Etienne Delmas (1956-2008)
Je n’apprends qu’aujourd’hui un trépas vieux d’un mois. Etienne Delmas est mort le 18 juillet 2008. Je suis malheureux.
J’ai rencontré Etienne une première fois, anecdotique, en 2004, alors qu’il préparait le spectacle d’inauguration de l’Odyssée (Eybens), qu’il avait écrit et composé, et au sein duquel j’ai joué la discrète partie de troisième trombone (assez mal) sous sa direction.
Mais j’ai surtout fait sa connaissance l’année suivante, quand a démarré l’aventure des éditions Castells. Il a été le premier auteur publié par Castells, et moi le deuxième. Nous n’écrivions certes pas la même prose, mais nous nous lisions et nous respections grandement. Nos flagrantes différences nous semblaient une paradoxale et fertile inauguration pour cette maison d’édition – qui alors nous excitait beaucoup, et qui hélas a depuis tourné en eau de boudin, comme l’on sait. Etienne aura publié deux récits, poignants, chez Castells (deux autres livres étaient en préparation, j’ignore s’ils paraitront jamais), sans aucun doute malcommodes à dénicher aujourd’hui : Je suis là pour la nuit et L’ange objectif, des mots qu’Etienne faisait vivre volontiers en procédant à des lectures, dans des formules parfois originales – il avait mis au point des lectures « au casque » qui créaient une intimité particulière avec la voix.
C’est qu’il était aussi acousticien. La seule fois où je suis entré chez lui (c’était pour enregistrer ma voix, ainsi j’ai pu apprécier sa méticulosité professionnelle en même temps que sa gentillesse), il déballait avec gourmandise un micro tout neuf qu’il venait de recevoir de Russie, et m’expliquait pour quelle raison les Russes sont forts en micro.
La capilotade Castells a bien des aspects grotesques, mais elle a aussi, au moins, un aspect tragique, celui-ci : contrairement à moi et à la plupart des auteurs publiés par Castells, Etienne n’avait pas d’autre éditeur. Ce qui signifie que l’effondrement de l’enseigne entraine la disparition, radicale et complète, de ses textes. Si jamais vous tombez sur ses livres, prenez-en soin. Ils sont rares. Il est possible aussi qu’ils vivent d’une autre manière (Je suis là pour la nuit avait fait l’objet d’un monologue théâtral, il y a quelques années).
Depuis que je le connaissais, Etienne était malade. C’était une scie: comment va Etienne ? Il est malade. Il ne va pas fort. Il est en rechute. Il ne va pas bien. Il a le moral ? Oui, il a le moral, mais… Il était en sursis. Il le savait, et tout le monde. Le sursis s’est écoulé. Nous changerons de scie.
C’était un musicien et un écrivain, et aucune des deux facettes n’était dilettante, puisque les deux étaient entièrement libres, et entièrement engagées. Il était, avant tout, un type bien, or chaque disparition de type bien est une catastrophe. Je suis catastrophé. Pour en savoir plus sur lui : son site personnel, ainsi que celui de son groupe de blues, Blues pétrole.
J’ai vu Etienne pour la dernière fois en février ou mars. Il était fragile comme un souffle, mais égal à lui-même, curieux des autres, attentionné, charmant, délicat, non pas fataliste mais infiniment patient. J’adresse mes sincères condoléances à sa compagne et à ses enfants.
(Un post-scriptum, écrit neuf mois plus tard, est lisible ici.)
Je voudrais également faire part de ma peine, ayant appris la disparition d’Etienne juste hier alors que je connaissais depuis fin 2006 ses soucis de santé.
Etienne a partagé mes années d’études à la fac de russe de Grenoble, puis nos chemins ont divergé. Nous nous retrouvions au fil des années, toujours avec le même plaisir d’échanger sur ce que nous devenions chacun de notre côté. La dernière fois que je l’ai vu, il était chez moi pour une lecture de son texte « je suis là pour la nuit », j’avais pour l’occasion invité des amis qui l’ont particulièrement apprécié. Il a su alors créer cette atmosphère de connivence qu’il savait si bien installer.
Nous avions beaucoup évoqué sa maladie, sa renaissance, ses attentes et craintes, sa famille…et comme j’avais vécu une situation similaire (mais en tant que compagne de malade et mère d’un petit garçon) je comprenais bien de quoi il parlait.
