Aujourd’hui au Fond du Tiroir, dans la série La publicité c’est de la merde :
J’attends le bus. Comme il n’arrive pas, mon regard se détourne et divague ailleurs que sur la chaussée ou dans le caniveau. Je me laisse piéger dans la publicité sous vitre, plus grande que moi, à l’intérieur de l’abri. Un visage de femme marqué d’un triangle d’or, pointe en bas, haut de près d’un mètre de hauteur, me regarde dans les yeux. Le visage de la géante est posé, sûr de lui, quoiqu’un peu défraîchi, ridé, et on distingue même un léger duvet au-dessus des lèvres discrètement peintes en rose. Et ce triangle jaune comme un tatouage tribal. Le slogan :
Avec la crème anti-âge, resculptez en un mois votre triangle de jeunesse !
Je vois parfaitement clair dans leur jeu. J’ai compris ce qu’étaient ce triangle et ces lèvres poilues. Il s’agit évidemment d’une publicité pour une opération promettant la restauration de la virginité, en un mois seulement. Je pense à Hitchcock, qui parlait de certaine catégorie d’actrices portant leur sexe sur le visage. Je pense aussi au film Emmanuelle d’Audrey Diwan qui sort aujourd’hui même, je me demande si j’ai vraiment envie de le voir, sans doute que oui puisque Noémie Merlant est ma préférée actrice. Je me souviens qu’Emmanuelle, plus gros succès en salle de 1974 (loin devant Céline et Julie vont en bateau de Rivette, qui plaida au moins aussi fort pour l’émancipation des femmes) possédait DÉJÀ une suite : dès 1975, forcément, était tourné Emmanuelle l’antivierge (de même que dès 1960, un an après la publication du premier roman, l’autrice Emmanuelle Arsan utilisa ce titre-là pour un tome deux). Je me demande si Sylvia Kristel utilisait une crème anti-âge. Enfin mon bus arrive.
1) C’est aujourd’hui même, paraît-il, que nous célébrons le bicentenaire de l’invention de la photographie, puisque le 16 septembre 1824, le jour où incidemment décède le roi Louis XVIII, Nicéphore Niépce écrit à son frère : “ À l’aide du perfectionnement de mes procédés, je suis parvenu à obtenir un point de vue tel que je pouvais le désirer, et que je n’osais guère pourtant m’en flatter, parce que jusqu’ici, je n’avais eu que des résultats fort incomplets. Ce point de vue a été pris de ta chambre du côté du Gras […] L’image des objets s’y trouve représentée avec une netteté, une fidélité étonnantes, jusque dans ses moindres détails, et avec leurs nuances les plus délicates.” (Toutefois l’expérience de Niépce sera plus concluante en 1827 donc nous aurons d’autres occasions de fêter l’anniversaire…)
Je célèbre ces 200 ans d’images en séjournant quelques jours, comme chaque année, en Arles, capitale mondiale du déclic, pour les Rencontres photographiques. Joie scopique, orgie rétinienne où je prends la température, sinon du monde, au moins de sa représentation. Quelle grande tendance ? L’an dernier, en 2023, j’en avais rapporté des questions sur le genre, et sur mon propre état de travesti… Alors, cette année ?
2) Si j’en crois la presse, la tendance lourde 2024 est le Japon. Je veux bien. Certes les Nippons sont très présents, et pas seulement les marques d’appareils photographiques. Mais pour ma part, pardon de casser l’ambiance, parmi les expos d’Arles 24 ce qui me saute aux yeux et on ne saurait mieux dire, c’est la guerre. L’inquiétant fil rouge est, je le crains, belliqueux : ce sont des nouvelles du front que je ramène.
