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Moi, président ?

Le Fond du tiroir hors les murs : la chronique ci-dessous, faux dialogue remixant d’authentiques paroles échangées avec mon camarade Christophe Sacchettini, a été écrite pour la newsletter mai-juin 2015 de Mustradem. Elle n’y apparaîtra pas forcément in extenso, faute de place. Tandis que dans un tiroir, la place ne manque jamais. Retenez au moins l’actualité brûlante qui en émerge : rendez-vous à la Villeneuve de Grenoble ce samedi à partir de 11h30, pour une lecture de Fatale Spirale, texte inspiré par cet endroit même. Fête ‘n’ musique ‘n’ pique-nique, aux bons soins de l’association Sasfé.

Moi, président ?

– Président ? Président de quoi ?
– De Mustradem, pardi. Mustra, en plus d’être un collectif d’artistes, un label de musique, un éditeur, un entrepreneur de spectacles, une structure de formation, un fomenteur de bals… est une association loi 1901. Il lui faut impérativement un président.
– Elle n’en a pas déjà un ?
– Si fait, mais notre Mariette à nous, présidente historique et chérie depuis l’origine, « a fait valoir ses droits à la retraite », comme on dit dans d’autres milieux.
– Aussi sec vous me proposez le job.
– C’est ça.
– Drôle d’idée.
– Pourquoi pas ? Tu nous connais et nous te connaissons, tu nous aimes et nous t’aimons, pour autant tu n’es pas tout à fait des nôtres. Tu es compagnon de route sans être partie prenante. Tu es là mais ailleurs. On en déduit que tu es peut-être pile à la bonne place pour présider.
– Ça consiste en quoi, présider ? C’est que je ne suis pas du tout un homme de pouvoir, moi…
– Oh, t’inquiète pas pour ça, du pouvoir tu n’en auras pas beaucoup. Mais il faut que tu sois là. Que tu signes les contrats. Que tu nous représentes. Que tu nous écoutes, que tu donnes ton avis, que tu n’hésites pas à dire « Vous déconnez les gars, bande de têtes de mules, on va pas revenir là-dessus alors qu’on a réglé cette question au début du conseil d’administration il y a six heures et demie », tu vois ? Ce genre de choses. Président, quoi.
– Que je me mêle de ce qui vous regarde. Par exemple… C’est quoi, là, sur ton écran ?
– Alors justement, ça c’est le nouveau logo. Nouvelle époque, nouveau président, nouveau logo… Tu en penses quelque chose ? On ne l’a pas encore validé.
– Tant mieux. Il est joli ce logo, hein… Mais il ne m’emballe pas. Il est trop régulier, trop symétrique, trop fermé. Je n’entends pas votre musique quand je le regarde. Votre musique ? Tout le contraire, ouverte, irrégulière, asymétrique, pleine de cinq-temps et sept-temps et tempi plus excentriques encore, elle retombe sur ses deux pieds mais entre temps le gauche comme le droit ont dansé dans l’air de drôles de circonvolutions. Ce logo, il est tout raide, assis, couché, il ne danse pas.
– Parfait. On consigne que tu n’es pas fou du nouveau logo.
– Ah ? Et… Vous allez tenir compte de mon avis ?
– Si on a le même que toi, sans hésiter.
– Je commence à comprendre la fonction présidentielle.
– Tu vois, c’est facile.
– Votre musique irrégulière et asymétrique, je l’aime, et plus encore. Mais mon vrai domaine, ma prédilection, ce sont les paroles plutôt que les musiques, si tu vois ce que je veux dire, les mots. Du reste, « Musique Traditionnelle de Demain »…. Voilà trois mots superbes. Et leur juxtaposition, alors là, chapeau. Un peu comme parapluie plus machine à coudre plus table de dissection, d’un seul coup l’image parle, la poésie toute crue. Des années que je l’admire, votre paradoxe temporel, votre inactuel oxymore.
– Inactuel oxymore, comme tu y vas. On consigne aussi. On verra si on valide.
– Moi, ce que je sais faire, ce sont des livres. Tiens, une idée me vient, vous ne voudriez pas en faire un ? De livre ? Sur Mustradem ? Là, au moins, je pourrais me rendre utile.
– Heu… Pourquoi pas… Ce n’est pas vraiment la priorité…
– Attends ! Je le vois d’ici, ce serait un livre fabuleux … Mustra, ça date de quand ? Vingt-cinq ans, non ? Un chiffre rond en plus, occasion idéale ! « Mustradem 1990-2015, le premier quart de siècle », un livre-CD s’impose, regorgeant de photos, de souvenirs, d’interviews… De partitions… Non ?
– Hmmm… On y réfléchira. Quand tu seras président. On n’est pas tellement dans l’auto-célébration, tu sais.
