Archive

Archives pour 04/2025

Tomber de Bob en Judy

25/04/2025 Aucun commentaire
Laura Palmer chuchote à l’oreille de Dale Cooper le secret suprême

Ce dimanche sera diffusé sur Youtube le premier épisode d’une nouvelle série d’émissions produite par Pacôme Thiellement pour Blast : La fin de la télévision, qui prend explicitement la suite de la désormais close La fin du film.

Tout-seigneur-tout-honneur : le premier épisode de cette célébration d’un art en déclin (est-ce bien ainsi qu’il faut entendre le titre générique ?) est consacré à la série des séries. Il s’intitule : Le secret de Twin Peaks. Je l’ai vu il y a quelques jours, en avant-première, dans une vraie salle de cinéma en présence de l’auguste Pacôme himself, à la faveur d’un séjour à Paname.

L’émission débute par une hyperbole que d’aucuns pourraient juger inconvenante et impossible à digérer. Mais pas moi, moi ça va, moi j’encaisse et opine :

Twin Peaks n’est pas qu’une série télé, c’est l’oeuvre d’art la plus importante de ces cinquante dernières années.

La méthode de Thiellement (sa démarche, sa discipline, son yoga), qui produit des gerbes d’étincelles à perte de vue lorsqu’il l’applique à l’Histoire de France (L’empire n’a jamais pris fin) demeure ici inchangée : il se dit exégète – ni historien ni critique. C’est-à-dire qu’il raconte, puis interprète. Tout en voix off ou face caméra, il ajoute l’intuition à l’érudition (n’était-ce pas, du reste, la caractéristique de l’agent Dale Cooper ?). Il accumule les faits puis tire entre eux des fils et des flèches, en une multitude de signaux comme ceux dont les enquêteurs des séries télé recouvrent leurs murs. Il révèle ou invente (c’est pareil) les liens qui manquaient, il met au grand jour les tendances lourdes ensevelies sous la surface des longues durées. Bref, il donne du sens.

Or, en ce qui concerne le chef d’oeuvre ultime de David Lynch, Twin Peaks (1990-2017), dont le coeur palpitant est l’apparemment si abscons épisode 8 de la saison 3, donner du sens est salutaire. Ne serait-ce que pour clouer le bec à tout esthète paresseux qui se contenterait de prétendre que Lynch ça ne s’explique pas, ça se ressent et puis c’est tout (entendons-nous bien : il n’y a aucun mal à être un esthète paresseux… mais on peut aller un peu plus loin). Thiellement ajoute du sens sans rien gâcher du mystère ni de la beauté – au contraire, en les augmentant.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? Twin Peaks aurait donc un sens, en plus de sa poésie fulgurante ? Oui : et, de surcroît, un sens utile, un sens pratique. Une éthique. De la munition psychique pour nous aider non seulement à penser mais à agir. En plus d’être un whodunit, une série policière, un thriller, une série fantastique, une série de science-fiction, une sitcom, une romance, une série expérimentale, un bloc de poésie pure, et à peu près tout ce qu’on voudra… Twin Peaks est en fin de compte une série politique.

Alerte au spoïl : ci-dessous je partage ce qui, ce soir-là dans mon fauteuil bleu de cinéma, constitua mon illumination, mon plus grand choc, ma découverte princeps. Quiconque préfèrerait s’initier par ses propres moyens, en regardant à son tour les images de Thiellement ou a fortiori celles de Lynch, est invité à interrompre sa lecture ici.