La guerre était partout (ou alors je l’ai vue partout, il ne faut pas sous-estimer l’oeil interne qui n’a rien à envier à l’oreille interne) dans les images qui ont le plus sûrement imprimé ma chambre noire intime. Plus précisément, la préparation à la guerre plutôt que la guerre. La répétition générale. Le virtuel qui imprègne tellement le réel qu’il finit par le préméditer. (À force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver.) Le spectacle de la guerre : le théâtre des opérations. Le simulacre de guerre, qui est à la fois un jeu d’enfant (ou d’adultes dangereusement infantiles) et un avertissement premier-degré raide-sérieux, un modèle réduit aujourd’hui et un entraînement à l’authentique guerre demain. D’ailleurs, anagramme amusante : Arles est le minuscule = Seul sent le simulacre.
Au moins cinq expositions, comptant parmi mes favorites du cru, participent de ce jeu sérieux :
Citoyens modèles de Debbie Cornwall, sans doute l’installation la plus saisissante, se consacre aux modalités par lesquelles les USA jouent à la guerre : centres d’entraînement de l’armée avec jeux de rôles grandeur nature, dioramas historiques dans les musées, rassemblements déguisés de militants pro-trump, et montages d’extraits hollywoodiens : le soft power est explicitement pousse-au-crime, prépare les nerfs des nerds. S’il n’y avait pas ici de cartels, le spectateurs serait démuni, incapable de savoir si ce qu’il voit est pour de vrai ou pour de faux et ce doute-là est une puissante théorie de l’image, en actes, sans un mot.
Fashion Army de Matthieu Nicol déploie de mystérieuses archives déclassifiées de l’armée US, lancinant défilé de mode d’uniformes militaires pour toutes circonstances, du plus relax au plus contraint, du désert torride à l’hiver nucléaire. Le sourire ou l’air crispé des mannequins créent un décalage qui prête à rire – mais d’un rire jaune et nerveux.
Échos de Stephen Dock. Dock, ex-reporter de guerre, a retravaillé ses archives de conflits couverts dans six pays distincts : Syrie, Jordanie, Irak, Liban, Lesbos (Grèce) et Macédoine. Il les mélange sans contextualisation, et ce que nous avons sous les yeux est un pays en plus, abstrait et pourtant terriblement présent, générique mais immédiatement identifiable : le pays de la Guerre elle-même. Extrêmement troublant.
Au sein de la foisonnante expo fleuve et collective Quand les images apprennent à parler, je retiens (outre les géniaux portraits sur le long terme de Hans-Peter Feldmann et de Nicholas Nixon), au chapitre de la thématique turlupinante du jeu-de-guerre-qui-prépare-à-la-guerre, la série Ayer vi a un niño jugando [Hier j’ai vu un enfant jouer] de Luc Chessex où des enfants hilares s’amusent à se tirer dessus avec des jouets.
Enfin, la formidable expo autobiographique-géopolitique Beirutopia de Randa Mirza ajoute une couche d’ambiguïté avec un cas pratique de mise en scène ironique de la guerre, de la guerre/après-guerre/avant-guerre, en l’occurence celle du Liban, guerre d’hier et d’aujourd’hui et de toujours.
