À
la fin de l'année 2005, je rencontre Philippe Castells, qui veut lancer
sa maison d'édition. Il a lu mes nouvelles. Il me dit : "Ce n'est
pas du tout ce que je voulais publier, mais ça me plait, donc j’inaugure
une collection exprès pour toi." Il a tenu parole, dans des conditions
certes précaires, mais avec une célérité et une
opiniâtreté remarquables. Voulez-vous effacer/archiver ces messages
?, mon troisième livre est paru en juin 2006.
Je l'ai annoncé par un mail de faire-part à la cantonade, que
je reproduis ci-dessous. En relisant cette bande-annonce, je réalise
à quel point je me répète : je parle déjà
ici de « fonds de tiroir ». Je n’ai peut-être jamais
écrit autre chose que des fonds de tiroir. La souscription dont il
est question est naturellement caduque.
« Bon, alors, voilà.
Excusez-moi de vous déranger, mais là, je sors un livre. Ah
! Commencez pas à m'interrompre ! Je sais ce que vous allez dire, "Encore
un livre ! à quoi bon ? Un livre de plus, des centaines de livres sortent
tous les jours, etc.", laissez-moi parler ! Déjà que c'est
pas commode ! Où j'en étais ? Oui : en plus, c'est un recueil
de nouvelles. Donc déjà, c'est invendable à la base,
d'ailleurs pour plier l'affaire, bien revendiquer la catastrophe commerciale,
ça porte un titre à coucher dehors qui n'aidera en rien, imaginez
un peu, vous oseriez, vous, réclamer à votre libraire : "Voulez-vous
effacer/archiver ces messages ?" (oui, bon, ça va, c'est un alexandrin,
on va pas en faire un fromage). En revanche dites-moi pour autant ça
se mouche pas du coude, puisque ça coûte 18 euros, ah quand même,
eh oui. Ou 17, si vous pré-commandez, mais franchement, hein, pour
un euro d'économie, on joue les pousse-mégots, on s'englue dans
la mesquinerie. Bon, ensuite, j'aurais préféré éviter
le sujet, mais si vraiment il faut parler de ce qu'il y a dedans, dans ce
livre je veux dire, laissez-moi vous prévenir tout de suite que ce
sont des vieilleries, hein, des fonds-de-tiroir, à peine rafraîchis
pour l'occasion. (Vous faites comme vous le sentez, mais d'un seul coup je
sens le mauvais plan, j'ai comme un dégoût, on dirait une arnaque.
Moi à votre place je le ferai pas. Bon, vous savez ce qu'on va faire
? moi je vais écrire jusqu'au bout, vous, vous lisez jusqu'au même
endroit et arrivés là on décide, ça va ?) Si ça
se trouve je vous ai déjà donné à lire ces machins
de la main à la main, le mois dernier ou bien il y a dix ans, non ?
Mais si, rappelez-vous, j'avais les mains moites, ça laissait des traces.
Et déjà à l'époque, ça ne vous avait pas
spécialement emballé, si je me souviens bien ? Etait-ce vous
ou un autre ? Vous m'aviez dit, en forçant un sourire, "Oui, oui,
pas mal, oui... Y'en a une que j'ai trouvé bien, je sais plus laquelle...
Mais tu sais, les nouvelles, moi... A part Anna Gavalda, bien sûr...
Et sinon, toi, ça va, depuis tout ce temps ? T'as rien écrit
de sérieux depuis TS, si je comprends bien ? Ah, TS au moins, c'était
quelque chose... Le titre, surtout..." Voilà, vous ne pourrez
pas dire que vous ne saviez pas où vous mettez les pieds. Une fois
tout ceci bien pesé, il faut cependant reconnaître que ce volume
à paraître a quelque chose pour lui, ah oui quelque chose de
tout-à-fait remarquable : il est publié par Philippe Castells,
qui vient de monter sa maison d'édition, alors qu'il faut être
timbré, et même franchement bon pour la camisole, par les temps
qui courent, pour monter une boîte d'édition. Ce type est fou,
c'est évident ; pas dangereux, mais fou, et enthousiaste, l'héroïsme
mérite d'être un peu encouragé, non ? Vous pourriez faire
un geste, ne serait-ce que pour vous dire "J'ai contribué, à
ma mesure, à l'essor d'une maison d'édition naissante",
souvenez-vous que Hachette aussi un jour a débuté. En plus,
le livre en question, là, celui dont je vous cause, est empaqueté
dans une splendide jaquette signée Patrick Villecourt, graphiste orfèvre
et délicat, ce qui en fait illico, je vous le donne en mille, un bel
objet, ni plus ni moins. Du coup, un objet d'art pour 18 euros (17 si vous
pré-commandez, mais ne mégotons pas), finalement c'est donné.
C'est cadeau. Non, franchement, hein : cadeau. Faites-vous un cadeau. Castells
et Villecourt, ça vous donne quand même deux raisons de réceptionner
la présente éhontée réclame avec un minimum de
bienveillance, dans ces conditions même moi je sens que je me laisserais
fléchir. Ah tiens oui, allez hop, ni une ni deux je sortirais mon carnet
de chèques, "Oh, 17 euros au lieu de 18, en plus ? La chance !".
Sans vous commander (puisque c'est vous qui êtes censé me commander,
ah ah, un petit calembour, c'est toujours bienvenu un petit calembour au milieu
d'un baratin de camelot, on rit, ah ah, on reprend son souffle, et c’est
avec le sourire qu’on finit par acheter), sans vous commander je vous
suggère aimablement de bien réfléchir à ce que
vous manqueriez si vous vous priviez du talent de MM. Castells et Villecourt.
Alors, encore une minute d'attention je vous prie, ici-même en pièce
jointe, se trouve un autre message, intitulé sobrement "TR:",
ce qui est toujours un peu suspect, mais je vous JURE sur la tête de
ma mère, euh non, attendez, pas ma mère, je ne veux plus d'emmerdements,
je vous jure disons sur la tête de votre mère que c'est sans
risque, que vous pouvez ouvrir cette pièce jointe sans états
d'âmes, il n'y a pas de virus, faites-moi confiance à la fin,
il n'y a sous le titre "TR:" qu'un formulaire lui-même intitulé
"Réservation Privilégiée" (terminologie rayonnante
comme une offre exclusive des 3 Suisses). Ce formulaire vous pouvez, si votre
équipement informatique fonctionne convenablement, l'imprimer, le remplir
là où c'est indiqué, lui joindre un chèque de
17 euros, le renvoyer à M. Philippe Castells éditeur, et même
pour bien faire, le transférer fissa à tout votre carnet d'adresse
afin d'avoir du bonheur dans les trois jours, comme d'hab, vous connaissez
la manoeuvre. Maintenant, hein, vous faites comme vous voulez, moi je vous
embrasse, et je vous embrasse y compris dans le cas où tout compte
fait vous auriez les poches cousues et le carnet de chèques en fonte
compacte, bonjour, bonsoir, j'arrête là, je ne veux pas prendre
le risque de vous ennuyer par mes bavardages, on reçoit tellement de
courrier, comment aurait-on le temps de tout lire, c'est justement le sens
de la phrase Voulez-vous effacer/archiver ces messages ? (qui sera vendu au
prix de 18 euros dès que le temps de la pré-souscription sera
révolu),
Fabrice »