– Ouais. Ben, pas assez, peut-être. Parce que si l’on regarde… Ce n’est pas rien, ce que vous avez accompli. Vous êtes des héros de la culture de niche. Avec Mustradem vous avez bâti une Œuvre collective, en sus de chacune de vos petites œuvres singulières. Une grande œuvre qui dure, qui palpite. Qui fait des petits. Non seulement avez-vous pratiqué votre art, ce beau mélange tradition/demain… Mais surtout vous n’avez attendu personne pour vous expliquer comment vous deviez jouer votre musique, ni un marchand de disques, ni un directeur de salles, ni quelque relai médiatique complaisant, ni un président… Vous avez puisé aux sources de la musique qui vous inspirait, vous vous l’êtes appropriée, puis vous avez conçu vous-mêmes les conditions pour la jouer et la diffuser. Vous l’avez réinventée sans relâche, remise en jeu, et toujours par vos propres moyens. La fière indépendance du « Do-It-Yourself ». Au fond, je vous soupçonne d’être un peu punks, pour des folkeux. En plus d’être vaguement jazzmen sur les bords.
– Alors, c’est oui ?
– Êtes-vous vraiment des folkeux, d’ailleurs ? J’ai tenté plusieurs fois de comprendre la différence entre « folk » et « trad », j’ai posé la question à la cantonade… Je n’ai obtenu qu’une seule réponse cohérente : « Ben c’est évident, y’a ceux qui jouent bien et ceux qui jouent mal », sauf que, c’est ballot, j’ai oublié lesquels qui quoi.
– C’est plus compliqué que ça.
– Je m’en doutais un peu.
– Il y a des forums exprès, si tu veux creuser la question. Alors, c’est oui ?
– Je reconnais que c’est tentant. Je vous ai vus tout petits ! Je vous ai vus grandir, comme on dit aux gamins qui font une tête de plus que nous. Je me souviens d’un des premiers concerts de Dédale, le tout premier si ça se trouve, dans une MJC approximative, en Savoie, c’était en… Je ne sais plus, Mustra n’existait même pas, pour te dire. Vous aviez encore de l’acné, ou alors je confonds, c’était moi, mais déjà ce qui se passait sur scène c’était vachement bien ! J’y étais, moi, monsieur ! J’y étais !
– J’y étais aussi. Mais ce n’est pas ça qui compte, on n’est pas trop dans la nostalgie, non plus.
– Pas plus que dans l’auto-célébration, j’ai compris le message. En tout cas c’était bien… Et dire que vous êtes tous encore là… Quand est-ce que vous reformez Dédale, au fait ? Allez, je suis sûr que vous l’entendez souvent, cette question. TOUS les groupes le font. Regarde autour de toi, Téléphone, les Sex Pistols, les Stooges, Pink Floyd, Police, NTM, les Monty Python…
– Qu’est-ce que tu racontes ? On n’a rien à voir avec ces vieilles stars qui remontent sur scène pour l’argent. Nous, on n’en est jamais descendus, de la scène, avec ou sans Dédale.
– Ah, ouais. Okay. Je récapitule, si tu veux bien. Votre truc, c’est : ni l‘auto-célébration, ni la nostalgie, ni l’argent. Je prends des notes, hein, pour le cas où quelqu’un me demande ce que je préside, au juste.
– On n’auto-célèbre pas notre nostalgie, pour une bonne raison : l’agenda des deux mois à venir est rempli à ras-bord, et le présent est par principe plus passionnant que le passé !
– Formule suffisante pour expliquer le bel oxymore…
– D’ailleurs, tu y es toi aussi, sur l’agenda… Une lecture déambulatoire à la Villeneuve de Grenoble, samedi 9 mai… Ce ne serait pas sur un texte de toi, ça ?
– Si, si… Tu as raison, allons de l’avant. Je serai là, promis, le 9 mai.
– Moi aussi, tu parles. Ah, et tant que je te tiens ! Tu ne voudrais pas écrire à ma place l’édito de la prochaine newsletter ?
– Une autre prérogative présidentielle, je suppose ? Riche idée… Me faire éditorialiste d’un jour, chroniqueur remplaçant, juste assez intérimaire pour me mettre dans la peau d’un intermittent (hu hu hu)… D’un autre côté, la tâche m’intimide presque, je ne sais pas si j’ai les compétences. Moi qui distingue à peine folk et trad ! Et puis, les lecteurs seront perturbés dans leurs habitudes : je ne suis pas capable de citer au débotté Jean-Luc Godard ni Alain Robbe-Grillet.
– Tu trouveras bien quelque chose.
– Du Frank Zappa, j’ai droit ? En voilà un autre, qui jouait sa musique en se contrefichant de l’étiquette qu’on collait dessus. « L’information ne vaut pas le savoir. Le savoir ne vaut pas la sagesse. La sagesse ne vaut pas la vérité. La vérité ne vaut pas la beauté. La beauté ne vaut pas l’amour. L’amour ne vaut pas la musique. Rien ne vaut la musique. » Pas mal, non ? Mais on cause, on cause… Tu crois que les lecteurs le lisent jusqu’au bout, cet édito ?
– Il y en a. Alors, c’est oui ?
– Oui.

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