3) Carte postale alternative d’Arles, parce que dans la vie il n’y a pas que le sabre, il y a aussi le goupillon : Le dogme chrétien de la Trinité (le dieu « unique » se révèle, tout compte fait, composé de trois entités distinctes qui chacune le contient entièrement : le Père, le Fils, le Saint-Esprit) est ce que l’on appelle un « mystère » . C’est-à-dire une aberration inaccessible à la raison, qu’il ne faut pas chercher à comprendre ou à discuter, et qui ne peut être révélée à l’esprit que par la grâce. Ou, à la rigueur, pour les malheureux sans-grâce, par quelques années d’études en théologie. Cette si mystérieuse trinité, qui, au passage fait bien marrer les musulmans (« Vous osez vous qualifier de monothéistes avec un pareil panthéon ? Et vos saints, d’ailleurs, on en parle ? Vous priez qui, déjà, quand vous avez perdu vos clefs ? » ), gagnera pourtant, comme tant d’autres obscures notions pieusement métaphysiques, à s’inscrire dans une iconographie limpide qui ne demande qu’à trouver place dans les églises afin d’oeuvrer à la vulgarisation de la foi auprès des masses. C’est ainsi que nous pouvons actuellement admirer, en la chapelle de la Charité d’Arles, une exposition du photographe et athlète luxembourgeois Michel Medinger, dont l’une des installations illustre et éclaire définitivement cette si étrange trinité qui n’est qu’une seule chose :
Finalement, ce sera une trilogie. Après Goya : Monstres et merveilles créé en 2022 (voir ici)… Après Chagall : L’Ange à la fenêtre créé en 2023 (et dont la tournée se poursuit : toutes les dates ici)… Le trio Christine Antoine/Bernard Commandeur/Fabrice Vigne prépare pour 2025 son troisième spectacle biographico-musico-politico-pictural, intitulé Courbet : Je n’ai jamais eu d’autres maîtres que la nature et mon sentiment. C’est une bonne nouvelle ! Alors pourquoi cette mine de désespéré, s’il vous plaît ?
Plus je me documente, plus je me passionne pour le personnage. Quel type stupéfiant ! Quel punk !
En échantillon, juste une anecdote : en 1870, Courbet refuse avec fracas la légion d’honneur parce qu’il désavoue le gouvernement (COURBET PRÉCURSEUR DE JACQUES TARDI !)* et dans la foulée s’engage dans la Commune, ce qui lui vaudra beaucoup d’ennuis : pour fuir le harcèlement politique subi dans son propre pays il passera les dernières années de sa vie au bord du lac Léman (COURBET PRÉCURSEUR DE CHARLIE CHAPLIN !), où, alcoolique, il continue d’insulter l’académie locale en passant sous ses fenêtres et ce faisant d’insulter l’académisme (COURBET PRÉCURSEUR DE CHARLES BUKOWSKI !), où, également, il tente de retrouver quelque chose de nouveau à dire sur la nature (illustration ci-dessous : Vue du lac Léman, COURBET PRÉCURSEUR DE L’IMPRESSIONNISME !), voilà qu’il se fait arrêter par la police suisse parce qu’il se baigne tout nu dans le lac (COURBET PRÉCURSEUR DE PHILIPPE KATERINE !).
Comme avec les deux précédents, en rédigeant le texte du spectacle je m’emballe pour la vie et l’oeuvre du peintre, et tout spécialement pour son rapport avec la politique : Goya, Courbet, Chagall, chacun a pris son époque en pleine tronche, et de cette violence du réel il fit ce qu’il put. Ces quelques mots, il en fit ce qu’il put, sont le vrai moteur des biographies que je rédige. En ce qui concerne Gustave Courbet, le principe de réalité politique qui a embrasé sa vie n’est autre que la Commune de Paris. Oh, j’ai de quoi dire. Il est possible que la bande son du spectacle comprenne La semaine sanglante, La Canaille ou Elle n’est pas morte.
* Rappelons que la légion d’honneur est, en revanche, portée avec force gratitude envers la France par nombre d’immarcescibles héros du peuple, ayant une autre conception de la dignité, tels que : Bernard Arnault, Vladimir Poutine, Bachar al-Assad, Mohammed ben Nayef, Ali Bongo, Harvey Weinstein, Jeff Bezos, Abdel Fattah al-Sissi, Didier Lallemant, Patrick Pouyanné, Thierry Ardisson, Michel Houellebecq, Gérard Depardieu… Et ça, c’est pour les vivants. S’il fallait collectionner les morts glorieux qui ont arboré le pin’s à la boutonnière, il faudrait citer Adolphe Thiers, Mussolini, Maurice Papon, Manuel Noriega, Franco, Ceaucescu, Bokassa, Ben Ali, Jacques Servier, André Tullard et évidemment Philippe Pétain. Rien que des cadors.
