Les « cinquante nuances de gris », les vraies
Blandine Rinkel est musicienne, chanteuse et danseuse, au sein du groupe Catastrophe (pour rappel : rediffusion au Fond du tiroir).
Elle est aussi écrivaine. Son dernier livre, quoique minuscule (publié d’ailleurs aux minimalistes éditions 1001 nuits) tombe fort bien : Les abus gris.
La couverture en forme de nuancier Pantone explicite le titre, et ringardise une bonne fois pour toutes les trop fameuses Nuances de Grey qui sous couvert de dernier cri érotique ne faisaient que réincarner, pour le coup sans s’encombrer de la moindre nuance, les archétypes masculinistes les plus éculés, les plus archaïques rapports de domination d’un sexe sur l’autre.
Ici, au contraire, est entrevue la vaste « zone grise » entre le pur et simple abus sexuel et le consentement explicite.
En plus du reste (« par-dessus le marché » comme disait l’autre) Blandine Rinkel est belle. La beauté est un pouvoir. Le désir aussi, celui qu’on éprouve, celui qu’on provoque ; la libido tout entière est un nœud de pouvoirs. Les rapports entre les hommes et les femmes sont des rapports de pouvoir, voilà qui est à peu près fatal. Or je fais systématiquement mien le crédo anarchiste : dès qu’il y a pouvoir, il y a risque et soupçon d’abus de pouvoir, la pente est naturelle. Dans le présent contexte, il ne s’agit pas d’imaginer qu’on va éradiquer le pouvoir lui-même – projet utopiste et d’ailleurs pas forcément souhaitable (comment tomber amoureux si l’on récuse toute emprise ?). Ce sont (nuance !) les abus qu’il faut surveiller et prévenir. On les surveillera et préviendra en parlant, en écrivant, entre sujets, sans que l’un soit l’objet de l’autre.
Notre époque depuis #metoo, en libérant la parole et en la rendant en somme obligatoire, a peut-être compliqué mais sûrement assaini les rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Ce mini-livre contribue au débat.
Premier paragraphe :
A 18 ou 20 ans, je tenais à plaire aux hommes suffisants. Ceux qui, dans le milieu intellectuel notamment, semblaient avoir du pouvoir. Sans doute pour me prouver à moi-même ma maturité, je tenais à être désirée par des hommes mûrs. Ceux qui savaient, pensais-je, ce qui est digne d’être désiré et ce qui ne l’est pas (…) Il y avait un plaisir à créer de la frustration chez ces personnes repues, un plaisir à les sentir, parfois, encombrées par leur désir, sans toutefois le satisfaire.
Dernier paragraphe :
Je me fiche maintenant de plaire aux suffisants. J’ai fini de trouver des excuses à ceux qui dictent, asymétriquement, les règles du jeu érotique. Et j’ai fini d’éprouver de l’embarras à l’idée d’être ce que je suis : une femme, encore jeune, avec un corps de jeune femme, qui aime être désirée, mais à qui il importe plus encore d’être prise au sérieux. Une femme qui n’éprouve jamais de plaisir à être changée en objet malgré elle.
Entre les deux : une anecdote racontée avec minutie, éclairante, factuelle. Nuancée. Voilà de quoi nous avons besoin.
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