Pour mémoire et pour clore ce préambule, je précise qu’outre la découverte majeure détaillée dès le prochain paragraphe, j’ai reçu, toujours dans mon fauteuil bleu, un certain nombre de découvertes mineures,
– dont celle-ci : Twin Peaks, oeuvre télévisuelle, parle de la télévision en tant que monde-miroir à un endroit inattendu, dans la Loge Noire, qui reproduit derrière le rideau rouge un dispositif de talk-show (fauteuils, hôte et invités, intermèdes musicaux et dansés…) ;
– dont celle-là : Non mais c’est pas possible de dire une ânerie pareille quel connard ce Quentin Tarantino ;
– et dont cette autre : au moment des questions-réponses avec la salle, une jeune femme exprimant une susceptibilité bien de son (de notre) époque a déclaré La façon dont le viol de Laura Palmer est filmée dans Fire walk with me m’a gênée et m’a parue très problématique, on ne peut plus aujourd’hui érotiser le viol de cette façon – ce à quoi Thiellement a répondu sans se démonter que non, désolé, il ne voyait aucune érotisation dans cette scène de viol qui avait le grand mérite de montrer enfin l’horreur qu’on devine depuis le début de la série ; je suis entièrement d’accord avec lui, je pense que montrer le mal n’est pas faire son apologie (malentendu sempiternel), je pense aussi que seul un maboul chez qui le mal est déjà fait banderait en regardant cette scène, et ce débat utile m’a rappelé une chose : certes, par principe je serai toujours du côte des « woke » parce que les « antiwoke » sont décidément trop cons… toutefois, de temps en temps, ce n’est tout simplement pas le sujet.


Au long des deux premières saisons de Twin Peaks, le mal est incarné par la figure inoubliable, démoniaque et ricanante de Bob, qui rôde sur la terre et dans les âmes pour répandre le sang, la peur, la douleur et le chagrin, ingrédients de la substance dont il se repaît, le Garmonbozia. Bob est une abstraction, une pulsion, il est le meurtre, le viol, la folie, l’horreur. Bob, c’est le mal que font les hommes, ainsi que le diagnostique très justement Albert Rosenfeld, le médecin légiste du FBI, interprété par feu Miguel Ferrer, quelque part dans la saison 2. Le Fond du Tiroir a déjà glosé sur Bob, ici.

Pourtant, lorsque Twin Peaks revient en 2017 pour une saison 3, ou plutôt lorsque nous retournons à Twin Peaks, Bob a disparu. Est-ce à dire que le mal n’existe plus ? Certainement pas. Le mal a seulement changé de forme. Selon une logique finalement très conforme aux contraintes industrielles, compatible avec le cahier des charges à l’oeuvre dans la production des séries télé à rallonge (aussi surprenant que cela paraisse, Lynch joue le jeu !), le passage d’une saison à l’autre est marqué par un changement de main antagonist (ennemi principal), le nouveau se révélant encore plus redoutable que l’ancien, encore plus coriace, impitoyable et invincible. Bob était le mal en liberté ? Las ! Nous tombons de Bob en Judy.

Judy, entité énigmatique citée dès le film Twin Peaks: Fire Walk with me (1992), reste invisible. Elle est pourtant partout, insidieuse et omnipotente. Bob était le mal que font les hommes les yeux ouverts (il était par exemple Leland Palmer, le père de Laura)… Judy est bien pire : elle est le mal que les hommes laissent faire les yeux fermés (elle est par exemple Sarah Palmer, la mère de Laura). Il suffit de jeter un oeil par la fenêtre, dans les journaux ou, surtout, à l’intérieur de soi pour constater que le mal qu’on laisse faire est infiniment plus vaste que le mal que l’on fait, réellement. On aura beau plaider qu’on n’a rien fait de mal (on a un alibi en béton, on est resté devant la télé à regarder des séries) pourtant le désastre en cours est plus grand que sous l’effet de ce que l’on a fait. Judy est une démone bien plus puissante que Bob.

Ne rien faire alors que quelque part, sous notre fenêtre, dans notre journal ou à l’intérieur de soi, on tue et on viole, voilà l’authentique mal absolu à côté duquel tuer ou violer réellement n’est qu’une manifestation contingente, folklorique, un épiphénomène.

Le personnage de Dale Cooper, beaucoup plus intéressant et tragique à la fin de la série qu’au début, incarne quant à lui cette nécessité, cette volonté suprême de faire plutôt que de ne rien faire, de faire jusqu’au sacrifice de soi ou en tout cas au sacrifice de toute gratification, de toute récompense, de toute certitude d’avoir fait le bien. Le véritable héros ne saura jamais qu’il a fait le bien, il aura fait tout court, sans se préoccuper du fruit de ses actions. D’ailleurs « Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. » (Romain Rolland) Je me le tiens pour dit. Je fais.