Depuis au moins trois décennies, j’aime, j’admire et je cite (ici ou ailleurs), Jean-Christophe Menu. Menu est « inspirant », pour employer un vocabulaire de millenial. Je ne saurais sous-estimer l’influence de son oeuvre d’auteur, de dessinateur, d’éditeur, d’agitateur, de fouteur de merde en réseau. Toujours peu connu du grand public, il est en quelque sorte l’équivalent de ce qu’est en musique le Velvet Underground (Brian Eno a déclaré à propos du premier album du Velvet : « Seules 500 personnes l’ont acheté, mais chacune d’elles a ensuite fondé un groupe »). Or Menu a subi la semaine dernière une très grave crise qui a failli lui faire traverser en coupe le fil du rasoir. Tous ses amis, moi compris, se sont alarmés et lui ont témoigné leur soutien. En réponse, il vient de publier un long post, sorte de compte-rendu depuis l’enfer. Je me permets de copier-coller ci-dessous ce texte, que j’estime capital, d’utilité publique. Au moment de lancer son dernier livre en tant qu’éditeur (« Le Copirit », réédition d’une oeuvre de jeunesse de Jean-Claude Forest) Menu est parti en cacahouète pour une imprimante. Une fois la crise passée, il a remonté le fil afin de comprendre de quoi cette imprimante était le symptôme et la métonymie. Quiconque, comme moi, fait des livres (ou autre chose, après tout), se retrouvera dans ce témoignage éclairant : la joie de créer se brise sur le mur du réel, pour des raisons qu’il décortique lucidement. Mais au-delà de ce cercle de créateurs, son texte parle de tout un chacun puisqu’il signale les deux dangers propres à l’époque : la loi du plus fort capitaliste en guise de fond, la numérisation universelle en guise de forme. Pile et face de la déshumanisation en cours. Non, le second n’est pas un « progrès » mais bien le bras armé du premier, déshumanisant, détruisant la relation humaine pour la réduire à la pure consommation individualiste et décervelée. En outre, dernière considération politique, le terrible constat « Il n’y a plus de moyen terme entre l’industrie et l’underground » résonne comme un sinistre écho, appliqué à la sphère culturelle, du phénomène planifié de disparition de la classe moyenne.
« Attention gros post plein de texte. Chères et chers ici, je suis vraiment très touché de vos mots, de vos appels, de vos encouragements. Franchement je ne m’attendais pas à tant de signes, je ne savais pas que je comptais pour autant de monde, je ne vais pas en tirer de la fierté, mais je ne vais pas nier que ça m’a fait énormément de bien, que ça m’a sauvé peut-être. Ces réseaux peuvent avoir du bon… Merci à ceusses de la vraie vie, les virtuels ici dont j’ai entendu pour la première fois la voix, les proches, les moins proches. Le burn-out peut arriver à n’importe quel moment. Comment on arrive au burn-out ? Il y a des signes avant-coureurs bien sûr. De plus en plus de crises d’angoisses, quand on a tant de mal à s’adapter à la technologie comme moi. L’appli sncf ? Pétage de plombs. Une lettre de l’Urssaf ? Pétage de plombs. Super-U ? Crise d’angoisse. J’estime que le tout-numérique administratif fait des ravages sur les hypersensibles dans mon genre, c’est de la mise en danger institutionnalisée. Un des signes parmi d’autres de la déliquescence générale. Tout devoir faire avec des robots. Quelle mauvaise SF. Donc c’est l’été, on met un peu tout en sommeil, même si on ne bouge pas, après tout on habite dans un chouette endroit et on se plaint plutôt du sur-tourisme là où je suis. Et puis il y a un gros anniversaire. Un chiffre que quelque part je suis étonné d’atteindre. Et je suis ravi d’avoir mes 3 filles, pour la 1e fois ensemble