Je voudrais dire à ses enfants et à sa femme que je partage leur chagrin, mais qu’il restera bien vivant pour tous ceux qui l’ont côtoyé. Comme disait le petit prince : « et quand tu seras consolé tu seras content de m’avoir connu »…
Le 3 janvier 2009,
Aujourd’hui seulement je ne referme pas internet en « oubliant » d’aller sur le site d’Etienne. J’ai communiqué une dernière fois avec lui par texto en juin dernier. Je l’avais revu 30 ans après que l’on eut fêté ses 20 ans à Viriville (alors « communauté thérapeutique »). L’espace d’une journée nous avons parlé, devant les photos du passé qu’il voulait revoir. Je l’ai retrouvé par maladies interposées en croisant une affiche dans une salle d’attente. Je ne sais pas si on se console ni comment mais je suis contente de l’avoir connu même trop peu. Je ne l’oublierais pas.
Il y a longtemps dans les années 80, nous nous sommes connus avec Etienne,nous commencions l’un et l’autre nos vies professionnelles et passionnées, puis la vie a séparés, cette désinvolture par rapport à la vie qui passe… Des nouvelles de loin en loin… Il y a quelques temps une amie me parle de ses livres, je me sens trés émue et lui dit mon envie soudaine et forte de lui téléphoner, je ne le fais pas immédiatement
hier soir elle me dit avoir appris sa mort…
Je me joins aux quelquesmots que je trouve sur ce site…
Des pensées, beaucoup, pour sa femme et ses enfants.
Aujourd’hui 29 mars 2009,
Je rentre du Printemps du Livre de Grenoble, les oreilles encore bourdonnantes de son grand brouhaha livresque : bruissements de papier, mots d’auteurs, paroles de lecteurs, commentaires d’éditeurs ou de libraires, et bizarrement, la seule voix qui me trotte dans la tête est une voix que je n’y ai pas entendue. Une voix que je n’entendrai plus, ni moi ni personne. Celle d’Étienne Delmas.
Je devrais dire plutôt que c’est l’absence de sa voix qui me trotte dans la tête. Car la voix d’Étienne était bien particulière, forte et douce en même temps, et je me souviens l’avoir entendue précisément lors d’un précédent Printemps. Le salon battait son plein alentour, et lui observait la foule depuis son fauteuil, de son regard tranquille, légèrement amusé peut-être. Il avait installé son stand de «Lecture au Casque» en face du mien (celui de notre éditeur commun, en fait). De temps à autre une personne prenait place dans le fauteuil voisin, il lui lisait un passage de ses livres, et je voyais les gens repartir le sourire aux lèvres, en silence. Voilà ce qui me manque aujourd’hui, le silence de sa voix, le silence dans sa voix. Je parlais avec lui et je recevais toute cette humanité à travers ses mots choisis, son regard attentif, ses gestes patients.
Comme lorsqu’il m’a reçu chez lui pour enregistrer ma voix à moi. Il construisait alors un «château d’histoires» pour notre éditeur, chaque auteur lisait un passage de son livre et l’ensemble constituait un édifice sonore où les lecteurs pouvaient venir se promener lors des salons. Auraient pu venir, devrais-je dire, car le projet n’a pas abouti. Nous étions alors voisins. Mon premier roman venait de paraître, il l’avait lu, moi je ne le connaissais pas, il m’a appelé un jour, m’a invité chez lui. J’ai été accueilli comme l’auteur que j’osais à peine être. Avec sa femme et ses fils ils m’ont reçu à la table familiale pour le repas, puis nous sommes passés dans son bureau, son studio d’enregistrement, son atelier, tout cela à la fois, une pièce fascinante, ouverte sur le jardin par trois baies vitrées, débordante de livres, de disques, d’objets en tous genres. Nous nous sommes mis au travail, je lisais, il écoutait, conseillait, enregistrait, il a pris tout le temps nécessaire pour que le travail soit bien fait. Avant de me laisser repartir, il a tenu à m’offrir un livre de sa bibliothèque, parce qu’il trouvait qu’il ressemblait au mien.