Si Lynch et son co-scénariste Mark Frost ont besoin d’exégètes c’est qu’ils ont créé une mythologie : Bob et Judy sont comme tous les autres dieux ou démons de toutes les cosmogonies que les humains, partout, toujours, ont inventées pour parler d’eux-mêmes (ceci est valable aussi pour les trois monothéismes, évidemment). Peu importe qu’ils n’existent pas réellement, puisqu’ils existent en tant que symboles, en tant que métaphores, en tant que produits de notre psyché. Or les symboles et les métaphores sont agissants, ils ont des effets en retour sur notre psyché. Nous ne pouvons que constater les effets du mal que les hommes font, et ceux du mal que les hommes laissent faire. Appelons-les Bob & Judy, ou bien appelons les nos vices et nos veuleries, aucune importance : ils sont là.


Good night, sweet princess

14/04/2025 Aucun commentaire
Le Sommeil, aussi intitulé Les Deux Amiesles Dormeuses ou Paresse et Luxure (1866, Musée des beaux arts de Paris, Petit Palais)

Je teste la censure de Meta (ou plutôt son absence) en publiant sur Facebook l’aimable tableau de Gustave Courbet ci-dessus, pudiquement intitulé Le Sommeil (c’est ça, ouais, sommeil, mais bien sûr, elles dorment à poings fermés, là, que votre nuit soit paisible les filles, et surtout faites de beaux rêves hein).

Car est venue l’heure de révéler officiellement la date de création du spectacle en trio Courbet : Je n’ai jamais eu d’autres maîtres que la nature et mon sentiment (titre trop long mais provisoire).
Christine Antoine au violon,
Bernard Commandeur au piano et aux arrangements,
Fabrice Vigne à l’écriture et à la voix.

C’est calé, c’est réglé, c’est dans le marbre. Le spectacle sera dévoilé le vendredi 27 juin 2025 au Château de Seyssins, et rebeloté dès le lendemain samedi 28 tant qu’on est chaud, chez Mme Evelyne Reinhart à Claix.
On lui souhaite le même succès que les deux précédents, Goya : démons et merveilles et Chagall : l’ange à la fenêtre, joués une quinzaine de fois chacun et ce n’est pas fini, des dates continuent de tomber, ça pourrait être assez classe de tourner simultanément les trois spectacles au catalogue, voire de se programmer un petit marathon, matin, après-midi, soir. Si quelqu’un est tenté : message privé hop hop.

Or la réaction (et c’est le cas de le dire) n’a pas tardé : il reste bel et bien un peu de censure sur effebé. Le réseau m’informe illico que le chef d’oeuvre de l’art moderne que je viens de diffuser est « rétrogradé dans le fil » (quoi pardon ? j’ai comme l’impression que c’est une contrepèterie, ah ah je vois ce que tu veux dire petit coquin Mark Zuckerberg) parce qu’il « ne respecte pas nos Standards de la communauté, des restrictions peuvent être imposées à la Page. »

Mais c’est bon. Je crois que j’ai trouvé le moyen de contourner la censure de FB pour vous annoncer la création du spectacle « Gustave Courbet » (le 27 juin à Seyssins, le 28 juin à Claix, venez nombreux).Mesdames et messieurs, j’ai la joie de dévoiler devant vos yeux éblouis… L’Origine du Monde !

Nan c’est même pas vrai, il s’agit de la cascade du Furet, photographiée depuis Barraux, dimanche dernier à l’ occasion du brunch des Détours de Babel, oh le beau paysage.

Bon, pour de vrai ça me saoule. Comme je le fais de temps en temps, je déserte FB.

