Récupérez-moi !
Illusion d’optique : ce n’est pas parce que nous approchons de Noël que la bougie ci-dessus illustre un énième article sur La Mèche (toujours en vente, ceci dit). Cette faible flamme sur fond jaune qui vacille derrière les barbelés est en réalité le fameux logo d’Amnesty International. D’ailleurs sans me vanter je risque gros, la menace sur leur site est explicite, ça fait peur : « Le logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE a fait l’objet d’un dépôt de marque auprès de l’Institut national de la propriété industriel (INPI). Cette marque ne peut donc être reproduite sans l’autorisation du secrétariat national. Toute utilisation du nom ou du logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, sans autorisation constitue une contrefaçon, dorénavant punie de peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de poursuites » , la vache, si je me retrouve en taule trois ans pour usurpation de logo, tu sauras pourquoi, n’oublie pas de militer pour mes droits, me laisse pas croupir au fond d’une geôle humide, je suis un être humain merde, je ne sais pas, moi, fais quelque chose, alerte Amnesty.
Et pourquoi que je le reproduis effrontément, le logo, assumant de si terribles risques ? Je vais t’expliquer, pourquoi, attends, laisse-moi digresser, je te raconte.
Je me sens irrécupérable. Parfois, par mélancolie, par pessimisme pathologique, il m’arrive d’être certain que le pire est inévitable. Je prophétise que l’avenir ressemblera fatalement à Zemmour, à Daesh, à Gattaz, à Cahuzac, à Swagg Man, à Guantanamo, à Closer, à Pascal Brutal, à Jessica Deboisat, à Davos et à Fukushima. Et parfois non. Parfois je suis récupérable. Je suis même récupéré.
Hier soir je me trouvais au bord de la route et je me suis fait récupérer. Je rentrais tard du boulot, j’ai couru mais j’ai loupé mon bus, à ça, à rien, sous mon nez. Le suivant et dernier passerait une heure plus tard. Alors j’ai levé le pouce. Je n’avais pas fait du stop depuis des années. C’est très bien, le stop, de temps en temps, pour éprouver son taux de récupérabilité.
J’ai été récupéré successivement par deux personnes qui m’ont chacune offert la moitié de la route. Un militaire (je ne suis pas capable d’aimer l’armée, j’ai mes raisons, j’ai fait mon service, mais je suis capable d’apprécier un militaire, d’aimer un être humain) et une paysanne (et j’aime les paysans comme la paysannerie, moi-même petit-fils de).
D’abord le militaire, qui revenait du Mali, un Noir avec l’accent antillais qui écoutait du zouk mais qui se disait Normand, qui m’a raconté que le plus difficile tout de même à la guerre, c’est que ses enfants lui manquent, un garçon une fille, quatre et six ans, les voir grandir, les voir tout court, enfin là pour ce soir que faire d’autre, il partait rejoindre des collègues pour faire la fête, pas de problème il avait bien le temps de faire un petit détour pour moi ; puis l’agricultrice, une camionnette chargée des provisions hebdomadaires, et l’odeur de fromage, qui m’a dit avoir hésité à me prendre parce qu’elle était épuisée par sa longue journée, elle havait hâte, levée à 4 heures pour son troupeau de brebis, puis là toute l’après-midi jusque trois heures après la nuit pour tenir la permanence de son magasin de producteurs, à quelques jours de Noël tout se jouait, mais que bon, à cette heure-ci il ne passait plus grand monde alors elle ne pouvait pas me laisser là au bord de la route avec le froid, et où est-ce que j’habite ? ah, alors, elle va faire un petit crochet pour moi, oh, non, ça ne la rallonge presque pas. Je suis parvenu chez moi, plus vite qu’en bus et surtout mieux, je me sentais superbien, remonté comme une pendule, méditant la tripartition dumézilienne, le soldat le paysan et le clerc, je voyais bien le rôle qu’il me restait, le costard à enfiler : le scribe, la souveraineté magique et juridique. J’ai encore cette humeur-là ce matin, à t’écrire, à estimer que le pessimisme est un vilain luxe pour qui n’a pas besoin de lever le pouce.
Mais revenons.
Comme je suis irrécupérable mais que j’aime être récupéré, j’ai écrit un livre l’an dernier. Il s’appelle Fatale spirale. Il sort dans quelques jours. C’est un livre à l’envers, qui prend à rebrousse-poil la catastrophe, qui dit Cessez-le-feu sur un ton tout bizarre, tout burlesque, le ton optimiste contrefait par un pessimiste, tout y est à double-fond. Je viens d’apprendre que ce livre a tapé dans l’œil d’Amnesty International France, qui, quelques fois l’an, appose son logo sur la couverture d’un livre choisi dans le catalogue Sarbacane, et explique pourquoi en quat’ de couv’. Je suis soutenu par Amnesty, rends-toi compte, c’est aussi bien que de soutenir Amnesty. Y’a pas à tortiller les gars, faut qu’on se serre les coudes ! Je suis récupéré par Amnesty. Oh oui, récupérez-moi, s’il vous plaît ! Je ne demande que ça, me faire récupérer avec ce bouquin : je veux aller le lire dans les écoles, les lycées, les agoras, les rues, les manifs, partout. À bon entendeur.
À chacun, joyeuse fête de la lumière. Fêtons le solstice, ce jour à partir duquel tout s’arrange, fêtons les Lumières.
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