Nous sommes restés en contact. J’ai lu ses livres, ils lui ressemblent. Son texte Je suis là pour la nuit où il raconte son hospitalisation me touche profondément car il me renvoie à celles de mes parents, tous deux attaqués l’un après l’autre par le cancer. Même du fond de cette nuit (surtout là), Étienne garde son humour, son oeil aiguisé, son verbe précis.
Lorsque j’ai appris sa mort à l’été 2008 j’ai envoyé des mots de condoléances, de douleur, de regrets. Le temps a passé. Aujourd’hui je veux dire simplement mon bonheur de l’avoir connu, même si peu, c’est déjà beaucoup.
Vincent
PS : merci Fabrice d’avoir créé cet espace où nous pouvons venir nous recueillir en quelque sorte, et espérons que les livres (et les disques) d’Étienne n’ont pas fini de parler pour lui.
J’ai eu un gros choc ce matin en devinant qu’Etienne Delmas n’était probablement plus de ce monde. J’ai reçu le programme de Delices Dada, troupe de théâtre de rue grâce à laquelle on avait rencontré Etienne en 1990, et j’ai vu qu’elle lui dédie sa nouvelle création. Une recherche sur Google m’a amenée tout à l’heure sur ce site, où m’attendait la triste confirmation de sa disparition, il y a 9 mois, donc…
Quand on a rencontré Etienne en 1990, c’était lors d’un mémorable voyage en Tunisie avec les Délices Dada, auquel il participait – une semaine de pure folie, de rires, de musique, de sketches, d’impros – inoubliable. J’étais alors enceinte de 3 mois, d’un fils qu’on a appelé Etienne en grande partie à cause de cette rencontre.
Nous sommes restés en contact épisodique par mail. On a la chance d’avoir un exemplaire de « son île » et de « je suis la pour la nuit »…
Il y a 2 ans, il est venu faire une lecture à la maison, ce qui m’a enfin permis de faire se rencontrer les 2 Etienne. Il était déjà bien fatigué mais plein de projets d’avenir.
J’ai du mal à concevoir qu’il n’ait pas gagné son combat contre la maladie, je suis triste.
Dominique
Bonjour, bonsoir,
Il y a bien longtemps que je voulais écrire ce mot, mais je ne l’ai jamais fait, par peur peut-être, par émotion sûrement.
Je voudrais remercier d’abord Fabrice, que je n’ai pour l’instant qu’entr’aperçu, mais qui a eu la gentillesse et la courage de publier ce billet, et je l’en remercie ; également, je voudrais remercier toutes les personnes qui ont répondu, que pour la plupart je ne connais pas. Cela fait-il une différence au fond ? Il ne s’agit pas de moi.
Je voudrais vous dire à que point, plus de trois ans maintenant après son départ, Etienne, mon père, me manque, et comment je regrette de ne pas pouvoir partager ma vie de désormais jeune homme avec lui.
Mais, malgré tout, la vie continue. Nous vivons sans lui, avec son souvenir et son image accrochés dans nos coeurs.
C’est triste à dire, mais sa présence physique, que j’étais parvenu à conserver jusqu’à présent dans un coin de mon esprit, est en train de s’effacer doucement. Peut-être ai-je fini mon deuil, qui sait ? y a-t’il seulement eu un deuil ?
Toujours est-il que je suis désormais en quête d’Etienne, de ce qu’il était, de ce qu’il représentait, et représente toujours, pour ceux qui l’ont connu, qu’ils aient vécu durablement avec lui, ou qu’ils l’aient simplement croisé. Je voudrais recueillir les impressions, toutes les traces qui ont été conservées de sa présence, de son travail, de son œuvre, sur tous les supports possibles, afin de constituer une sorte de recueil qui pourrait servir à conserver la mémoire d’Etienne, et à faire (re)découvrir son œuvre. Je souhaite rencontrer toutes les personnes qui y sont disposées afin d’en discuter et, qui sait, de pousser plus loin ce projet… Je sens en avoir besoin pour construire mon identité.
Si vous souhaitez m’aider dans ma tâche, qui que vous soyez, si vous désirez m’aider dans mon travail de recueil, je vous prie de me faire signe à mon adresse mail : nicolas.delmas@e.u-grenoble3.fr.
Je vous remercie infiniment d’avoir lu ce message, et espère par là recevoir des réponses.
Nicolas