On ne peut pas lire en boucle Je me souviens de Perec.
Je lis J’ai oublié, le beau recueil de mémoire plein de trous de Bulle Ogier (Seuil, 2019), écrit très élégamment, avec poésie, douceur, nonchalance et cependant conscience écrasante du tragique (nul chapitre sans une pensée pour ma fille Pascale).
Je tombe dès la page 26 sur une citation de Marguerite Duras que Bulle avait immédiatement adoptée, et, aujourd’hui, moi aussi, merci à toutes les deux : « Si j’avais le courage de ne rien faire, je le ferais. »
Je gougueule cette phrase merveilleuse parce que j’aime avoir les références exactes des mots que je fais miens. Hélas tous les résultats dans le moteur renvoient au livre de l’actrice. J’en déduis que Duras n’a jamais écrit cette phrase, elle l’aura sans doute prononcée en présence de Bulle Ogier sur le tournage de l’un des trois films qu’elles ont faits ensemble. Car elles ont fait des films, beaucoup de films, probablement par manque de courage.
Duras, dont Bulle dit ailleurs (p. 142) « Notre amitié s’était tissée sur le plus commun de la vie, il n’y a rien de plus passionnant que les choses sans intérêt. Marguerite se concentrait toujours intensément pour exprimer des choses tout à fait banales » et il me semble que c’est un bel hommage alors que d’autres y verraient peut-être une moquerie.
Moi aussi j’aimerais parfois avoir le courage de ne rien faire. Mais c’est plus fort que moi, je fais. J’ai la chance d’être en paix relative avec mon prénom : Fabrice c’est celui qui fait, Homo Faber, « nomen est omen » allons-y.
À mon âge on finit par avoir une vague idée de qui l’on est : je suis un fainéant contrarié.
Alors je fais des trucs. Une masse de trucs. Pas un jour sans un truc. J’ai tellement de trucs à faire que j’annonce ici-même, avec effet immédiat, un nouveau sevrage de Facebook, pour une durée indéterminée, pardon, ces jours-ci j’ai trop de trucs à faire pour guetter les trucs faits par les autres. Je prends congé en postant ci-dessous la réclame d’un autre truc que je ferai bientôt : le prochain stage de création de chansons avec Marie Mazille se tiendra les 14-15 juin à Solexine (merci Véronique Stouls pour la com).
Salut !

Mirliton Matin : des animaux et des hommes (M.M., vol. 5)

12/04/2025 Aucun commentaire

Épisodes précédents : ici.

Mirliton Matin, le seul quotidien du matin qui paraît parfois le soir parfois la nuit et parfois jamais, bref qui fait comme il lui chante et c’est le cas de le dire !

Rappel du principe général : ma camarade de jeu Marie Mazille me propose un sujet, la plupart du temps sous la forme d’une coupure de presse idiote, d’un fait divers atroce ou d’une information scientifique absurde.
Je me retrousse les manches et je mirlitonne illico, parce que la vie est plus belle quand elle est versifiée, toutes les vies, même cette vie-là, idiote, atroce ou absurde.
Comme dans les improvisations théâtrales ou les jeux de clown, je n’ai pas le droit de refuser un sujet que Marie me donne. Je ne l’ai jamais fait. Quand faut y aller, j’y vais.

I

Et c’est reparti pour de nouvelles perspectives professionnelles d’avenir, grâce à notre rubrique Je traverse la rue et je te trouve un job, Découvre les métiers innovants en tension (1) !

Aujourd’hui : le sexeur de poussin, chargé de palper les oisillons, quand ils sont tout neufs, qu’ils sortent de l’oeuf, du cocon. Par les soins du sexeur, les femelles seront soigneusement mises de côté et feront d’excellentes pondeuses en batterie puisqu’elles sont bonnes à ça ; les mâles inutiles seront impitoyablement exterminés. (Merci, Marie, hein)

Les règles de versification s’imposent ici d’elles-mêmes, extrapolées par le contexte et le tri par genre : deux rimes seulement, l’une féminine et l’autre masculine, évidemment alternées.
Comme rime masculine je choisis -sin (induite par « poussin« ), comme rime féminine je choisis -ïde (induite par « ovoïde » puisque je ne peux choisir « oeuf« , qui serait une autre rime masculine). Et puis des alexandrins, pour l’impression de foultitude piaillante et parce que les oeufs sont vendus par douze.