depuis leur enfance, car oui, toute ma vie a été bien compliquée, et même si le moment est merveilleux, beaucoup de choses difficiles remontent à la surface. Et puis je bois beaucoup évidemment. Et en fait « ça va aller », ben non. Les causalités, les valises de merde qui se transmettent de génération en génération, qui trouvent leurs sources dans une guerre ou un abus, les secrets de placard dans toutes les familles, c’est épuisant et ça ne s’arrêtera jamais. Et puis il faut se remettre à bosser. En fait, aller vers l’ordi est une torture. Déjà, tout est obsoléte dans mon installation pourrie. Un vrai gag, mais c’est comme ça. Et donc, c’est un minable problème d’imprimante qui engendre le Pétage de plombs. J’ai là par terre la pile de Copirit, les emballages pour les journalistes, il faut que j’imprime le communiqué de presse, l’imprimante ne veut pas marcher, et c’est la goutte d’eau, et je me tape la tête contre une porte en hurlant et les pompiers arrivent. Et une fois à l’hôpital, au bout de 2 h sans voir personne, je pars par la fenêtre et je monte à pied vers la ville. J’étais au rez-de-chaussée je précise, pour pas faire le héros. J’ai attendu que les ambulanciers dehors aient fini leurs clopes et que les couloirs soient vides. Simple. J’ai la faiblesse de penser que je connais mieux mon problème qu’autrui. J’ai tort, mais la perspective de me faire perfuser avec dieu sait quoi alors que j’ai autre chose à foutre a été déterminante. Mon amie Laurence qui m’a récupéré a été cash : « je t’écoute une heure, c’est moi qui décide si je te ramène chez toi ou à l’hosto ». Ce qui est grand car elle ne voulait pas que je me remette en danger ou mette Laura en danger. Elle me ramène (merci Laurence), il y a les gendarmes bien sûr, plus tard le Samu. Bon. Il ne m’a manqué que les palotins du père Ubu. Je regarde les paquets à faire. On en est où de ce système ? Envoyer des SP [services de presse], à des gens qui sont payés pour ça, tandis qu’on fait tout bénévolement ? Frayer avec des tocards qui ont une colonne à remplir pour vendre 3 bouquins ? C’est ça la vie ? Devenir hypocrite à 60 ans, intégrer ce système tout naze au péril de sa santé, pour faire tourner un système totalement merdique alors que mon vœu le plus sincère est qu’il disparaisse ? Où sont mes principes révolutionnaires d’antan ? Faire des livres c’est magique. C’est pour ça que j’ai rempilé. Mais oui, c’est de l’industrie qui participe aux malheurs de la planète. Un imprimeur, c’est des machinistes qui tournent, ce sont des artisans, des ouvriers. Nos états d’âme d’artistes, ils connaissent pas et c’est tant mieux. Par contre ils aiment le travail bien fait, et c’est là où on communie. Voir les « belles feuilles » sortir des presses, c’est un des meilleurs moments du monde. Et ça se passe avec des « vrais gens ». Ça aussi c’est beau. Alors pourquoi tout part en couilles ? Trop d’industrie, trop de production, trop d’offre et souvent merdique, à tous les niveaux. Le livre n’échappe pas à la règle, c’est du Naf-Naf culturel. Tout le processus est beau, et puis à la fin ça s’apparente à une marée de plastique dans les océans. Je me suis toujours identifié à Bertrand Labévue à qui on essaye de changer les idées en bagnole, et il revient encore plus déprimé qu’avant parce qu’il a vu des hérissons écrasés. Tout ce qu’il y a à côté de l’Edition, la distrib, les fichiers excel, les fiches Onyx de mes couilles pour faire plaisir à la Fnac et à Amazon, la presse, tout ça c’est de l’industrie et du capitalisme, dont tu dépends malgré toi. C’est l’essence de tout travail tu me diras, mais je peux pas m’y