Capsule
Des circonstances complètement inattendues ont permis que je mette la main sur un lot de correspondance familiale. Je lis avec des émotions variées ces lettres intimes qui courent de 1963 à 1981 et me révèlent des proches, dont mes parents, en leur jeunesse. Je découvre des inconnus, familiers.
Je décortique avec des précautions d’archiviste cette capsule temporelle, ce temps qui passe, pris dans l’ambre sous la forme désuète de feuilles de papier pliées en quatre et cachetées sous enveloppes, avec parfois une découpe à la place du timbre (lorsque celui-ci était beau, rare, ou venu de l’étranger).
Et souvent, parmi ces familiers inconnus, je tombe sur moi-même. Sur plusieurs moi-mêmes en des temps différents, comme disait le sujet de mon bac de philo. En voici deux.
1 – 16 janvier 1973 (j’ai trois ans et demi)
Ma mère écrit à son propre frère :
« J’ai écouté le dernier Brassens, en présence de Monsieur Amice [c’est alors mon surnom, puisque je n’arrive pas à prononcer correctement Fabrice]. Il en résulte deux choses : maintenant, ce Fa chante n’importe quand « Quand je pense à Fernande, je bande, je bande » ou à la rigueur « Quand je pense à Félicien… [sic] » Je lui ai dit : « Ça veut peut-être rien dire, ça ». Ce à quoi il a répondu avec son aplomb habituel : « C’est Brassens qui le chante, alors ça veut dire quelque chose ».
Et la 2e chose, consécutive à l’audition de ce disque pas pour les enfants, c’est que, à un moment, dans la chanson Quatre vingt quinze fois sur cent, la femme s’emmerde en baisant, il y a un truc qui a fait rire Fa aux éclats, c’est : « Chantez in petto » … Monsieur Amice a trouvé « Z’in petto » absolument irrésistible. Et il a trouvé que ça ferait un joli nom de chat. Il a passé un accord avec Laurent [mon frère aîné, 7 ans] : quand nous aurons un chat il s’appellera Zin Petto.«
TROIS ANS ET DEMI !!! Je m’époustoufle moi-même. Je suis surtout épaté et, en quelque sorte, soulagé, par ma constance : Fernande est régulièrement citée, 50 ans plus tard, durant mes stages de création de chansons, en tant qu’exemple admirable, têtu et mécanique comme une érection, de l’usage des rimes plates (en revanche je parle plus rarement de Quatre vingt quinze fois sur cent). Je n’ai jamais eu de chat nommé Zin Petto. Il n’est peut-être pas trop tard.
2 – été 1981 (j’ai douze ans)
Dans une des toutes dernières enveloppes, contenant une carte postale d’été annonçant un déménagement, a été glissé un feuillet écrit de ma main.
Ce gamin-là m’attendrit et me fait rire. Il fait plein de fautes d’orthographe mais il est marrant. Il commence par s’adresser à « Chaire [sic] fraîche », qu’il raye pour écrire plus sérieusement « Cher [sic] tous » .
Il fait le mariole, il ne dit pas ses affres dont j’ai le vague souvenir.
Je sais ce qu’il ne sait pas, mais j’ai oublié beaucoup de ce qu’il sait encore. J’aimerais le prendre dans mes bras et lui dire « Ne t’inquiète pas, chut chut ça va aller » et qu’il me rende mon câlin.
Puis je relève la tête et j’aime toujours aussi passionnément, et de plus en plus, le papier. Les papiers. L’endroit où s’écrivent les histoires, l’Histoire. Et je me demande ce qu’il restera dans 50 ans de nos monceaux de mails, textos, statuts, profils, posts, stories.
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