Tu rêves de venger tous les féminicides ?
Dès qu’un mâle surgit, te voilà assassin ?
Contre quiconque émet des spermatozoïdes,
Devant ces gros relous et leurs gestes malsains,
Te viennent des pulsions d’agression homicide ?
Mais tu n’es que bonté pour les paires de seins…
Que longanimité pour qui devient gravide…
Tu souhaites préserver quiconque tombe enceint…
J’ai un tuyau pour toi si tu n’es pas timide !
Une vraie profession répond à tes desseins,
La discrimination t’y servira de guide :
Choisis le beau métier de sexeur de poussins !
Tu apprendras à distinguer d’un oeil rapide
Le bon grain de l’ivraie parmi le jaune essaim :
Les femelles sauvées, pondeuses d’ovoïdes,
Pourvues d’un merveilleux utérus sacro-saint,
Et les mâles maudits qu’on dissout dans l’acide !
À la mort du viril, que sonne le tocsin !

II

Mirliton Matin, rubrique Je traverse la rue et je te trouve un job, Découvre les métiers innovants en tension (2) !
Aujourd’hui : Claire, la sirène d’eau douce.
(décasyllabes, monorime en -aire)

Ondulant tel un poisson dans l’eau claire
En liquide elle a choisi sa carrière
Quoique très loin des vagues, des rivières
Des courants, de l’écume, de Cythère…
Un parc à thème est son embarcadère
L’aquarium est une cage de verre
Où, blonde créature imaginaire
Elle naît d’un rêve, vivante chimère !
Le chlore a remplacé le sel de mer
Nécessitant quelques soins oculaires
Prix à payer pour l’être légendaire
Qui chaque minute émerge et aspire l’air
La sirène municipale est fière
Nageant entre deux eaux, selon horaires,
Dans sa queue d’écaille aux reflets bleus-verts
En chair et en arête, en polymère,
Elle offre son ballet spectaculaire
À chaque enfant, à sa mère, et son père
(Qui se demande où est passé son derrière
Ou comment suspendre sa jarretière)
Ondulant tel un poisson dans l’eau : Claire.

III

Mirliton Matin, rubrique Nos animaux les bêtes (1) !
L’oiseau Fée des neiges, trop mignon.
(Hexasyllabe, ce qui est bien suffisant pour le tout petit animal, deux rimes.)

Frêle boule de plumes
Délicat privilège
Elle naît de la brume
S’élève en son manège
S’envole en son costume
Que la blancheur allège

Son infime volume
Peut-être la protège
Des coups de froid, des rhumes
Nature en florilège
La glace fond et fume
Enfin se désagrège

Mais l’espoir se rallume
La vie, ses sortilèges
En elle se résument :
Elle est la fée des neige.

IV

Mirliton Matin, rubrique Nos animaux les bêtes (2) !
La nature qui a plus d’imagination que nous n’invente pas que des créatures trop choupi craquantes doudous, telles les fées des neiges. Elle invente aussi des vilaines brutes avec des trognes à coucher dehors, et mauvaises, avec ça. Aujourd’hui : la lamproie.
(Octosyllabes, deux rimes fém./masc.)

Halte au délit de sale gueule !
Vrai, elle est moche la lamproie
Elle est moins beau qu’un épagneul
Elle est moins sympa qu’un anchois
On aimerait la laisser seule
Et cruelle avec ça, sournois
Vampire odieux, prédateur veule
Elle est sans pitié pour ses proies
Et les couvre comme un linceul…
Mais elle est comme toi et moi !
Nous avons un commun aïeul !
Son examen est adéquat
Pour parachever le puzzle
De notre cerveau. Tu le crois ? 