faire. Surtout de plus en plus bureaucratique à tout niveaux. C’est un système exsangue, de la merde qui te fais péter les plombs. Comme le reste, comme la politique, ça tourne en rond en essayant de sauver les apparences, mais l’enjeu a disparu, il ne reste que le système. Tout vide. Surtout quand ta boîte est basée sur le bénévolat. Je me plains pas, je claque un héritage en refaisant des livres, ça me plaît, c’est mon choix, et j’ai honte d’avoir ce luxe mais au moins je fais ce que j’ai toujours aimé. J’ai essayé la diffusion en direct avec la Munothèque : on arrive au point mort plus rapidement, les sous arrivent de suite, on parle avec les acheteurs, c’est beaucoup plus sympa et clair. Mais c’est plus de travail de tout faire. Et puis arrive un moment où tu as peur de harceler les gens. Je le vois bien qu’on est trop nombreux à essayer de fourguer sa came. Qui peut se payer tout, aider tout le monde ? Personne. Et rentrer dans des statégies « ma merde est meilleure que ta merde » je peux pas. Plus de risques de pétages de plomb aussi car le cerveau ne gère pas tant de métiers différents. Faire tous les festivals ? J’ai plus l’énergie. Le système, même avec des distributeurs nés dans la mouvance indépendante, est un gros système industriel, tous basés sur les mêmes méga-data, Électre mes couilles, Fnac mon cul. En vertu de quoi on devrait faire plaisir à la Fnac ? Ils font quelque chose pour nous ? Quand je pense qu’avec l’Asso on avait réussi à imposer la vente ferme aux Fnac. C’était il y a longtemps. il n’y a plus de moyen terme entre l’industrie et l’underground. Il y a eu une bataille de perdue, mais elle a été perdue à tous niveaux. Et tout seul c’est juste pas possible. Et qui s’intéresse aux livres et pour combien de temps ? Nous devenons une secte et elle ne va pas se renouveler. Je pense à Fahrenheit 451 et à THX 1138 tout le temps. Mais je dois avouer que les gendarmes d’hier étaient gentils. C’était pas la Gestapo. ça pourrait le devenir. Y’a eu ça aussi, le mois de juin et ses menaces, on a préféré vite oublier, il faut se souvenir qu’un chef d’état complètement cinglé a fichu la merde dans la tête de 60 millions de personnes, qu’il continue, au mépris de toute démocratie, et que ça ne peut pas rester impuni. Sans parler du reste, de Gaza. S’il y a encore des gens dans mes contacts à penser qu’Israël ne fait pas un génocide à Gaza, merci de vous en aller. Et discrètement. Car on est tributaire de tout, un truc pareil est en filigrane pour tout le monde, la planète est un corps comme le nôtre, on voit l’éxéma, on voit la gangrène. Ce que subit la planète je l’ai toujours vécu dans mon corps. Et c’est pas nouveau, gamin on me foutait devant la télé, c’était la guerre au Liban, la famine au Bangladesh, et je me demandais bien pourquoi on me donnait ça à savoir puisque je ne pouvais rien faire. N’étais-je pas un enfant ? Pourquoi on montre les horreurs des adultes aux enfants ? Pourquoi à la télé il n’y avait pas Franquin ou Tillieux ? Bande de cons. Désormais je ne voudrais que dessiner. Voilà j’ai essayé de donner des indices pour vous remercier. Je ne sais pas comment je vais réagir suite à ça. Je vais devoir élaguer. Accepter d’être un vieux schnock. Probablement redisparaître des réseaux alors que c’est grâce à eux et à vous que je sors de cette crise. Enfin, je ne sais pas si je vais m’en sortir. Il faut tout réinventer. Faire des bricoles car il n’y a que les bricoles qui aient de l’importance. Mais moins. Et pour les paquets, on attendra. Bisous. Jcm »
Éditeur et blogueur depuis avril 2008.
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