses… Je n’aurais jamais écrit cela moi-même,  jamais, pas comme ça… Alors que je me suis efforcé de donner à sentir quelque chose d’approchant sur des pages, sans l’expliciter… Mais voilà, la logique de la scène ! le temps de la scène ! ne sont pas ceux du roman. Et puis après tout j’avais laissé entière liberté à Angéla pour adapter, elle a fort bien fait d’user de cette licence.

Angéla est allée jusqu’à écrire de toutes pièces certaines scènes, certains dialogues, dont elle avait besoin pour le liant. Ces scènes apocryphes ne m’ont pas déplu figurez-vous, elles m’ont même beaucoup intéressé, « variations sur le thème ». Son ajout le plus surprenant et le plus pertinent, je trouve, est une conversation entre Maximilien et Lilia. On y discute la foi,  « l’opium du peuple », et Angéla a eu la très bonne idée de placer la vieille russe blanche en position de river son clou à l’ancien communiste, de citer Marx à sa place. On parle toujours, et le roman de même, de l’opium du peuple en extirpant l’expression de son contexte, en sous-entendant une condamnation sans appel de l’obscurantisme populaire instrumentalisé par la classe dominante… Eh bien ce n’est pas si simple… Je l’ai lu, votre Marx… Je vais vous en remontrer, moi… Je vais vous le citer, le contexte, cher Maximilien… De quoi réfléchir encore, d’un autre pan, d’une nuance… « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. » (Karl Marx et Engels, Critique de « La philosophie du droit » de Hegel, 1844)

Pas mal. Bien joué, Angéla. Je vous souhaite de bonnes dernières représentations, et merci encore.

(Post-scriptum de circonstance : Vive la laïcité, nom de Dieu ! Signez cette pétition !)

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