Ce qu’ils ont fait de l’écologie

01/04/2025 Aucun commentaire
D'argent et de sang de Xavier Giannoli, Frédéric Planchon (2023) - Unifrance

Une série télévisée ordinaire, donc médiocre, a pour effet, peut-être même pour fonction, de vous avachir, de vous écraser sans pitié au fond du canapé, cerveau en veille, dans l’attente que votre vie passe au fil des saisons. Servitude volontaire, anesthésie nerveuse et divertissement pascalien. Cette apathie physique, intellectuelle et civique devant l’écran constitue un tel standard industriel qu’il ne faudrait forcer qu’un tout petit peu sur le complotisme pour envisager qu’elle profite à quelqu’un ou à quelque chose.

En revanche, une série télévisée d’exception se reconnaît au réveil qu’elle fait sonner en nous, alarme !, alarme !, à la pulsion qu’elle fait naître, à l’injonction de se lever séance tenante, de hurler sa rage, sa colère, son indignation ou son écoeurement, de quitter son canap, de sortir dans la rue foutre le feu, pendre les banquiers avec les tripes des législateurs et faire enfin la révolution.
D’argent et de sang, par Xavier Giannoli, est une série d’exception.

Série produite, filmée et montée à l’américaine – naturellement par là je veux dire, non à la Donald Trump, mais à la David Simon : un art de la narration, de l’idée incarnée, de la longue durée qui mise sur l’intelligence du spectateur, et le choix d’un sujet, d’un fil rouge, d’un phénomène global (chez David Simon, par exemple : le trafic de drogue) qui traverse toutes les couches de la société comme autant de cadres romanesques, avec vue en coupe des causes, des effets, et, oui, pour le coup, c’est bien ça, de l’argent, et du sang.

Mais série avant tout prodigieusement pédagogique.
Citoyenne, pour ainsi dire.
Grâce à elle, enfin on entrave quelque chose à la fabuleuse fraude à la TVA carbone, aux machineries et machinations de l’arnaque du siècle qui entre 2008 et 2009 a fait partir en fumée 6 milliards d’euros en Europe, dont 1,6 aux frais de l’État français, tes impôts et les miens.

C’est ce mélange de deux énergies, celle du film d’action implacable avec personnages solides et casting au poil, et celle du lent didactisme politique, qui donne envie de la faire, la putain de révolution.
La source de cette série archi-documentée n’est pas un roman mais une enquête parue sous le même titre, signée Fabrice Arfi, le même admirable journaliste-pédagogue-héros-lanceur d’alerte grâce à qui se tient ces jours-ci le procès de Nicolas Sarkozy, aigrefin président qui finança sa campagne électorale grâce aux dessous de tables d’un dictateur. Merci Fabrice Arfi. Heureusement qu’il y a des gens qui bossent en France.

Giannoli a réalisé cette série d’auteur (le cliché facile voudrait que ce n’est pas une série mais un film de dix heures) auréolé du succès d’Illusions perdues, film certes éminemment politique. Pour ma part j’ai beaucoup repensé à un de ses précédents films, plus modeste mais, à sa mesure, très impressionnant : À l’origine avec François Cluzet, déjà l’histoire d’un escroc et de l’effet que ses tromperies avaient sur une communauté. Mais, alors, le magouilleur était touchant, piégé dans son piège, pris dans sa mythomanie comme dans un rêve (cf. aussi Marguerite du même Giannoli, autre variation sur une dingue hors sol mais relativement inoffensive, dont le délire était pittoresque, attendrissant, contagieux). Avec la bande organisée des margoulins du carbone, on atteint toutefois une toute autre dimension dans l’obscénité, dans le cynisme, dans l’appât du gain, dans la gabegie, dans le laissez-faire-laissez-passer, pendant que notre maison brûle, comme disait l’autre, qui n’était pas le dernier des hypocrites.

Le message essentiel, la leçon que l’on retient après le générique de fin ?
Voilà ce qu’ils ont fait de l’écologie : un marché.
Un marché libre et non faussé, béni par l’Union européenne et par tous les chantres du libéralisme sans frein, sans foi ni loi, sans pays ni contrôle.
Une libre entreprise.
Une bourse.
Une place financière.
Une bonne affaire.
Le marché : pensée unique, main invisible, et réciproquement.
La taxe carbone, le droit à polluer monnayé, devient une opportunité financière à ne pas louper, une invitation à se goinfrer, et non une sanction raisonnée, un impératif de survie collective, une urgence pour sauver la vie sur terre. Étonnez-vous que le marché attire les escrocs, que le marché tourne mal. Sacra auri fames et suicide global, argent roi et destruction de la vie.

Ce qu’ils ont fait de l’écologie ? Mais qui, ils, à la fin ?
Allez, on balance. Vincent Lindon balance.
Dans l’avant-dernier épisode, le personnage joué par Lindon, tenace et marmoréen chef du Service National de Douane Judiciaire (personnage fictif mais synthèse de plusieurs enquêteurs et, au passage, bis repetita : heureusement qu’il y a des gens qui bossent en France) entend l’un des suspects qu’il a mis sur écoute parler de lui : C’est un malade, il en veut à la terre entière. Il se lance dans un monologue extraordinaire, qui explicite ce qu’est la terre entière, qui énumère les responsables du plus infime magouilleur des rues aux plus puissants politiques des ministères, petites frappes de Belleville, grands bourgeois du 16e, en passant par tous les corrompus, tous les ignorants que l’ignorance arrange, tous les traders et brokers et gérants de paille, une longue chaîne de complicités, entre ceux qui votent des lois béantes de failles et ceux qui s’y engouffrent un continuum de vulgarité matérialiste et irresponsable. Éructant calmement, Lindon fait précéder chaque maillon, chaque catégorie de coupables, par la formule J’en veux à… Ce martèlement par anaphore est aussi puissant et aussi édifiant qu’une autre énumération, célèbre, qui, j’en suis certain, a servi de modèle littéraire à Giannoli : J’accuse de Zola. Étudie-t-on encore au collège, comme lorsque j’étais collégien, le J’accuse de Zola ? M’étonnerait. On devrait. On devrait aussi étudier le J’en veux à… de Giannoli. On devrait tant de choses. On devrait faire la révolution, tant qu’on y est.

Un des bienfaits collatéraux de la série est la découverte (pour moi) de l’imparable chanson du générique, N.E.M., conçue étonnamment six ans plus tôt mais qui lui va comme un gant sur mesure, énergie synchrone. Chanson signée Las Aves, un groupe toulousain qui sonne comme le Bronx. Concept innovant : toulousonx. C’est en mélangeant qu’on invente.

Sur le même hallucinant sujet de la fraude à la TVA carbone, le toujours imprévisible et versatile Guillaume Nicloux avait quant à lui réalisé un documentaire, Les rois de l’arnaque (sur Netflix), où l’on découvrait les véritables noms et visages des protagonistes d’Argent et de sang. Ainsi, Alain Fitoussi, dit Fitouss l’ Élégant, incarné avec brio dans la série par Ramzy Bedia, s’appelle en réalité Mardoché Mouly, dit Marco l’Élégant. Or Mouly est encore plus vedette, encore plus filou, mytho, grande gueule, éhonté et charismatique que Fitoussi. Mouly, le vrai, a même écrit une chanson bling-bling où il vante ses exploits. Giannoli n’a pas osé évoquer cette chanson dans sa série, et on le comprend, elle n’aurait pas été crédible. On découvre pourtant que certaines des anecdotes les plus outrancières et glaçantes de la série (la banane avec la peau…) sont bel et bien authentiques.
Même si le film de Nicloux (2021) précède de deux ans la série de Giannoli (2023-2024), je recommande de les regarder dans le même ordre que moi, fiction d’abord, doc ensuite, histoire de vérifier l’adage, la vérité dépasse la fiction.

Au-delà de l’adage, ce qui est terrible avec la réalité c’est surtout qu’elle n’a pas de générique de fin. Derniers rebondissement en date : Arnaud Mimran (« Jérôme Attias » dans la série) sera jugé pour trois morts parmi ses proches ; Marco Mouly s’est de nouveau fait arrêter dimanche 30 mars 2025 à Rome, à sa descente d’avion, notamment pour ne pas avoir déclaré les droits d’auteur de son autobiographie !